fêtes, traditions et symboles chrétiens Professeur émérite de l’Université de Montréal, membre honoraire de la Faculté de médecine, Guy Durand est théologien et juriste, spécialisé en éthique. Tout d’abord axé sur l’éthique chrétienne et l’éducation morale, son travail s’est graduellement orienté vers l’éthique médicale et infirmière. Depuis sa retraite, il s’intéresse davantage à l’éthique sociale et politique. Guy Durand avec la collaboration de Jocelyne Massé Fêtes, traditions et symboles chrétiens Pour comprendre la culture québécoise Mise en pages : Marie-Josée Robidoux Montage de la couverture : Bruno Lamoureux En couverture : Opas Chotiphantawanon/Shutterstock Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Durand, Guy, 1933Fêtes, traditions et symboles chrétiens : pour comprendre la culture québécoise Comprend des références bibliographiques. isbn 978-2-7621-3762-0 [édition imprimée] isbn 978-2-7621-3763-7 [édition numérique PDF] isbn 978-2-7621-3764-4 [édition numérique ePub] 1. Québec (Province) - Vie religieuse. 2. Christianisme et civilisation Québec (Province). I. Massé, Jocelyne, 1938- . II. Titre. BF575.Q8D87 2014 277.14 C2014-941610-5 Dépôt légal : 4e trimestre 2014 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Groupe Fides inc., 2014. La maison d’édition reconnaît l’aide financière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La maison d’édition remercie de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéficie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC. imprimé au canada en octobre 2014 À Suzanne Barrette À nos enfants et à nos petits-enfants Introduction L a vie quotidienne au Québec est largement marquée par des fêtes, des symboles, des traditions, des récits liés à la religion chrétienne… jusqu’au drapeau national, aux armoiries et à certains jours fériés. On l’ignore souvent ou on feint de l’ignorer. Ils font pourtant partie de l’héritage, voire de l’identité du Québec. Ils configurent la culture dans laquelle on vit1. La culture D’un point de vue anthropologique et sociologique, en effet, le mot culture a un sens large. Lorsqu’on parle de culture américaine, chinoise, africaine, amérindienne ou musulmane, on pense immédiatement à un ensemble d’éléments allant de valeurs fondamentales (sens de la personne, liberté, justice, rapports homme-femme, parent-enfant, système 1. J’ai développé ce point dans mon livre La culture religieuse n’est pas la foi. Identité du Québec et laïcité, Montréal, Éditions des Oliviers, 2011. 8 fêtes, traditions et symboles chrétiens d’éducation, etc.), en passant par l’architecture, la peinture, la musique, jusqu’au code amoureux, l’étiquette et l’art culinaire. L’expression inclut des fêtes, des rites et des symboles ; bref, tout un imaginaire qui plonge dans les mythes archaïques et l’histoire du pays. La culture déteint forcément sur les conceptions et les pratiques religieuses, comme la religion déteint sur la culture. Et ce n’est pas parce qu’une culture fait appel à des mythes, inclut des légendes, comporte des illogismes, qu’elle est impertinente. L’ensemble contribue, au contraire, à sa richesse et à sa vitalité. Il est le fruit de l’effort de l’intelligence humaine pour avoir une vision globale – et forcément historique – de la réalité. Dans sa Déclaration de Mexico, en , lors de la Conférence mondiale sur les politiques culturelles, l’UNESCO définit la culture de la manière suivante : Dans son sens le plus large, la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances. La culture chrétienne est de cet ordre. Le présent livre vise à exposer une partie de cette culture. Il ne s’intéresse pas directement aux croyances et aux dogmes, mais à la culture chrétienne (fêtes, traditions, symboles), même s’il reprend les expressions des institutions chrétiennes qui ont porté cette culture et la portent encore, d’une certaine façon. Introduction 9 Les sources de la culture chrétienne Comme son nom l’indique, la culture chrétienne remonte à la vie et à l’enseignement de Jésus, dit le Christ. Celui-ci a vécu en Palestine au temps de l’Empire romain, il y a plus de deux mille ans. Son œuvre nous est connue principalement grâce aux quatre Évangiles, écrits respectivement par ses disciples Matthieu, Marc, Luc et Jean, et par des Épîtres (lettres) écrites par d’autres disciples (Pierre, Jacques, Paul, etc.), l’ensemble constituant le Nouveau Testament. Quoique constituant un ensemble bien circonscrit, tout n’est pas né en même temps dans le christianisme. La culture chrétienne n’a pas été constituée de toutes pièces