années guerre - ESJ La Cordeille

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LES ANNÉES DE GUERRE
1939 – 1945
L’année 1939 est marquée par l’entrée en guerre le 9 Septembre, mais c’est la
"drôle de guerre", conflit sans combat sur la ligne Maginot. A la veille de 1940 le
Père Pitrat fait état de cette situation particulière : "1940 ! Que nous réserve-telle ? Il est bien difficile de le prévoir. Elle se présente à nous sous les trois signes : gravité,
inquiétude, confiance. Les deux derniers peuvent sembler contradictoires, mais se concilient
dans le plan surnaturel".1
La guerre a des conséquences limitées sur les effectifs : "l’Externat Saint Joseph a fonctionné
de façon à peu près normale. Beaucoup d’élèves dans les hautes classes, un peu moins dans
les autres"2. En revanche le départ de certains Pères conduit l’Externat à une réorganisation
complète : "La mobilisation nous ayant privés de deux surveillants : les Pères François Julien
et Filaire, on a réduit notablement le nombre des heures de présence des élèves… Ils arrivent
le matin à 8h30, repartent le soir à 16h00 et donc doivent faire leurs devoirs et apprendre
leurs leçons à la maison". La suppression des études permet de loger des troupes territoriales
chargées de garder la place de la Liberté qui accueille la Préfecture maritime dans le Grand
Hôtel réquisitionné.3
Pour l’heure "cinq ou six pères" sont sous les drapeaux mais d’autres pourraient être appelés,
ils "ont été assez facilement remplacés".
La situation du foyer est plus critique, ce dernier perd sa clientèle du fait de la suppression de
l’Ecole annexe de médecine navale, mais l'afflux de militaires à Toulon permet de faire face à
cette situation et le foyer devient : "un centre d’accueil pour une multitude de passagers,
prêtres ou séminaristes mobilisés, aumôniers militaires, aumôniers de marine etc…En avonsnous vu passer des religieux de toutes robes, des officiers de tous grades, des soldats de
toutes armes !".
Le conflit conduit aussi à des rencontres inattendues, aussi suite à la fermeture de l’internat du
lycée de Toulon, des élèves des classes de mathématiques spéciales trouvent un gîte au foyer.
Si l’arrivée d’élèves formés par l’enseignement public, par "l’école sans Dieu"4 provoque
quelques inquiétudes, la cohabitation se passe fort bien, "l’union sacrée" serait-elle de retour ?
1939
Le Père Pitrat se fait l’écho de cette situation : "Il était à craindre qu’un tel recrutement soit
de qualité assez douteuse, sinon franchement médiocre. Mais non, nous n’avons vraiment pas
lieu de nous plaindre et nous pouvons même nous féliciter. Bon esprit, entrain, entente
parfaite, correction chez les uns au point de vue religieux, et chez les autres, piété et esprit
d’apostolat".
Le conflit se limite au Nord et à l’Est du pays. Aussi Toulon n’est-elle pas
touchée et les quelques avions italiens qui les 12 et 13 juin lancent leurs bombes
devant se révélant peu efficaces. L’attaque anglaise contre la flotte française à
Mers El Kébir, le 3 juillet 1940 marque bien plus les esprits de la population du grand port
militaire. Pour l’heure : "Les familles quittent Toulon. Quand le décret officiel de fermeture
des écoles arrive, le 15 juin, il n’y a plus qu’une centaine d’élèves".5
1940
1
A.P.M. dossier Saint Joseph, Activitas specialis L 57 6006, Lettre du Père Pitrat du 31 Décembre 1939.
A.P.M. dossier Saint Joseph, Activitas specialis L 57 6006, Lettre du Père Pitrat du 31 Décembre 1939.
3
ROZIER C. (Père), Op. Cit. p. 92.
4
L’enseignement public et l’enseignement catholique au mieux s’ignorent. Ce sont deux mondes fermés sur eux-mêmes. Pour
les Pères, l’enseignement public soutenu par l’Etat « Ecole sans Dieu » ne peut être que néfaste. A décharge, les soixante
dernières années, depuis 1880 ont vu une politique de répression (tracasserie, fermetures…jusqu’à la spoliation des biens
congréganistes) qui ne se termine que dans les années 1925 alors que les congrégations n’ont pas manqué à leur devoir lors
de la Première Guerre Mondiale et qu’elles ne menacent plus depuis longtemps une République bien installée.
