l`année de la foi à epheta - Catéchèse Biblique Symbolique

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L'ANNÉE DE LA FOI À EPHETA
Table des matières
A. L'année de la foi...................................................................................................................................... 2
B. Des Symboles de foi à l'exégèse chrétienne...........................................................................................2
1. Les données en présence..............................................................................................................................2
2. Les symboles baptismaux..............................................................................................................................3
3. L'expérience du Père, une immense Réalité à découvrir..............................................................................4
4. C'est par le Fils que le croyant va au Père. ..................................................................................................5
C. Les cinq premiers siècles de l’Église ...................................................................................................... 7
1. Premier siècle : la sortie du judaïsme et l'évangélisation des païens ..........................................................7
a. Les Églises judéo-chrétiennes des années 30................................................................................................7
b. L'évangélisation des années 40-60................................................................................................................. 7
c. L'antisémitisme exacerbé : de 64 à 70............................................................................................................8
d. Les années 70 et le retour en force du judaïsme rabbinique .........................................................................9
e. La fin du premier siècle.................................................................................................................................. 10
f. Une possible réforme liturgique ? ..................................................................................................................10
2. Le second siècle chrétien : le conflit des cultures.......................................................................................11
3. Le troisième siècle, le rayonnement spirituel d'un catéchète .....................................................................12
4. Le quatrième siècle et le début du cinquième.............................................................................................13
a. Origène vilipendé........................................................................................................................................... 13
b. La question aujourd'hui ................................................................................................................................. 15
c. La typologie biblique fut d'abord juive. ..........................................................................................................16
d. La typologie chrétienne.................................................................................................................................. 18
D. Les cinq journées Epheta...................................................................................................................... 20
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A. L'année de la foi
L'année de la foi (2012-2013), ouverte par Benoît XVI, est l'année du croire. Ce croire s'appuie sur
deux supports fondamentaux : le Symbole baptismal1 et les Écritures qui nourrissent la prière de
l’Église et fonde la vie sacramentelle. Notre question est celle-ci : comment ces deux supports
s'associent-ils ? Comment la catéchèse les intègre-t-elle l'un à l'autre dans l'initiation chrétienne ?
Notre première partie cherchera à préciser le rapport qui relie en profondeur le Credo de l’Église à la
Bible chrétienne.
La seconde partie racontera l'histoire des cinq premiers siècles de notre ère qui ont précisé peu à peu le
lien spirituel qui unit la lecture chrétienne 2 aux Symboles baptismaux. Notre développement sera
rapide, mais le schéma historique, si sommaire soit-il, devrait intéresser les animateurs de la Parole
parce qu'il montre comment s'est précisée peu à peu l'association du Symbole baptismal et des
Écritures chrétiennes.
B. Des Symboles de foi à l'exégèse chrétienne
Il s'agit de bien mettre en évidence le rapport qui unit le Symbole baptismal à la manière ecclésiale de
référer les Écritures au Christ, le Fils de Dieu, dont l'itinéraire, en douze étapes, constitue le centre du
Credo chrétien. Toutes les correspondances du Christ au Livre saint s'inscrivent dans l'une ou l'autre de
ces étapes. Ainsi l’Église évite-telle des interprétations sauvages qui ne renverraient pas au Seigneur de
gloire, et passeraient alors à côté du croire de la foi.
1. Les données en présence
Dans la foi de l’Église, Jésus ressuscité, Fils et Verbe du Père, est le Christ annoncé dans les Écritures
juives. Il est le Seigneur qui "parle" dans la Torah. Il est Dieu qui, de Dieu, est descendu en notre chair
puis est remonté pour nous mener "là-haut". Désormais, comme un berger, il conduit au ciel son
troupeau, toute l'humanité. Ses créatures ne quittent jamais le cœur de leur Créateur.
Nos symboles baptismaux formulent ce mystérieux trajet "ciel-terre-ciel" d'un Dieu qui s'est fait le
prochain de l'homme blessé en habitant sur terre pendant trente-trois ans : il est venu chez les siens,
mais les siens ne l'ont pas reconnu ! (Jn 1,11). Depuis lors, le Ressuscité de Pâques marche avec les
hommes sur la route du temps (Mt 28,20).
Il appartient alors à l'approche typologique de la Bible chrétienne d'initier à ce temps intérieur ceux qui
cherchent Dieu.