à une date particulière. Certes, l’essentiel du message spirituel du Nouveau Testament n’a pas changé, mais son expression s’est modifiée considérablement au cours des âges. Et plus encore, toute l’organisation de ses fêtes et de ses célébrations officielles et populaires. Il y eut une évolution importante sur presque tous les points. Et l’on note des différences notables d’un pays ou d’une région à l’autre. Au début du christianisme, les communautés chrétiennes n’étaient pas organisées et unifiées comme aujourd’hui autour de Rome et du pape. Chaque communauté, ou plus précisément chaque Église organisait ses fêtes et ses célébrations liturgiques à sa manière. Le développement fut marqué dès l’origine par l’empreinte différente des parties orientale et occidentale de l’Empire romain. Le changement explosera à partir du ive siècle, c’est-à-dire à la fin des persécutions. Le déclin de l’Empire romain, puis l’expansion de l’islam en Asie Mineure et en Afrique du Nord, ont fait basculer la zone de développement du christianisme. L’expansion qui suivit en Europe du Nord donna lieu à d’autres pratiques et à d’autres traditions qui marquèrent la culture du Moyen Âge et des siècles suivants en Occident. Le concile de Trente, au xvie siècle, fit 10 fêtes, traditions et symboles chrétiens un certain ménage dans les légendes et les mythes, notamment ceux concernant le culte de la Vierge Marie et des saints, mais les emprunts culturels divers demeurèrent. Bien plus – comme il vient d’être suggéré – tout n’est pas spécifique et rationnel dans cette culture chrétienne. Celle-ci s’enracine dans le sacré des peuples et les religions qui l’ont précédée et qu’elle a côtoyés. Dès son origine, le christianisme est empreint du judaïsme. Jésus et ses disciples se présentent eux-mêmes comme un groupe spirituel inséré dans l’histoire du peuple juif, reprenant ses fêtes et ses symboles, puisant leur doctrine abondamment dans l’Ancien Testament, le livre saint des Juifs. Pour affirmer sa spécificité, le christianisme s’est distingué graduellement du judaïsme, tout en conservant une partie importante de celui-ci, mais réinterprétée. Le judaïsme lui-même est marqué d’emprunts importants aux religions et aux mythes orientaux, ce qui a forcément déteint sur la culture chrétienne. Le christianisme a puisé aussi dans le symbolisme de la nature (eau, lumière, feu, arbre, désert, montagne), dans les fêtes populaires liées aux changements de saisons et aux cycles du Soleil et de la Lune (solstices et équinoxes). Il a enfin emprunté d’autres rites, coutumes et traditions aux pays où il s’est implanté. D’abord à la culture gréco-romaine dominante dans l’Empire romain contemporain des premiers siècles chrétiens. Puis, à mesure qu’il s’étendait en Europe du Nord, aux traditions et aux mythes celtiques. Il n’est pas surprenant, alors, de trouver des origines ou des connotations préchrétiennes (païennes ou juives) à beaucoup de fêtes et de symboles chrétiens. Ces emprunts répondaient au souci majeur de rejoindre les gens dans leur culture, mais aussi à celui de « christianiser » ces Introduction 11 apports indigènes. Ce qui, de toute manière, n’est pas négatif si l’on comprend bien le sens des mythes2. Enfi n, contrairement à une idée répandue, le christianisme n’est pas, non plus, monolithique. Quoique issu du même fondateur, il comprend de nombreux groupes ou de nombreuses Églises, qui ont gardé une certaine originalité et une certaine autonomie. Dès ses origines, l’Église catholique romaine comprend en effet des modèles variés, selon les régions : latin, grec, libanais, copte, etc., avec leurs fêtes et leurs liturgies particulières. Des différences encore plus grandes virent le jour quand certaines parties de l’Église se séparèrent de Rome : les Orthodoxes au xie siècle, puis les Protestants au xvie. Au Québec, l’Église catholique romaine a été si présente que la référence au mot Église renvoie presque toujours à elle. Le christianisme a pourtant tellement marqué l’Occident, voire le monde, qu’on en est venu à compter les années et à fi xer le calendrier universel à partir de la naissance du Christ, et à parler de la présente période historique comme étant l’ère chrétienne. Au terme de cette évolution, plusieurs fêtes ponctuent encore le déroulement de l’année civile et de la vie sociale dans une grande partie du monde : vacances de Noël et de Pâques, fêtes de la Pentecôte et de l’Ascension, fêtes de l’Halloween et de la Toussaint, congé de l’Action de grâce. Sans parler des coutumes populaires, dont les plus âgés se souviennent. L’histoire des fêtes, des rites, des traditions et des symboles chrétiens n’est pas facile à faire. Beaucoup moins que l’histoire des dogmes, jalonnée de décisions de conciles et 2. Pour une vue d’ensemble, voir Greb Dues, Guide des traditions et coutumes catholiques, Paris, Bayard, 2004 ; Philippe Rouillard, Les fêtes chrétiennes en Occident, Paris, Cerf, 2003. 