Esprit sain Montchardon entre terre et ciel

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Esprit sain
numéro spécial / mardi 14 juin 2011
Montchardon entre
terre et ciel
INTERVIEW
Lama Sangpo
REPORTAGE
Les maçons du coeur
LE PORTRAIT
Grete Nootre
L’éDITO DE JOËL CHICOUARD
a PRIORI
On pourrait s’attendre à débarquer
dans un centre de soixante-huitards en
quête de méditation. Dans un lieu un
peu clos où chacun a ses habitudes. Par
moments, ce stéréotype n’est pas galvaudé. Certains résidents exprimant
plus ou moins ouvertement leur réprobation à voir un « inconnu » n’ayant
aucune connaissance du bouddhisme
s’immiscer sur leurs plates-bandes.
L’endroit, perdu au milieu du massif du
Vercors, prête, il est vrai, à une méditation profonde. Et la quiétude que les
résidents viennent ardemment rechercher ne se marie pas forcément avec
un témoignage parfois impudique de
sa personne. Les a priori peuvent alors
se renforcer. Mais le travail « d’immersion » devient alors à propos. Car à s’y
attarder, le centre d’études tibétaines
de Montchardon, c’est plus que ça.
C’est une communauté, qui, comme
on peut la définir, se réunit autour
de valeurs communes. Le partage et
le bénévolat, à Montchardon, ne sont
pas des vains mots. C’est tous les jours
qu’ils sont mis en pratique. A l’épreuve
aussi. Et rien ne se fait aisément pour
allier entraide et spiritualité. Mais si le
bouddhisme en France ne cherche pas
à se faire connaître à tout prix de la
population, à l’« évangéliser », il tend
à montrer une image qui lui est propre.
Complexe. Réaliste. Sans a priori. C’est
aussi à quoi aspire à montrer ce magazine, Esprit Sain. Bonne lecture !
2
A la sortie d’un virage de la route escarpée qui mène à montchardon, un panneau annonce l’entrée dans le hameau
Au sommaire
L’ENTRETIEN AVEC
Lama Sangpo « Je ne savais pas que la France existait ».......
......................................................................p.3
LE GRAND REPORTAGE
Au coeur de la communauté de Montchardon...............p.4-5
L’ENTRETIEN AVEC
Jean-Marc Falcombello, president de l’association du centre
de Montchardon. Sa mission première : « Défendre la
philosophie bouddhiste au-delà du centre »............ ..p.6-7
ZOOM SUR
Historique et infos en bref sur Montchardon.................p.7
LE PORTRAIT DE
Grete Nootre. Cette Estonienne, adoptée par la communauté
de Montchardon, passionnée de cinéma, a trouvé un mode de
vie qui lui convient...............................................p.8
Esprit Sain - Numéro Spécial
mardi 14 juin 2011
Rédaction, Mise en page et Crédit photo:
Joël Chicouard
Photo de une :
Vue du centre de Montchardon
L’eNTRETIEN avec
LAMA SANGPO
« Je ne savais pas que la France existait »
Seul lama permanent sur le centre de Montchardon, Lama Sangpo a pour mission de transmettre
l’enseignement du bouddhisme. Une philosophie dont les moyens de divertissement comme la télévision
entravent la pratique.
O
riginaire du Tibet, moine depuis
vingt-cinq
ans,
Lama Sangpo séjourne dans le centre de
retraite de Montchardon
depuis fin 2009. Un lieu
clos toute l’année dont il
ne sort chaque année que
trois fois. A chaque occasion pour des stages à destination du public. Comme
en cette jolie journée de
mai. Assis à une table du
réfectoire, il sirote un soda
en souriant. Accompagné
d’un traducteur, Seunam,
un résident, il nous accorde quinze minutes de
son temps. Rare et précieux.
>> Lama Sangpo, pouvezvous nous expliquer la
raison de votre présence
à Montchardon ?
J’ai « atterri » ici à la
demande de Lama Teunsang (directeur spirituel de
Montchardon, Ndlr) pour
encadrer une retraite de
trois. J’enseigne le bouddhisme. S’il n’y a personne
qui a la capacité de pouvoir indiquer le chemin à
prendre, alors il n’est pas
possible de pratiquer cet
enseignement. C’est important que quelqu’un soit
présent pour dire ce qui est
à pratiquer et à délaisser.
