Un noyau de soleil sur Terre

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18 Enquête
Un noyau de soleil sur Terre
Les défis d’Iter
Jean-Claude Escaffit
Au carrefour de quatre départements provençaux,
le site de Cadarache va accueillir le plus grand complexe
expérimental du monde : Iter. Les évêques de notre province
ecclésiastique devaient, le 31 mai dernier, visiter le projet.
Pari scientifique audacieux et chance pour l’économie
de la région, la mise en place de ce réacteur révolutionnaire
génère aussi de nombreux défis, y compris pour l’Église.
C’est une plate forme nue de 40 hectares (sur les
180 ha du projet) que les évêques de la région ont
aperçu ce 31 mai. Pour l’heure, 2 millions de m3 de
terre ont été déblayés ; une énorme route, où passeront 300 convois exceptionnels depuis Fos-surMer, a été aménagée et un colosse de 60 m de haut
– le cœur du réacteur - est en passe d’être dressé.
Ce chantier pharaonique qui devrait durer encore
près d’une dizaine d’années est à la mesure des attentes suscitées, comme des défis à relever.
Eglise d’Aix et d’Arles
juin 2010
Revue n°33
Le défi foncier
« Vive la fusion au pays du soleil !», « Iter, l’énergie du futur au cœur de la Provence » : dans la
mairie de Saint-Paul-lès-Durance, village de 1000
habitants qui abrite le centre de Cadarache et le site
d’Iter, les affiches exhibent des slogans lyriques.
Comme les commentaires du maire socialiste :
« Cadarache, c’était déjà un gâteau extraordinaire,
Iter, c’est la cerise. Notre renommée ne sera plus
européenne mais mondiale ! », lance Roger Pizot.
Les deux sites occupent 40 % des 4500 hectares de
cette petite commune des Bouches-du-Rhône.
« C’est vrai qu’il y a d’importantes retombées éco-
nomiques, mais nos communes rurales ne devraient
être que très peu concernées par l’accueil du millier de chercheurs et techniciens. Ils préfèreront se
tourner vers des villes comme Aix ou Manosque.
En revanche, loger les ouvriers du chantier est un
casse-tête. » Propos corroboré par Bruno Vidal, le
curé de Peyrolles (Aix-Val de Durance) qui dessert
la paroisse de Saint-Paul. Ils sont environ 4000 lors
du pic de construction. Et plusieurs entreprises de
BTP auraient renoncé, faute de logements adaptés à leur personnel. Il faut dire que l’on ne trouve
plus de terrains disponibles à proximité. Et dans
un périmètre important, les prix des mètres carrés ont explosé. À l’évidence, le défi foncier n’est
pas le moindre à relever. Même pour les familles
des scientifiques de 30 nationalités différentes qui
s’établissent peu à peu dans la région, en plus des
entreprises sous traitantes et des 6000 salariés de
Cadarache déjà installés.
Un défi culturel pour l’Église
A 20 km d’Iter, Manosque a anticipé cette arrivée inédite. En 2001, le maire a lancé un plan sur
20 ans, qui s’est accéléré dès le choix officiel, en
2005, du site. 1600 logements ont été programmés
en deux ans. Un hôpital et un lycée international
sont sortis de terre. « C’est que le défi du vivre ensemble est grand, commente Gilbert Marijsse, curé
de Manosque, commune de 20 000 habitants qui
n’en comptait que 8000 en 1960. En trois ans, cette
agglomération des Alpes-de Haute-Provence a absorbé 38% des nouveaux arrivants (contre 43 %
dans l’ensemble des Bouches-du-Rhône, 9% pour
le Vaucluse et 8% pour le Var). Au Conseil pasto-
Le chantier Iter : une plateforme de 40 ha encore nue - Photo France©Altivue
Enquête 19
ral, nous nous sommes dit qu’il ne fallait pas rater
le train de l’interculturalité. Nous avons participé à
la réflexion des pouvoirs publics sur la transformation de la ville et mis sur pied « Manosque Fraternité », sur le modèle de concertation interreligieuse
de « Marseille Espérance ». Tous les dimanches,
nous avons à l’église une quinzaine de nationali-
-tés de tous les continents. Nous organisons des
célébrations d’accueil des nouveaux venus et tra
duisons les homélies en quatre ou cinq langues »,
poursuit ce prêtre polyglotte d’origine flamande.
« Tous ces projets dans la ville créent une effervescence où craintes et enthousiasmes se côtoient. »
Les défis scientifique et économique
Le projet (présidé par un Japonais) consiste à tenter de reproduire sur Terre l’énergie solaire, en faisant fusionner des atomes (au lieu de les briser par
fission), qui produiront du plasma. Le défi est de
pouvoir contrôler durablement ce gaz chauffé à
très hautes températures (100 millions de degrés)
dans un anneau électromagnétique poussé à des
conditions extrêmes. Objectif : produire une source
d’énergie analogue à celle du Soleil et... transformable en électricité !
L’avantage : des déchets nucléaires à faible durée de vie (une génération contre plusieurs millénaires).
Les inconvénients : l’incertitude sur sa réussite
à un horizon lointain. Et ses coûts, au détriment
d’autres projets, notamment environnementaux :
l’objet des critiques des écologistes, lors des élections régionales.
Des coûts qui explosent
Initialement estimé à 10 milliards d’euros sur 30
ans, le budget explose. Le coût de construction
pour l’Europe par exemple est passé de 2,7 milliards
à 6 milliards d’euros. 45 % du budget sont financés
par l’Union européenne (dont 10 % par la France,
incluant une subvention des collectivités locales de
467 millions d’euros), le reste, pris en charge par les
autres partenaires : États-Unis, Chine, Russie, Corée
du Sud, Japon.
Assurément, le projet ne laisse pas indifférent.
Entre enthousiasme aveugle et hostilité irraisonnée, il suscite des réactions contrastées, des deux
côtés. La réalité est moins tranchée. « C’est vrai
que le projet reste une aventure, car une grande
incertitude demeure sur sa réussite, confie Didier
Paul, ingénieur au CEA et enseignant-chercheur.
C’est un pari sur l’avenir, dont notre génération ne
verra pas les fruits, tout comme une expérimentation qui n’est pas du tout anodine (voir encadrés).
C’est pourquoi des précautions infinies sont prises
pour éviter tout risque, au détriment du calendrier
de la construction. Mais, conclut ce scientifique
par ailleurs membre du Conseil pastoral du diocèse
d’Aix et Arles, pour nous chercheurs, cela va être
une bouffée d’oxygène. C’est à la fois un brassage
de cultures stimulant pour la recherche et une dynamique de formation pour les universités de la
région. Et Iter ouvre de formidables perspectives
environnementales pour les générations futures.
Ne pas tenter un tel projet serait une grave erreur. »
Les dates
Les premiers coups de pioche ont eu lieu
en 2007. Le montage de l’installation de
recherche commence fin 2010 pour un
début d’expérimentation en 2019 et une
éventuelle exploitation après 2050 !
Revue n°33
juin 2010
Eglise d’Aix et d’Arles
Reproduire l’énergie solaire sur Terre
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