D,QN L'ALSACE ET LES ALSACIENS DEPUIS 1870 Far M. Jnles Professeur d'Histoire à i'Université do Liile. On répétait volontiers; il y a quelques années, A propos de la question d'Alsace-Lorraine; la phrase fameuse « Il faut y penser toujours et n'en paier jamais». C'était là une parole dangereuse, car à force de ne jamais pailer d'une question un peu grave et un peu délicate, on finit par ne plus y penser beaucoup. Mais nous pouvons nous rassurer on n'a jamais tant parlé de l'Alsace-Lorraine que clans ces dernières années. Des romanciers, (les écrivains en renom s 'en sont occupés, et surtout depuis trois eu quatre ans, depuis les récents incidents francoallemands amenés par le développement de notre action au Maioc, on peut dire que la question d'Alsace-Lorraine est de nouveau A l'ordre du jour. Et s'il est vrai que Bismarck, le grand artisan de la conquête (le l'Alsace-Lorraine, nous ait orientés, il y a trente ans, vers la Tunisie, vers les entreprises, coloniales, dans l'arrière-pensée de détournei notre attention des Yosges, quel singulier démenti lui ont donné les événements I N'est-ce pas précisément le progrôs de notre politique coloniale au'Maroc qui, paç un contre-coup imprévu, a ramené plus que jamais l'attention (le l'opinion française sur nos frères d'au-delà des Vosges? En vous parlant aujourd'hui de l'Alsace et ries Alsaèiens depuis la guerre de 1870, je ne chercherai point à esquiver laquestion redoutable, I Document- ii ii II ii ii ii lut IIII itO } OOOOOO55j9...,,..J L —2— la question délicate qui nous hante tons. Peit-on dire, à nons interrogei sincèrement, qu'il y ait eiico,'e nue question cl'Alsace-Loi'i'aine, peut-on lire qu'il y ait Iô, pour nous, autre chose qu'un pieux souvenir? Quels sont, au juste, les sentiments actuels (les AlsaciensLorraius fi l'éga ri! de la Fj'u nec ? Quelle est, en som inc. la si tua Lion morale actuelle du pays d'Enipire et la rticulièi'ement tIc l'Alsace ? Cm' je compte vous ,'ler tout particulièrement des Alsaciens, bien qu ' une gi'ande pa ,'tie de Lues observations puisse s'étendre également aux habitants de la Lorraine i nuex én. Tout à l'heure, cependant, pour mieux jusl.iûer ma présence ici, dans e Société de Géographie, je vous montrerai quelques photographies du pays alsacien. Mais mon but essentiel, c'est précisément desa ci de vous faire comprendre l'état actuel do l'opinion cri Alsace-Lorraine et les changements qui s'y sont produits depuis la guerre. Il s'agit, pour • nous, de savoir comment celte question d'AlsaceLorraine se pose pour les habitants eux-mêmes, ceux qui y sont m'çstés, pour ceux qui ydemeurent après pins de 40 ans. Lu tâche est particulièrement délicate pdui' un Français, né en Alsace, qui autour de lin', depuis sa lointaine enfance, a en telidu pai'Ier de l'Alsac.e et qui lui 'este attaché par de très chers souvenirs. Mais peur t-être n'est-il pas' inutile d'être un peu Alsacien soi-même pou r mieux 'comprend 'e certaines parttcula n'ités du c;ii'actêre alsacien. il faut, en tout cas, être ailé souvent dans le pays, y avoir fait des séjours prolongés pour' nri'iver' f bien le connaître, pour' iuieu,x se pénétrer de sa nature et pour se rendre compte, aussi exactement (lue possible, (le l'état d'esprit des habitants.- Sans avoir l'impossible prétention (le nous détacher de nous-mêmes, nous devons essayer cl'appoi'ter à cette étude une probité d'autant plus scrupuleuse, un souci d'autant plus profond de vérité impartiale et objective que le sujet lui-même éveille en nous (les iinpn'essions puis douloureuses et plus poigna ntes. * ** Dès le début de la gnei'i'e de t870, l'Alleniague était résolue à exiger comme prix (le 505 victoires la cession de l'Alsace et d'une partie (le la Lorraine. Il est bon de se rappeler qu'un décret du 21 août '1870 déterminait par avance l'étend ue du nouveau gouvernement alsacien qui devait comprendre le département du Haut-Rhin, -3— celui du Bas-Rhin et le nouveau département de la Moseile (1). Un professeur de Berlin disait, le 20 Juillet « Il n'y a pas de paix possible tant que le vol séculaire de l'Alsace et de la Lorraine n'aura pas été restitué ». Trois ans auparavant, en 1867, lors de l'allai re du Lu xembou r'g, les étudiants français de Strashourg envoyaient A leurs camarades allemands ime adresse, où ils leur proposaient nue union pour défendre, dans les deux pays, la cause (le la paix et de la liberté. Voici (luche fut la réponse des membres (le la Bur'.s'clècn-schaft de Berlin, (1111 s'intitulait elle-même le parti démocratique dé la jeunesse universitaire allema ri de. cc Les rénégal.s et les transfuges sont détestés par tout le monde et vous ne sauriez faite exception. A une époque où les p5tites nations, les Grecs, les Roumains, Les Serbes, les Slaves se l'éveillent (le leur torpeur et se souviennent de leur nationalité - ceci était écrit, 'je le répéte, en 1867 - vous, Alsaciens et Lorrains, vous ne sauriez persister dans votre apathie. Quoi, vous voudriez renoncer â votre nationalité, marcher contre l'Allemagne, qui est notre mère et q ni est votre mère aussi I! Quittez votre élat de btards, étudiant,s d'Alsace et de Lorraine, redevenez dans vos coeurs les vrais enfants de la patrie allemande Tels étaient les sentiments q ii animaient la jeu nesse allemande trois ans avant la guerre de i870. Dut reste, leurs revend cations remoil taient en i'éalitéau comrnericernent du XIX' si&le, lors du mouvement national de 1813 dont. l'Al lemagire a célébré cette année même le centenaire. Arridt avait publié la Laineuse brochure intitulée « Le Rhin fleuve de l'Allemagne et non pas frontière de l'Allemagne ». Dès le lendemain d'Jéna, après les désastres de '3806 et 1807, la Vinsse avait préparé silencieusement sa revanche et au lendemain de Waterloo en 8i5, ce fut nniqriement l'opposition (le la R.ussie et de l'AngleI.erre qui empêcha le triomphe complet (les exigences prussiennes. 11 s'en fallut de peu, A cette date, que Strasbourg ne fût réunie â l'Allemagne. Un reste la Pu'risse reçut, ci 1815, rIe très amples dédommagements, car' c'est seu]ernent depuis les traités rie Vienne qu'elle réunit A son royaume les provinces rhénanes. Malgré tout, un groupe (I) Cf Pour ceci et pour le citations suivantes le livre de O. DEIÀHÀCrIE carte air liseré vert (Cahiers dc la Qrcùrzatire, déc. fl)0P). dcl patriotes, ue rien ne pouvait rontenter estima. ia:.satisfactibn -insuffisante.'. De notre côté; du c6té d. la Fi:ance, certains pbLriotes opposaient à la théorie germanique qui revendiquait le Rhin comme 'fibuve a.ilemand.'id théorie (les frontières naturelles et ..répandaient tte idée dans le public que Fi ive gauche (itt Rliin était naturellbtnent française; parce qu'elld faisait )uH'tic dii territoire de l'ncienne Gauld. A la veille di la ueri'e, il avait été vaguement question de' côrtdisprùjet d& i'emauioments'territoriaiix.'dans lesquels la rive : ganche du Riiin . . .