>> Qu’est-ce-que cette
retraite vous apporte sur
le plan spirituel ?
Quand nous nous retirons, nous ne développons
pas d’intérêt par rapport au monde extérieur.
Par contre, durant cette
période, nous consacrons
notre travail sur le monde
intérieur, c’est-à-dire au
niveau de l’esprit. L’enseignement que le Bouddha
nous donne est un moyen
qui permet à l’esprit de
s’épanouir. C’est la racine
de toute chose.
La télévision, un
obstacle à la pratique
du bouddhisme »
«
>> Vous sortez de votre
retraite uniquement pour
les stages. Quel est la visée principale de ces enseignements ?
Le but principal de l’enseignement du Bouddha par
le biais de la pratique,
c’est de développer une
activité bénéfique pour
tous les êtres. Grâce à
l’enseignement que j’ai
reçu et que je transmets,
cela amène automatiquement du bien-être et des
Qu’est-ce qu’un lama ?
On peut distinguer deux types de lamas : le lama
moine et le lama laïque. Lama Sangpo appartient à la
première catégorie. À la différence du lama laïque,
le lama moine a fait les « vœux ». Il peut donc transmettre le message du Bouddha, la philosophie bouddhiste basée sur la recherche de l’Eveil. Dans tous les
cas, pour devenir lama, il faut avoir fait auparavant
une retraite de trois ans, trois mois et trois jours.
Retraite que Lama Sangpo a effectuée au Tibet onze
ans après son entrée au monastère. Le chemin est
long avant d’accéder au titre honorifique de lama.
Le Lama Sangpo, entre ombre et lumière, comme la part de mystère qu’il
paraît soigneusement garder
bienfaits aux personnes
qui le pratiquent et qui
le transmettront ensuite.
Mon activité en stage ou
au centre de retraite vise
toujours à faire ce qu’il y a
de plus bénéfique pour ces
personnes qui ont formulé
cette demande.
>> Que pensez-vous de
Montchardon ? Est-ce un
lieu propice pour une retraite ?
En effet, c’est un excellent
endroit pour la méditation.
Il ne faut oublier que l’existence de ce centre répond
à une demande précise :
celle de bénéficier d’un
lieu propice au développement et à l’enseignement
du Bouddha (aussi appelé
Dharma, Ndlr).
3
>> Que connaissiez-vous
de la France avant de venir ?
Quand j’habitais au Tibet,
je ne savais pas que la
France existait. J’étais
dans un monastère sans
téléviseur. Seul la mise en
œuvre du Dharma importait. Si l’on se met à regarder la télévision, c’est un
obstacle qui nous distrait
de la pratique. Si nous
tombons sous l’influence
du divertissement, cela signifie que nous ne mettons
pas à profit ce temps pour
pratiquer l’enseignement
et une activité pour le
bien de tous les êtres. Cela
amène de l’agitation dans
notre esprit. Au Tibet, nous
n’avons pas pris l’habitude
de nous adonner à ce genre
de divertissement.
REPORTAGE
LE GRAND
Au coeur de Montchardon : entre bénévolat et
Niché à 850 mètres d’altitude, en plein cœur du Vercors, le centre de Montchardon rassemble en son
fondateurs : bénévolat et spiritualité
J
eudi 2 juin, jour
de l’Ascension. Ce
jour férié célèbre
la montée de Jésus
au ciel. Mais au centre
d’études tibétaines de
Montchardon,
on
est
bien loin de cette fête
chrétienne. En ce long
week-end prolongé, le
centre organise un stage
de quatre jours. Le thème
? La Bodhicitta, soit
l’esprit d’Eveil. Le Lama
Teunsang, à l’origine de
la création du lieu, et
Jean-Marc
Falcombello
(voir interview page),
président de l’association
de Montchardon, sont à
la manœuvre. Le premier
donne
l’enseignement.
Le second traduit, du
tibétain
au
français.
Quarante
personnes
venues de France et de
Navarre assistent à ce
stage. Mais pour accueillir
tous ces gens à l’Ascension
comme
le
reste
de
l’année, la communauté
de Montchardon met les
bouchées doubles. Les
résidents – ils sont une
petite dizaine actuellement
– sont tous bénévoles et
ils le revendiquent. « Le
bénévolat, c’est la racine
et l’esprit du centre »,
souligne Grete, résidente
estonienne de Montchardon
et responsable de l’accueil
du
Centre
d’Etudes
Tibétaines (voir portrait
page 6). Depuis le début
de la semaine, ils mettent
un point d’honneur à offrir
les meilleures conditions
d’accueil
possibles.