5
A.E.S.J. Bulletin Association Anciens Elèves, 1940, p. 45.
2
La défaite est durement ressentie même si la ville située en zone sud, échappe à l’occupation
allemande. Le chroniqueur dans son éphéméride s'en fait l’écho : "Il s’agit des mois de la
guerre la plus douloureuse que la France ait vécue, au cours de laquelle tant de malheurs se
sont abattus sur notre terre"6. La situation n’apparaît pas sans issue : "Néanmoins tant de
motifs d’espérance nous restent, notre foi dans le Christ qui aime les Francs, l’union de nos
cœurs meurtris, le travail remis à l’honneur, le culte ravivé de la patrie et de la Famille, et
c’est avec quelque fierté que nous relaterons la vie du collège intimement unie à tous les
efforts de rénovation nationale". Nulle trace de germanophilie dans cette évocation des
"Francs" mais une référence à la conversion de Clovis et de son armée qui marque les débuts
d’une France chrétienne, fille aînée de l’Eglise.
La nouvelle devise (travail, famille, patrie), les valeurs défendues par le nouvel "Etat français"
ne sont pas pour déplaire aux catholiques, plus encore aux congrégations, aussi le collège y
adhère-t-il comme en témoigne notre chroniqueur. Il évoque la "Rénovation nationale"
l’expression exacte étant la "Révolution nationale", erreur ou volonté délibérée dans la non
utilisation d’un mot connoté (bien négativement à ses yeux) ?
La rentrée d’octobre 1940 a lieu dans des circonstances particulières : "La guerre est finie
pour nous, la guerre désastreuse qui nous a fait tant de mal. Sous la houlette ferme du grand
Maréchal, la France se recueille et travaille déjà à panser ses plaies immenses. La vie du
collège reprend, sous le signe des temps nouveaux"7.
Il faut compter avec les religieux prisonniers ou blessés, aussi des changements ont-ils lieu.8
Le Père Gland doit quitter la direction de l'établissement pour le collège de Riom, il est
remplacé par le Père Olmi directeur spirituel. Le Père François-Julien, nanti d'une citation,
comportant la croix de guerre avec palme, est prisonnier en Allemagne. Le Père Peillon a reçu
lui aussi une citation.
Enfin, un nouveau venu, replié de Paris, n'allait pas passer inaperçu : c'était le Père Fillère
professeur de psychologie à l'Institut Catholique (Université catholique). Le Père Rozier9
témoigne : " Dès la retraite de rentrée… tout le monde, Pères et élèves, comprirent qu'ils
entraient dans une aventure spirituelle nouvelle… tout facilitait l'empoigneur d'hommes que
fut le Père Fillère, au souffle incontestable. L'Externat entrait dans une mystique nouvelle, au
sens de Péguy. Le Père transforma la participation aux offices en les animant par des messes
dialoguées, des chants très vivants… l'école des parents, qui avait été inaugurée l'année
précédente, fut continuée…"
Faut-il voir dans ces initiatives nouvelles les signes avant-coureurs de l'aggiornamento
qu'allait réaliser bien plus tard, la seconde guerre mondiale paralysant les énergies, le concile
Vatican II ? Si la réponse n'est pas aisée, la question mérite d'être posée.
Pour l'heure, les difficultés de ravitaillement obligent à supprimer la demi-pension à
l'Externat, qui compte près de 420 élèves.
Dans ces conditions de détresse, la visite toute paternelle du Maréchal Pétain, chef de l'Etat
Français et héros de Verdun, le 4 décembre 1940, est accueillie avec enthousiasme au collège
et dans toute la ville. "Grande effervescence dans la ville. Jamais, de mémoire de Toulonnais,
on n'a vu pareille foule dans la rue. L'Externat est magnifiquement pavoisé… une messe est
célébrée pour le chef de l'Etat… redire l'enthousiasme populaire durant tout le séjour de
notre illustre visiteur est inutile"10.
6
A.E.S.J. Bulletin Association Anciens Elèves, 1940, p. 40.
A.E.S.J. Bulletin Association Anciens Elèves, 1940, p. 45.
8
A.E.S.J. Bulletin Association Anciens Elèves, 1940, p. 20-23.