Le trajet terrestre, parcouru avant nous par Jésus, semble a priori dangereux, il est évité par les païens
qui ont peur des aléas du temps. En revanche, vivre la foi en Dieu dans ce temps, apporte un éclairage
à nos vies, qui s'orientent alors vers le ciel.
L’Église enseigne cet itinéraire existentiel qui monte vers le ciel. Elle le fait le vivre de l'intérieur et
apprécier. Car, pour goûter les bienfaits de l'agir divin, l'être humain a besoin du temps qui nous
traverse. C'est là que nos relations aux autres se relisent sous l'éclairage divin. Le Dieu biblique habite
l'histoire humaine, nous évitant ainsi la magie mortifère de l'espace religieux.
1
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Chaque dimanche, nous entendons l'un ou l'autre Symbole de foi, ou celui de Nicée-Constantinople, qui date du IV ème
siècle, ou celui simplifié des Apôtres.
Les deux Testaments réunis en Jésus-Christ : les Écritures héritées des juifs et le Testament Nouveau écrit au premier
siècle.
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C'est pourquoi Tertullien, ce mystique de la fin du second siècle, écrivait en pleine persécution à ses
concitoyens : "On ne naît pas chrétien, on le devient". Les païens de toujours attendent un dieu
magicien dans l'espace religieux, mais le Vivant des cieux habite la mémoire des hommes, autrement
dit leur rapport personnel au temps et au vieillissement.
Aujourd'hui, la terre devient petite, et les relations humaines prennent une dimension universelle.
L'amour du prochain, qui n'est pas naturel mais divin, fera disparaître tous nos égoïsmes et tous les
racismes. Et si les Symboles baptismaux disent si clairement la Trinité divine, c'est pour rappeler aux
chrétiens la manière que Dieu a de venir habiter le temps de l'homme, dans l'Esprit, par le Fils, vers le
Père.
C'est pourquoi l'initiation aux Écritures chrétiennes, qui unit les deux Testaments bibliques dans le
cœur de chacun, s'appuie sur le Symbole baptismal récité, chaque dimanche, par la communauté qui a
écouté la Parole. Cette Confession de foi biblique rappelle la manière dont le Verbe divin (le Fils du
Père), accompagné de l'Esprit d'amour, fait descendre ici bas la grâce venant du Père. Nous verrons
comment les histoires imagées de la Bible résonnent dans les esprits de ceux qui s'en sont imprégnés.
Une dimension spirituelle accompagne cette résonance, qui se renforce à l'excès dans le sacrement du
Pain et du Vin, du Corps offert et du don divin qui accompagne cette offrande : le pardon infini
prononcé à la Croix : Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font (Lc 23,34).
2. Les symboles baptismaux
Dans l'antiquité, le Symbole baptismal était reçu en secret afin qu'il ne soit pas compris de travers par
des non-initiés qui en seraient restés aux mots. Cette règle de discrétion s'appelait "l'arcane". Les
baptisés recevaient oralement le symbole baptismal à leur Baptême, l'apprenaient par cœur, et
pouvaient ainsi participer à la prière biblique de la communauté.
Les symboles baptismaux donnent la clé de l'approche chrétienne de la Bible. Cette clé est centrée sur
Jésus, le Christ des Écritures, le Messie annoncé. Le Fils de Dieu s'approche de l'homme pour le
mieux connaître et le mieux comprendre. Et, depuis l'Incarnation de Dieu, l'homme (Adam) est appelé
à s'approcher de Dieu dont l'image humaine est Jésus de Nazareth. Ce Messie, narré dans les évangiles,
nous a montré comment témoigner au monde de la justice et de l'amour d'en haut.
Dieu est venu à l'homme pour que l'homme lève les yeux vers le ciel et s'oriente vers Dieu. La route à
prendre est celle prise par Jésus dans le temps de sa propre vie humaine que les évangiles racontent à la
manière biblique dans la foi de l’Église.
Cette foi, que le croyant vit de l'intérieur en sa propre histoire, fait naître en son cœur la mémoire de
Dieu. Cette mémoire, associée à des relations vécues, nourrit la vie du baptisé au fil du temps. Le
temps nous emporte tous vers un lieu inconnu, mais il nous traverse aussi laissant en nous des traces.
Avec l'âge qui fait revenir des souvenirs enfouis, nous en prenons conscience. C'est alors que le croyant
fait revivre en lui la mémoire de Dieu associée à d'innombrables images bibliques. Ce travail de
mémoire biblique peut commencer très tôt si le baptisé a bien été initié à la culture biblique et a appris
à rapporter à sa vie les récits de l'Alliance où Dieu et l'homme sont associés.