Ménage, vaisselle, cuisine,
courses alimentaires : tout
y passe. Chaque résident
Les stagiaires de l’ascension se recueillent devant la représentation du bouddha. Un stage préparé d’arrachepied et en amont par les résidents du centre de montchardon
met la main à la patte.
Disponibles et dévoués,
les résidents s’activent
au quotidien pour faire
tourner la « machine »
Montchardon. « Aider au
bon fonctionnement du
centre, c’est un critère
essentiel pour venir dans
ce coin reculé du Vercors.
Mais on doit auparavant
manifester
l’envie
d’œuvrer
au
service
d’autrui
»,
témoigne
Daniel, résident depuis
déjà 10 ans au centre et
actuellement en charge
du pôle administratif.
Car s’installer sur la
durée à Montchardon,
c’est un choix de vie. En
communauté. Avec toutes
les exigences que cela
comporte. Pour tous, la
journée démarre très tôt
(7 ou 8 heures selon la
4
participation à la prière du
matin : la puja). Et chacun
à son poste. Seunam au
ménage, Sébastien au
chantier (voir ci-contre),
Mina et Claude en cuisine.
« Toute l’énergie des
bénévoles ou de moi-même
a
comme
destination
première, celle d’aider à
l’activité du bouddhisme
dans ce lieu. Il n’y a
pas, au contraire d’une
entreprise, l’idée d’un
enrichissement personnel
au sens pécuniaire du
terme », explique Jeanmarc
Falcombello,
président de l’association
du centre. Et lui d’étayer
sa pensée : « Plus que de
bénévolat, je parlerais
d’“offrande désintéressée
de son temps et de son
énergie”.
La
décision
appartient à l’individu.
On n’impose pas de projet
de
vie.
L’implication
personnelle de chaque
résident de Montchardon
est le fait de son propre
chef, de sa propre volonté
ou désir. La motivation
d’une venue à Montchardon
s’affine avec le temps.
A l’origine, elle peut
trouver son fondement
dans la recherche de
calme ou de spiritualité…
» La spiritualité : un terme
qui va de pair avec le
bénévolat à Montchardon.
Pour Véronique - qui gère
l’administration
et
la
boutique -, ce mode de
vie suit le cours logique
de son existence. Partager
les tâches quotidiennes
relève, selon elle, de
l’évidence. Equipière sur
les voiliers jusqu’à l’âge
de 35 ans, elle a posé ses
LE GRAND
Les « maçons du coeur »
spiritualité
sein deux principes
valises à Montchardon,
il y a déjà quinze ans. «
J’ai toujours fonctionné
en communauté, que ce
soit sur le bateau ou ici.
Je développe ma vie en
aidant les autres. Mais,
surtout, en me mettant
au service du bouddhisme
et à son développement.
J’ai ainsi mûri mon côté
altruiste ». Son dessein
est simple : « Je veux être
vieux avec une richesse
dans le regard ». Pour
trouver cette « richesse
», elle suit l’enseignement
du bouddhisme avec les
autres résidents. Mais
chacun selon le rythme
qui lui convient. Des trois
prières
quotidiennes,
chacun est libre d’y assister
ou non. En revanche, les
résidents se rassemblent
obligatoirement
deux
fois par semaine pour les
groupes de parole. Il s’agit
de moments d’échanges.
« Le lundi, on partage
ensemble nos sentiments.
On peut dire ce qu’on a
sur le cœur, s’exprimer
sur des sujets profonds et
parfois sur nos inquiétudes
», souligne Grete.
Le
mercredi, l’objectif de ce
deuxième groupe de parole
de la semaine consiste ni
plus ni moins à évoquer
le quotidien. C’est ici que
se règlent les tensions qui
peuvent de temps en temps
apparaître au jour le jour
au centre. Car l’esprit zen
prôné par la philosophie
bouddhiste
n’empêche
pas toujours d’éviter les
conflits. Surtout quand on
vit 24h sur 24 et 7 jours sur
7 en communauté...
