Méthodologie mt 2012 ; 18 (1) : 30-5 Quelle acceptabilité méthodologique pour les études en ouvert ? Silvy Laporte1,2,3, Adel Merah2,3, Laurent Bertoletti1,4 1 EA3065, Université Jean Monnet, Saint-Etienne, France Unité de Recherche Clinique, Innovation, Pharmacologie (URCIP), CHU de Saint-Etienne, France 3 CIC-EC (CIE3), Inserm, CHU de Saint-Etienne, France <[email protected]> 4 Service de Médecine Thérapeutique, CHU de Saint-Etienne, France Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. 2 Lors de l’évaluation d’une thérapeutique, pharmacologique ou non, il est aujourd’hui largement admis que seul un essai randomisé est indispensable pour pouvoir conclure à la supériorité (ou à la non-infériorité, le cas échéant) du traitement expérimental, car seul le tirage au sort permet de construire deux groupes initialement comparables et d’éviter un biais de sélection, conscient ou non. Ainsi, lors d’une cohorte, même prospective, il est impossible de tirer des conclusions sur l’efficacité d’un traitement dès lors que son administration a été choisie en fonction des caractéristiques du patient et de la sévérité de sa maladie. Si la randomisation permet d’obtenir deux groupes comparables, garantissant la valeur initiale de la comparaison, encore faut-il que cette comparabilité soit maintenue au cours de l’essai et que rien ne vienne la détruire durant le suivi ou lors de la mesure du critère de jugement. Les deux groupes ne doivent différer tout au long de l’essai que par la nature des traitements évalués. L’influence des différents facteurs de confusion doit donc être maintenue identique entre les deux groupes depuis la randomisation jusqu’à la fin de l’étude pour éviter l’apparition de biais post-randomisation. Mots clés : double aveugle, ouvert, biais d’évaluation Les différents biais possibles post-randomisation Tirés à part : S. Laporte 30 Pour citer cet article : Laporte S, Merah A, Bertoletti L. Quelle acceptabilité méthodologique pour les études en ouvert ? mt 2012 ; 18 (1) : 30-5 doi:10.1684/met.2012.0355 doi:10.1684/met.2012.0355 mt Si pendant le suivi, les patients d’un groupe reçoivent plus de traitements concomitants que ceux de l’autre groupe, il sera impossible de savoir si la différence obtenue en fin d’essai est bien due au traitement étudié ou si elle provient de la différence entre les traitements concomitants. On parle de biais de suivi (parfois appelé aussi biais de réalisation). Un biais est aussi possible si la mesure du critère de jugement ne s’effectue pas de la même façon dans les groupes. On parle alors de biais de mesure appelé aussi biais d’évaluation. Dans une étude réalisée en ouvert, imaginons un nouveau traitement comparé au traitement standard dans la prophylaxie des thromboses veineuses profondes (TVP) en chirurgie orthopédique. La survenue d’une TVP est suspectée cliniquement puis confirmée par phlébographie. Le nouveau traitement est anticipé comme plus efficace que le standard, ce que doit confirmer l’essai. Subjectivement, les TVP seront plus facilement suspectées avec le traitement standard qu’avec le nouveau traitement, espéré comme plus efficace. Les mêmes signes cliniques seront plus facilement mis sur le compte d’une TVP si l’on estime que le patient reçoit un traitement moyennement efficace que s’il reçoit un traitement considéré comme très efficace, entraînant ainsi un taux de suspicion de TVP différent entre les deux groupes. La subjectivité des investigateurs entraîne donc un biais. Aussi, certaines précautions doivent être prises durant le suivi afin d’éviter de créer des biais c’est-à-dire des différences entre les deux groupes autres que les traitements étudiés, notamment avoir recours à une étude en double insu. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Le double aveugle ou double insu Le principe du double insu revient à ce que les patients des deux bras de traitement restent identiques et indiscernables après la randomisation : ceci est obtenu en ne révélant pas la nature exacte du traitement alloué ni au médecin investigateur, ni au patient (tableau 1). Les patients des deux groupes sont alors indiscernables tout au long de l’évaluation afin d’éviter un biais dans la conduite et l’interprétation de l’essai par connaissance de la nature du traitement, pour le recrutement des patients, l’allocation du traitement, la prise en charge et le suivi des patients, l’attitude des patients face à leur traitement, l’évaluation des critères de jugement, la gestion des retraits d’étude, l’exclusion de certaines données dans l’analyse. . . Pour obtenir un double insu, il est nécessaire que tous les patients reçoivent en apparence le même traitement. Les patients du groupe contrôle