Quand le temps humain est nourri de la Bible chrétienne, l'Alliance vécue par Israël puis par Jésus
ressuscité, mène en Dieu au-delà de la mort. Et la mort n'est jamais une fin, mais un voile qu'il faut
traverser, le voile de la foi. Comme le disait saint Augustin au début du V ème siècle : "Avant la mort, ce
n'est pas la mort. Après la mort, ce n'est plus la mort. Ainsi la mort n'existe pas !" Seule existe la Vie
divine en son heureuse éternité.
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D'ailleurs le Symbole donné au Baptême exprime la fin du temps de ce monde avec la mention de la
résurrection de la chair et de la vie éternelle. Au bout du temps qui nous traverse et que nous
traversons, notre être de chair ne disparaît pas, il est "transformé" (1 Cor 15,52-55) ! Les évangiles
évoquent même une transfiguration finale. Mais, vidé de Dieu, coupé de la foi et du Christ, le temps,
seulement associé à notre inévitable vieillissement, ne ferait que nous déprimer et risquerait même de
nous détourner de ce que Dieu prévoit pour nous : la Vie éternelle.
3. L'expérience du Père, une immense Réalité à découvrir
Qui est Dieu ? On l'imagine à notre image comme un individu isolé, c'est une tentation de chacun. Dieu
est le Créateur du ciel et de la terre, et même le promoteur de ce double univers visible et invisible
évoqué au début du Credo. Ainsi quiconque s’enfermerait dans les seules réalités visibles et
extérieures de ce monde-ci ne pourrait jamais rencontrer Dieu. Aveugle de naissance, il serait incapable
d'imaginer une telle Réalité dans un monde mental positif aux dimensions limitées 3 (Jn 9). Mais la vie
avec ses aléas vient bousculer des idées toutes faites. L'être humain, qu'il le veuille ou non, est jeté
dans la foule des humains, et emporté par le courant de l'existence. Où ? Vers la mort, et s'il le désire :
au-delà de la mort, en Dieu ! Mais il doit chercher ce Dieu de liberté qui ne s'impose à personne. La foi
commence ainsi.
Dieu se révèle dans la méditation biblique, mais on l'imagine aux entours de la réalité psychique que
nous habitons. Mais le Dieu biblique n'habite pas l'espace extérieur, et l'image spatiale qui nous vient à
l'esprit est inadéquate. Dieu habite le temps que chacun traverse ; notre corps est comme une barque
posée sur une mer intérieure parfois agitée, car ce lac intime est enfermé dans ses rives. Les tempêtes
sont fortes et soudaines. Dieu dort dans la barque à la place du barreur ; il attend d'être réveillé, laissant
au passager la liberté de ce réveil (Mc 4,36-38). Durant la traversée qui est sa vie, le passager peut se
contenter d'observer les choses du dehors, souvent belles. Il ne voit pas que, dans la barque près de lui,
Dieu est là. Dieu attend d'être secoué, bousculé, d'être prié en vérité et avec foi. Il agit alors et mène le
passager au-delà des tempêtes selon une logique de navigation qui échappe à ceux qui ne voient que
l'extérieur, la sécurité de la vie.
Il existe une vision spirituelle, meilleure que l'image spatiale, celle de l'amour juste : l'intelligence de
la foi et la connaissance de Dieu. L'une et l'autre touchent à la gestion du temps intérieur. Cultivées
chaque jour, elles apportent peu à peu la mémoire du Seigneur. Ainsi faut-il apprendre à "relire" nos
vies en Dieu et pas seulement en nous ! Telle est la clé formulée dans le Symbole baptismal, clé pour la
Bible et clé pour la vie.
Dans la foi biblique, d'abord et avant tout, Dieu est "le Père" universel, père au sens sémitique du
terme. Bien qu'invisible et transcendant, cet Être originel donne vie à tout être, et il s'annonce lui-même
dans sa créature traversée par le temps. Cette annonce est "première", primordiale, fondamentale pour
la vie chrétienne. Dieu, l'origine de tout, est vivant, il est le principe même de la vie spirituelle. En
grec, on le dit : l'archè !