était comprise. Ces bruits fuient très habilement exploités par Bismarckèt pâr la presse allemande, ii.i leu r dônnèrent 1111e importance et une précision qu'ils n'avaient pas en réalité. .DZlors, la Fiance apparut à l'Allemagne, - fut piésen tée 'à I'ÀlÏemagne-- qui cherchait à achever son unité - commç un danger toujdurs menaçant, comme le seul danger qui pût menacer l'achèvenent de l'unité. C'était elle, et 'elle seule, qui empêchait l'Xilemagne dé' parfaite 1'uvi-e cominncée. Elle restait la iation vapiteuse, turbulente, , toujours pi'ête à inquiéter SeS voisins, a, i'epi'eridre l'épopée révotutionnai.r'e et impér ale interiompue par les traités'de 1815. Au lendemain de nos défaites, même après Ï870,. ce rêve des frontières iiéturelles (Le la rive ga ache du . Rhin hantait encore l'imagination d'un granit poète français: \Tictàr Hugo , député. à l'Assemblée Nationale de 18'7i , montrait, dans 111e vision.chimériqne, la Franco se redresser « formidable, d'un bond ressaisir la Lorraines réssaisir l'Alshce......saisir Trèves,.Mayenc.e, Cologne, Coblen , toute la rive gache du Uhin . Les Alsaciens qui avaient le sens de la réalié protestèrent alois et l'ijn d'eux déclara en parlant de Mayence et c , .Çoblcntz : « Ces deux noms nous ont perdus, c'est. pour eux que jions subissons le triste sort qui nous attend »,.' Ceci se passait dans cette séance du ,F'r.rnars 1871: où , la,rnajoité de l'Assernldéenationa1e fut, appelée à ratifier les ptéliminair,es de. paix . ' sigpÔs1e26 février. La Frauce rèdai.t à J'Allemagne les dc départements du',Bas-Rhin et !Iu,I uutF lin., à l'e.cep1Àon duldcrritoire,' deBeIfort. les .3/4: dé k Moselie '1/3 de la Meurthe deux cantons du département des Vosges, les cantons de Saales et de . Schirmeck, en tout,, près de 1700 communes, reprdsentapt 1111e population' de .1.600.000 habitants., • Quelques jours abparavant, à la séance du 17 février 4871, Relier, député du ilaut-Rhin. était venu lire à la trib;ine de l'Assemblée Nationale la protestation solennelledes députés d'Alsace etde Lorraine, protestation dont les termes avaient été rédigés par GainbetLi et qu'il est utile de relire encore aujourd'hui. « Nous soussignés, citoyens fiançais choisis et députés par les départements du l3as-Rhin, du Haut-Rhin, de la Moselle et de la Neurthe, pour apporter à l'Assemblée Nationale (te Fiance, l'expression Je la volonté unanime des populations de l'Alsace et (te la Lorraine, aprés nous être réunis et en avoir délibéré, avons résolu d'exposer dans une déclaration solennelle leurs dioit.s sacrés et inaliénables. e L'Alsace et la Lorraine ne veulent pas être aliénées. Associées depuis plus de deux siècles à la France, clans la bonne comme dans la mauvaise fortune, ces deux provinces, sans cesse exposées aux coups de l'ennemi, se sont constamment sacrifiées pour la grandeur nationale; elles ont scellé de leur sang l'indissoluble pacte (lui lés rattsehe à l'unité française. Mises aujourd'hui en question par les prétentions él. rangéres, elles affirment, ii travers tous les obstacles et. tous les dahgers, sous le joug même de l'envahisseur, leur inébranlable fidélité. » Tous unanimes, les concitoyens demeurés dans leurs foyers comme le soldats accourus sous les drapeaux, les uns en votant, les autres en combattant, signifient à l'Allemagne et au monde l'immuable volonté de l'Alsace et de la Lorraine de rester françaises. La France ne peut consentir ni signer la cession de l'Alsace et de la Lorraine. Elle ne peut pas, sans mettre en péril la continuité de son existence nationale, porter elle-même un coup mortel à sa propre unité en abandonnant ceux qui ont conquis, par deux cents ans de dévouement patriotique, le droit d'être défendûs par le pays tout entier contre les entreprises de la force victorieuse. s La France peut subir les coups de la force, elle ne peut sanctionner ses arrêts. » L'Europe ne peut permettre ni ratifier l'abandon (le l'Alsace et de la Lorraine. Gardiennes des règles de la justice et (lu droit des gens, les nations civilisées ne sauraient rester plus longtemps insensibles au sort de leur voisine, sous peine d'être à leur tour victimes des attentats qu'elles auraient tolérés. L'Europe moderne ne peut laisser saisir un peuple comme un vil troupeau. Elle ne peut rester sourde aux protestations répétées des populations menacées. Elle doit à sa propre conservation d'interdire de pa refis abus (le la force elle sait d'ailleurs r i u l'unité de la Franco est aujourd'hui, comme dans le passé, une garantie de l'ordre général du monde, une barrière coutre l'esprit tic conquête et d'invasion. La paix faite au mix dune cession de territoire ne serait qu'une trêve ruineuse et non une paix définitive elle sciait, pour tous, une cause d'agitation intestine, une provocation légitime et permanente à la guerre. Et quant à nous, Aisacieùs cl Lorrains, nous serions- prêts A recommencer la guerre, aujourd'hui, demain,. û toute heure, A tout instant. p En résumé, l'Alsace et la Lorraine protestent. hautement contre toute cession. Lu Fiance ne peut ta consentir, l'Europe ne peut la sanctionner. • En foi de quoi, nous prenons nos concitoyens de Fiance, les gouvei-nements et les peuples du momie entier à témoin, que nous tenons d'avance pour nuls et non avenus tous actes et traités, vote ou plébiscite qui consentiraient abandon, en faveur (te l'étranger, de tout ou partie de nos inovinces de l'Alsace et de la Lorraine. Nous procamons, par les présentes, à jamais inviolable le droit des Alsaciens et des Lorrains de rester membres de la nation française, et ndus jurons tant pour nous que pour nos commettauts, leurs enfants et leurs descendants, de le revendiquer ternel1ement et par toutes les voies, envers et contre tous usurpateurs ». * ** \Tous savez quelle fut la réponse de FAssemblée NaLionale impuissante, û ce moment-là, à voter autre chose que la paix qui lui était imposée. Aucun doute n'était donc possible sui' les sentiments unanimes des Alsaciens et (les Loi'iains. Un petit nombre tic notables, ceptmdamit, lorsque la traité fut signé, lorsque la paix fut ratifiée à Francfort au mois (le mai 1871, un petit nombre (le fonctionnaires, qui étaient habitués L, servir tous les gouvernements avec la même docilité, la même servilité, se rallièrent de suite ft l'Allemagne avec un empressementqui les lit mettre à l'index parla population. * ** Ceux qui entendaient conserver la nationalité française avaient jusqu'au 17 octobre 1872 pour s'expatrier, moyennant une déclaration (I 'option.. '-7-Ce fut une heure douloureuse, entre