N° 59 MAI 2009 Editorial LETTRE D’INFORMATION DE L’AGENCE RÉGIONALE DE L’ENVIRONNEMENT DE HAUTE-NORMANDIE On vient de découvrir que les risques d’impacts climatiques graves augmentent de façon drastique avec seulement de petites augmentations de la température mondiale moyenne. La température de demain étant liée à notre impact sur l’effet de serre, on est en droit d’être inquiet quand on voit que, loin de rentrer dans une tendance vertueuse, les émissions globales de GES* flirtaient en 2008 avec le haut de la fourchette des scénarios du Giec**. Et cela malgré la récession économique et la baisse des activités industrielles. Un signe encourageant, toutefois : les émissions 2008 en France et dans l’Union européenne dossier Réchauffement climatique : il est temps d’agir ! sont à la baisse. Il nous faut donc persévérer, et même accentuer les efforts entrepris pour la réduction de nos impacts. C’est le sens des initiatives présentées dans le dossier ci-contre, ainsi que du Plan Principaux impacts du changement climatique Climat Energie de la Région et Sur l’ensemble de la planète, y compris en Haute-Normandie(*) des deux Départements haut- n Sécheresse* et stress hydrique accrus* n Montée des eaux* normands n Extinction d’espèces* n Dégâts météorologiques* Michel Coletta Président de l’AREHN * Gaz à effet de serre. ** G roupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. n Mort du corail n Circulation thermohaline1 n Maladies infectieuses* n Dépenses de santé* n Production céréalière*2 1 Courants marins. 2 Affectée dans un sens ou dans l’autre suivant les zones et l’importance du réchauffement. AU SOMMAIRE DE CE NUMERO Dossier Actualité Agenda Vient de paraître - Acteur Brèves L’Agence 1 5 5 6 7 8 Avec le soutien de la Région d o ss i e r Case Le CO2 au quotidien : c’est de cela qu’il fut question lors de la 5e Journée des pratiques du développement durable en HauteNormandie. TransLa thermographie aérienne ports, déchets, bâti, est avant tout un outil de sensibilisation. achats divers…, dans tous les domaines des expériences ou de véritables actions ont été menées par des collectivités. Leur but : faire baisser nos émissions de gaz à effet de serre. + 2 °C en 2050 par rapport à 1900, en Haute-Normandie ! Voilà où nous mène le changement climatique en cours, qui concerne à des degrés divers l’ensemble de la planète. Un degré de plus – et c’est loin d’être impossible – placerait Rouen au niveau actuel de Calvi sur le plan des températures moyennes. Avec de nombreux impacts sur les ressources et milieux naturels et les activités humaines (cf. encadré p. 1). Tel est l’enjeu présenté par Jean-Marc Gohier, de l’Ademe, en ouverture des 5e Journées des pratiques du développement durable en HauteNormandie. « Changement climatique : il est temps d’agir ! » proclamait le programme du colloque organisé au Parc Expo de l’Agglomération de Rouen par de nombreux partenaires*. Il y a effectivement urgence, car l’excédent des émissions anthropiques de gaz à effet de serre, responsable du réchauffement du climat, augmente de 1 à 2 % par an. Pire, les nouvelles les plus récentes, postérieures au colloque, ne sont pas bonnes : « le pire des scénarios est en marche »**. Glossaire deme : Agence de l’environnement et de la A maîtrise de l’énergie. Anthropique : d’origine humaine. CO2 : dioxyde de carbone. Résulte de la combustion, son augmentation résulte de l’utilisation massive des combustibles fossiles. Gaz à effet de serre (GES) : dioxyde de carbone (CO2), méthane (CH4), ozone troposphérique (O3), protoxyde d’azote (N2O), gaz fluorés. Grandde : réseau normand du développement durable en entreprise. HQE : haute qualité environnementale, en parlant de bâtiments 2 Les signataires du protocole de Kyoto se sont engagés à diviser par deux, au niveau mondial, leurs émissions anthropiques de GES sur la base des chiffres de 1990. Pour l’Europe, la réduction devra être deux fois plus forte : c’est le fameux « Facteur 4 ». Il est plus que temps d’agir, car les systèmes climatiques ont une grande inertie et les GES agissent sur une longue durée. « Avec de la sobriété et de l’efficacité, nous pouvons faire les deux tiers du chemin, affirme J.-M. Gohier. Les actions sur le bâti sont généralisables dans le neuf. Dans le domaine des transports, on est davantage dans l’expérimentation. Quant aux biens et services, et à l’alimentation, beaucoup de solutions restent à trouver. Au-delà des inquiétudes, je prouve que la période est enthousiasmante. C’est une véritable renaissance, où il faudra réinventer… » Réinventer… Le colloque de l’automne dernier avait justement pour but de faire découvrir aux acteurs – citoyens et « décideurs » – des solutions déjà mises en œuvre dans la région ou ailleurs en France. Petit florilège. * Outre l’AREHN : Ademe, Agglo. de Rouen, CNFPT, Comet, Département de l’Eure, Département de SeineMaritime, Haute-Normandie Nature Environnement, Région Haute-Normandie. ** Le Monde, 14 mars 2009. 