En araméen, le Père se dit "Abbah4". Le baptisé en témoigne dès que l'Esprit de Dieu vient s'unir à son
esprit. Paul souligne cette nécessité spirituelle et intérieure à des Romains tentés par un juridisme
extérieur (Rm 8,15-16), un ritualisme peut-être, attirés au mieux par une morale légaliste, enseignée du
dehors comme une leçon d'école qui éviterait de faire l'expérience du temps.
L'année de la foi nous invite à mesurer combien notre rapport à Dieu n'est pas de l'ordre de la nature,
3
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Cet univers n'a pas de transcendance, et Dieu lui-même appartient au cosmos comme dans les cultes agraires.
L'article ha se place après le mot ab qui signifie "père".
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qu'il appelle un travail particulier de notre esprit livré au temps. L'essentiel travail spirituel suppose une
ouverture à l'invisible Réalité qui se tient "au-delà" du réel habituel. N'est-il pas nécessaire de cultiver
en nous la transcendance d'un Dieu vivant qui se révèle en l'homme ? Un long apprentissage élargit
l'esprit humain à la dimension du ciel. L'exemple de l’antiquité chrétienne laisse entendre plusieurs
années d'initiation pour des catéchumènes, adultes, chercheurs de Dieu.
L'évangile de Jean revient plusieurs fois sur la Réalité du Père qui est aux cieux, qui habite au-delà de
notre existence. Jésus le dit pour lui-même : Le Père est en moi, et je suis dans le Père (Jn 10,38).
L'homme, qu'est d'évidence le fils de Marie, entend le Père en lui, et il ajoute la réciproque : "Je suis
dans le Père". Jésus habite ce Père. La Réalité divine qu'il perçoit en lui, qu'il entend dans la prière,
existe donc hors de lui. Dieu n'est pas une émotion religieuse passagère d'ordre psychique, il est la
Réalité fondamentale, appelée aussi vie éternelle. Et la recherche de cette vie éternelle semble être la
visée principale des évangiles, voire leur principe fondamental (Mc 10,17; Jn 3,15; Lc 10,25).
Jésus ne s'arrête pas là. Dans sa prière, juste avant sa mort, le Seigneur élargit à ses disciples la
réciprocité "Père-Fils" qui l'habite. Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient
"un" en nous [...] pour qu'ils soient "un" comme nous sommes "un" : moi en eux et toi en moi [...] Que
là où je suis, je veux qu'ils soient avec moi (Jn 17,21-24). Jésus paraît déjà habiter la vie éternelle, il
réside dans cette Réalité invisible qui est l'unicité de Dieu. Dieu est UN ! L'unique Père embrasse toute
l'humanité de ses deux bras. Il nous entoure, nous accompagne, et nous entrerons tous en Lui après
avoir traversé la mort et être passés dans l'éternité. Nous avons l'aide du Fils visible en son humanité et
celle de l'Esprit que le croyant demande au Père en priorité (Lc 11,13; Mt 12, 31-32).
Les disciples de Jésus, qui acceptent, chaque jour, de prendre le chemin très risqué du temps, se
retrouvent avec leur Seigneur dans le même et unique "lieu" spirituel : la Réalité éternelle de justice et
d'amour. Celui qui aime et vit en vérité ne craint pas la mort naturelle qui vient de toutes façons.
En revanche, les païens, qui habitent tous les pays de notre monde (le mot n'est pas péjoratif), ignorent
la Réalité de l'Alliance et sa verticalité, ils ignorent Dieu. Et si jamais ils lisent la Bible, ils la prennent
au ras du texte et la comprennent comme un texte du passé puisqu'ils ne voient pas Dieu dans le texte,
mais seulement un mot qui ne leur dit rien. Les païens ne sont donc pas en mesure de quitter leur
ignorance.
Dans les Actes des Apôtres5, Luc esquisse le portrait du païen de son époque. Cet athée ignore tout du
Dieu vivant, il est incapable de concevoir la pratique priante de la sainte Écriture. Vu par l'évangéliste
qui désirerait lui confier l’Évangile, le païen semble inatteignable car il s'en tient au monde extérieur, à
la nature. Attaché au cosmos, il est tenté par la magie, la drogue et l'attrait de l'argent. Comment
pourrait-il avoir l'idée d'une Réalité invisible qui habiterait le temps de sa vie ? Il peut tout juste
imaginer Dieu dans la religion, dans les lieux de culte, mais que Dieu puisse être si près de lui sans
qu'il le sache, est de l'ordre de l'impossible. Un tel état d'esprit commande à la fois la religion
extérieure, et l'athéisme qui habite la même extériorité. Les missionnaires qui évangélisèrent le monde
pour la première fois avaient bien conscience de cet obstacle mental.