12 fêtes, traditions et symboles chrétiens de déclarations papales. Comme mentionné précédemment, l’Église chrétienne n’était pas centralisée durant les premiers siècles, elle a puisé dans les religions et les mythes ambiants et elle a toujours voulu s’acculturer là où elle s’implantait. Les sources anciennes manquent d’ailleurs souvent, et celles qui existent ne sont pas toujours à interpréter au premier degré. L’objectif du livre Ce livre donne quelques informations sur les origines lointaines de la culture chrétienne – quoiqu’il soit parfois impossible de les connaître exactement –, mais il porte principalement sur la configuration plus récente des fêtes et des coutumes en Occident, et particulièrement au Québec. Ce livre n’a pas la prétention d’être exhaustif, pas plus qu’il n’ambitionne le qualificatif de « livre d’histoire ». Je n’ai pas vérifié personnellement toutes les sources premières : je me suis fié à des auteurs sérieux, mis en perspective par mes propres connaissances et les commentaires d’amis historiens qui ont examiné ce manuscrit. J’ai d’ailleurs essayé de faire simple, tout en donnant suffisamment de détails pour montrer l’enracinement culturel des divers éléments. J’ai écrit ce livre pour un public qui souhaite mieux comprendre les fêtes et les coutumes chrétiennes. Entre autres, pour les parents qui désirent transmettre leur héritage à leurs enfants et à leurs petits-enfants, pour les enseignants qui ont à parler de la culture religieuse du Québec, pour les immigrants qui cherchent à connaître le pays qui les accueille, pour les équipes paroissiales qui désirent avoir une vision élargie de leur rôle. Mon premier objectif est de faire connaître la part chrétienne (événementielle et symbolique) de la culture québécoise, voire occidentale. Les plus âgés y reconnaîtront une partie de leur enfance ; d’autres pourront Introduction 13 y trouver une part de leurs racines. Les nouveaux Québécois y découvriront un visage important du pays où ils ont choisi de vivre. Certains pourront y trouver aussi – c’est le second objectif du livre – une occasion de donner plus de sens à certains gestes et à certains événements. Dans le monde sécularisé dans lequel nous baignons, Noël, Pâques, la Saint-Valentin, la Saint-Jean, la Saint-Patrick et bien des fêtes chrétiennes affichent des images de fêtes civiles : les magasins regorgent de chocolats et de fleurs, les offres de cadeaux sont partout, les rencontres festives se multiplient. Nous sommes noyés dans une société de consommation, pressés et dispersés dans des tâches multiples d’ordre familial et professionnel ; il est donc difficile de prendre le temps de voir plus loin que les manifestations extérieures de ces événements. Ce livre propose des repères à ceux et celles qui désirent réfléchir au sens de telle ou telle fête. Il n’est pas nécessaire d’être croyant et pratiquant pour profiter de l’Évangile et de certaines fêtes chrétiennes, voire pour donner plus d’intériorité à son vécu. Le plan Le livre se divise en trois parties. La première porte sur le cadre général de la culture chrétienne. Elle comporte quatre chapitres : la détermination du calendrier universel ; la présentation des institutions et des principales pratiques chrétiennes ; le sens des fêtes, des traditions, des rites et des symboles sur le plan anthropologique ; et l’explication des principaux symboles chrétiens. La deuxième partie est structurée autour de l’année liturgique. Elle comporte deux chapitres : le cycle de Noël et celui de Pâques. Chaque fois qu’il était possible, j’ai donné quelques informations d’ordre historique, le sens chrétien de 14 fêtes, traditions et symboles chrétiens la fête, des réflexions d’ordre spirituel plus larges, quelques traditions populaires associées à l’événement. La troisième partie porte sur le culte des saints. D’abord, j’ai abordé la notion de sainteté. Puis, la dévotion à Marie. Enfin, je présente quelques figures de saints célébrés universellement ou plus particulièrement au Québec. Mais auparavant, en préambule, j’ai pensé utile de situer le personnage central de cette histoire, Jésus-Christ, sans lequel la suite serait difficilement compréhensible. De fil en