toutes; pour ceux qui restaient, pour ceux qui étaient retenus dans le pays natal pal toutes sortes de liens et d'intérêts matériels. Ce fut une heure infiniment douloureuse aussi pour ceux qui paz'taient. L'Alsace exerçait, en effet, une attraction singulière sur tous ses habitants ceux-là même qui, originaires d'autres régions de la France, y étaient venus plus tard comme fonctionnaires, gardaient à l'Alsace une affection profonde; ils aimaient à se (lire Alsaciens d'adoption volontiers ils se fixaient dans le pays et y faisaient souche d'Alsaciens. La ville de Strasbourg était devnue, au cours du XlX0 siôcle, le foyer d'un mouvement intellectuel d'autant plus intense que les deux influences, germanique et française, y convergeaient, qu'elles trouvaient là un terrain d'union tout à fait naturel. En Franco, on était tout porté à accueillir avec sympathie les manifestations intellectuelles du génie germanique. L'Alsace formait un lien entre les deux nations, entre les deux génies, entre les deux civilisations. Quelques-uns des hommes qui honorent le plus la science française se sont fait 'connaître à Strasbourg Pasteur resta longtemps à la Faculté des Sciences (le Strasbourg. Le grand historien français, Fustel de Coulanges, avant d'être appelé à Paris, a enseigné pendant plusieurs années à la Faculté ries Lettres de Strasbourg et .y a préparé quelques-uns de ses plus beaux livres. Mais, naturellement, ceux qui n'avaient pas d'intérêts matériels dans le pa's, préférèrent malgré tout passer eu France. Ce fut un exode général. Le jer octobre 1872, près dc 60.000 Alsaciens étaient déjà partis. « Beaucoup revinrent, nous dit un écrivain, appauvris, désabusés, qu'on avait dans les petites villes de Fiance parfois regardés comme des concurrents, des intrus à l'accent risible ». Cependant, le terme de l'option passé, l'émigration continuait encore. J nmsqu'en 1875, on compte 150.000 Alsaciens qui ont passé eu Fiance, 35.000 de 1875 à 1880 et les années suivantes un chiffre encore très élevé. Ainsi des milliers d'Alsaciens vim'ent servir en Fiance, et s'engager' dans la légion étrangère, préférant les risques et les dangers des guerres coloniales, à la honte de sem'vir sous l'uniforme de l'envahisseur'. Cependant, cette émigration trop forte avait aussi ses dangers. Elle avait pour effet de vider le pays de ses é4émhents indigènes et de laisser la place aux immigrés qui, de l'aut,'e côté du Rhin, arrivaient en foule. Les Allemands venaient des provinces plus pauvres de l'Allemagne. ravis de s'établir en maîtres clans un pays si riche. Cependant l'Alsace- -8— Lorraine avait été organisée cri pays d'empire, c'estrà-dire qu'elle devint une sorte de colonie commune à tous les Èrais allemands et se trouve ainsi clans une si taation nettemen t inféiieu te à relie du reste- J e l'Allemagne. En 1874 seulement, les populations (le l'Alsace et (le la Lorraine annexée furent autorisées à envoyer des députés au l'a rimnen t de Berlin qui est la représentation nationale de tout le peuple de l'Empire. L'Alsace-Lorraine fut représentée au Reichstag par 15 députés qui renouvelèrent solennellement devant leurs bollôgues la protestation (le 4871. A partir de '1879, les Allemands installent en Alsace-Loiraine un gouvernement régulier. Le premier gouverneur 011 Stattiialter fut Je conrt-e de Manteuffol qui était animé, vis-â-vis des Alsaciens-Lorrains, d'un esprit assez conciliant. Mais peussé par son entourage, esclave de sa fonction, il fut amené à prendre certaines mesures de rigueur et d'exception, si bien qu'il ne réussit, en somme, à satisfaire ni les indigènes, ni le immigrés. Après sa mort, en 4885, une lutte aigué s'engage entre l'adminis-• tralion allemande et la population alsacienne. En 1887 survint un incident de frontière, l'affaire SelInoebelé où crut un moment que la guerre allait éclater. Aux élections qui eurent lieu pour le, prochain renon vol lement du Reichstag, l'administration allemande exerça une pi'ession inouïe sur 3es Alsaciens-Lorrains. Ceux-ci répondirent par un véritable défi. Les candidats protestataires réunirent une majorité supérieure k colle qu'ils avaient obtenue trois ans auparavant. En 1884, les candidats pioteslataires avaient obtenu 165.000 voix en 1887, ils en réunirent 241.000. Le- seul député sortant qui avait voté pour le septennat, c'est-à-dite pour l'accroissement des dépenses militaires, était battu par un candidat protestataire dont la candidature avait été improvisée à la dernière minn(e,-huit jours avant les élections. Cette manifestation éclatante de l'opinion d'Alsace-Lorraine, dix-sept ans après la guerre, fut suivie alors d'un redoublement de rigueurs. C'est à ce ]nornent que les Allemands imposent h la frontière pour tous les Français l'obligation du passe-port, s'efforçant, par les mesures les plus . sévùies d'isoler complètement l'Alsace des Français. Les Français qui avaient gardé une partie de leur famille en Alsace ne purent plus obtenir de passer les Vosges .Al'intérieur, ce fut un régime d'exception, un régime de dictature à outrance, des tracasseries (le toutes sortes contre la langue française. Les -9— enseignes françaises, les affiches françaises -furent proscrites avec la dernière rigueur; il ne fut plus permis de mettre des noms français sur les tombes au cimetière de Strasbourg.--. Ces votations répétées pouvaient courber à la longue une partie de la population, mais chez la plupari, elles laissaient un état cl'exaspération et do rancune d'autant plus fort fri'il fallait dissimuler ses sentiments véritables pour éviter dc nouvelles violences. Ces années, de 1881 à 1802, ieprésentent h peu près le maximum de tension entre la population indigène d'Alsace-Lorraine ét l'Administration allemande. Il nôus reste, maintenant, à voir de plus près quelles étaient les causes profondes du malentendu qui séparait et sépare encore les deux populations, et quel est l'état actuel de la question. Mais avant de poursuivre cet exposé, je vais vous montrer ii-n cerlain nombre do vues. * -* t Et le conférencier. par les routes les pt us belles cl, les plus fréquentées aussi, nous fait alors pénétrer' en Alsace. Il nous en fait admirer les vallées et. les forêts, les belles plaines, si riches, si bien cultivées, couvertes de pmiries, de houblonnières, de éhamps de tabac. li nous montre au débouché des petites vallées'qui descendent des Vosgessur les pentes couvertes de vignobles— toute une série de ruines aussi imposantes que variées, La p1' qui s'étend depuis Mulhounse et Colmar jusqu'à ]'extrémité septentrionale de l'Alsace est, cri quelque sorte, jalonnée par uue ligne d vieux ehIeaux aujourd'hui ruinés, magnifiques constructions de giès ru age, do n L les chaudes couleurs frappent très