1 La thermographie aérienne n’est pas une fin en soi ! Votre maison est-elle bleue, verte, jaune, orange ou rouge ? Si cette question vous surprend, c’est que vous n’avez jamais vu une thermographie aérienne. Il s’agit d’une représentation du territoire où chaque bâtiment est un polygone de couleur. Et chaque couleur, comme sur une étiquette énergie, correspond à un niveau de déperdition d’énergie au niveau du toit : bleu, les déperditions sont nulles ou très faibles (ou le bâtiment n’est pas chauffé !), rouge, elles sont énormes, avec des degrés intermédiaires pour le vert, le jaune et l’orange. L’image thermographique permet de « voir l’invisible ». Elle est issue d’enregistrements faits d’hélicoptère à l’aide d’une caméra infrarouge sur l’ensemble du territoire. Ces enregistrements donnent les températures au niveau des toitures : plus le toit est chaud, plus les « tonnes équivalent pétrole » s’envolent vite dans l’atmosphère ! « La thermographie aérienne n’est pas une fin en soi, c’est un point de départ, affirme d’emblée Rebecca Armstrong, chef de projet Agenda 21 à la Communauté d’agglomération Seine-Eure. Loin d’être un véritable diagnostic thermique, c’est avant tout un outil de sensibilisa- tion » L’image thermique du bâtiment – consultable sur le site Internet de la collectivité – est le moyen d’inciter chaque habitant à prendre contact avec le conseiller de l’espace info énergie, qui saura poser les bonnes questions pour affiner le résultat. Cela se traduira, à terme, par une meilleure utilisation du chauffage, des travaux d’isolation… 2 Bâti ancien : moins de GES mais toujours autant de cachet ! Le sujet est important car le parc immobilier haut-normand comprend une forte proportion de maisons et immeubles construits avant la Seconde Guerre mondiale. S’il est urgent d’améliorer les performances thermiques – et donc les émissions de GES – de ces habitations, il ne faut pas pour autant mettre en péril le patrimoine. La fermette normande doit conserver tout son charme ! Si l’on en croit Valérie Lopes, architecte conseil au Conseil d’architecture, d’urbanisme et d’environnement, il y a un certain nombre d’erreurs à éviter : « La plus classique qui est faite dans les travaux de rénovation est de rendre les murs extérieurs étanches. Or, dans les maisons anciennes, les fondations laissent remonter l’eau par capillarité, les gouttes de pluie rejaillissent sur la base des murs, il y a parfois des accidents de toiture, la moindre ouverture dans le pare-vapeur laisse passer l’humidité… Bref, de l’eau se retrouve emprisonnée à l’intérieur du mur, notamment dans l’isolant, ce qui cause d’importants dégâts au patrimoine. Il vaut mieux ne pas trop contrarier le caractère poreux des matériaux anciens (joints, enduits…), mais plutôt ralentir les flux. Le principe à respecter est celui de la perspiration. On le met en œuvre, par exemple, à l’aide d’un bardage exté- Mieux vaut ne pas contrarier le caractère poreux des matériaux anciens. d o ss i e r Des stands pour sensibiliser les enfants. Sensibiliser le public : le Village du changement climatique téral : les foyers qui l’apposent sur leur boîte à lettres ne reçoivent plus les utiles documents institutionnels. Le compostage des déchets de cuisine retire 7 kilos mensuels de déchets, tandis que la conversion à l’usage de l’eau du robinet comme boisson efface du bilan les 500 g de plastique des bouteilles. Un constat négatif : il est difficile de trouver des produits sous écolabel dans les supermarchés, et ils sont plus chers que les autres. Il reste que l’opération a produit un résultat, et qu’elle a permis de constituer un réseau de relais, toujours utile à la collectivité quand il lui faut sensibiliser les citoyens. Quand il est question de prévention des déchets, le principe d’une taxation incitative au poids ou au volume est souvent évoqué. Ce fut le cas lors de cette 5e Journée, ce qui a permis à Gérard Pontini, responsable environnement à la Ville de Grand-Couronne, de rappeler que cette méthode n’est pas aussi simple qu’elle paraît, et qu’elle a des conséquences néfastes. Ainsi, la Ville de Zurich, en Suisse, l’a abandonnée. rieur, ou un enduit de terre, de chaux et de chanvre, une isolation à base de chanvre, laine, lin ou fibre de bois, avec un frein-vapeur en fibre tissée. » 3 Réduire les déchets à la source 4 Achat public : a-t-on le droit de choisir la durabilité ? Oui, c’est même une obligation que l’on retrouve dans les lois issues du Grenelle Environnement, si l’on en croit J.