4. C'est par le Fils que le croyant va au Père.
La première évangélisation, lancée par Pierre et Paul en Asie Mineure et en Grèce, semble avoir voulu
5
Les communautés juives chrétiennes disparaissent vers la fin du premier siècle. Deux facteurs s'ajoutent. Une
persécution systématique de l'administration romaine depuis la révolte juive (66-70). Les juifs sont traités de barbares.
Par ailleurs, sous la direction du judaïsme rabbinique, toutes les synagogues ont fermé leurs portes aux chrétiens, même
autour du lac de Tibériade, le berceau de l’Église (Lc 10,13-15).
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faire découvrir aux païens grecs la Réalité divine, ce Père Créateur du ciel et de la terre, dont ils
ignoraient tout. Comment aller au Père sinon par le Fils, Dieu fait homme, ressuscité d'entre les morts,
qui s'annonce dans les Écritures ? Et cette première annonce de Dieu aux païens de jadis a réussi audelà de toute attente. Très vite, des dizaines de communautés chrétiennes se sont constituées un peu
partout dans l'empire. Chaque dimanche, elles se réunissaient pour écouter la Parole de Dieu et vivre
d'une vie nouvelle ouverte sur l'éternité divine.
Alors que la Réalité du Créateur, qui engendre le monde à son amour, évoque la relation globale de la
divinité à notre humanité, l'écoute de la Parole de Dieu est, pour le païen, une pratique inconnue qu'il
devra acquérir. Il devra comprendre comment Jésus est la porte du ciel ! (Jn 10,9)6.
Pour croire dans le Père, c'est-à-dire situer sa vie dans la Réalité divine, le païen devra commencer par
croire dans le Fils, c'est-à-dire entendre le Fils "parler" en lui et y répondre. Mais il faut du temps ‒ il
faut le temps ‒ pour percevoir le murmure du ciel dans la prière. Le Fils est alors identifié à la Parole
du Père. Il est la voix qui traverse l'histoire biblique tout entière comme elle traverse aujourd'hui la vie
intérieure du pratiquant biblique. Bien que pure transcendance, cette voix silencieuse s'entend au point
d'être dite « Parole de Dieu ». Le prophète Élie l'entendit à l'Horeb au matin d'une fuite tragique à
l'issue de laquelle il reçut une mission nouvelle (1 R,19,13).
Chacune des étapes du trajet du Fils, qui constitue aujourd’hui le centre du Symbole, porte un aspect de
la Réalité divine que le Fils révèle dans son parcours. Ce Credo baptismal ne fait que préciser
l'itinéraire décrit dans l'évangile de Jean : Nul n'est monté au ciel, sauf celui qui est descendu du ciel,
le fils de l'homme qui est au ciel (Jn 3,13). Le fils descend, et c'est Noël. Après la Croix, le Fils
ressuscite, il a vaincu la mort, et c'est le triomphe de Pâques. Cinquante jours plus tard, l’Église célèbre
la descente de l'Esprit sur le Corps du Christ rassemblé, c'est la Pentecôte...
Le temps de l’Église est désormais constitué selon un cycle liturgique annuel. Dans sa communauté de
prière, chaque baptisé parcourt, étape par étape, le trajet du Fils dans le temps de sa vie7.
Le chemin du Fils est incompréhensible sans l'aide de l'Esprit du Père qui envoie sa lumière. Nous
allons au Père d'où tout vient, grâce à l'action conjuguée du Fils et de l'Esprit. Comment se réalise cette
expérience de Dieu ? En écoutant la Parole, à la clarté divine de l'Esprit-Saint selon les douze étapes
énumérées dans le Symbole baptismal. Les communautés chrétiennes traversent ainsi l'année
liturgique.
À chaque étape, ou à chaque moment liturgique, l’Église propose des lectures adaptées des deux
Testaments bibliques : l'ancien Texte résonne dans l’évangélique nouveau comme une prophétie de
l'unique Seigneur. Il y a en chacun des écoutants, comme un écho de la Parole. C'est bien cela
l'expérience trinitaire, elle permet la prière nourrie de la Bible chrétienne et de la vie sacramentelle qui
se nourrit elle-même du Verbe, la Parole faite chair.