vivement le touriste; Quelles étaient donc les causes profondes dut malentendu- qui séparait les 1s'(ciens et les Allemands? Les Allemands. cii conquérant l'Alsace et la Lorraine, comme nous l'avons vu au début, étaient- sincèrementpersuadés pour la plupart que. les habitants dc ces deux régions arrachés par la violence, il y a deux siècles, 'n la nation allemande, s'accoutumeraient très vite à leur nouvelle-patrie, qu'ils seraient heureux de retrouver chez les Allemands des frèrès perdus. N'étaient-ils pas, eux aussi, Allemands par la langue,Allemands par les moeurs? N'y avait-il pas, en réalité, plus de rapports, plus de ressemblance, plus d'affinités entre les Alsaciens et les Allemands du Sud qu'entre les Alsaciens et les habitants de Elle-deFranco, de la Touraine et de la l3retagne? - 10 - La culture française. l'attachement à la Fiance, tout cela ne pouvait èlre qu'un vernis superficiel qui ne tarderait pas à disparaitre. « Chacun pensait, disait! ua revue allemande, que le violent amour dont il se sentait déborder pour ce beau pays suffirait à prendre d'assaut le coeur de ses habitants. » Mais une é• de 15 ans - ceci était écrit en 1886— nous a appris que c'est bien l'esprit et le coeur du peùple que la domination de la Fiance avait pénétrés et qu'il ne s'agissait pas seulement de surmonter une excitation inonientanée, mais bien 'te vaincre une force morale sérieuse». Il y avaitun argument qu'on invoquait volontiers c'était l'argument de la langue. Remarquons, pour le dire en passant!, que la fontière imposée par l'Allemagne ne répond pas tout à fait, malgré les apparences, à la frontière (les langues. D'abord, bien entendu, il y avait une partie considérable de la Lorraine annexée, qui était de langue française et qui est reslée (te langue française. Mais, même en Alsace, il y avait un certain noiubi'e de villages, dans les hautes vallées des Vosges, où l'on ne parlait et ne comprenait que le. français. Il y a environ 286 communes cri Lorraine et 27 communes en Alsace, où la langue maternelle est officiellement le français. En réalité, tous ces arguments n'étaient pas les arguments principaux, car Bismarck avait invoqué, avant tout, le droit du conquérant, le besoin pour l'Allemagne, pour protéger ses frontières, d'avoir, elltre elle et la France, ce queles officiers del'Etat-Major allemand appelaient un e glacis ». Mais depuis longtemps, et c'est là ce. qu'il y avait de grave, des historiens, qui avaient peu à peu façonné la conscience nationale allemande, avaient invoqué le droit, historique de l'Allemagne sur les pays'qui avaient fait! partie, disaient-ils, du vieil empire germanique, sur' les pays oit avait régné l'empereur Frédéric Barberousse et sa dynastie, les plus glorieux représentants de la nation allemande du moyen âge. Mais alors, oit s'arrêter dans cette voie? Frédéric Barberousse et ses successeurs n'ont pas régné 'seulement sui- les deux rives Rhin, niais aussi sur la Franche-Comté, sur une partie de la l3elgique, de la Hollande et (le la Sinsse. Vous n'ignorez pas que certains pangermanistes ne reculent pas devant ces conséquences. Il y aurait beaucoup de choses â leur répondre, niais ce serait perdit notre temps pie de. réfuter ces fantaisies il faudrait leur montrer aussi que ces Allemands du moyen-âge ont été beaucoup 1ilu pénétrés' de i'inïluenr.e latine et de l'influence - il française qu'eu*-mémes ne veulent bien le dire. Ils ressemblaient fort peu aux Allemands du XIX' siècle. -En tout cas, nons saisissons ici quels sentiments artificiels et clangereux, quels )réJugés néibstes avaient entretenus (tans les consciences allemandes les liiories de certains historiens. Leur conception de la nationalité était aussi superficielle que fausse. Ils s'imaginaient que des hommes (le même langue et ile même race devaient nécessairement se sentir membres (le la même nation. Ils ilonnaientâ la notion de ace une imporince excessive; ils y voyaient, biS-A tort, quelque chose tic réel et de concret. Quant à la communauté de langu, elle esi certes un lien très puissant: mais là où l'esprit national est très fort, il s'élève précisément au-dessus (les différences (le langue, comme nous le montre l'exemple de la Suisse. C'est un lype supérieur de nationalité que celui où les différences de langue et même de religion laissent place A un autre sentiment qui les enveloppe et les domine, sans les supprimer. Rattacher le nouvel empire au Saint-Empire du moyen-âge c'était évidemment un excellent moyen d'exalter l'orgueil allemand, mais à condition de fausser l'histoire et de dénaturer le passé. Au temps où l'Alsace et la Lorraine faisaient partie (lu Saint-Empire romain germanique, celui-ci pouvait-il donc être comparé avec l'empire actuel ? Le Saint-Empire n était, en réalité, qu'une fédéral-ion très vague de p'incipautés, de seigneuries, de villes libres, unies entre elles par un lien évidemment réel mais très làcic. Les habitants des villes libres se sentaient fort peu les sujets de l'Empereur, auquel ils demandaient surtout la confirmation de leurs privilèges. Il ' avait évidemment des moeurs allemandes, une civilisation al!emande, des écrivains allemands, mais il n'y avait pas encore une nation allemande unique, il n'y avait pas encore (le patrie allemande an sdns significatif du mot; il n'y avait pas de sentiment nal-ional commun à tons, l'eut cela n'existait pas eton disaitencore couramment, au XVIlle siècle, non pas l'Allemagne mais les Aliemagnes; Et même, la France du temps de Louis XIV, après la conquête (le l'Alsace, était, A bien des égards, ni) tout moins compact, moins serré, moins uni que l'empit'e fédératif allemand, à la fin du XIX' siècle. II n'y avait alors, remarquons-le, ni service universel obligatoire, mii douane uniqné. lI n'y avait pas, (l'un bout /i l'autre du territoire et dans toutes les classes de la population, ce sentiment national si vif, si puissant qni anime aujourd'hui les grandes et les petites nations et qui - 12 - n'a pu se développer, prendre conscience de lui-même qu'après la formation des grands 1tats modernes, qui ont amené la formation des grandes nations homogènes. Dans les temps passés, que les Allemands invoquaient si souvent, tout cela n'existait pas. C'est (lu reste avec la complicité des princes allemands eux-mêmes que les Français avaient occupé l'Alsace et une partie (le la Lorraine. Les ancêtres des rois de Pnisse, petits princes perdus à la lisière orientate de l'Allemagne, avaient fait plus d'une fois cause commune avec la France et personne, à cette époque, n'a yait songé à voir en eux des traîtres. Ils se vantaient du ieste de défendre, avec le concours de la Fronce, ce qu'ils appelaient lés libertés germaniques. Les Alsaciens du XVH° siècle, qui