Brève Vigie, 24 novembre 2009 La dégradation de la situation de l’emploi aux États-Unis Le taux de chômage n’a jamais été aussi élevé aux États-Unis depuis un quart de siècle. Les niveaux du chômage de longue durée et celui des jeunes sont particulièrement préoccupants. Malgré le plan de relance très consistant, en dollars et en soutien aux actifs, de février 2009, c’est une reprise économique sans emploi qui se profile. Le chômage continue d’augmenter aux États-Unis, à un rythme toutefois nettement moindre qu’au plus fort de la récession. La perspective de voir le chômage dépasser le seuil de 10 % alimente les débats sur l’opportunité de reconduire en 2010 les mesures sociales du plan de relance adopté en février 2009 (aides aux chômeurs notamment) et d’introduire de nouvelles aides à l’emploi. Le Congrès devra concilier les préoccupations relatives à la forte progression de l’endettement public avec celles du maintien de filets de sécurité suffisants pour lutter contre les effets de la crise et ne pas compromettre la reprise économique. Les chiffres du chômage nourrissent les craintes d’une reprise économique trop pauvre en emplois pour inverser rapidement la tendance à la hausse. Avec un taux de 10 % et près de 15 millions de personnes touchées, le niveau du chômage est le plus élevé que l’économie américaine ait connu depuis 1983. L’économie américaine continue de détruire des emplois, sur un rythme certes décroissant (190 000 en octobre, 260 000 en septembre, contre 720 000 en janvier 2009 ; soit tout de même 7,4 millions d’emplois détruits depuis décembre 2007). Le nombre de demandes nouvelles d’indemnisation recensées semaine après semaine diminue (520 000 en moyenne sur la première quinzaine d’octobre 2009, contre 554 000 en septembre sur la même période) mais la proportion de chômeurs ayant épuisé leurs droits au régime « normal » et sollicitant les allocations complémentaires mises en place pour faire face à la crise reste plus élevé que lors de précédentes phases de sortie de récession (près de 51 %, contre 40 % en 1982, par exemple), signe d’une progression du chômage de longue durée. Les différentes prévisions laissent peu d’espoir concernant une baisse du chômage avant le printemps 2010, et envisagent plutôt une décrue progressive par la suite. La démographie américaine restera dynamique sur le marché du travail dans les années à venir (avec un million de travailleurs en plus chaque année), concourant à maintenir le chômage à un niveau élevé à court terme. C’est aujourd’hui le nombre de chômeurs de longue durée (depuis plus de six mois : 5,4 millions de personnes, soit plus d’un tiers de l’ensemble) et le chômage des jeunes (25,9 % chez les 18-24 ans) qui préoccupent le plus les autorités américaines. Le premier est le plus élevé depuis 1945. Le second a connu la plus forte progression sur les 12 derniers mois, les jeunes étant les premiers touchés par le tarissement des flux d’embauche. Le contraste entre les chiffres du chômage et les signes de reprise économique retient l’attention : retour de la croissance au troisième trimestre 2009 (+ 3 % en rythme annuel) ; recul des stocks, dans l’industrie comme dans le commerce ; reprise des marchés financiers (le cours des actions a progressé de 50 % par rapport au plancher atteint en mars 2009). Le sentiment d’une reprise sans emploi semble se répandre parmi les autorités, les médias et les think tanks. La presse s’en fait l’écho, soit au travers d’éditoriaux généraux soulignant les limites du plan de relance, ou appelant au contraire à une extension des mesures prévues pour l’emploi et l’aide aux chômeurs. La Maison Blanche multiplie les consultations, le Congrès les auditions, notamment à l’initiative du speaker de la Chambre, Nancy Pelosi, et du leader démocrate au Sénat, Harry Reid. Dans sa communication sur la situation sur l’emploi, l’administration Obama chercher à concilier deux impératifs : justifier les mesures de relance prises en février 2009 en soulignant leurs effets © Futuribles, Système Vigie, 24 novembre 2009. positifs sur l’emploi, et reconnaître en même temps que la situation est encore trop mauvaise pour relâcher l’effort budgétaire en faveur des chômeurs et de l’emploi. En premier lieu, l’administration américaine s’efforce de mettre en avant l’effet positif du plan de relance adopté en février 2009 (787 milliards de dollars US). Sur le site officiel qui lui est dédié (www.recovery.gov), une évaluation des emplois directement créés par les investissements réalisés dans le cadre de ce plan est disponible pour chaque État américain, avec une liste précise des opérations d’investissement auquel a contribué le stimulus. Cette présentation a l’avantage de proposer une information transparente et localement visible sur le plan de relance, à laquelle l’administration s’était engagée. Mais le total des emplois directs ainsi recensés reste trop faible (30 383) pour emporter la conviction. C’est pourquoi l’administration américaine s’appuie sur une évaluation plus macroéconomique et donc plus abstraite de l’impact sur l’emploi pour défendre le bilan du stimulus : un million d’emploi sauvés ou créés depuis février 2009, en cohérence avec l’objectif annoncé des 3,5 millions d’emplois sur 2009 et 2010. Mais la différence de nature entre les deux évaluations n’est pas toujours comprise, et certains détracteurs de la politique de relance s’engouffrent dans la brèche pour mieux dénoncer l’inefficacité des dépenses engagées. Par ailleurs, l’administration reconnaît lucidement le caractère préoccupant de la situation de l’emploi. Le stimulus de février n’est pas présenté comme ayant résolu la question du chômage, il est présenté comme ayant très substantiellement limité les dégâts. « Less bad is not good » a répété à plusieurs reprises le vice-président, Joe Biden. Le risque de reprise sans emploi est ainsi pris au sérieux par l’administration, de même qu’au Congrès, où des élus, le plus souvent mais pas exclusivement, démocrates considèrent de nouvelles mesures nécessaires. Enfin, le traitement de la situation de l’emploi doit aussi tenir compte des préoccupations elles aussi relayées au Congrès comme dans les médias concernant l’ampleur du déficit public américain (1 400 milliards de dollars US). L’argument du déficit est utilisé préventivement par les adversaires de tout nouveau stimulus et semble convaincre une majorité de l’opinion. De l’autre côté, certaines voix se font entendre parmi les démocrates pour défendre de nouveaux transferts fédéraux afin de sauver, voir de créer des emplois publics ou privés, sur le modèle des grandes opérations d’infrastructures comme celle de la « Tennessee Valley Authority » durant le new deal, qui demeure à leurs yeux la référence en matière de sortie d’une récession de l’ampleur de celle qu’ont connue les États-Unis. Julien Damon Source : BLS (Bureau of Labor Statistics). © Futuribles, Système Vigie, date