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Les premières lignes du chapitre 10 de l'évangile de Jean semblent évoquer le trajet du catéchumène qui écoute le
Seigneur et découvre la Porte d'en haut qui ouvre sur le Père.
D'autres moments nourrissants se préciseront dans les siècles qui vont suivre, par exemple la seconde ascension des
Actes des Apôtres, qui n'est pas simple à comprendre : pourquoi deux ascensions ?
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C. Les cinq premiers siècles de l’Église
1. Premier siècle : la sortie du judaïsme et l'évangélisation des païens
Le premier siècle est essentiel à connaître, car la culture chrétienne y est née à travers différentes
péripéties.
En soixante-dix ans, après deux ou trois générations chrétiennes, l’Église émerge du judaïsme en ayant
vécu de terribles moments où la foi s'est affermie.
a. Les Églises judéo-chrétiennes des années 30
La Résurrection du Christ, en l'an 30 de notre ère, a jailli sur les terres galiléennes où le prophète Jésus
était connu et apprécié du peuple. Des dizaines de synagogues, autour du lac, paraissent avoir identifié
Jésus au Christ attendu. Elles l'entendaient "parler" dans les Écritures. Ces juifs de Galilée sont
devenus tout naturellement chrétiens.
Ces juifs, premiers chrétiens, semblent avoir rapidement identifié le Ressuscité avec Adonaï, le
Seigneur qui est écouté, chaque shabbat, dans les synagogues. Et l'hostilité des sadducéens du Temple
a peut-être favorisé cette incroyable identification.
Par ailleurs, à Pâques, au milieu du mois de nissan, trois jours de fête chrétienne célébraient la mort et
la Résurrection de Jésus. La Pâque chrétienne était vécue comme un enrichissement du calendrier juif
palestinien. Chaque année, cette Pâque de l'Agneau que fut Jésus, précédait d'un jour la Pâque juive
célébrée le 14 du mois de nissan. Lus et reçus comme des textes chrétiens, et non comme un compterendu du passé, les évangiles sont convergents sur ce point.
Les études du cardinal Daniélou sur le Judéo-christianisme 8 font toujours autorité sur ces débuts juifs
de l’Église chrétienne, époque que Luc a omis dans ses écrits à Théophile. On voit bien comment la
typologie chrétienne s'est mise en place à travers des correspondances nommées testimonia (ou
"témoignages" du Christ dans les Écritures). C'étaient des « colliers » de citations bibliques comme il y
en avait dans le monde juif9.
b. L'évangélisation des années 40-60
Luc, dernier des évangélistes, a raconté cette évangélisation des païens, décidée à Antioche sous la
responsabilité de l'apôtre Pierre et le leadership de Paul qui fut recruté pour ce travail missionnaire.
Il y eut au départ une forte persécution des chrétiens à Jérusalem. Cette persécution sanglante a
dispersé les juifs chrétiens installés dans la capitale. C'est à cette occasion que Jean, fils de Zébédée,
qui, comme Paul, semble avoir étudié la tradition juive auprès de sages juifs, immigra avec quelques
milliers de personnes dans la région d’Éphèse à l'extrémité ouest de l'Asie mineure. D'autres
s'installèrent à Chypre, d'autres à Antioche et d'autres encore au-delà du Jourdain, etc...
Dans les Actes des Apôtres, Luc esquisse l'orientation pastorale de cette évangélisation en schématisant
la mentalité magique et très religieuse des grecs à évangéliser. Ces chrétiens d'origine païenne
8
9
Sacramentum futuri (les testimonia) (Beauchesne 1950) ; Études d'exégèse judéo-chrétienne, Études sur les origines de
la typologie biblique (Beauchesne, 1966).
Les sages juifs avaient l'habitude de mettre ensemble plusieurs versets bibliques qui s'enrichissaient mutuellement. Ce
procédé de « colliers » de versets est sous-jacent à la fois à l'Ancien Testament et aux évangiles. Ces correspondances
sont pertinentes puisque le même Dieu est agissant en toute la Bible. Le monothéisme biblique justifie ces harmoniques
littéraires.
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constitueront peu à peu les premières communautés chrétiennes non-juives, qui reconnaissaient la
présence active de l'Esprit de Dieu et du Ressuscité.
