Cas clinique commenté Rubrique coordonnée par E. A. Pariente Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Tumeur de la tête du pancréas, métastases hépatiques, pulmonaires, adénopathies rétropéritonéales : une origine originale Arnaud Duriez1, Vincent Maunoury1, , Armelle Caty2, Philippe Bulois1, Sébastien Aubert3, Stéphane Cattan1, François Bonodeau2, Antoine Adenis2 1 Service des maladies de l’Appareil digestif et de la nutrition, hôpital C. Huriez, CHRU, 59037 Lille Cedex, <[email protected]> 2 Département de Cancérologie digestive et urologique, centre Oscar Lambret, 3 Service d’Anatomie et Cytologie pathologiques, CHRU Lille L a découverte d’une tumeur rétropéritonéale doit faire évoquer chez l’homme jeune une origine germinale, gonadique mais aussi parfois extra-gonadique. Le pronostic de ces tumeurs a été transformé par la chimiothérapie à base de sels de platine. C’est dire que c’est un diagnostic qu’il ne faut pas manquer malgré une présentation parfois atypique, notamment digestive. Observation 1 Tirés à part : V. Maunoury Un homme de 38 ans était adressé en consultation d’oncologie pour la prise en charge palliative d’un “cancer céphalique pancréatique avec métastases hépatiques et pulmonaires” (figure 1). L’examen clinique, y compris testiculaire, était normal. Il n’y avait pas d’ictère. Le dosage sérique du Ca 19.9 était normal. En raison du caractère un peu atypique de ce tableau, un dosage des b-HCG était demandé et mesuré à ... 540 000 UI (N < 5) ! L’échographie testiculaire était normale. L’examen histopathologique de la biopsie hépatique sous scanner confirmait le cancer à cellules germinales, tumeur non séminomateuse, extragonadique, en diffusion métastatique ganglionnaire, pulmonaire et hépatique. Le patient reçevait 3 cures d’une chimiothérapie associant cisplatine, étoposide et bléomycine puis, en raison d’une décroissance incomplète du taux des b-HCG, 3 cures d’une chimiothérapie de seconde ligne associant holoxan, cisplatine et vincristine. Le dosage sanguin des b-HCG se normalisait et la taille des lésions tumorales diminuait. Une exérèse chirurgicale itérative des lésions résiduelles fut donc entreprise : exérèse des masses ganglionnaires sous-diaphragmatiques avec résection partielle de la veine cave inférieure, exérèse en deux temps des métastases pulmonaires bilatérales, et hépatectomie gauche puis destruction par radiofréquence des lésions du foie droit. Huit mois après la Hépato-Gastro, vol. 12, n° 1, janvier-février 2005 73 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Cas clinique commenté Figure 1. Coupe scanographique transversale de l’abdomen. Volumineuse tumeur rétropéritonéale en arrière et en-dessous de la tête du pancréas, refoulant l’origine de l’artère mésentérique supérieure, associée à plusieurs métastases hépatiques en juin 2002. dernière intervention chirurgicale et deux ans après le diagnostic initial, le patient est en rémission complète et a repris une vie normale (figure 2). Observation 2 Un homme de 37 ans, ayant eu une cryptorchidie opérée à l’âge de 7 ans avec exérèse du testicule gauche, était hospitalisé en novembre 2003 pour une embolie pulmonaire. L’examen clinique était normal y compris la palpation du testicule restant. La tomoden- sitométrie thoraco-abdominale révélait une volumineuse masse rétro-péritonéale d’allure tissulaire qui refoulait l’aorte sous rénale. Biologiquement, il n’y avait pas de syndrome inflammatoire ; les marqueurs tumoraux sériques ACE, aFP et Ca 19.9 étaient normaux. Seule la LDH était augmentée à 8 fois la limite supérieure de la normale. Une échoendoscopie était réalisée : en poussant le transducteur dans le 3e duodénum, on retrouvait une volumineuse formation tumorale adjacente au tube digestif dont la cytoponction échoguidée à l’aiguille fine permettait le diagnostic histopathologique d’une prolifération tumorale peu différenciée dont le profil immunohistochimique (marquage positif des cellules tumorales par les anticorps anti-CD117a et anti-PLAP) faisait évoquer en première intention un séminome. Le diagnostic était confirmé par l’élévation des b-HCG à plus de 9 fois la limite supérieure de la normale dans le sang, et l’échographie testiculaire qui révélait un testicule restant de petite taille avec, à son pôle inférieur, une masse hétérogène de 25 mm de grand axe, cliniquement confondue avec le testicule normal. Le patient a eu une orchidectomie par voie inguinale ; l’examen anatomopathologique a confirmé le diagnostic de séminome développé sur un testicule hypotrophique. On a ensuite administré une chimiothérapie par étoposide et cisplatine, qui a entraîné après 