Pouvoir - Historisches Lexikon der Schweiz

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13/06/2013 |
Pouvoir
La notion politique de pouvoir (ital. potere) fait partie, avec les termes "domination" et "puissance", d'un
champ sémantique qui n'est pas découpé de la même manière dans les différentes langues. Elle peut
désigner soit l'exercice de la capacité à commander (par exemple chez Michel Foucault), qui se traduit
généralement en allemand par Macht, soit l'exercice de la puissance légitime, sous une forme socialement
acceptée. Le présent article est orienté sur ce second sens, qui correspond à l'all. Herrschaft; il l'envisage à
divers points de vue: historique, théologique, sociologique, philosophique et juridique.
Au Moyen Age et sous l'Ancien Régime, Herrschaft avait aussi les acceptions de personne ou institution
exerçant l'autorité et de territoire sur lequel elle s'exerce. Pour ces réalités concrètes aujourd'hui disparues, le
français utilisait les termes de seigneur et de seigneurie (ital. signore et signoria).
Attesté dans les sources depuis le XIIe s. (lat. dominium), le terme de seigneurie désignait la supériorité
légitime (fondée en droit) qui est reconnue à une personne sur des choses (Propriété) ou sur d'autres
personnes (autorité). En général, il est question concrètement dans les textes de droits seigneuriaux, tels que
les ban et juridiction, la mainbour ou l'avouerie. On peut distinguer entre les droits sur le sol (Seigneurie
foncière) et sur les personnes (Servage), les droits de justice du seigneur sur ses sujets (seigneurie justicière,
tribunaux), le protectorat exercé sur les bailliages, le pouvoir du père de famille sur sa femme, ses enfants et
ses domestiques (Droit familial), le pouvoir du suzerain sur ses vassaux (Féodalité), le pouvoir temporel de
l'Eglise (voir aussi dîme), le pouvoir sur une ville de son seigneur laïque ou ecclésiastique, puis de son Conseil.
Certains territoires relevaient de plusieurs seigneurs: bailliages communs des cantons confédérés, seigneurie
de Maienfeld qui appartenait aux III Ligues. La réunion, dans le cadre de la seigneurie territoriale, de droits
fonciers ou personnels auparavant segmentés, se traduisit dès le bas Moyen Age par une dépersonnalisation
et une objectivation du pouvoir qui, dès lors put proposer d'une part une intégration des sujets à travers
diverses formes de participation (Assemblée d'états), et développer d'autre part de nouvelles activités de
contrôle (la "police" au sens large), fondant l'autorité politique à l'époque de l'absolutisme. Au XIXe s., la
seigneurie fut remplacée par les monopoles d'Etat et le pouvoir s'incarna au quotidien dans la bureaucratie
(Max Weber). Certains historiens actuels s'intéressent aux aspects concrets du "pouvoir en tant que pratique
sociale" (Alf Lüdtke), en l'analysant non comme un instrument de domination (maître contre esclave), mais
comme la résultante des relations qui se nouent jour après jour entre le maître et l'esclave.
En théologie, c'est l'origine du pouvoir qui a suscité des controverses. Les uns, de saint Augustin à Luther,
voyaient dans le pouvoir une conséquence de la faute originelle et en même temps une arme contre les effets
de la peccabilité humaine. Thomas d'Aquin en revanche, dans une perspective aristotélicienne, le considérait
comme antérieur à la chute, ce qui permettait de le légitimer en théorie, mais sans justifier n'importe quelle
forme de soumission. Cette conception se retrouve dans les doctrines politiques modernes, fondées sur le
droit naturel, qui visent à transformer le pacte de soumission en contrat social (Jean-Jacques Rousseau).
En sociologie, le pouvoir est un cas particulier de l'exercice de la puissance: il en est la forme durablement
institutionnalisée, dans laquelle ceux qui le détiennent prétendent être fondés en droit et ceux qui le
subissent acceptent cette prétention. Max Weber en a donné la définition classique: le pouvoir (Herrschaft,
habituellement traduit dans ce passage par "domination", mais c'est bien du pouvoir qu'il s'agit) est la
"chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé", par
opposition à puissance (Macht), qui signifie "toute chance de faire triompher au sein d'une relation sociale sa
propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance".