doivent donc recevoir un traitement sans effet mais qui est indiscernable du traitement testé. Il s’agit d’un placebo qui a la même forme galénique que le traitement étudié, qui est donné avec la même fréquence, pour la même durée et qui a le même goût, la même couleur [1, 2]. Ainsi, toutes les attitudes et actions pouvant interférer avec l’effet du traitement (traitement concomitant, suspicion d’événement, mesure du critère de jugement. . .) sont appliquées de façon symétrique aux deux groupes. Le recours au double aveugle est particulièrement important quand le critère de jugement est de nature subjective. L’exemple le plus célèbre concerne un essai dans la sclérose en plaques ayant comparé deux traitements par rapport à un placebo : l’un associant cyclophosphamide et prednisone et l’autre plasmaphérèse et prednisone [3]. Le critère de jugement était l’évolution de la maladie évaluée par un médecin en ouvert, qui connaissait la nature du traitement alloué au patient et par un médecin en aveugle c’est-à-dire sans connaissance du traitement du patient (analyse primaire). Avec l’évaluation en aveugle, aucun effet statistiquement significatif n’a pu être mis en évidence, tandis que l’évaluation en ouvert montre une efficacité du traitement plasmaphérèse (le plus sophistiqué). Cet exemple illustre comment l’évaluation d’un critère de jugement subjectif, non réalisée en aveugle, peut favoriser le traitement dans lequel le plus d’espoirs est mis, et ainsi conduire à un biais. Les études en double aveugle protègent donc de plusieurs biais notamment le biais de suivi et le biais d’évaluation. Mais est-il toujours possible de recourir à des essais en double aveugle ? Le double insu est-il toujours possible ? Il est aisé de conduire des études en double insu lorsque l’on évalue un traitement pharmacologique dans une indication où il n’existe pas de traitement de référence, avec un placebo assez facile à élaborer. Les études en double insu deviennent plus compliquées dans les différentes situations déclinées ci-dessous. Comparaison de deux traitements pharmacologiques Quand le traitement étudié est comparé à un traitement actif de référence, il est parfois difficile de rendre les deux traitements apparemment identiques. En particulier, si le nouveau traitement étudié s’administre par voie orale et si le traitement contrôle s’administre par voie intraveineuse. Dans ce cas, le double insu est obtenu par la technique dite du « double placebo ». Tous les patients reçoivent un traitement oral et un traitement intraveineux, mais l’un d’entre eux est un placebo. Les patients du groupe expérimental reçoivent le nouveau traitement par voie orale et le placebo du traitement de référence Tableau 1. Rappels de définition. Double insu, double aveugle (double blind) Ni le patient, ni le médecin investigateur ne connaissent la nature réelle du traitement Simple insu, simple aveugle (single blind) Le médecin connaît la nature du traitement mais pas le patient PROBE (Prospective Randomized Open trial with a Blind Evaluation) Le médecin et le patient connaissent la nature du traitement L’évaluation est indépendante et à l’aveugle du traitement En ouvert (open-label) Le médecin et le patient connaissent la nature du traitement, l’évaluateur également mt, vol. 18, n◦ 1, jan-fév-mars 2012 31 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Méthodologie 32 par voie intraveineuse. Ils bénéficient donc de l’effet du nouveau traitement. Les patients du groupe contrôle bénéficient de l’effet du traitement de référence (administré sous forme intraveineuse alors qu’ils reçoivent sous forme orale le placebo du nouveau traitement). Le double placebo peut également être nécessaire même si on compare des traitements avec la même voie d’administration dès lors que l’apparence ne peut être identique ou si le nombre d’administrations quotidiennes différe. . . Prenons l’exemple de l’étude MATISSE évaluant l’intérêt du fondaparinux, anti-Xa synthétique, administré par voie sous-cutanée en une injection par jour, par rapport à l’enoxaparine, héparine de bas poids moléculaire, dose adaptée au poids corporel et administrée en 2 injections sous-cutanées par jour dans le traitement initial des thromboses veineuses profondes [4]. Les patients de l’étude ont tous bénéficié de 3 injections quotidiennes : une injection de fondaparinux et une injection de placebo matin et soir pour les patients randomisés dans le bras fondaparinux, une injection de placebo de fondaparinux et une injection matin et soir d’enoxaparine. Le double placebo peut amener à une complexification des schémas de traitement alourdissant le protocole et pouvant pénaliser le recrutement de l’étude, nous en