4 cures une régression majeure de la masse rétropéritonéale métastatique, parallèlement à la diminution des b-HCG devenus indétectables. Il doit prochainement bénéficier d’une tomographie par émissions de positons. La persistance d’une évolutivité néoplasique légitimerait l’indication d’une exérèse chirurgicale des lésions résiduelles. Commentaires Figure 2. Coupe scanographique transversale de l’abdomen. Disparition de la tumeur rétropéritonéale et des métastases hépatiques (hépatectomie gauche), 2 ans plus tard. 74 Plusieurs leçons peuvent être rappelées à propos de ces deux observations : • le « cancer de la tête du pancréas » de notre première observation présentait des atypies sémiologiques (absence d’obstruction biliaire, CA19.9 normal, métastases pulmonaires d’emblée) qui ont amené à réévaluer l’hypothèse diagnostique initiale. Une telle présentation « digestive » d’une tumeur germinale mérite d’être connue, d’autant que ces métastases peuvent avoir pour origine la dégénérescence de résidus embryologiques extragonadiques (rétropéritoine, médiastin), rendant compte d’une exploration testiculaire normale [1, 2] ; • la cryptorchidie est un facteur de risque néoplasique non seulement sur le testicule abaissé mais aussi sur le testicule controlatéral [3] ; • l’élévation de la LDH est aussi un marqueur des tumeurs germinales ; Hépato-Gastro, vol. 12, n° 1, janvier-février 2005 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. • la cytoponction échoguidée transdigestive est aujourd’hui l’examen le plus contributif à l’identification histopathologique des masses abdominales, en l’absence de métastases hépatiques plus facilement accessibles par voie trans-cutanée [4] ; • l’échographie testiculaire est l’examen de référence pour l’exploration morphologique des bourses. Elle peut révéler des lésions tumorales infra-cliniques [5]. Les tumeurs germinales représentent près de 60 % des cancers de l’homme de 20 à 40 ans. La grande majorité de ces tumeurs germinales masculines sont d’origine testiculaire, seules 2 à 5 % d’entre elles étant d’origine extragonadiques (médiastin et rétropéritoine). Le premier temps thérapeutique repose toujours sur l’orchidectomie élargie par voie inguinale après clampage du cordon. Ces tumeurs sont très sensibles aux traitements médicaux (radiothérapie et chimiothérapie à base de cisplatine) et sont curables, y compris en cas de métastases [6]. Globalement, la survie à 5 ans est de 80 % (99 % de survie à 5 ans pour les formes précoces et 50 % de survie à 5 ans pour les formes avancées à pronostic défavorable). Les principaux facteurs pronostiques sont le stade tumoral (I : tumeur localisée au testicule avec marqueurs normaux, II : métastases ganglionnaires lomboaortiques exclusives, III : extension supra-diaphragmatique et viscérale) mais aussi le type histologique, le caractère testiculaire ou non de la lésion primitive, la présence ou non de métastases viscérales autres que pulmonaires, les taux d’alpha-foetoproteine, de b-HCG et de LDH [7]. En conclusion, en présence d’un syndrome tumoral abdominal, un examen clinique normal des bourses ne doit pas faire éliminer l’hypothèse, chez un patient encore jeune, d’une tumeur à cellules germinales, susceptible de bénéficier d’un traitement à visée curative. L’examen clinique, l’échographie testiculaire, le dosage de l’a−foetoprotéine et des b−HCG, l’obtention d’une histologie doivent permettre le diagnostic. Références 1. Wehrschutz M, Stoger H, Ploner F, Hofmann G, Wolf G, Hofler G, et al. Seminoma metastases mimicking primary pancreatic cancer. Onkologie 2002 ; 25 : 371-3. 2. Bokemeyer C, Nichols CR, Droz JP, et al. Extragonadal germ cell tumors of the medistinum and retroperitoneum : results from an international analysis. J Clin Oncol 2002 ; 20 : 1864-73. 3. Ueda H, Hirai K, Iwamoto Y, Watsuji T, Yamamoto K, Takasaki N, et al. A case of testicular tumor associated with the controlateral undescended testis. Hinyokika Kiyo 1995 ; 41 : 1015-8. 4. Catalano MF, Sial S, Chak A, Sivak MV Jr, Erickson R, Scheiman J, et al. EUS-guided fine needle aspiration of idiopathic abdominal masses. Gastrointest Endosc 2002 ; 55 : 854-8. 5. Thoumas D, Caty A, Gobet F, Lemaitre L. Imaging of testicular tumors. J Radiol 2000 ; 83 : 883-93. 6. Schmoll HJ, Souchon R, Krege S, et al. European consensus on diagnosis and treatment of germ cell cancer : a report of the European Germ Cell Cancer Consensus Group. Ann Oncol 2004 ; 15 : 1377-99. 7. Amato R. Development of a prognostic model for patients with extragonadal germ-cell tumors. Ann Oncol 2002 ; 13 : 991-2. Hépato-Gastro, vol. 12, n° 1, janvier-février 2005 75