REPORTAGE
Le chantier de la nouvelle citerne d’eau illustre au plus haut point les valeurs du centre : générosité et engagement déintéressé
Sébastien (au second plan) donne les instructions aux autres bénévoles du chantier. Ici Romain (de dos)
L
es murs de pierre disposés dans le centre
? Intégralement faits
à la main », affirme
avec conviction Jean-Marc
Falcombello, président de
l’association de Montchardon. Au centre, en effet,
on a donné de sa personne
pour ériger ce lieu dédié
à l’étude et à la pratique
du bouddhisme. Et on en
donne encore aujourd’hui
pour continuer à le développer. Preuve en est avec
le chantier de la nouvelle
citerne d’eau. Ces travaux
sont destinés à faire face
à la consommation d’eau
croissante sur le site, surtout en été. Le mot d’ordre
sur le chantier : générosité
et engagement désintéressé. Des valeurs qui guident
et inspirent l’engagement
des bénévoles aussi bien
en cuisine, à l’accueil ou
sur le chantier. Actuelle-
ment, deux mois après le
début des travaux, trois
bénévoles sont au four et
au moulin. Le plus ancien,
Sébastien, dirige les opérations. « Je séjourne à Montchardon depuis sept ans.
J’ai appris les rudiments
du bâtiment (sic) sur le tas
», observe-t-il avec fierté.
S’il n’est pas nécessaire
d’avoir des compétences
élargies de la construction, une bonne condition
physique se révèle indispensable. Romain, ancien
étudiant aux beaux-arts,
manie désormais aussi bien
la truelle que le pinceau.
Son aide, il l’apporte sans
contrepartie. Ce don de
soi anime également le
troisième larron, Stefan.
Un homme costaud, la
quarantaine, originaire de
Düsseldorf, de l’autre côté
du Rhin. « A l’origine, je
suis venu à Montchardon
5
comme résident, racontet-il avec un accent non dissimulé. Ma quête ? Surtout
le calme et la spiritualité
même si la vie en Allemagne me convenait. Je
souhaitais tout de même
m’échapper du tumulte de
la ville et je me retrouve
aujourd’hui comme bénévole sur ce chantier. »
Les travaux ont débuté fin
mars et avancent dans les
temps. Le terrassement
achevé, les trois « maçons
du cœur » parachèvent le
petit local technique, situé
en contrebas de la future
citerne. Au mois d’octobre, la citerne d’eau devrait voir le jour. L’énergie
déployée par les bénévoles
aura ainsi contribué à faciliter l’activité du bouddhisme. Une cause noble qui
incombe aux résidents de
Montchardon.
L’eNTRETIEN AVEC
JEAN-MARC FALCOMBELLO
« Défendre la philosophie bouddhiste au-delà
Un pied dans le centre de Montchardon et un autre à Genève. D’un côté, président de l’association
Espace 2, l’une des radios de la Radio Télévision Suisse. Jean-Marc Falcombello, partage sa vie
faire connaître au-delà de Montchardon le bouddhisme en général et le centre en particulier.
>> Vous êtes venus pour
la première fois à Montchardon en 1981, à 18
ans. Qu’est-ce qui vous
a conduit ici ?
Tout simplement un intérêt pour le bouddhisme
et l’enseignement du
Bouddha. Je m’y intéressais depuis l’âge de 16
ans. J’avais lu des livres.
Je trouvais ça génial. La
philosophie
bouddhiste
me correspondait parfaitement et pleinement.
Quand j’ai rencontré le
Lama Teunsang, authentique moine tibétain, je
me suis dit qu’il allait
pouvoir m’enseigner le
bouddhisme dans une tradition vivante. Et ainsi
que j’allais pouvoir apprendre aux cotés d’un
digne représentant de
cette tradition.
>> Vous avez rencontré le Lama Teunsang à
Montchardon ?
La première fois, je l’ai
rencontré à Genève lors
d’un enseignement qu’il
donnait une fois par mois.
J’ai suivi ce « cours » et
j’ai très vite compris qu’il
« Si
on peut passer sa vie à étudier
jean - marc falcombello
résidait à Montchardon.
Je me suis donc rendu làbas, à Pâques en 1981.
>> Veniez-vous chercher
des réponses dans votre
vie en général ?
Je
venais
continuer
l’étude du bouddhisme.