aiguille, ce préambule s’est enrichi d’éléments de l’histoire de l’Église pour aider à comprendre plusieurs des événements et des explications subséquentes. J’ai mis en encadrés des informations jugées intéressantes, mais qui ne cadrent pas exactement avec le fil de la réflexion. Pour ne pas alourdir la lecture, je ferai un minimum de notes infrapaginales, renvoyant globalement à la bibliographie située à la fin du livre. J’ai laissé quelques répétitions pour éviter des retours en arrière lassants. Puisse ce livre rappeler de bons moments aux gens de notre génération. Et, à nos enfants et à nos petitsenfants, apprendre « comment ça se passait dans le temps ». Nous espérons que ce livre pourra les renseigner, mais plus encore, les aider à comprendre ce qui nous animait et nous faisait vivre. Puissent-ils en profiter finalement pour leur propre ressourcement culturel et spirituel. GD et JM Préambule L es fêtes, traditions et symboles chrétiens, bref la culture québécoise et occidentale, ne se comprend bien que si on la resitue dans son origine, avec Jésus de Nazareth, et dans son développement historique en Occident. Jésus L’homme de Nazareth Il y a plus de deux mille ans, Jésus naquit en Palestine, au Proche-Orient. Il est né juif et a été éduqué selon les règles juives : circoncision et présentation au Temple au e jour, participation aux diverses fêtes juives, dont la visite au Temple de Jérusalem à ans. Il a vécu surtout au nord, à Nazareth, c’est-à-dire en Galilée. En ce temps-là, la Palestine s’étendait pratiquement des rives de la Méditerranée jusqu’au-delà du fleuve Jourdain et, dans l’axe nord-sud, de la Syrie à l’Égypte. Elle comportait trois régions : la Galilée au nord, la Samarie au centre et la Judée au sud. Vers l’âge de trente ans, Jésus se mit à enseigner publiquement. Il parcourut la Palestine 16 fêtes, traditions et symboles chrétiens et quelques régions limitrophes, guérissant des malades, annonçant le salut aux pauvres et aux démunis, critiquant les injustices du système et le légalisme des prêtres, invitant chacun à la conversion intérieure, proclamant l’arrivée du règne ou du royaume de Dieu. Il parlait de Dieu comme de son propre père. Il s’exprimait souvent en paraboles. Certaines sont très connues : l’enfant prodigue, la brebis égarée, le grain de sénevé, le mauvais riche. Jésus était proche des petites gens. Il redonnait espoir. Bien vu par certains, il était suspecté par d’autres, car il osait critiquer les représentants du pouvoir civil et religieux. Il attirait parfois des foules nombreuses. Des disciples se sont attachés à lui, notamment ceux que l’on appelle les Douze apôtres. L’histoire d’Israël3, le peuple juif, est complexe. Petit peuple vivant en Palestine, entouré de moyens et de grands royaumes, il est constamment en guerre : guerres de conquête pour s’établir, se développer et s’agrandir, guerres intestines pour accaparer le pouvoir, guerres de défense souvent ponctuées de défaites accompagnées de déportations massives, comme il était de coutume à cette époque. L’histoire et la culture juives sont souvent inspirées des chroniques et des mythes sumériens et babyloniens, beaucoup plus anciens. Au temps de Jésus, la Palestine faisait partie de l’Empire romain depuis une soixantaine d’années ( av. J.-C.). Celui-ci dominait tout le pourtour de la Méditerranée, de sorte que les déplacements étaient facilités malgré les moyens rudimentaires de l’époque. Les autorités politiques de Palestine étaient nommées par Rome, ce qui causait de l’agitation dans le pays. Divers groupes sociaux y cohabitaient : les Sadducéens, collaborateurs avec 3. Autre nom de l’ancêtre Jacob dans la Bible, Israël désigne par extension l’ensemble du peuple juif descendant de Jacob. Souvent, il désigne aussi le pays lui-même. Préambule 17 l’occupant ; les Pharisiens, religieux fondamentalistes ; les Esséniens, spirituels regroupés dans le désert près de la mer Morte ; les Zélotes, nationalistes qui voulaient évincer l’occupant romain. Les agissements et la prédication de Jésus dérangeaient les prêtres juifs et inquiétaient les autorités politiques. Les derniers jours du Christ furent marqués par une entrée triomphale à Jérusalem, où une foule nombreuse l’acclama ; puis, ce fut la célébration de la fête de Pâque (le dernier repas, la dernière Cène) au Cénacle, avec ses disciples. Au cours de ce repas, Jésus lava les pieds de ses apôtres en signe de service et leur annonça la trahison de l’un d’entre eux, son arrestation et sa mort. Il fut effectivement dénoncé au gouverneur romain par les