-M. Gohier, qui anime Rancoper, réseau normand d’acheteurs éco-responsables. « Mais il faut à chaque fois se poser la question de l’utilité des écoproduits proposés », ajoute-t-il. Sylvie Calentier fait partie de cette nouvelle corporation en tant que directrice de l’achat public à la Communauté de l’agglomération rouennaise : « Beaucoup de secteurs sont concernés par l’achat durable : travaux en HQE, restauration collective, bureautique, espaces verts, mobilier… L’exigence d’une dimension insertion s’applique plutôt facilement. En revanche, il reste quelques freins, comme le manque d’aliments biologiques, le manque d’information sur les Maison passive : étanchéité à l’air et optimisation des apports énergétiques du soleil. Les Airelles Déchets et climat, quel lien ? Réponse : la collecte de nos ordures en porte à porte (et l’apport en déchèterie). En effet, tout transport par camion ou voiture génère des émissions importantes de GES. Or, nous continuons à produire de plus en plus de déchets. Les bennes à ordures roulent donc de plus en plus. La réduction des déchets à la source est donc un enjeu important. De gros efforts ont été faits durant les dernières décennies pour la valorisation des déchets. D’autres restent à faire pour éviter qu’ils n’arrivent dans notre poubelle. C’est le sens de l’opération « Foyers témoins » qui a été menée entre mars et septembre 2008 par la Communauté d’agglomération rouennaise, dans le cadre de la campagne de l’Ademe « Réduisons vite nos déchets, ça déborde ! ». « Il s’agissait, raconte Gérard Sorel, directeur du Pôle Déchets, de transformer en chiffres les gestes quotidiens de 45 foyers volontaires, lors des achats et au domicile. Chacun devait choisir dix gestes à faire systématiquement – préférer les sacs réutilisables, économiser les piles… , et peser ses déchets. » Quelques semaines après la fin de l’opération, mais avant que les chiffres aient été analysés par l’Ademe, on pouvait déjà faire certaines constatations. Tout d’abord – et c’était là le but recherché –, les « gestes » entraînent une nette baisse de la quantité de déchets produite, qu’ils soient résiduels ou recyclés. Ainsi, le fameux « Stop pub », s’il n’est pas toujours respecté par les distributeurs, fait baisser le poids de la poubelle de 3 kg par mois. Mais il a un fâcheux effet colla- L. Gélard / AREHN En parallèle du colloque « Changement climatique : il est temps d’agir ! », les visiteurs du salon Nature & Jardin – et notamment les enfants – ont pu faire le plein d’informations sur les stands du Village du changement climatique. Tous – ou presque – les acteurs de l’habitat, de l’énergie, de l’éducation à l’environnement étaient là : Ademe, CAUE, Capeb, Cardere, communautés d’agglomération, associations… Habitat bioclimatique en Haute-Normandie La maison passive est une habitation qui optimise les apports énergétiques naturels du soleil seulement par le biais de ses composants (fenêtres, murs…) et d’une ventilation régulée pour tempérer les espaces intérieurs. Les Airelles est la première entreprise du pays de Bray à promouvoir ce modèle d’habitat. Avec moins de 15 kWh/m2/an pour chauf- fer une maison – l’équivalent de 1,5 litre de fioul –, elle va bien au-delà de la réglementation thermique RT 2005, qui a pour objectif un maximum de 85 kWh/m2/an. 3 d o ss i e r DR Pédibus mode d’emploi Robert Bouteloup, maire de La Bonneville-sur-Iton, dans l’Eure, a été le premier élu de son département à créer un « pédibus ». Ce système de transport en commun consiste à accompagner les enfants à pied entre le domicile et l’école. « Il s’agit d’un vrai bus, même si on se déplace à pied, affirme-t-il. Il y a des horaires, déterminés par les parents, et un circuit négocié au début de chaque année scolaire. Les conducteurs sont des parents bénévoles ou des animateurs, les passagers des enfants préalablement inscrits et équipés. Nous transportons ainsi des petits de quatre ou cinq ans sur 1 km 300 ! Une charte a été rédigée avec l’aide de la coordinatrice Enfance et jeunesse de la Caisse d’allocations familiales. « Les avantages du pédibus sont nombreux, poursuit le maire : sécurité, solidarité, liens, santé – on arrive en forme ! –, bruit réduit, découverte de la nature… Et les enfants arrivent à l’heure ! » Le pédibus de La Bonneville-sur-Iton est emprunté par 20 % de la population scolaire et 45 % des usagers en situation de le prendre. Il souffre juste d’un manque de parents bénévoles pour l’accompagner. Le pédibus : un vrai système de transport en commun. 