C’est comme quelqu’un
qui étudie l’œuvre d’Em-
Kant ,
on peut la passer à étudier la vie du
manuel Kant. On consacre
sa vie à l’étude d’une
pensée, d’une philosophie. Si on peut passer
sa vie à étudier Kant, on
peut la passer à étudier
la vie du Bouddha. On
peut le considérer comme
un processus d’étude,
d’approfondissement, de
compréhension.
Tradi-
Bouddha »,
assure
tionnellement, jamais tu
ne cesses d’enrichir ton
écoute, ce qui va enrichir ta réflexion, qui va
alors enrichir ta pratique.
C’est-à-dire, concernant
le bouddhisme, l’intégration des principes philosophiques dans la vie au
jour le jour.
Les habitants du Village et du hameau de Montchardon ont fumé le calumet de la paix
N
os relations avec les résidents du centre sont cordiales. Comme celles d’un maire avec ses administrés, en somme », explique avec sobriété JeanClaude Potié, le maire d’Izeron, commune à laquelle est
rattaché le hameau de Montchardon. Le premier magistrat ne fait pas de différenciation avec les « bouddhistes
» de Montchardon. Seulement admet-il la méfiance des
habitants du village à la création du centre, dans les
années soixante-dix. « Au début, reconnaît-il, les habitants considéraient les membres de ce centre bouddhiste
comme des Indiens, des trouble-fête. En France, on a de
toute façon toujours peur de la nouveauté ». Presque
trente-six ans plus tard, les opinions ont majoritairement changé. Un respect mutuel s’est instauré entre les
habitants du Village et celui du hameau de Montchardon.
6
Pourtant, le temps n’a pas effacé tous les scepticismes.
A l’image d’André Gauthier, un ouvrier du bâtiment à
la retraite rencontré à Saint-Pierre-de-Chérennes, un
village contigu d’Izeron. « Je ne sais pas si c’est une
secte mais je n’ai pas l’intention de m’y rendre », bredouille-t-il d’un accent typiquement dauphinois. André
peut toutefois revenir sur ses opinions puisque le centre
organise toute l’année des journées portes ouvertes. Et
le dimanche, des visites gratuites du centre. Les responsables de Montchardon ont même, l’année dernière, distribué une lettre à tous les habitants d’Izeron. Avec pour
objectif, expliquer la démarche du centre, des origines à
nos jours. Le tout dans un souci de transparence. A ceux
qui en doutaient, le centre Karma Migyur Ling, le jardin
de l’activité immuable, ne cesse d’évoluer…
L’eNTRETIEN AVEC
zoom sur
du centre »
MONTCHARDON EN BREF
de Montchardon. De l’autre, journaliste à
entre le bouddhisme et la radio. Et s’attèle à
>> Avez-vous pu mener
de front l’activité professionnelle et spirituelle ?
Oui car on peut dire que
les situations rencontrées
dans la vie professionnelle
sont autant d’occasions
d’intégration. C’est véritablement une chance. On
ne s’en rend pas compte
tout de suite. C’est compliqué, face aux épreuves
de la vie, de constater le
rapport entre la difficulté
de ces épreuves et la possibilité d’intégration du
sens de celles-ci.
« C’est difficile de
nos jours, dans le
monde dans lequel on
vit, de comprendre le
sens d’une démarche
spirituelle »
>> Comment êtes-vous
devenu président de
l’association ?
Je connaissais Jean-Pierre
Schnetzler, le fondateur
du lieu en 1975. Avec
l’âge, il voulait passer la
main et que quelqu’un
prenne les destinées de
l’association.
>> En quoi consiste cette
fonction de président
d’association ?
Un rôle de représentation
avant tout. Il représente
l’activité et les buts de
l’association,
c’est-àdire réunir les conditions
opportunes
à
l’étude
du bouddhisme. Le président s’en charge principalement à l’extérieur
du centre. Pour en parler ou les défendre. Par
exemple, auprès du maire
de la commune d’Iseron
sur laquelle est bâti le
centre et de ses habitants. Ou comme invité
le l’émission Le Jour du
Seigneur, le dimanche sur
France 2.
>> Dans les villages
alentours,
ce
centre
bouddhiste est parfois
méconnu et considéré
comme
énigmatique
voire sectaire. Votre rôle
consiste-t-il à balayer
ces préjugés ?
J’ai pour tâche de leur répondre et les inviter à se
renseigner sur le centre.