Il est probable que les récits évangéliques, qui ont servi à l'évangélisation, furent écrits à Antioche sous
la responsabilité de Pierre pour devenir le support narratif du travail missionnaire. Ces textes issus de
la Galilée chrétienne, faisaient écho à des récits de l'Ancien Testament, lus dans la traduction grecque
de la Bible juive. L'identification de Jésus avec le Seigneur qui « parle » aux juifs de la Première
Alliance était certainement le cœur du dynamisme évangélique. Dans ces communautés juives
chrétiennes, Jésus ressuscité était prié, célébré, acclamé et reçu au Baptême et dans l'Eucharistie. On
attendait même son retour définitif dans une société romaine en plein chamboulement, on le réclamait
même : Marana, tha ! Viens, Maître ! (Ap 22,17 & 20).
c. L'antisémitisme exacerbé : de 64 à 70
C'est en 66 que les hostilités commencèrent en Palestine, mais l'antisémitisme sévissait partout dans
l'empire. Et quand la ville de Rome brûla en juillet 64, incendie causé par un accident domestique, les
coupables furent aussitôt désignés : les juifs !
L'évangélisation reçut un sérieux coup d'arrêt, car les apôtres étaient tous juifs. Pierre et Paul furent
mis à mort. Heureusement que leurs adjoints, plus jeunes, purent s'échapper avec les archives de
l'évangélisation. Marc s'embarqua pour Alexandrie, et Luc se retrouva dans la région d'Éphèse qu'il
connaissait bien, il y avait rencontré Paul quelques années plus tôt10.
Dans cette période plus que trouble, Marc écrivit son évangile à partir des archives de Pierre qu'il avait
emportées, et d'un évangile en araméen de Matthieu, découvert dans la grande bibliothèque
d'Alexandrie. Ce texte disparu décrivait probablement la liturgie pascale des premières communautés
judéo-chrétiennes de Galilée.
L'évangile de Marc, terminé sans doute à Alexandrie à la fin des années 70, fut le premier évangile
organisé destiné à alimenter la liturgie de la Parole des communautés de l'empire. Il correspond à un
cycle liturgique annuel, et fut sans doute l'évangile commun utilisé partout dans les églises au cours des
années 70. Il servira de base aux évangiles ultérieurs de Luc et de Matthieu.
De son côté, Luc réfugié à Éphèse chez son ami Timothée, chef de la communauté, a sans doute
diffusé les dernières lettres de Paul. L'homme de culture, qui deviendra le troisième évangéliste, a pu
rédiger l’épître aux Éphésiens à partir de notes prises auprès de l'apôtre des païens. Peut-être a-t-il aussi
écrit l'épître aux Hébreux, il en avait largement les compétences, mais il est difficile de le prouver.
La révolte des juifs de Judée contre l'empire romain a éclaté en 66, et la capitale des juifs, encerclée par
trois légions romaines soutenues par des machines de siège, fut prise quatre ans plus tard. Jérusalem en
ruines fut quasiment rayée de la carte politique, et le magnifique Temple, bâti par Hérode, partit en
fumée. Le royaume des Hérode disparut, ainsi que les pèlerinages au Sanctuaire, tant prisés par les juifs
de l'empire.
Privé de son Temple, le judaïsme était décapité, il fallait vite imaginer un autre judaïsme avec de
nouvelles règles pour les synagogues. Les communautés judéo-chrétiennes, déjà très touchées par la
guerre, allaient disparaître face à une persécution qui venait à la fois de l'administration romaine
antisémite et des frères juifs qui refusaient le messianisme chrétien. Et l'on sait, par l’Apocalypse de
saint Jean, que les communautés juives-chrétiennes de la région d’Éphèse furent envoyées aux travaux
10
Selon les Actes, le jeune Luc aurait rencontré Paul à Troas au nord d’Éphèse, au moment de passer en Grèce (Ac 16,11
et Ac 20). À deux reprises (aux deux voyages), le récit devient collectif, il s'écrit en « nous ». L'auteur des Actes semble
bien avoir été de la partie.
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forcés dans l'île voisine de Patmos.
d. Les années 70 et le retour en force du judaïsme rabbinique
Les romains redonnèrent une chance aux juifs officiels en acceptant qu'ils installent un nouveau centre
religieux à Yavné sur la Méditerranée non loin de Gaza. De là, ils organisèrent un judaïsme sans
Temple, forcément hostile à un christianisme qui prétendait être "le nouvel Israël". Les évangiles de
Jean et de Matthieu témoignent de cette guerre fratricide.