9
ROZIER C., Op. Cit. p. 93.
10
A.E.S.J. Bulletin Association Anciens Elèves, 1940, p. 47.
7
Lors de la traditionnelle fête du Supérieur, au mois de mai 1941, le Père Olmi
traduit l'inquiétude générale : "Ne serait-ce pas se réjouir abusivement en ces
temps de tristesse, en ces heures de tempête dont parlait Notre Saint Père ?
Pourrions-nous oublier les épreuves de la France et les inquiétudes de l'Eglise ? "11.
L'occasion lui est donnée de rappeler les fondements d'une éducation chrétienne : "Dans un
siècle de fer qui ne connaît plus le nom de la charité, ou qui veut la chasser de la mémoire
des hommes pour faire régner la force sans cœur et sans pitié". Ou encore de dénoncer : "La
race des vaillants et des conquérants… source de conflits, de guerre" et surtout : "le néopaganisme (qui) renouvelle la barbarie ancienne, la dégradation antique, que saint Paul
accusait, entre autres crimes d'être sans affection et sans pitié ".
Inutile de préciser que dans ces conditions, la politique collaborationniste avec l'Allemagne
nazie trouverait ici peu d'écho, et même une aversion profonde, l'action des pères ne se
limitant pas à une simple condamnation morale…
1941
A la rentrée 1941 l'établissement accueille 600 élèves. Le choix d'un auteur anglais Jérôme K.
Jérôme, (pas très politiquement correct, même en zone libre…) lors de la fête de la division
des grands fait grincer quelques dents, mais pour l'heure, c'est le ravitaillement qui commence
à poser problème.
Début 1942… on en oublierait la défaite… 675 élèves se présentent à l'Externat.
Cet afflux est dû au regroupement de la flotte à Toulon… Cette embellie allait
être de courte durée. En effet, suite au débarquement des Alliés en Afrique du
Nord le 8 novembre, la réaction allemande ne se fait pas attendre, et le 11, les armées d'Hitler
entrent en zone libre, mais s'arrêtent au Beausset, à la limite du camp retranché de Toulon. Le
27 novembre, les Allemands attaquent Toulon ; près de quatre-vingt dix unités se sabordent
pour ne pas tomber entre les mains de l'ennemi.
"Quel triste réveil, dans le bruit des explosions, la fumée des incendies, le vacarme des tanks
ennemis qui déferlent sur Toulon… En dépit de l'optimisme de plusieurs, il faudra bien
constater que notre flotte, orgueil de notre port et gage de notre dernière fortune, est perdue,
engloutie dans les flots. Quelle prière angoissée, à la chapelle, à l'entrée des élèves."
Parmi les officiers et marins internés au Vème dépôt, un religieux mariste, le Père Boissière,
aumônier du Kersaint, qui dormait à bord.
1942
A partir du 15 décembre 1942 les Allemands sont remplacés par les Italiens. L'Externat est
dénoncé auprès des nouveaux occupants pour sa "tiédeur collaborationniste", bien réelle, mais
l'affaire en reste là grâce au
soutien
des
autorités
maritimes, et surtout grâce à
"l'intervention personnelle du
commandant
italien,
le
colonel
Farina,
grand
chrétien".
L’Externat
ne
comptera plus que 540 élèves.
Ce phénomène ira croissant,
la peur des bombardements
faisant son œuvre.
Contre-Torpilleur Kersaint – Collection privée droits réservés
11
A.E.S.J. Bulletin Association Anciens Elèves, 1940, p. 51-56.
Le sabordage de la flotte – Service historique de la Défense (section Marine Toulon)
Arrive l'été 43. Le ciel s'obscurcit au-dessus de l'Externat. Les troupes allemandes
sont de retour après la défection italienne. Dès septembre, avec la libération de la
Corse, les bombardements deviennent de plus en plus fréquents.
Plus grave encore, le 11 novembre le Père Boissière aumônier de la marine et professeur à
l'Externat, est arrêté. Il sera finalement relâché quelques semaines après, non sans avoir
enduré de nombreux interrogatoires. Notre chroniqueur note que : "Peut-être des indiscrétions
ont-elles révélé les dépôts d'armes et de matériel effectués ici parfois, les distributions des
cahiers de "Témoignage Chrétien" et autres tracts de résistance, qui font soupçonner le
collège d'être un foyer de Gaullisme".