Pour mieux connaître le
centre bouddhiste, il faut
soit faire l’effort de lire
des livres sur le sujet.
Soit se rendre au centre
et demander quels en
sont la philosophie et les
valeurs.
>> Comprenez-vous leurs
appréhensions ?
Très bien. Il est très difficile de nos jours, dans
le monde dans lequel
on vit, de comprendre
le sens d’une démarche
spirituelle car ça va à
l’encontre de la logique
de la société actuelle :
la compensation de l’effort par l’obtention d’un
gain personnel. Ce n’est
pas un jugement mais un
fait. La méfiance des gens
s’explique par de la méconnaissance. Les visites
du centre organisées le
dimanche ou les journées
portes ouvertes, c’est
donc important. Mais mon
rôle est d’expliquer, pas
de justifier. Globalement,
il existe néanmoins une
bonne compréhension de
notre démarche à l’extérieur ».
Retraite anticipée
Trois ans, trois mois, trois
jours. C’est la durée de la
retraite méditative qu’effectuent, depuis août 2010,
17 personnes, dont Lama
Sangpo, dans un bâtiment
spécifiquement conçu à cet
effet. Les retraitants, coupés du monde extérieur,
reçoivent une formation intensive. Ils consacrent leur
temps à la pratique méditative et aux prières. Seule
une personne extérieure se
charge de les approvisionner.
Le bouddhisme a la
cote
Une fréquentation digne
d’un grand monument. En
2010, le centre d’études tibétaines de Montchardon a
accueilli 18 000 personnes
en stage. Soit une moyenne
de 50 stagiaires par jour. 60
% de ces personnes viennent
de la région Rhône-Alpes,
40 % du reste de la France
ou d’Europe.
1994, année-clé
Cette année a marqué
à tout jamais la vie du
centre. Deux raisons à
cela. Premièrement, la reconnaissance par l’Etat du
centre Karma Migyur Ling
en tant que congrégation
religieuse. Deuxièmement,
la visite du Dalaï-Lama.
Considéré comme la réincarnation du premier dalaïlama né en 1391, ce dernier a profité d’un séjour
en France pour bénir le
temple de Montchardon.
Générosité
épreuve
à
toute
Le centre vit essentiellement grâce aux dons. Les
frais de session des stages
compensent seulement les
frais d’organisation.
35 ans de bouddhisme à Montchardon
1959. Année décisive pour le bouddhisme. Le peuple tibétain se soulève contre le régime chinois. Le dalaï-lama
fuit le Tibet et se réfugie temporairement en Inde. Depuis, nombre d’éminents maîtres tibétains sont envoyés
en Occident pour transmettre le message du Bouddha. Le
vénérable Kalou Rinpoché par exemple. En 1972, de passage à Paris, il se voit proposer par Jean-Pierre Schnetlzer, un médecin grenoblois fasciné par le bouddhisme,
de fonder un centre d’études tibétaines en France. Seule
condition exigée : qu’un lama tibétain enseigne dans le
centre. Kalou Rinpoché accepte. Une longue recherche
est alors menée par Schnetlzer pour dénicher l’endroit
idoine, propice à la méditation. Une vieille ferme inhabitée et retirée dans le massif du Vercors, dans le hameau
de Montchardon à Izeron, fera l’affaire. En 1975, sous
l’impulsion de Lama Teunsang et Schnetlzer, le centre est
bâti. 36 ans plus tard, le site de Montchardon s’est agrandi. Un temple, des bâtiments d’hébergement ou encore un
centre de retraite sont sortis de terre. Et le tout grâce à
des centaines de bénévoles. Aujourd’hui encore, le centre
a conservé l’esprit communautaire de ses débuts.
7
LE portrait DE
GRETE NOOTRE
Une Nootre Grete
Originaire d’Estonie, Grete mène à Montchardon une vie austère et non moins enrichissante. Avant cette
aventure humaine, son quotidien, sans cesse en mouvement, était rythmé par sa passion : le cinéma
A
Montchardon,
on
vient de France
mais aussi des pays
alentours (Belgique,
Suisse, Allemagne) pour
suivre le Dharma, les enseignements du Bouddha.
