L’accession, fin janvier 1943, au rang de commandant
en chef de la Kriegsmarine, en remplacement du grand
amiral Erich Raeder, n’allait pas permettre à Dönitz de
donner toute sa mesure. Dans l’Atlantique Nord, la situa-
tion s’était largement retournée en faveur des alliés : le
taux de pertes en U-Boote, devenu inacceptable, contrai-
gnait Dönitz à ordonner en mai 1943 le retrait des sous-
marins de ce théâtre d’opérations ; ils ne pourront jamais
y retourner de façon durable, la bataille de l’Atlantique
était définitivement perdue. La guerre était parvenue à
un tournant : l’annonce par les alliés de l’exigence de la
capitulation sans conditions (janvier 1943, conférence de
Casablanca), la capitulation de l’armée Paulus à Stalin-
grad (fin janvier), l’échec de la bataille de Koursk (juillet),
aboutissaient du côté allemand à une radicalisation idéo-
logique de la guerre, qui, dans la propagande nazie, devint
une guerre de défense de la civilisation européenne contre
le bolchevisme. Pour Hitler lui-même, il fallait continuer
le combat jusqu’à ce que la dureté de la guerre et la crainte
d’une victoire finale des forces soviétiques aient fait écla-
ter le front adverse. Le peuple allemand était jugé parti-
culièrement préparé à ce combat de survie par les vertus
du national-socialisme. Entré dans le premier cercle des
fidèles du Führer, Dönitz s’y manifestera par son adhésion
fanatique au principe de guerre à outrance, et soutiendra
de façon inconditionnelle le refus de Hitler de céder le
moindre pouce de terrain. Afin de convaincre Hitler de
sa capacité à maintenir l’esprit offensif dans la Kriegs-
marine, il ordonnera la reprise de la guerre sous-marine,
acceptant, selon ses propres termes, « des pertes sans
rapport avec les succès obtenus » : de novembre 1943 à
mai 1945, 455 U-Boote et 15 000 marins disparurent, les
pertes infligées aux amarins de conception nouvelle, dont
il avait garanti au Führer qu’ils changeraient la face de la
guerre sous- marine, ils ne purent être achevés à temps.
Redoutant, devant le développement rapide de l’of-
fensive alliée, une scission du territoire allemand, Hit-
ler avait nommé Dönitz commandant de la zone nord le
15 avril 1945. Le 21, il prenait sur son ordre congé du
Führer à Berlin, l’assurant de sa détermination à mobi-
liser tous les moyens à sa disposition pour continuer
le combat : il rassemblera tous les marins disponibles
(3 000 hommes environ dont une promotion de cadets) et
les enverra, sommairement armés, à Berlin. Convaincu
– à la suite d’une visite au quartier général de la Wehr-
macht à Rheinsberg – du caractère inéluc table de l’effon-
drement final, il n’en refusait pas moins encore toute idée
de capitulation. Le 30 avril vers 19 h 30, Dönitz recevait
à son QG de Plön un message de Borman, resté à Berlin
auprès du Führer, lui annonçant que ce dernier faisait de
lui son successeur en lieu et place de l’ex-Reichsmars-
chall Göring. Le message passait assez étrangement sous
silence le fait que le Führer s’était déjà donné la mort à
15 h 30. Dönitz observera, dans ses nombreux écrits, la
plus entière discrétion sur le message qu’il enverra le
lendemain au Führer pour l’assurer de sa fidélité incon-
ditionnelle, des efforts
qu’il allait faire pour le
dégager de Berlin, et de
sa détermination « si le
destin [le] contraignait
à diriger le Reich alle-
mand en tant que suc-
cesseur désigné par lui,
à conduire cette guerre
à une fin qui soit digne
du combat héroïque du
peuple allemand ». Le
1er mai à 10 h 53, un
nouveau message de
Borman l’informait, sans autre précision, que le « tes-
tament entr[ait] en vigueur », et lui demandait de diffé-
rer la publication de la nouvelle. Ce ne fut qu’à 15 h 18
qu’un troisième message, signé celui-là de Goebbels, lui
annonçait la mort du Führer, et le laissait libre du choix
de la forme et du moment de la notification à la troupe.
Le soir même, travestissant quelque peu la réalité, il
informait la population allemande par radio et la Wehr-
macht par ordre du jour, de la mort au combat du Führer
« à la tête des défenseurs héroïques de la capitale », de
sa prise de fonction comme chef de l’État, et du transfert
sur sa personne du serment de fidélité.
Changeant totalement d’attitude à l’égard de la pour-
suite de la guerre, il décidera de mettre fin aux combats
dans les plus brefs délais, sous la seule réserve de créer
les conditions qui permettraient au maximum de sol-
dats et de civils d’échapper, par une fuite vers l’ouest,
à la capture des « bolcheviks », et cela moins pour des
raisons humanitaires qu’afin de préserver pour l’avenir
l’« essentiel de la substance du peuple allemand ». Sa
tentative d’obtenir une capitulation séparée se solda par
un échec. Une ouverture du front à l’ouest et un repli à
l’est auraient sans doute eu davantage de succès. L’ac-
cent enfin mis sur l’évacuation des populations civiles, il
arrivait aussi, pour sa part, beaucoup trop tard.
Dönitz avait obtenu un premier résultat qui pouvait
être porté à son crédit : la capitulation signée s’était
effectuée rapidement et sans incident notable. S’agis-
sant du nouveau gouvernement allemand qu’il avait
formé, il semble bien qu’il ait espéré pouvoir continuer
à le diriger et que – sauf à concéder, peut-être, quelque
limitation au pouvoir absolu du Führer – l’État natio-
nal-socialiste pourrait être maintenu dans son essence ;
toute forme d’État républicain, de « gouvernement de
partis », synonyme pour lui de mutinerie, de révolution
et de chaos, étant exclue. Mais les Alliés, qui n’avaient
jamais attendu du « gouvernement Dönitz » autre chose
que la bonne exécution de la capitulation, mirent fin
de façon volontairement spectaculaire, le 23 mai, à
l’« expédient provisoire » en déclarant prisonnier de
guerre l’ensemble de ce gouvernement. Inculpé de
« préparation de guerre d’agression » et de « crime
Dönitz, le dernier « Führer »
par François-Emmanuel Brézet*, le 21 janvier 2012
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