La philosophie politique s'est penchée depuis l'Antiquité sur les fondements et les limites du pouvoir et plus
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encore sur ses diverses formes. Aristote distingue selon le nombre des gouvernants trois sortes de
constitutions, chacune pouvant être bonne (si le pouvoir vise le bien commun) ou corrompue:
monarchie/tyrannie, aristocratie/oligarchie, démocratie/ochlocratie. Montesquieu énumère les gouvernements
et leurs principes (la vertu dans la démocratie, la modération dans l'aristocratie, l'honneur dans la monarchie,
la crainte dans le despotisme). Max Weber reconnaît trois "types de domination" relevant de légitimités
différentes: pouvoir rationnel ou légal; pouvoir traditionnel (fondé sur la croyance en la sainteté des
coutumes) et pouvoir charismatique (basé sur le dévouement pour un chef porteur de valeurs sacrées ou
héroïques).
A l'époque des Lumières, le pouvoir devint un concept abstrait, une entité dépersonnalisée correspondant à la
puissance institutionnalisée de l'Etat, sous la forme du "pouvoir des lois". Rousseau le premier exprima l'idéal
d'un pouvoir qui soit compatible avec la liberté sans tomber dans l'anarchie. Cette vision imprégna les débats
politiques au XIXe s. (Marx et Engels prophétisant la fin du pouvoir d'Etat), ainsi qu'au XXe (éthique de la
communication selon Jürgen Habermas et Karl-Otto Appel), alors même que le monde était confronté au
"pouvoir de la terreur" des système totalitaires et de leurs chefs.
L'exercice du pouvoir revêt un caractère légitime quand il respecte un cadre juridique fait de privilèges, de
contrats de gouvernement et de droits acquis, par opposition aux cas où un tel cadre n'est pas respecté
(tyrannie, despotisme, usurpation, etc.) ou fait défaut (anarchie). Longtemps, il s'est constitué à travers la
prestation réciproque de serments solennels (sous l'invocation de la divinité), qu'ils fussent asymétriques
entre maîtres et sujets (Hommage) ou symétriques entre associés (commune jurée, confédération,
conjuration). Pour Otto von Gierke, historien allemand du droit, l'opposition entre le pouvoir et la communauté
est un facteur explicatif universel.
Parmi les manifestations du pouvoir figuraient les rituels symboliques entourant l'entrée en fonction de ses
détenteurs: couronnement, sacre et intronisation des empereurs et des rois, investiture, réception et
hommage des princes, des seigneurs et de leurs représentants (baillis). La passation du pouvoir trouvait une
expression matérielle dans la remise d'insignes: couronne, sceptre et épée dans les monarchies; verge, sceau
et clés dans les républiques et les communes; tiare, mitre et crosse dans l'Eglise (en 1964, le pape Paul VI
renonça symboliquement à la tiare). Les emblèmes héraldiques, les "antiquités juridiques" (objets autrefois
liés à l'exercice de la justice), les bâtiments officiels, les costumes de fonction et les cérémonies étaient
autant de marques visibles du pouvoir et de sa présence en tout lieu.
Bibliographie
– O. von Gierke, Das deutsche Genossenschaftsrecht, 1-4, 1868-1913
– Idiotikon, 2, 1553-1554
– O. Brunner, Land und Herrschaft, 1939
– HRG, 1, 1823-1842, 2030-2033; 2, 104-113, 1383-1388
– M. Weber, Economie et société, 1971 (all. 1922)
– Historisches Wörterbuch der Philosophie, 3, 1974, 1083-1100
– G. Hartfiel, éd., Wörterbuch der Soziologie, 1976, 268-270
– D. Hilger, «Herrschaft», in Geschichtliche Grundbegriffe, 3, éd. O. Brunner et al., 1982, 1-102
– L. Carlen, Rechtsgeschichte der Schweiz, 31988
– LexMA, 4, 2176-2179
– A. Holenstein, Die Huldigung der Untertanen, 1991
– A. Lüdtke, éd., Herrschaft als soziale Praxis, 1991
– P. Prodi, Il sacramento del potere, 1992
– E. Bayer, F. Wende, éd., Wörterbuch zur Geschichte, 51995, 230-231
– M.G. Schmidt, Wörterbuch zur Politik, 1995, 399-401
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– H.D. Betz et al. éd., Religion in Geschichte und Gegenwart, 3, 42000, 1688-1691
– M. Foucault; D. Defert et al., dir., Dits et écrits, 2 vol., 22008
Auteur(e): Andreas Würgler / PM
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