Tout en images Reportage Sur-mesure À l’atelier de fabrication de cercueils, le professeur Steffen Queitsch montre à ses élèves comment bien plaquer le ruban sur le bois. À l’examen, ils auront une heure pour poser les poignées, capitonner et sceller le cercueil. allemagne a L’ eCOLE DES CROQUE MORTS en bavière, une académie forme des centaines d’apprentis par an aux métiers des pompes funèbres. “VSD” a visité les lieux. par arnaud guiguitant. Photos : peter stumpf pour vsd Travaux pratiques Face à ses camarades, l’élève doit décrire la composition de ce cercueil. Différentes­essences de bois peuvent être utilisées, comme le sapin, le chêne ou le frêne. “Je n’ai plus peur de travailler avec des morts. La première fois, ça fait bizarre. Mais on s’habitue” Damon, 21 ans Rayon esthétique Dans la salle ­ d’hygiène de l’école, Maximilian, 22 ans, redonne des couleurs à ce faux défunt. Apprenti à Brême, il a déjà lavé et maquillé de vrais corps. Tenue correcte exigée Un corbillard s’est garé dans la cour de l’académie. L’occasion pour les croque-morts en herbe de s’entraîner à manipuler un cercueil. D Factice L’académie dispose de son propre cimetière d’apprentissage où les étudiants peuvent manœuvrer l’engin de terrassement et s’entraîner au creusement de sépultures. Vocation Saskia, 20 ans, a abandonné ses études de biologie pour les pompes funèbres. « Ma reconversion a surpris mes amis. Maintenant, ils sont curieux de savoir ce que je fais. » TP du jour : créer une atmosphère personnalisée pour le défunt, un jeune footballeur ans la cour de l’académie TheoRemmertz, située à Münnerstadt en pleine campagne bavaroise (Allemagne), Saskia Schneider, 20 ans, se dépêche pour ne pas arriver en retard en classe. « Pardon, mais j’ai cours dans cinq minutes », s’excuse la jeune fille. De maths, d’histoiregéo ou de physique ? « Non non, de décoration de cercueils et préparation de funérailles. » On aurait presque pu le deviner en voyant la mine de circonstance des élèves, tout de noir vêtus, qui attendent de rentrer en cours de psychologie du deuil. Fondé en 2005, l’établissement forme chaque année plus de cinq cents apprentis croque-morts âgés entre 18 et 40 ans. Durant trois ans, entre stages en entreprise et cours à l’école, ils vont apprendre les techniques traditionnelles funéraires comme fabriquer des cercueils, creuser des tombes dans un cimetière d’apprentissage, nettoyer et embaumer des corps, organiser des obsèques, rédiger des avis de décès ou accompagner des familles endeuillées. « Avant l’ouverture de cette académie, il n’y avait pas de formation spécifique, à part celle dispensée dans les entreprises, explique la directrice Rosina ­Eckert. Le métier est très réglementé, en Allemagne. Il y a des normes à connaître. Nous donnons à nos élèves les moyens de réussir. La plupart trouvent d’ailleurs du travail après leur formation. » Simulation En cours de psychologie du Dans un pays vieillissant où le taux de mor- deuil (en haut), Björn incarne un vendeur de talité dépasse celui de la natalité (863 000 décès cercueil face à un père inconsolable. Dans en 2012 pour 671 000 naissances), la profession, la chapelle, l’exercice consiste à recréer des forte d’environ cinq mille sociétés, a su traverfunérailles plus vraies que nature. ser la crise même si « la concurrence dans le secteur a entraîné des fermetures d’entreprises, monies. Pas de quoi mettre la jeune fille mal à confie la directrice. Mais la demande en per- l’aise : « Mon grand-père a été croque-mort et je sonnel est croissante et il y a peu de chômage. suis aussi pompier volontaire. J’ai donc l’habiLes gens continueront quoi qu’il arrive de mou- tude de côtoyer la mort et la douleur des gens », rir », ironise-t-elle devant une collection im- avoue l’apprentie. Pour elle et ses camarades, le pressionnante de cercueils. Dans l’atelier où l’on travail du jour consiste à réaliser un décor de apprend à les fabriquer, une quinzaine d’étu- ­funérailles. « Vous avez quarante minutes pour diants écoutent leur professeur dans un silence créer une atmosphère en rapport avec la personde mort. L’ambiance y est studieuse, on lève le nalité du défunt, un footballeur de 22 ans. Soyez demande leur enseidoigt avant de parler et on va au ‘‘Quoi qu’il arrive, créatifs », gnante, Bianca Nicklaus. Par ­tableau pour réciter la leçon sur les différents matériaux funé- les gens continueront groupes de cinq, les