autorités juives, abandonné par ses disciples, arrêté par les soldats romains avec la complicité de Judas, condamné à mourir sur une croix comme un criminel. Il fut crucifié entre deux voleurs sur un mont près de Jérusalem, le Golgotha. Déçus, découragés, les disciples de Jésus se cachèrent par peur d’être eux aussi accusés et arrêtés. Toutefois, « trois jours après sa mort », ils changèrent complètement d’attitude, après avoir vécu une expérience spirituelle exceptionnelle : la présence et la proximité de Jésus. Certains affi rmèrent même l’avoir vu et lui avoir parlé. Ils proclamèrent alors que Jésus était ressuscité, qu’il était vivant. Ils comprirent mieux le sens de son enseignement. Ils commencèrent à répandre ses idées : autour d’eux à Jérusalem, puis dans le reste de la Palestine et dans une bonne partie de l’Empire romain. À l’origine, comme leur maître, les disciples de Jésus se percevaient comme un groupe spirituel juif qui voulait régénérer la religion juive, fréquentant la synagogue, observant généralement les préceptes et les rites cérémoniels de la Loi de Moïse. Ils furent appelés « Chrétiens » pour la première 18 fêtes, traditions et symboles chrétiens fois à Corinthe, une trentaine d’années plus tard, à la suite de la prédication de saint Paul. L’après-Jésus Les premiers disciples Rapidement, après la mort de Jésus, les disciples se mirent à essaimer pour répandre la Bonne Nouvelle (l’enseignement de Jésus), dans tous les pays connus. Saint Paul en particulier, qui avait persécuté les Chrétiens avant sa conversion et collaboré au martyre d’Étienne, fit de nombreux voyages autour de la Méditerranée, prêchant principalement les Juifs immigrés, y fondant des groupes ou des communautés chrétiennes, écrivant aux uns et aux autres pour souligner certains événements et rappeler la saine doctrine. Les Épîtres de saint Paul sont les plus anciens textes connus du Nouveau Testament. La destruction de Jérusalem, en l’an , accentua le mouvement missionnaire. Le désir de se souvenir et les besoins de l’évangélisation amenèrent des disciples à mettre par écrit les paroles et les gestes de Jésus. Ce sont les quatre Évangiles : ceux de Marc, de Matthieu et de Luc, écrits entre et , et celui de Jean, composé à la toute fin du ier siècle. La nouvelle religion accéda à l’autonomie sous une double influence. D’une part, les Chrétiens se distancièrent des préceptes et des rites juifs. Jésus avait déjà lui-même donné l’exemple d’une interprétation libérale de la Loi de Moïse. Dès ses premières années, la communauté chrétienne fit face à un débat difficile : fallait-il imposer aux païens (Romains, Grecs, Gaulois, etc.), qui voulaient se convertir, les exigences de la loi religieuse juive, notamment la circoncision que les convertis de Jérusalem (Juifs d’origine) acceptaient spontanément ? Le débat fut violent. Il suscita la convocation du premier concile, le concile de Jérusalem, en l’an , où Paul Préambule 19 s’opposa fermement à Jacques et à Pierre : la justification, le salut, vient du Christ, conclut-on, non de la Loi de Moïse ; on n’a donc pas à imposer aux Grecs, aux Romains et aux autres nations les prescriptions rituelles et la morale juives (Galates , -). Toute sa vie, d’ailleurs, et partout où il alla, Paul dut se défendre des critiques et des attaques de Chrétiens d’origine juive, en désaccord avec cette perspective. D’autre part, les autorités juives n’aimaient pas ces dissidents qui critiquaient de plus en plus la Loi de Moïse, contestaient leur pouvoir et présentaient leur fondateur comme le Fils de Dieu (suprême blasphème pour les Juifs). Ce n’est pas sans raison que les chefs des prêtres avaient réclamé la mort de Jésus. La rupture des Juifs avec les Chrétiens sera scellée en l’an . Lors de l’exode juif consécutif à l’écrasement d’une nouvelle rébellion et la destruction du Temple par le général romain Titus en , plusieurs Pharisiens se regroupèrent à Jamnia, au sud de l’actuel Tel-Aviv. Le Synode juif de déclara les Chrétiens hérétiques et les exclut des synagogues. La postérité de Jésus Le christianisme Devant certaines divergences d’interprétation du message de Jésus, et confrontés à des situations et à des problèmes nouveaux au fil des ans, les disciples de Jésus en sont venus à préciser la discipline et la doctrine chrétiennes, et à s’organiser structurellement. Les premières communautés chrétiennes avaient beaucoup d’autonomie, tout en entretenant d’enrichissantes relations entre elles. Celle de Jérusalem perdit un peu de son ascendant à la suite de la destruction du Temple et de