parlerons en fin d’article. Mais c’est la seule méthode permettant d’obtenir un double insu parfait. pour ces patients. C’est le cas pour les essais conduits en double aveugle évaluant un nouvel anticoagulant oral par rapport au traitement par antivitamines K comme l’étude Rocket-AF avec le rivaroxaban [5]. Il ne s’agit cependant que d’un pis-aller, l’investigateur ayant toujours la possibilité de faire réaliser le dosage dans un autre laboratoire non impliqué dans l’étude. Il faut alors s’assurer que les investigateurs joueront le jeu. . . Comparaison de deux traitements pharmacologiques dont l’un nécessite un suivi thérapeutique et pharmacologique (STP) Pour certains traitements présentant une variabilité intra-individuelle importante et imprévisible, des adaptations de dose à un test biologique sont nécessaires et recommandées. La dose d’un patient donné varie en fonction du résultat du test biologique (traitement par antivitamines K ajusté à l’INR par exemple). Il devient alors difficile de réaliser un essai en double aveugle comparant un traitement à dose fixe par rapport à un traitement à doses adaptées car la connaissance du résultat du test permet, outre l’adaptation du traitement, l’identification même du bras de traitement. La réalisation du double insu s’en trouve compliquée mais n’est pas impossible. Il est nécessaire de faire intervenir une tierce personne ou le laboratoire de dosage qui sont parties prenantes dans la recherche et cela consiste à masquer la connaissance du traitement entre le dosage lui-même et la communication de son résultat à l’investigateur. Le laboratoire communique la vraie valeur du paramètre biologique pour les patients alloués dans le bras de traitement nécessitant une adaptation posologique, et une valeur simulée pour les patients de l’autre bras de traitement pour lesquels aucune modification du paramètre n’est attendue ni obtenue. Il s’ensuit alors une adaptation du traitement placebo Autres cas de figure La réalisation d’un double insu est parfois difficilement envisageable, principalement pour des raisons éthiques, par exemple, lors d’une comparaison d’intervention chirurgicale à un traitement médical. La réalisation d’un double insu impliquerait un simulacre d’intervention pour les patients alloués dans le groupe traitement médical ! Des raisons éthiques évidentes rendent irréalisables ce double insu qui a pourtant été pratiqué dans le passé. De plus, il est des situations où le double aveugle n’apporterait rien tant la toxicité du traitement actif est apparente : c’est ce qui avait motivé la réalisation des premières études évaluant l’intérêt de la chimiothérapie par rapport à l’absence de traitement. A ce jour, la comparaison de différents protocoles de chimiothérapie pourrait être réalisée en double aveugle. Enfin, en dehors de raisons éthiques ou de toxicité apparente, il est impossible de faire un double aveugle pour comparer une stratégie de prise en charge à domicile par rapport à une prise en charge hospitalière, ou pour l’évaluation d’une procédure invasive ou dispositif médical implantable. . . Lorsqu’une étude ne peut pas être conduite en double aveugle, est-elle condamnée à être une étude biaisée ? Ou en d’autres termes, existe-t-il des solutions pour qu’une étude en ouvert soit méthodologiquement acceptable ? Évaluation d’un dispositif médical : utilisation d’un leurre Dans le cadre de l’évaluation d’un dispositif médical, le comparateur n’est pas appelé un placebo qui fait référence à un traitement pharmacologique, mais un leurre du dispositif (sham en anglais). Plusieurs études ont été conduites pour évaluer les performances du leurre en termes de qualité de double insu comme avec la neurostimulation électrique transcutanée (TENS) [6]. Il est intéressant de relever dans ces études dispositif versus leurre du dispositif le ressenti du malade en fin d’étude quant au dispositif qu’il recevait. Si tous les patients du groupe leurre pense n’avoir pas reçu le traitement actif, le double aveugle est alors douteux. L’utilisation du leurre n’est bien sûr pas envisageable pour les dispositifs médicaux implantables. mt, vol. 18, n◦ 1, jan-fév-mars 2012 Comment une étude en ouvert peut être méthodologiquement acceptable Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. Lorsque l’étude ne peut être conduite en double aveugle, plusieurs précautions doivent être prises pour tenter de minimiser les biais potentiels liés à l’absence de double aveugle, depuis la randomisation jusqu’à l’analyse statistique. Minimiser le biais de sélection par une randomisation imprévisible Une randomisation imprévisible permet de garantir que le traitement alloué dont on connaît alors la nature après