5 Transports en commun + voiture à la campagne Intermodalité… Encore un mot magique du développement durable ! Il s’agit du changement de mode de transport en cours de voyage. Par exemple, vous commencez en voiture, continuez en bus et terminez à pied. Les transports en commun sont assurément des plus vertueux, du point de vue du changement climatique, comparés à la voiture individuelle. Mais il n’est pas si facile de passer à la 4 pratique ! Cas d’un jeune de Sotteville, près de Rouen, qui se rend à son centre de formation de Louviers, dans l’Eure, à 30 km de là. Il emprunte trois réseaux différents placés sous des autorités différentes : le Métrobus de l’Agglo. de Rouen, le train de la Région et le bus de la Communauté d’agglomération Seine-Eure. François-Marie Michaux, chef de projet Agenda 21 à la Région Haute-Normandie, souligne que « cette complexité est à la charge de l’usager ». « Mais, ajoute-t-il, en 2006, “les autorités organisatrices des transports” de la région ont décidé de lancer une politique d’intermodalité. Début 2007, le plan de déplacements régional du “276”** est entré en application. Il s’agit là d’une offre alternative au “tout voiture”. Une charte de l’intermodalité prévoit la coordination des horaires et introduit les notions nouvelles de pôles d’échanges, de nœuds intermodaux. La Haute-Normandie est la troisième région de France à organiser un cadencement horaire des TER, facile à mémoriser pour l’usager. Dès 2010, il y aura une billetterie régionale unique. » Les habitants des zones périurbaines qui voudraient se passer de la voiture sont face à un problème particulier. Bien sûr, le fond dela question est du ressort de l’aménagement du territoire, mais en attendant quelle est la meilleure solution ? Selon F.-M. Michaux, elle se situe dans le transport à la demande (NDLR : sortes de taxis au tarif du réseau) et sur le rabattement des automobilistes « L’amenuisement de la ressource conduira à privilégier certains emplois [des vers des parkings énergies fossiles]. » desservant des lignes de transports Ce virage est passionnant… en commun. « Nous n’avons plus le choix. Il est urgent de tout mettre en œuvre pour J.-P. Thorez / AREHN produits, leur efficacité ou leur éventuel surcoût. Nous constatons malheureusement un décalage entre nos attentes et l’offre des entreprises. Celle-ci devrait, à mon avis, porter davantage sur les produits et services que sur l’entreprise ellemême. » De l’avis des praticiens, l’achat éco-responsable devrait faire rapidement des progrès grâce aux démarches partenariales type Grandde, l’intervention de centrales d’achat et la diffusion de fiches techniques… « Ne pourrait-on aller plus loin, questionne Michel Lerond, consultant en environnement, et imposer par exemple une distance maximale pour l’approvisionnement en aliments ? » Pas aussi simple ! Le transport des marchandises n’est pas qu’une question de kilomètres. Interviennent également dans l’écobilan le mode de transport et la logistique : par exemple, transporter quelques fromages sur une petite distance peut émettre plus de GES que de le faire sur de longues distances pour des tonnages importants. De plus, une telle exigence pourrait être considérée comme une discrimination et donc représenter un risque juridique. En fait, le transport fait partie des critères environnementaux pris en compte dans les cahiers des charges, et il n’y a pas lieu de lui réserver un traitement à part. économiser les énergies fossiles. Les nouveaux gisements de gaz au nord de la Norvège ou de la Russie ne dureront que quelques décennies et représentent une part infime de l’irrigation du monde en énergie, qui repose à 80 % sur l’approvisionnement en pétrole, gaz et charbon. L’amenuisement de la ressource conduira à privilégier certains emplois, par exemple dans l’industrie chimique ou pour d’autres applications où les énergies fossiles sont indispensables. « Nous avons donc quelques décennies pour réinventer nos ressources énergétiques. Ce virage est passionnant, car ce sont notre intelligence et notre faculté d’adaptation qui sont sollicitées. Dans dix ans, on trouvera totalement absurde d’avoir continué de rouler avec des voitures à essence en 2005. » Jean-Louis Etienne, Assemblée nationale, Groupe de suivi du Grenelle Environnement, 10 octobre 2007, cité par Jean-Marc Gohier, Ademe, lors de la 5e Journée des pratiques du développement durable en Haute-Normandie. ** Région et départements hautnormands. Plus d’informations Publications récentes de l’AREHN : l Habitat ancien et efficacité énergétique l Le plan de déplacements l Effet de serre : ce que peuvent faire les collectivités Téléchargeables sur www.arehn.asso.fr