l’émigration massive. Celle de Rome acquit un respect particulier en raison de son ancienneté, des martyres 20 fêtes, traditions et symboles chrétiens de Paul et de Pierre, puis de sa localisation dans la capitale de l’Empire romain et de son dynamisme missionnaire. À partir du viie siècle, on réserva à l’évêque de Rome le titre de pape, porté jusqu’alors par tous les évêques. Selon une tendance naturelle à l’évolution des groupes, cet élan donna naissance à une véritable religion, le christianisme, avec ses dirigeants, ses dogmes, ses fêtes, ses rites, sa spiritualité et son rapport au sacré. L'époque gréco-romaine Après une rapide expansion dans l’Empire romain, notamment auprès des Juifs immigrés, puis des païens, les Chrétiens furent l’objet de multiples persécutions – tout le monde connaît celle initiée par l’empereur Néron – où se démarquèrent de nombreux martyrs. Au ive siècle, le christianisme acquiert le droit de cité sous l’empereur Constantin en (Édit de Milan), puis devient religion d’État sous Théodose en . Le pape reçoit même des dons territoriaux autour de Rome4. Imaginée pour asseoir le pouvoir spirituel de l’Église, cette situation politique entraîna d’énormes ambiguïtés : conversions opportunistes, implication des papes dans la vie politique (alliances et guerres), ingérence des empereurs dans le choix des papes et la définition de la doctrine chrétienne. Toujours est-il que l’Empire romain devint chrétien de part en part. L’empereur se considère pratiquement comme chef de l’Église. La liturgie se structure et se développe. Une brillante activité intellectuelle se déploie avec de grands théologiens, appelés Pères de l’Église. C’est l’âge des conciles qui s’évertuent à définir la doctrine chrétienne officielle (le dogme) contre ceux qui dérivent (les hérétiques). 4. La donation par Constantin, invoquée plus tard, semble cependant un faux. Préambule 21 Le Moyen Âge (Ve- XVe siècle) Le partage de l’Empire entre les deux fils de l’empereur Théodose, à sa mort, en , accentua le fossé existant entre l’Orient et l’Occident sur le plan culturel. Celui-ci s’élargit encore avec la fin de l’Empire romain d’Occident en , sous les attaques des peuples venus du nord et de l’est de l’Europe, appelés les Barbares, c’est-à-dire les étrangers. Cette séparation marqua profondément le christianisme. De son côté, la partie orientale de l’Empire romain, devenue l’Empire byzantin, fut transformée et réduite par les conquêtes musulmanes. L’expansion territoriale de l’islam fit ainsi perdre à l’Église les pays les plus anciennement chrétiens : Syrie, Palestine, Égypte, Afrique du Nord. En fait, l’histoire de l’Église au Moyen Âge se concentre en Occident, chez les peuples latins, germains, saxes et slaves, soit l’Italie, la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et le nord de l’Europe. Lors de la chute de l’Empire romain d’Occident, l’Europe est en ruine : une civilisation nouvelle est à reconstruire. L’Église est la seule autorité qui subsiste. Elle s’ajuste aux divers régimes politiques : féodalisme, royauté, empire, tout en essayant d’y jouer un rôle spirituel et civilisateur. La conversion de Clovis en lui donne un élan important. Celle de Charlemagne, en , encore davantage : le long règne de celui-ci marque d’ailleurs le début d’une renaissance importante. En plus d’être chefs religieux, les papes règnent sur un vaste territoire (les États pontificaux), concédé par Pépin le Bref en , et confirmé par Charlemagne en . La vie de certains d’entre eux est loin d’être exemplaire. Le dynamisme spirituel vient d’ailleurs. Il viendra surtout des moines. C’est, en effet, la période des saints religieux qui évangélisent la population et s’impliquent dans le développement intellectuel, artistique, agricole, et 22 fêtes, traditions et symboles chrétiens même commercial. C’est l’époque des écoles paroissiales, puis des écoles cathédrales et des universités, qui marquent un développement majeur de la pensée. L’époque des cathédrales qui illustrent la piété des peuples et le talent des architectes et des artisans. Mais ce fut aussi celle des croisades (-) pour libérer la Terre sainte et permettre l’accès au tombeau du Christ, rendu difficile par la conquête de Jérusalem par les Musulmans. Ce fut enfi n – hélas – du xiiie au xve siècle, l’époque de l’Inquisition, avec sa censure et ses violences. L’époque moderne La fin du xve siècle est marquée par plusieurs événements importants : la chute de Constantinople en 1453 (fin de l’Empire latin d’Orient), l’invention de l’imprimerie également en , la