avaient été ainsi réunis à la monarchie française, redoutaient surtout qu'on touchât à leurs coutumes jwi'ticulières, à leurs moeurs, pour les assimiler aux autre provinces françaises. Mais cela était beaucoup plus difficile qu'aujourd'hui et l'administration française, tout en respectant la langue des habitants, chercha surtout à favoriser le relèvement du pays qui était dèpeuplé, appauvri par (les années (le guerre ininterrompue. Bien tôt, les Alsaciens s'aperçurent qu'ils avaient cii tout avantage à entrer dans un Etat comme la Fiance, dans un État alors mieux armé, mieux organisé, mieux administré que beaucoup d'autres. Dès le début du XVJfl° siècle, ils étaient devenus, au dire d'un ambassadeur prussien, plus Français que bien des Parisiens. La fusion se continua ensuite à travers le XVllI e siècle et fut achevée par la Révolution française. C'est la Révolution qui fit disparaître en Alsace les dernières traces (le possession, de propriété des princes allemands ; c'est elle qui fit disparaître tes dernières barrières de douanes, Elle fut accueillie avec enthousiasme par les Alsaciens. C'est dais. les salons du maire de Strasbourg que Rouget. dc l'lsle composa etchanta pour la première fois la Marseillaise. L'Alsace et la Lorraine rivalisèrent de zèle patriotique avec les plus vieilles provinces françaises. A la tête des armées républicaines, on voyait un Kléber et beaucoup d'autres qui montraient les qualités militaires du peuple alsacien. Les Alsaciens, sans doute, gardaient, an village, le vieiL idiome germanique et leurs coutumes particulières qui se rapprochaient à bien des égards de celles des Allemands du Sud, mais beaucoup d'entre eux commençaient à parler les deux laugnes. En tout cas, leur patriotisme fiançais avait un je ne sais quoi (le plus chaud et de plus ardent que celui de bien des réions françaises et je citerai denouveau à ce sujet - un mot célèbre. On se plaignait à Napoléon 1r que les Alsaciens continuassent. û parler 1111 patois allemand. « Que m'importe qu'ils parlent allemand, répondit-il, s'ils sabrent enfrançais Peu importait aux Alsaciens, nés après la Révoliilion, que leur pays, deux siècles auparavant, eût fait partie dii Saint-Empire 1.±u reste, Metz, la capitale (le la Lorraine, n'était-elle pas française clés la fin clii xv i e siècle, dans Lin temps où ni la Flandre, ni la Franche-Comté n'étaient encore réunies à la monarchie française? Inversement, la ville de i\lulhouse, d;ins la Haute-Alsace, qui ne fut réunie àlaFrance qu'en 1790, n'est-elle pas restée aujourd'hui la ilus ardemment française de toutes les villes alsaciennes? En réalité, tons, du Nord au Midi, du Bas-Rhin au i-Iaut-Rhin, se sentaient! unis h la Fiance par des liens profonds, invisibles, infiniment plus foris que toutes les attaches de langue et de coutumes. C'est la puissance (le ces liens que l'administration altemande méconnaissait. Elle s'obstinait à chorcher.la trace (l'intrigues françaises, les signes d'une intervention extérieure là où elle se heurtait tout simplement ii un sentiment profond, soi't.i des entrailles même du peuple alsacien. t ** Telles étaient les causes profondes du malentendu. Et! aujourd'hui oû en sont les choses!? l]ère de la protestation intransigeante a cessé peu à perm, fatalement.. Il nd pouvait pas en être autrement. Sen], l'espoir (l'une revanche prochaine et immédiate avait soutenu, dans les premi&es années cpi suivirent la guerre, l'admirable ténacité des Alsaciens et! des Lorrains, mais à mesure que les perspectives d'un retour àla Fiance s'éloignaient! dans un avenir de plus en plus vague, il n'dtait pins possible aux Alsaciens-Lorrains, restés en Alsace, de persévérer dans une attitude qui les exposait à toutes les vexations, à toutes les violences et à toutes les représailles de l'administration allemande. il s'agissait irnur eux devivre, de se développer, de conquérir peu à peu plus de bien-être, (le conquérir surtout les ]ibertés qui leur étaient refusées. La protestation sous sa forme première serait restée un constant empêchement à l'amélioration de leur sort. Faut-il en conclure que le changement! a été très profond dm5 toute l'Alsace, que les sentiments des Alsaciens-Lorrains sont modifiés, qu'ils sont pleindment résignés à leuç sort? Nous allons voir par plusieur's - u exemples qu'on en est encore bien loin. Depuis l'abolition (les passeports jusque vers 1911, il y aeu évidemment une ère de détente. Mais on ne change pas du jour au lendemain les habitudes tr'acassièresde la police allemande. Entre la population indigène, surtout dans les villes, et Fadministration allemande subsiste toujours une incroyable méfiance. Les Alsaciens d'origine et les immigrés,malgré des rapports inévitables, sont loin de se fondre. Entre les uns et les autres, il existe toujours (le profondes différences de caractère, de tendances, de goûts et d'idées. Les Allemands sont accoutumés à une discipline toute mécanique. « le Prussien, a-t-on dit, exige (les faibles les agenouillements auxquels il est lui-même habitué ». Or, i'ien ne répugne davankige ait caractère alsacien. L'Alsacien semble, au premier abord, très patient et docile; mais il est, au fond, extrêmement fier; il est reslé frondeur, volontiers goiniilleur. S'il est amené, par les circonstances, à le cacher peut-être béauconp plus qu'autrefois, s'il est obligé de faire quelques courbettes devant l'administration ailemande,ce n'est h qu'une soumission superUieielle, derrière laquelle se devine souvent un profond mépris. 1.1 se montrera très empressé à saluer le kreisdirector ou tel antre fonctionnaire: du reste, tous les hommes ne sont pas braves; beaucoup tremblent devant tel 011 tel grand personnage dont le mécontentement peut provoquer de fôchenses conséquences - mais par derrière, il ne leur ménage' pas ses plaisanteries. - Dans les rues (le Strasbonrg et des autres villes d'Alsace, il n'esl, pas rare (le voir rIes gamins de 10 à i2Li lis, nés longtemps après la guerre et ne sachan t pas un mot de français, poursuivre de leurs quolibets en patois a]sacien les Allemands immigrés, qui sont extrêmement humiliés de ne pas les comprendre. Beaucoup de Français s'y tiompent, précisément à cause de cette ressemblance dntre ]'alsacien, qui est un idiome germanique, et l 'aileand. Gomme l'Alsacien mie se livre pas facilement, le Français qui passe se figure volontiers que l'Alsace est beaucoup plus germanisée qu'elle ne l'est réellement. Je ne parle lias (le COS Français assez ignorants (lui s'imaginent encore que les Alsaciens ne parlaiqnt lias allemand avant 1870, mais ceimx4à même qui saveut que la langue naturelle de l'Alsace est un idiome germanique sont exposés i se tromper. Une autre cause d'erreur est que certaines