Dès le 24 novembre, les bombardements vont s'intensifiant. Quatre-vingts bombardiers
lâchent leurs bombes sur le Mourillon, Besagne et l'Arsenal, faisant 500 morts… le collège
n'est cependant pas touché.
1943
Le 4 février 1944, soixante et dix avions attaquent la ville causant 35 morts. "Une
bombe tombe sur la cour des petits". Les classes se vident. En mars, il ne reste
qu'une centaine d'élèves, qui ne seront plus qu'une vingtaine en juin. Les locaux
libérés abritent un temps les élèves du lycée de Toulon durement touché. Enfin, le Secours
National s'installe dans les classes désertées.
Le bombardement du 5 juillet 1944 allait causer de nombreux dégâts comme en témoigne le
Père Nodet12 : "L'alerte était donnée ; à midi trente passait une première vague de 250 avions
qui dans le fumigène et par un violent mistral nous bombardaient fortement. Après 13 heures,
deuxième vague, autant d'avions. Après trois heures d'alerte, il fallait constater que nous
étions fortement touchés.
1944
Chapelle sans vitrail…, portes et fenêtres, cloisons arrachées…" Le foyer des étudiants est
inutilisable, le cinéma Eden qui lui est contigu flambe, il n'y a ni plus ni gaz, ni eau, ni
électricité. La situation est difficile mais les pères font face. Aussi le supérieur et l'économe se
rendent rapidement auprès du service de la Reconstruction… Cette détermination à toute
épreuve, le Père Nodet non sans humour (mariste), en témoigne dans son courrier où, après sa
signature, il écrit : "sinistré mais pas sinistre du tout".
12
A.P.M. Rome, Dossier Externat Saint Joseph, L 57 260Bella, Lettre du Père Nodet au Père Guichard en date du 7 juillet
1944.
L'heure de la délivrance approche, et c'est le 15 août au matin vers 9 heures que les derniers
pères apprennent le Débarquement en Provence. "Les nouvelles ne parviennent qu'au comptegouttes… Dans la ville, privée d'électricité et de journaux, commence la chasse aux
bobards!… Enfin un poste clandestin renseigne quelques initiés".
Le 19 les Allemands perquisitionnent dans le collège… alors que les greniers de celui-ci
abritent trois réfractaires… Un des pères est molesté par un soldat trop nerveux… et pour
cause… C'est dans les cuisines de l'Externat que sont préparées les soupes populaires
distribuées en ville.
Finalement l'heure de la libération arrive : "Toute la journée du mercredi 22 se passe en
alternatives d'espoir et de lassitude… Jusqu'à 18 heures 25, et quand enfin un bruit infernal
s'enfle rue Dumont d'Urville : un petit tank, puis un gros Sherman qui stoppent sous la
chapelle, comme pour en recevoir la bénédiction…Hourrah ! Enfin la victoire est certaine !
Le matériel qui nous manquait en 40 arrive et nous permettra de balayer l'insolent - hitlérien
qui souillait notre France !13
En quelques heures la cité est dégagée. Les prisonniers affluent de toutes parts, sauf de
quelques forts que l'on sera obligé de réduire à la baïonnette…Toute la population est dans
les rues. Les drapeaux claquent au vent, et, à midi, nous trinquons à la Revanche totale avec
deux doigts de champagne récupérés dans un café trop bien avec ces messieurs…"
Dès le 28 août, malgré la pénurie, la reconstruction va bon train. La rentrée prévue le 2
octobre n'est reportée qu'au 9. Si les effectifs sont encore faibles (100 élèves, puis 250 à la
Toussaint) et les conditions précaires, même la sacristie servira de classe… les pères ont tenu
bon. Leurs efforts seront couronnés de succès car, à la rentrée de 1945, quelques
1945
mois après la victoire totale et la capitulation du 8 mai, près de 650 élèves
prendront place sur les bancs de l'Externat…
Le Port de Toulon après les bombardements – S.A.V.T.L. photographie
13
Nous pouvons penser qu’il s’agit des troupes françaises du général de Lattre de Tassigny, ces dernières étant équipées de
matériel américain. De fait les équipements de l’armée française de 1940 étaient à bien des égards obsolètes.
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