Grete Nootre – prononcez
Grété -, elle, est originaire d’Estonie. Un petit
pays d’Europe du Nord
méconnu, coincé entre la
Finlande et la Russie. Résidente du centre depuis
trois ans, elle puise dans
ce coin reculé du Vercors
« une liberté, un détachement avec le cercle de la
rémunération ». Sa volonté
de travailler comme bénévole et de continuer sa recherche spirituelle est chevillée au corps. Elle a choisi
la France comme elle aurait
pu choisir l’Amérique du
Sud. « Ma priorité en tout
cas restait d’apprendre
une nouvelle langue ».
Modeste, elle maîtrise
désormais sans coup férir
la langue de Molière. Une
réussite de plus pour cette
jeune femme éclectique.
Le septième art comme
art de vivre
Née à 65 km de Tallinn, la
capitale estonienne, Grete
grandit dans une « famille
stable ». Avec un petit
frère, de deux ans son cadet. D’un père maçon et
d’une mère professeur de
littérature mondiale, elle
baigne rapidement dans la
culture et les livres. Elle
quitte le domicile familial à
16 ans pour l’internat. Aux
années studieuses du lycée
se succèdent alors huit
longues années (anthropologie, sociologie) sur les
bancs de l’université. En
2005, quand elle quitte la
Grete a trouvé à montchardon un mode de vie qui lui correspond
fac, elle n’obtient pourtant
aucun diplôme. Des années
vaines ? Pas vraiment car
Grete mène en parallèle
de ses études d’autres
activités. Dans le cinéma
principalement. Un univers
qui la passionne. En 2001,
elle commence à exercer
dans un premier temps
comme critique de cinéma
dans plusieurs journaux
estoniens (notamment Estii
Päevaleht, quotidien national). Un métier de journaliste qui lui plaît mais qui
ne la « rassasie » pas. « Voir
un film et le critiquer, ça
ne s’avère pas suffisant selon moi. Pour critiquer un
film, il faut aussi connaître
la cuisine, les influences
du réalisateur et les traditions du cinéma », estime-t-elle. Pour nourrir sa
soif de septième art, elle
s’inscrit dans une école de
cinéma. Et devient alors
8
assistante de réalisateur.
« Un travail dur et épuisant » mais qui la comblait
de par « l’esprit d’équipe
et la créativité de chaque
membre sur le plateau de
tournage ». Et comme elle
fourmille de projets à réaliser ou concevoir, elle participe, de 2004 à 2007, à un
festival du film en Estonie.
Sa mission : choisir les films
et créer un journal pendant la compétition. « En
Estonie, j’aimais changer
souvent d’activité. Je n’ai
jamais vécu dans la routine
», explique-t-elle avec le
sourire, elle qui désormais
réitère les mêmes tâches
chaque jour à Montchardon.
Sérénité affichée
Cette vie intense ne lui déplaît pas. Mais depuis toujours, Grete a des envies
d’ailleurs. En 2008, l’encyclopédie qu’elle a rédigée
sur le cinéma estonien (elle
menait aussi un travail
d’archiviste !) est publiée.
Sans projet immédiat, elle
saute enfin le pas et rejoint
la France. « Un déchirement malgré tout. Certains
me prenaient pour une
folle et ce fut délicat avec
la famille car je ne savais
pas combien de temps j’allais partir », avoue-t-elle,
non sans émotion. « Pour
vivre en harmonie avec la
nature », un prof de yoga
estonien lui indique Montchardon. Avant de s’installer dans le Vercors, Grete
pose son baluchon deux
semaines en Italie et dans
un écovillage, près de Dijon. Elle atterrit au centre
bouddhiste en mars 2008.
Sa démarche personnelle
est profonde. « Je n’étais
pas stressé. Je recherchais
quelque chose sur lequel je
n’arrivais pas à mettre des
mots », explique-t-elle sobrement aujourd’hui. Plus
de trois ans après, la jeune
Estonienne tire un bilan
positif de cette vie en communauté. « Vivre ici, c’est
fort. C’est un défi. On se
confronte à soi-même et
aux autres. Je pense que
je suis plus ouverte aux
autres et que j’ai plus de
confiance en moi qu’auparavant. Je ne suis plus fixé
uniquement sur le résultat », affirme-t-elle sans
concession. Sa sérénité affichée l’incite-t-elle à vouloir demeurer tout au long
de sa vie à Montchardon ?
« Je sentirai le moment où
je devrai m’en aller ». Des
paroles pleines de sagesse.
Un effet du bouddhisme,
très certainement…
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