randomisation n’influence pas l’inclusion ou la noninclusion du patient dans l’étude. La génération de la liste de randomisation doit être traçable, et aléatoire. De plus, l’utilisation de cette liste doit garantir la non-prévisibilité du traitement du patient suivant, donc une communication du traitement alloué patient par patient. Aussi, l’utilisation d’enveloppes scellées dans un essai en ouvert est inacceptable et une randomisation dite à distance ou centralisée (souvent système IVRS pour interactive voice response system) est donc recommandée. En son absence, il est très facile de favoriser l’attribution d’un des traitements aux patients les plus sévèrement atteints et d’introduire ainsi un biais de sélection. De plus, la liste doit être imprévisible, et l’utilisation de blocs de 4 rend la randomisation prévisible tous les 2 ou 3 patients inclus et n’est pas recommandée [7]. Il faut alors choisir des blocs de tailles variables (cf. MT 2003 ; 9 : 187-91). Minimiser le biais d’évaluation Lorsque le double aveugle n’est pas possible, il convient que le critère de jugement soit le moins possible sujet à interprétation afin d’éviter l’apparition d’un biais d’évaluation. Plusieurs solutions peuvent permettre de limiter le biais d’évaluation dans les études : • L’idéal réside dans le choix du critère avec soit un critère objectif mesuré de façon objective (taux de cholestérol), soit un « critère dur » (mortalité), pour lequel la suspicion de l’événement et son diagnostic sont indiscutables : la mortalité totale permet de parer à ce problème mais ne résout pas la subjectivité entachant les autres critères. De plus, l’utilisation de ce critère n’est pas toujours pertinente : l’évaluation d’un traitement antalgique dans la douleur de l’arthrose n’aurait pas d’intérêt à porter sur la mortalité toutes causes. • Afin de ne pas être influencé par la connaissance du traitement dans la suspicion des événements, une évaluation systématique de tous les patients à un temps t par le même examen peut être envisagée. C’est le cas de la plupart des études conduites évaluant un traitement anticoagulant dans la prévention des événements thromboemboliques veineux en chirurgie orthopédique. Cependant, ce critère correspond à un critère intermédiaire, enregistrant des événements silencieux dont la pertinence clinique est méconnue, et le résultat pas forcément lié à un critère clinique symptomatique [8]. • Le recours à des critères plus ou moins subjectifs dont la mesure pourrait être influencée par la connaissance du traitement doit être évité mais est parfois indispensable ; leur évaluation devra être réalisée en aveugle du traitement, par un autre médecin que celui qui assure le traitement et le suivi médical du patient. Cette évaluation à l’aveugle du traitement peut être réalisée par un comité d’adjudication indépendant et à l’aveugle du traitement alloué. C’est ce que l’on appelle les études PROBE pour Prospective Randomized Open trial with a Blind Evaluation (tableau 1). C’est la solution qui fut adoptée dans l’étude RE-LY étudiée en LCA dans un numéro précédent (cf. MT 2010 vol 16 : 290-2). En fait, la probité que donne cette technique à une étude ouverte est toute relative. Le comité d’adjudication ne peut en effet que statuer sur les événements signalés et documentés. L’investigateur, qui travaille en ouvert, peut déclarer ou ne pas déclarer un événement. Il peut ne pas documenter des événements qu’il déclare car il doute de leur réalité, en toute bonne foi, du fait de la connaissance du traitement. Afin de réduire le doute quant à un biais de détection possible, il serait bon de vérifier que le taux d’événements diagnostiqués par rapport à ceux déclarés est identique dans les 2 bras. Enfin, même en présence d’une déclaration et d’une documentation exhaustives, la validation des événements en insu ne protège absolument pas contre le biais de suivi. La conclusion est qu’une étude PROBE est indispensable lorsque le double aveugle est impossible, mais qu’elle reste une étude ouverte et que l’absence de biais n’est pas garantie. • Quelles que soient les précautions envisagées, persistera toujours dans les études en ouvert le risque d’un biais de suivi : il est important de vérifier en fin d’étude que les modalités de suivi ne sont pas trop différentes entre les deux bras de traitement, notamment concernant les motifs d’arrêts d’étude, les visites de suivi, les traitements concomitants. Analyse statistique en aveugle ou plan d’analyse statistique défini a priori L’essai peut être analysé sans avoir connaissance de la nature des traitements. Les traitements sont identifiés par un code type « traitement A » et « traitement B » et ce n’est qu’une