fin de la guerre de Cent Ans entre la France et l’Angleterre en , la découverte du Nouveau Monde en , concomitante à la défaite des Musulmans en Espagne. Un important renouveau culturel se développe aux xve et xvie siècles, appelé Renaissance. Sur ces entrefaites naît la Réforme protestante qui divise l’Église chrétienne et les pays occidentaux en catholiques et en protestants. La population de chaque pays est elle-même divisée. D’où les guerres de religion en Occident. La Réforme protestante est suivie d’un renouveau catholique, la Contre Réforme, de tendance conservatrice. Mais des idées nouvelles voient le jour : renouveau de l’art et de la philosophie, et contestation de la théocratie et de la religion. Le xviiie est appelé le Siècle des Lumières. Pour les historiens, l’époque se termine au début de la Révolution française, en . Préambule L’époque contemporaine (XIXe et 23 XX e siècles) L’Occident est marqué par le développement industriel et l’urbanisation accélérée, l’impérialisme et le colonialisme, puis les mouvements d’indépendance. Idéologiquement, fascisme, marxisme et capitalisme s’aff rontent, alors que diverses formes de social-démocratie essaient de naître. Du côté chrétien, les États pontificaux sont envahis par des armées étrangères, avant d’être intégrés à l’Italie en : ne perdure que l’enclave du Vatican, État symbolique du pape. L’Église catholique s’oppose durement au modernisme du xixe siècle, qui remet en cause sa doctrine et son pouvoir : séparation de l’État et de l’Église, démocratie, liberté de conscience et de religion, etc. Le pape Pie IX est la figure emblématique de cette crispation religieuse. Le milieu du xxe siècle amorce une certaine réconciliation, marquée surtout par le concile Vatican II (-). Au Québec L’histoire du Québec suit cette évolution occidentale. On peut y distinguer quatre périodes : ) origine chrétienne de la colonie ; ) développement du christianisme en même temps que la société ; ) période de chrétienté (qualifiée, après coup, de Grande Noirceur) où la vie personnelle, sociale et politique est empreinte de religion chrétienne ; ) renouveau important, à partir des années -, appelé la Révolution tranquille : sécularisation de la société, transformation des institutions et des mentalités, renouveau chrétien sous l’influence du concile Vatican II. L’évolution est si rapide que les Chrétiens du troisième âge peinent à reconnaître les mœurs, les coutumes et les célébrations de leur enfance. Sans diminuer l’importance de la Révolution tranquille des années -, la Grande Noirceur n’était pourtant pas aussi noire qu’on le prétend parfois. C’est l’Église qui a 24 fêtes, traditions et symboles chrétiens permis la survie du peuple canadien-français, et contribué à forger son identité. C’est en son sein que sont nés beaucoup d’initiateurs de la Révolution tranquille. Elle continue de rassembler un nombre important de citoyens. Première par tie Le cadre général C omme évoquée précédemment, la culture chrétienne comprend des aspects multiples. Nous retiendrons ceux qui semblent le plus pertinents à notre propos. Divers aspects de la culture chrétienne Après une forte expansion dans l’Empire romain, ponctuée de nombreuses persécutions – cela a déjà été évoqué –, le christianisme acquiert droit de cité sous l’empereur Constantin en , puis devient religion d’État sous Théodose en . Le pape reçoit même des dons territoriaux autour de Rome, qui deviendront plus tard, avec Pépin le Bref et Charlemagne, les États pontificaux, puis simplement la Cité du Vatican en . Cette situation lui donna une influence énorme sur la société, mais l’entraîna dans des jeux politiques qui générèrent parfois des violences en contradiction avec ses objectifs spirituels et moraux. Par ailleurs, ces pouvoirs favorisèrent l’expansion du message évangélique au point où celui-ci marqua et marque encore de son empreinte 26 fêtes, traditions et symboles chrétiens la culture occidentale et, d’une certaine façon, le monde. La désignation des années à partir de la naissance de Jésus (l’ère chrétienne) en est un indice éloquent. Mais on peut le constater également dans un certain nombre d’institutions et de valeurs communes, dans l’architecture et la musique, et même dans le langage et les symboles d’usage quotidien. Sous diverses formes, enfi n, le christianisme demeure la religion largement la plus répandue en Occident. Le contenu Plusieurs questions méritent l’attention. Commençons par l’organisation du temps : depuis quand parlons-nous d’ère chrétienne ? Pourquoi utilisons-nous le calendrier