villes ont subi une ;iauisfoï'mi Lion considéia ble pa rtieuilièrement. Sl'asboiirg et. MeLz Golmnar, au contraire, • a mieiïx gardé sa physionomie de jadis. Nais à - 15 -. Metz, par exemple, qui était autrefois une ville si française, on comptait ces dernières années, plus de 31.000 habitants de langue allemande contre '13.000 de langue française, Or, ces 31.000 habitants de langue allemande sont tous venus après la guerre; ce sont tous (les immigrés ou des enfants d'immigrés. - Il est très difficile de connaître à fond et surtout sur un premier examen les. des Alsaciens-Lorrains. Ils sont très peu expansifs ave3 les gens qu'ils ne connaissent pas ; ils sont méfiants; ils ne se livrent pas volontiers. li faut pénérer davantage dans le pays pour s'apercevoir' combien sont restées profondes et vivaces les sympathies françaises. Ici, on n gardé un drapeau au fond d'une vieille armoire, et quelqu'un inc disait encore, il y a un mois, dans la Hante,Alsace, que si l'on voyait toutù coup apparaître les Français, il y aurait peut-être 7 A 8.000 drapeaux français autour de Colmar qui sortiraient on ne sait d'où. Discrètement, on affiche les trois couleurs françaises par toutes. sortes de procédés ingénieux pour déroùter la police. On cherche, par tous les moyens possibles A rendre hommage A la France. Les musiques locales jouent la marche de Sambre-el-Mcuse, à défaut de la MarseWlaïse. J'ai entendu un jour', dans tin village, jouer l'hymne russe A la fin' d'un banquet, ne pouvant crier Vive la France! on se mettait à crier Vive la Russie! Il suffit d'habiter nos départements frontières pour' savoir que, dans la journée du 14juillet, les trains viennent déverser â i3elfor't, à Nancy, â Lunéville des centaines 'et peut-être des milliers d'Alsaciens qui viennent applaudi' nos troupes et saluer notre drapeau. Il en débarqie de tous les points de la frontière, surtout des petites vil]es de la FlauteAlsace où, plus que partout ailleurs, on lutte encore avec succès pour défendre non seulement le sentiment français, mais la langue française elle-même. On constate, dans cette région, un grand nombre de réfr'actaii:es au service militaire. Il y a quelques années A peine, je rencontrai sur la terrasse de Sainte-Odile un industriel alsacien de la petiteville deThann, dans la Haute-Alsace. Il me dis, ,i1, avec une émotion (lue je n'oublierai jamais « Notre petite ville compte 8000 habitants. Eh bien, nous avons 63 eufantsde i'hann qui sont morts ait Tonkin, IoILr.la France ». Evidemment, la germanisation continue à se poursuivre lentement, - 16 p ' 1'Ecole, par l'Université, parle régiment, parle prestige (le la force allemande, par les idées fausses et injustes que l'on fait circule' bien souvent sur le compte de la France, mais il est prodigieux - et c'est b surtout qu'il faut insistar - que ce travail de germanisation se poursuive avec une telle leirteur, qu'après 43 ans il ait, encore donné si peu de résultats et qu'il y ait encore au fond du coeur' des Alsaciens tant de forces (le résistance. Au régiment même, loin etc leu r pays nalal, les conscrits alsaciens gardent jalousement leur individualité particuliene ils ne veulent pas se mêler aux autres. Témoin cette petite auecdolc qui me fut contée en Alsace, ces dernières années. Un brave paysan alsacien, qui ne savait pas lire, causait un jour avec u n fonctionnai e allemand : celirici lui demande des nouvelles de son fils qui fait son service militaire à Berlin. Le brave paysan tire alors de, sa poche une photographiesur laquelle les conscrits alsaciens s'étaient fait représenter en gronpeL lis étaient réunis aulotrr d'un tonneau de bière, mais au milieù du tonneau, une inscription rappelait quel a nniversaire les conscrits d'Alsace avaient choisi pour se réjouir ensemble. Le fonctionnaire allemand lut avec stupeur ces simples mots : 14 Juillet Il y a un mois à peine, je retournai en Alsace, mon pays natal, passer quelquesjorrrs .Yinterrogeai un certain nombre de gens du pays et, en particulier, j'eus le plaisir (le causer pendant près d'i:rne lieu rcav cc le vaillant (Itrecteul dru Nouvelliste d'Aisacc-Lon'cdne. M. l'Abbé Wetterlé, député au Reichstag. li nie raconla les incideijts d'une élection récente : son ami, M. Pr'eiss, l'nn des chefs (lu nationalisme alsacien, avait été battu par un socialiste ; mais les ouvriers, qui avaient voté contre lui, étaient allés crier sous ses fenêtres: Vive la France I J'irul.errogeais M. Wette,lé sur les sentiments du clergé alsacien —je tourche ici un jioint extrêmement délicat. - Le clergé, enAlsaceLorraine, a joué un rôle admirable pendant les premières années qui suivirent la guerre. C'est lui qui, comme cri Polegne, en lr'lande et au Canada s'est montré le gardien le plus tenace et le plus ardent les traditions nationales. Mais on pouvait craindre, il y a quelques années, que, par suite de certains événémenis intérieurs sur lesquels ii vaut mieux ne pas insister, beaucoup ne lussent disposés C se détacher de la F'rance. Un certain nombre était tout disposé A marcher d'accord avec le centre allemand, avec ce grand parti qui réunit presque tous les catholiques - 17 - allemands et qui a une influence politique considérable. Mais aujourd'hui, ceux qui ont voulu marcher avec le centre en sont bien revenus. M. l'abbé Wetterlé rn'assul:a que la grande majorité du clergé d'Alsace-Lorraine restait encore aujourd'hui réfractaire à l'assimilation germanique. lime fitencore cette remarque: La courbe de l'opinion eu Alsace-Lorraine, il faut bien vous le dire en Franco, suit exactement ]a collrbe de l'opinion française. Les Alsaciens regardent bien plus vers la France que vers l'Allemagne; ils lisent videment les journaux français, attirent les conférenciers français. Tout ce qui tend à relever chez vous le sentiment national, à lui donner une intensité nouvelle, tout cc qui tend à donner à la nation française plus de confiance en elle-même, plus de confiance en l'avenir, tout cela se répercute immé(lia teinent en Alsa ce-Loi'.ra inc. Les nouvelles générations alsaciennes, nées après la guerre et qui no connaissent la Fiance que par ouï-dire, semblent plus résolues que jamais à ne pas se laisser assimiler; elles se montrent, ii bien des éga ds, plus audacieuses et plus fières, en face de l'administration allemande, que 'ne l'étaient leurs aînés. Cette influence en Alsace de la culture française, des idées françaises, est si forte qu'elle toucheles Alle,nanrls eux-mêmes, les fils des premiers immigrés établis en Alsaee. Les Allemands, qui arrivent dans le pays encore aujourd'hui, montrent généralement et sauf d'assez rares exceptions, une arrogance insupportable, niais ceux qui sont depuis plusieurs années en Alsace cherchent à se