fois l’analyse terminée que la nature exacte des traitements A et B est révélée. Cette procédure évite une certaine subjectivité dans le choix des analyses statistiques [9]. A ce jour, en dehors des comités de surveillance indépendants (IDMC pour « independent data monitoring board ») où cette procédure est monnaie courante, mt, vol. 18, n◦ 1, jan-fév-mars 2012 33 Méthodologie Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 26/05/2017. on préfère suivre un plan d’analyse statistique détaillant la façon de conduire l’analyse statistique en accord avec les objectifs de l’étude. Le plan d’analyse statistique est finalisé avant l’analyse elle-même et l’établissement de ce plan est essentiel pour toutes les études dès lors que la nature des traitements est connue au moment de l’analyse. Enfin, dans ce type d’études comme dans les études en double aveugle, un comité de décision (ou« blind review ») doit être constitué pour statuer sur les cas litigieux de certains patients, à l’aveugle du traitement. 34 Le double insu est-il vraiment nécessaire ? Compte tenu des contraintes imposées par le double insu, certains auteurs animent une nouvelle polémique de la non-optimalité voire l’inutilité du double insu [10, 11]. Les arguments avancés sont les suivants : • « La comparaison avec un placebo ne correspond pas à l’évaluation d’un traitement qui n’est pas administré habituellement » : comparer l’acupuncture à un sham d’acupuncture ne présente pas d’intérêt clinique car dans la pratique, les patients ne reçoivent pas de sham mais rien. Cet argument n’est pas recevable car il sous-entend que c’est l’acte d’acupuncture lui-même et non le produit pharmacologique qui est efficace. Il faut alors repenser l’objectif de l’étude et évaluer un sham d’acupuncture par rapport à rien. Bien sûr, en termes de santé publique, l’amélioration du patient, même si elle est liée à un phénomène placebo est utile. Ceci est en faveur de la mise sur le marché de placebos connus pour leurs effets psychologiques. . . En l’absence de produit actif, ceci ne relève plus des autorités de santé. • « Lorsque le critère d’évaluation est objectif, aucun biais lié à l’évaluation en ouvert n’est attendu ». Cet argument n’est pas recevable car il fait abstraction du biais de suivi, lié à la différence de prise en charge des patients du fait de la connaissance du traitement reçu, mais également de l’attitude du patient, compte tenu du traitement qu’il reçoit. • « Un seul groupe contrôle est possible, alors même que plusieurs traitements de référence existent ». Si les traitements de référence sont considérés comme équivalents, il est possible de construire un essai versus traitement de référence, chaque centre déterminant celui qu’il utilise afin que le placebo soit préparé pour ce centre. Si les traitements de référence ne sont pas équivalents, il est légitime de faire des comparaisons spécifiques. • « La mise en place d’un double aveugle, avec un double placebo alourdit les protocoles de recherche et ralentit le recrutement ». Cet argument est discutable, car à partir du moment où le patient est convaincu de la nécessité de la recherche, il ne refuse pas de donner son consentement du fait du double placebo. C’est le protocole de recherche qui est à l’origine de la lourdeur de la procédure, avec les contraintes de visites, d’examens. . . et non le double placebo. Conclusion Plusieurs études ont démontré que seul le double insu garantit la validité scientifique des données, notamment les papiers de l’équipe de Doug Altman à Oxford [12], avec bon nombre de notes méthodologiques et statistiques faciles à lire, publiées dans le BMJ [1, 13-15 par exemple]. Lorsque seule une étude en ouvert est possible, plusieurs précautions doivent être prises concernant les procédures de randomisation, de suivi, de documentation et d’évaluation des événements, et d’analyse statistique. Il est important de s’assurer que tout a été mis en œuvre pour limiter les biais, même si les biais potentiels relatifs à la suspicion des événements et au suivi des patients ne peuvent jamais être exclus dans une étude conduite en ouvert. Conflits d’intérêts : aucun. Références 1. Day SJ, Altman DG. Blinding in clinical trials and other studies. BMJ 2000 ; 321 : 504. 2. De Craen AJM, Roos PJ, de Vries AL, Kleijnen J. Effect of colour of drugs : systematic review of perceived effect of drugs and their effectiveness. BMJ 1996 ; 313 : 1624-6. 3. Noseworthy JH, Ebers GC, Vandervoort MK, Farquhar RE, Yetisir E, Roberts R. The impact of blinding on the results of a randomized, placebo-controlled multiple sclerosis clinical trial. Neurology 1994 ; 44 : 16-20. 4. 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