actuel ? (Chapitre ) Quand on parle de l’Église chrétienne, on pense spontanément à un bloc monolithique. Mais il existe une diversité étonnante au sein de cette Église, y compris au sein de l’Église catholique. (Chapitre ) Dans le monde moderne dominé par la technique et le souci d’efficacité, quel sens et quelle importance peuvent avoir les fêtes, les rituels, les symboles ? (Chapitre ) Quels sont, fi nalement, les principaux symboles chrétiens ? La barque, le berger, le crucifi x ? Mais quel crucifi x ? (Chapitre ) L’organisation régionale et locale Les Saintes Écritures La pratique chrétienne La messe Le mariage La réconciliation Les f unérailles et l ’Onction des malades La morale chrétienne 46 47 49 52 59 61 63 66 3 L’importance des fêtes, rituels et symboles Les fêtes Les rites et les rituels Les symboles et les my thes Les traditions La liturgie 71 72 73 76 78 79 4 Les symboles chrétiens les plus importants L’eau Le feu et la lumière L’encens Le désert et la montagne L’agneau Le berger et la brebis La barque, l ’ancre et le poisson La colombe et le pélican Le sigle IN R I Le pain et le vin La croix Le crucifix Le signe de la croix Le chemin de croix Les Croix de chemin et calvaires La route et le pèlerinage Jérusalem 83 84 84 85 85 87 88 88 88 89 89 91 91 94 94 96 96 98 CH API TRE CH API TRE DEUXIÈME PARTIE L’année liturgique L’origine et la structuration de l ’année liturgique L’évolution et la variété des coutumes chrétiennes L’articulation actuelle de l ’année liturgique Perspective et plan 101 102 106 107 108 5 Le cycle de Noël L’Avent La Noël – 25 décembre Les premiers jours après Noël Le Premier de l ’an – 1 er janvier L’Épiphanie – 6 janvier La Chandeleur – 2 février L’Annonciation – 25 mars 109 110 115 143 145 147 151 155 CH API TRE 6 Le cycle pascal Le Carême La Transfiguration La Semaine Sainte Le dimanche des Rameau x Le Jeudi saint Le Vendredi saint Le Samedi saint Pâques et la Veillée pascale L’Ascension La Pentecôte Le temps après Pâques La Trinité, la Fête-Dieu, le Sacré-cœur, le Christ-Roi CH API TRE 159 160 168 170 171 175 180 185 186 196 198 200 TROISIÈME PARTIE Le culte des saints 207 7 Sainteté et canonisation Les catégories de saints Le processus de canonisation Les visages de la sainteté Les traditions populaires 209 210 212 213 214 8 La dévotion à Marie Historique La liturgie catholique La religion populaire 217 217 221 223 CH API TRE CH API TRE 9 Quelques figures significatives 231 Quelques saints célèbres au Québec 231 Saint Joseph, Sainte Anne, Saint Jean-Baptiste, Saint Patrick Quelques saints du pays 240 Les mart yrs canadiens, Marguerite Bourgeoys, Marguerite d ’Youville, Le Frère André, Kateri Tekak witha, François de Montmorency-Laval, Marie de l ’Incarnation Les bienheureu x canadiens 253 CH API TRE 10 Trois fêtes populaires La Toussaint et le jour des Morts La Saint-Valentin L’Action de grâce CH API TRE 255 255 259 261 Conclusion 265 Remerciements 267 Liste des coutumes populaires 269 Bibliographie 271 Fêtes, traditions et symboles chrétiens Pour comprendre la culture québécoise Ère chrétienne ✱ Calendrier grégorien ✱ Fêtes civiles et sociales (Noël, Pâques, Toussaint, Saint-Valentin, Action de grâce...) ✱ Coutumes populaires (crèche de Noël, œufs de Pâques...) ✱ (croix, croix de chemin...) Symboles omniprésents ✱ Toponymie ✱ Jurons La vie quotidienne au Québec, voire la culture québécoise, comme la culture occidentale d’ailleurs, est largement marquée par le christianisme. Cette culture remonte à Jésus qui a vécu en Palestine au temps de l’Empire romain. Elle s’enracine dans le sacré des peuples et les religions qui l’ont précédée et qu’elle a côtoyés au cours des âges, de même que dans le symbolisme de la nature et des saisons. Le christianisme a tellement marqué l’Occident, voire le monde, qu’on en est venu à nommer la présente période historique l’ère chrétienne. Ce livre s’adresse à un large public : parents qui désirent transmettre leur héritage ; enseignants qui ont à présenter la culture religieuse du Québec ; immigrants qui cherchent à connaître le pays qui les accueille ; agents de pastorale qui désirent élargir leurs connaissances. Son premier objectif est de faire connaître la part chrétienne (événementielle et symbolique) de la culture québécoise, voire occidentale. Le second est d’offrir des pistes de réflexion à ceux et celles qui désirent donner plus d’intériorité à leur quotidien. Professeur émérite de l’Université de Montréal, Guy Durand est théologien et juriste, spécialisé en éthique. isbn 978-2-7621-3763-7 www.groupefides.com