rapprocher davantage des Alsaciens ; leurs fils subissent l'influence (le la culture alsacienne et française beaucoup plus qu'ils ne réagissent à leur tour sur la population indigène Voilà comment -une bonne partie de la jeunesse alsacienne garde encore des sympathies françaises si vivaces. Les Alsaciens de nos jours et les Lorrains annexés ne peuvent pas être Français, mais ils veulent, avant tout, rester eux-mêmes ; ils entendent n'être pas confondus avec les Allemands ;. ils gardent avec un soin jaloux leur individualité, leur particularisme alsacien-lorrain, Ils travaillent à développer dans le 'pays une conscience - nationale, nouvelle ; eider peu à peu une nationalité nouvelle : celle d'Alsace-Lorraine. Depuis longtemps ils demandent que l'Alsace-Lorraine soit considérée comme un .Etat confédéré d l'Empire au lieu de rester une colonie commune à tous les LIais confédérés. II- sembla, un moment, que l'Allemagne fùt disposée A leur donner satisfaction, au moment où fut -18— accordée au mois de mai 1911, In nouvelle constitution d'AlsaceLorraine. Mais cette collstitlltion est très loin de satisfaire la population indigène. Pour vous donner une idée des sentiments qui animent la jeunesse lasacienne, il n'est pas mauvais de regarder ensemble quelques-unes de ces caricatures de Hansi qui deviennent aujourd'hui très populaires en France. Hansi appartient, justement, à cette génération postérieure à la guerre et représente assez fidèlement l'esprit et les tendances d'une grande partie de ses contemporains. Evidemment, certains esprits délicats pourront trouver que ces caricatures ne sont pas toutes de la dernière finesse. Mais tout est relatif, il faut bien se représenter en face de quel genre d'Allemands, de quelle sorte particulière d'Allemands se trouvent Hansi et tons les Alsaciens, qui combattent avec lui lu morgue pangermaniste. * ** Nous regrettons de ne pouvoir reproduire ici ces caricatures qui parlaient d'elles-mêmes, qui rendaient si bien l'impression qu'avaient jwoduite sur notre esprit les allusions du conférencier. Ceux qui liront le compte-rendu de cette conférence, û laquelle ils auront eu la bonne fortune d'assister, souriront encore au souvenirdes images si pleines d'esprit, qui représentent les touristes allemands dans les Vosges, ou le dialogue, sails paroles, du jeune pangermaniste et du coq gaulois, au lendemain du coup d'Agadir. Ce fut la partie gaie de ce sujet, d'une mélancolie si poignante dans ses autres parties. t ** Voulons-nous, maintement, savoir exactement ce que réclament aujourd'hui les Alsaciens ? II suffit, pour cela, dc lire le manifeste •de l'Union Nationale d'Alsace-Lorraine qui s'est constituée, précisément le 29 juin 1911, au lendemain du vote de la constitution imposée à l'Alsace-Lorraine par le gouvernement Allemand. En voici les principaux passages, extraits d'une brochure, éditée û Colmar, en allemand et en français. e L'Union Nationale d'Alsace-Lorraine, créée pour la conquête de » l'autonomie et la défense des intérêts de l'Alsace-Lorraine dans » l'empire d'Allemagne, a défini de la façan suivante les revendications » nationales sut' lesquelles ses membres se sont suis unanimement » d'accord. - CoNsTITUTIoN. Nous voulons comme condition essentielle (lu bien-être matériel » et moral de notre peuple, une constitution garantissant à l'Alsace » Lorraine l'autonomie complète dans l'Empire d'Allemagne. » Nous revendiquons pour notre pays tous les droits dont jouissent les Etats confédérés allemands. » Nous protestons contre toute situation d'exception, contre toute » tutelle d'un autre Etat confédéré ou de l'Empire. Nous remplissons » les mêmes devoirs; nous devons avoir les mêmes droits. Notre devise » reste l'Alsace-Lorraine aux Alsaciens-Lorrains ». ADMINISTRATION. Nous voulons que l'administration du pays soit confiée à des » fonctionnaires qui possèdent les langues qui se parlent chez nous, qui soient au courant des habitudes de notre peuple, de sa viè » intellectuelle et de sa manière démocratique de considérer la chose » publique. » Nous exigeons qu'ils respectent notre mentalité et les traditions » que l'histoire n léguées à l'Alsace-Lorraine. » Nous respectons les droits acquis, niais nons considérons comme » indispensable de réserver à l'élément indigène dans la mesure la » plus large l'accès aux charges publiques dans toutes les branches de » l'administration. ENsEIGNEMENT PuBLIc. » Nous exigeons que, dans tontes les écoles, le Corps enseignant » respecte dans 1&me des enfants les traditions de la famille et du " pays et que, par conséquent, il omette dans l'enseignement oral et » qu'il élimine des livres de classe, tout ternie injurieux et toute » appréciation déplaisante air sujet d'événements historiques auxquels » nos pères ont pris part. » Nous demandons enfin que la jéunesse Alsacienne-Lorraine soit » instruite d'une manière impartiale dans l'histoire du pays et, » notamment, que l'université de Strasbourg remplisse, sui'.ce point, » le devoir qui lui incombe pour l'enseignement supérieur. QUEsTIoNs MILITAIRES. » Nous réclamons comme une mesure de justice élémentaire et r. comme un hommage dû à un. acte honorable. de fidélité, l'amnistie -20-- 1 de tous les Alsaciens-Lorrains condamnés pour s'être Èoustraits flu » servièe niilitaire allemand avant l'ànnée 1890. » En levant ces condamnations, l'Allemagne réparerait daus la » mesure du possible un manque de générosité qu'en 1890 elle a blâmé » implicitement elle-même en l'évitant lors de la réunion d'lléligoland. » Nous demandons que nos compatriotes puissent faire leur service » militaire dans le pays même. » Nous protestons contre lés tentatives de certains chefs militaires » de vouloir imposer aux soldats Alsaciens-Lorrains l'emploi, dans » leurs rapports privés, d'une autre langue que la langue maternelle. » Aux allures autoritaires de certains officiers des garnisons » d'Alsace-Lorraine nous voulons que le pays et les autorités civiles » répondent par des mesures énergiques. » La nouvelle constitution rend plus dangereuses que jamais les » influences militaires qui peuvent se faire valoir dans l'entourage » immédiat de l'Empereur d'Allemagne. » Nous demandons que le gouvernement d'Alsace-Lorraine s'oppose » par tous les moyens à l'action de ceux qui chercheraient à influencer » contre nous les cercles dirigeants de Berlin par des rapports secrets et incontrôlables contre lesquels toute défense et impossible aux t intéressés. INDIVIDUALITE NATIONALE. » Nous exigens le respect absolu de l'individualité du peuple » Alsacien-Lorrain, telle que l'ont formée l'usage de deux langues et lè » contact intime avec deux civilisations différentes. » Nous réclamon le droit de conserver cette individualité et de » Yafffrmer par tous les moyens. » Par conséquent, nous voulons pouvoir sans obstacle rester en t contact avec les lettres et les arts, avec la vie intellectuelle, sportive » t mondaine des deux nations. » Nous revendiquons la liberté de fréquenter sans aucune entrave » noscompatriotes, nos amis et nos parents qui ont émigré, quelle que » soit leur profession. t Nous ne cesserons pas de demander l'abolition des formalités et des » restrictions auxquelles leur séjour en Alsace-Lorraine reste soumis. » Pour les vivants comme pour les morts, nous réclamons le respect des drapeau.x qu'ils ont suivis. Nous nous refusons à renier aucun • des emblèmes qui ont excité l'enthousiasme et fait la gloire de nos - 21 -- »- ancêtres et noUs -tébiambns '-lè drdit de Mettre- sur leur 'tombe lés e insignesqu'ils ontqortéSs »--En-échange- dela .'IoyaIe-soumissioli- de--notre peuple' ii l'ordte » établi, nous revendiquons le--respect pour nos sôuvenirs jetnos traditions et lalihértépour:Ie culte de notre -l iassé. e -Dans le -présent des inflUences- étrangèrds et' néfastes entravent noire action. li faut- qué l'avenir nous' appartienne. Vive il'Alsaceh - e. lJji'raine »-.---u - *'I -- -T---,_-' -J.'I.--1 Cette Union rvitton rie d Alsace-Lorrarnl), avait gi oupé Gel t tinement, ll)T a deux ans, l'élite morale du -pays, mais- les élections qui ont eu lieu depuis n'ont pas été un succès pour. elle. L'union Nationale d Alsce-Loi r une se heun tait, il laul le dire, au p u lis organisés qui avaient déjâ leurs comités, et qui ne voulaient pas -disparaître euxmêmes pour faire place à une OrgaflisatiOn nouvelle.- Malgré lotit,, ses tondatours n'ont pas -perdu courage. M. Wett,erlé me disait qu'en somme, malgré son échec aux élections,- iôus les partis avaient adopté son programme. Aucun prti, en Alsaci-Lorraine, ne conteste la légitimité de ses revendications.-'---* -- - -- p--- Il- no-us est-facile ld conclure. -,-- --- -Anjourd'hui encore 3- on constate - 4uô l'Alsace-Lorraine lest restée le. théâtre d'une lutte acharnée entre- (le& cultures, deux civilisations,entn-ede traditions et-des mentalités'diainétralenient opposées, «-entre dux: coiceptions cônti-idictoirdsde-1'Etat de la famille, de l'éduc'ationr du devoir civique-». (M.-Wetlerlé).-- - ----Oui-, la questioi-,dAlsace_L»rraine--e.xisIc:loujouts-; elle- existe 1 pour: les-Alsaciens-Lorrain.eu-x,jnêmes. Poureux; elle ekt avant tout1un question d'ordre intérieur, une flesi-ion à débattre entre eux net le gouvérrement allemand. Mais :nous;- ii ousn'avdns pas Je -droit de-nèns désintéresser -de - leur sôrt, nons n'avons pas; le droit, quand -nons voyôns les -senthhents quils professent-r l'égard de la -France, de voit en eux dus Allemands comme les aùtresnt 'de-les traitercomme tels. IIi ne sagi(: pas, bien:.entenrlu, d'intervenir dans t leurs atiaires, au contràire; nous devoils, -sur cd ponit observer la -discrétion et' la dïgnité qui cônvieuueut-Ils'ait surtout et seulement de i-ester fidèles: ii-l'Alsace, dans-laimesu-re nième'-o l'Alsace- nous est .restée fidèle. -- -22— Entre elle et nous se sont établis des liens si résista ils que plusieurs générations ne suffiront pas à les briser. Songeons i tôutes les familles alsaciennes qui ont (les parents en FÇance et aux Alsacien.s devenue Français qui 'ont des pare]rts en Alsaee. Di' reste, être fidèles à l'Alsace c'est aussi être fidèles à nous-mêmes, mi génie français. Oublier le passé serait pour la Fiance min aveu (le l'aiblesse impardonnable, une véritable déchéance. Ce n'est pas seulement une question d'amour-propre national qui est ici en jeu. II s'agit de savoir si la France qui, au cours du XIX° siècle, n défendu les nationalités opprimées, si la Fiance qui a défendu tour à tour les Belges, les italiens, les Roumains, (pli n montré récemment lente sa syinpattue pour les Slaves des l3alkans, qui a salué avec joie la résurrection dii peuple Grec, si la France, qui a proclamé les droits de l'homme et du citoyen, qui a revendiqué si hautement pour tous les peuples le droit (le n'être pas traités en serfs tlachés à la glèbe, si la Framice doit se renier elle-même, se déelarer infidèle â son propre génie, à ses idées, à ses principes, en consacrant l'injustice (lont elle-même a été victime. La cause de la Fiance ne nous est pas particulière, elle est celle de toutes les nations qui o:nt eu à souffrir, dans le passé, de l'oppression étrangère et qui peuvent en souffrir encoie. Evidemment, l'espoir d'une revanche prochaine s'est affaibli avec les années, miis ce qui (toit subsiste,' toujours, c'est le sentiment, c'est le souvenir' et l'idée (l'une grande injustice fi répare". A quel moment se fera cette réparation ? nous n'en savons rien ; soirs quelle forme se fera-t-elle ? c'est le secret de l'avenir et personne ne peut prévoir l'avenir. Mais il dépend de nous d'empêcher la prescription (le s'établir et de t'aire mieux comprendre f, l'opinion universelle, à l'opinion européenne et méme, peu fi peu, aux représentants les pins éclairés et les plus raisonnables (le l'opinion allemande, les raisons profondes de nos griefs et (le notre réserve. Persdune ne peut plus nous accuser sérieusement le vouloir', à chaque instant, troubler le repos (le nos voisins : nous avons assez montré et montrons tons les jours nos dispositions pacifiques nous ne songeons unllement à entraver le légitime développement de l'Allemagne; nous ne demandons pas mieux que d'avoir avec l'Allemagne, avec le peuple allemand sur le terrain (le la science, sur le terrain de l'art, et même f' pn5pos de certaines questions politiques, économiques et coloniales, nettement circonscrites, les meilleures relations s possibles. Mais prétendre obtenir de nons l'adhésion tacite, l'adhésion morale et profonde un traité quo nons avons subi par la force et qui consacre non seulement la mutilation (le flotte territoire mais la défaite de l'idéal français, cela n'est pas possible. Personne ne peut nous empêcher de suivie avec attention, avec sympathie l'admirable effort de la nation d'Alsace-Lorraine dans sa lutte contre le pangermanisme. Faisons de notre mieux pour montrer aux Alsaciens-Lorrains que nous ne les oublions pas, pour maintenir toujours avec eux ces liens moraux qui survivent, h tous les traités. Faions de notro mieux, surtout, pour que les générations nouvelles n'oublient jamais par quelles qualités la vieille F'rance - et par ces mots « vieille France » j'entends expressément la France de Louis XIV et celle de la Révolution - avait su mériter de tous ses enfants une fidélité si tenace et si touchante, par quelles fautes aussi nous n'avons pas su prévenir ni empêcher le triomphe de la force brutale et la cruelle séparation dont nous souffrons encore. Lut impLUanti