étudiants se raires. L’exercice du jour : capi- de mourir’’ La directrice ruent sur le matériel, stocké dans tonner, sceller et poser les poignées d’un cer- une salle attenante à la chapelle. À l’intérieur cueil. « Agrafe plus fermement ton ruban sur le d’une véritable caverne mortuaire d’Ali Baba, ils bois pour qu’il n’y ait pas de pli et tapisse mieux se servent en cercueils, chandeliers, cierges, béle tissu sur les parois », conseille le professeur nitiers, angelots et couronnes de fleurs artifiSteffen Queitsch à Katharina, 30 ans. « C’est la cielles. « C’est quand même mieux d’apprendre première fois que je fais ça, sourit cette ancienne ça que de rester derrière un bureau ! s’exclame assistante dentaire. Je tente cette reconversion Saskia. Notre métier est complet : on prépare les professionnelle car je recherche un métier avec défunts, on aide les familles à surmonter cette des perspectives d’avenir. Je sais que je trouve- épreuve, on les écoute et on les réconforte. On a un rôle social qui nous rend utiles. » rai un emploi dans ce secteur après », dit-elle. À la pause de midi, certains élèves ont gardé Inscrite en deuxième année, Saskia rejoint son cours de décoration à la chapelle de l’établisse- leur tenue de croque-mort pour déjeuner. À ment. L’endroit, austère avec ses murs gris et ses table, on se raconte les potins du matin, on parle bancs d’église, a été créé pour simuler des céré- musique, cinéma et sorties du week-end. S’il n’y N° 1888 4 9 avait pas, accrochés aux murs, des diplômes en techniques de crémation et des trophées en forme de crucifix, on pourrait se croire dans n’importe quelle cantine scolaire. Apprentis depuis trois ans, Damon, 21 ans, et Maximilian, 22 ans, ont passé la matinée dans la salle d’hygiène de l’école, une pièce aux fenêtres opaques, à l’intérieur de laquelle les élèves manipulent des défunts ayant fait don de leur corps à la science. Sans cadavre ce jour-là, ils se sont exercés sur un mannequin pour apprendre à le porter, le déshabiller, le laver et le maquiller. Parmi les spécialités de l’académie, il y a la thanatopraxie, ou l’art d’embaumer les morts. Une dizaine d’étudiants repartent avec ce diplôme chaque année. « Je n’ai plus peur de travailler avec des morts, confie Damon. La première fois, ça fait bizarre : le corps est raide et froid, il dégage une odeur forte. Mais on s’habitue. Il faut prendre du recul. On vit des moments parfois très durs, d’où l’importance d’évacuer en sortant ou en faisant du sport », poursuit-il. 7 h 45, le lendemain matin. La pluie de ces derniers jours a détrempé le cimetière d’apprentissage de l’école. Unique en Europe, selon l’académie, il permet aux élèves de s’initier au creusement de tombes, à manœuvrer des engins de terrassement ou à maçonner des pierres tombales. « L’objectif est de leur apprendre les techniques d’excavation, les règles de sécurité ainsi qu’à travailler vite et proprement », souligne le professeur Wilhelm Lautenbach. Laissée la veille à son cours de décoration, Saskia s’entraîne aujourd’hui à creuser une fosse et à y installer une benne pour entreposer la terre. « C’est physique, reconnaît-elle. Mais cette partie du cérémonial est importante car la tombe est le dernier endroit où la famille pourra se recueillir. Autant qu’elle soit bien réalisée. » Dans cette nécropole factice où toutes les sépultures sont fausses, des épitaphes jusqu’aux caveaux, gisent des morts imaginaires. Saskia le sait : bientôt elle organisera des enterrements pour de vrai. J En France Diplôme obligatoire Les temps de formation pour travailler dans les pompes funèbres ont été revus à la hausse. D epuis le 1er janvier 2013, la formation pour devenir employé ou dirigeant de pompes ­funèbres en France est plus réglementée. Un diplôme, et non plus une attestation, est désormais nécessaire. Selon la loi, « l’exercice des professions du secteur funéraire est subordonné à la détention d’un diplôme comprenant une formation théorique et une évaluation pratique ». La durée de l’enseignement – dispensé par des professionnels – a été rallongée : de 70 heures pour un maître de cérémonie jusqu’à 140 heures pour un conseiller funéraire, voire 182 heures pour un futur dirigeant. Les élèves sont ensuite notés par un jury (hygiène, législation, psychologie du deuil, conception et animation d’une ­cérémonie…). Près de dix-huit mille salariés ­travailleraient dans le secteur. J A. G.