En 78, les synagogues furent invitées à réciter la nouvelle prière dite des "18 bénédictions". Mais la
douzième bénédiction impose à la communauté priante de maudire les juifs déviants, c'est-à-dire les
judéo-chrétiens. Comment peut-on se maudire soi-même ? Quatre ou cinq ans plus tard, la nouvelle
prière fut rendue obligatoire, les chrétiens juifs, montrés du doigt et privés de lieu de culte, furent
obligés de quitter leur synagogue et parfois aussi leur village ou leur quartier. C'est à cette époque que
l'évangile de saint Jean fut écrit un peu comme une bouteille jetée à la mer. On y passe en revue les
"signes" de Jésus-Christ ressuscité.
Derrière l'évidente théologie johannique, il y a aussi, moins visible, la manière de lire la Bible en la
référant au Seigneur Jésus. Cette exégèse chrétienne des Écritures risquait, elle aussi, de se perdre. Le
verbe theôrein, expression quasiment technique en exégèse biblique est souvent employée dans ce
texte tardif. Le mot semble renvoyer à la lecture chrétienne pratiquée dans les communautés
johanniques. Le verbe theôrein sera repris plus tard dans la theôria chère à l'exégèse d'Antioche dont
nous parlerons plus loin. Le terme évoque une ou plusieurs correspondances bibliques réalisées autour
d'une image centrale, figure, type ou tupos11 ; on traduit souvent theôrein par "contempler" pour mettre
en évidence l'attitude spirituelle. Marie-Madeleine contemple (theôrei) le tombeau ouvert dans le jardin
du Golgotha, elle "voit" deux anges assis de part et d'autre de la pierre tombale où Jésus reposait
(Jn 20,12). La scène allusive semble renvoyer au jardin d’Éden qui fut fermé par Dieu. Le tombeau
ouvert peut en effet évoquer le Paradis ouvert. La theôria est cette contemplation du Ressuscité
agissant dans le récit de la première Alliance. Ce mot grec commence en plus par l'évocation de Dieu
(Theos), qui joue comme un clin d’œil spirituel dans le cœur du croyant.
Luc a souvent utilisé le verbe theôrein, et il applique curieusement le mot theôria à la scène très
théologique de la Croix contemplée par des foules qui se repentent ! La scène évangélique est déjà une
icône du Seigneur.
En s'inspirant de la théologie et de l'exégèse johannique, Luc a sans doute sauvé le patrimoine
apostolique de l’Église. Depuis sa fuite de Rome, le jeune homme vivait à Éphèse, probablement dans
la communauté fondée par Paul, qu'il avait jadis bien connue. Mais cet intellectuel, mystique et ouvert
à l'universel, n'était pas homme à refuser l'autre communauté chrétienne que le bouillant Zébédée, exilé
de Jérusalem, avait fondée. N'était-elle pas aussi apostolique que la tradition de Pierre ?
Il semblerait que l'intransigeant fils du tonnerre (Mc 3,17) n'ait pas du tout participé à l'évangélisation
des païens. Il n'appréciait peut-être pas l'initiative de Pierre d'ouvrir les portes de l’Église au toutvenant du paganisme. D'ailleurs, le fils Zébédée semble n'avoir jamais rencontré Paul, qui habita
pourtant Éphèse en même temps que lui. On sait par ailleurs qu'il y eut de graves désaccords entre
Pierre et Jean qui avaient pourtant annoncé ensemble la Résurrection du Christ en Galilée et en Judée12.
Ce désaccord touchait probablement à l'évangélisation sans conditions des goïm impurs.
11
12
Le mot est employé par Paul pour évoquer un personnage (Rm 5,14) ou une scène biblique (1 Cor 10,6). Il est à la base
de l'expression "typologie". On le trouve en Jn 20,25. Nous verrons plus loin comment ce mot s'est imposé dans l’Église.
Jean n'apparaît pas à la rencontre de Jérusalem en l'an 50 (Ac 15). Son nom n'est même pas cité.
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Tout comme il s'était mis à l'école de Paul, Luc s'est donc mis à l'école de Jean en fréquentant ces
autres chrétiens apostoliques qui furent dès le début, témoins oculaires et serviteurs de la Parole
(Lc 1,2). Et, à partir de ces rencontres avec l'autre tradition apostolique, il écrivit son propre évangile
en enrichissant celui compilé par Marc, d'éléments tirés de la riche théologie johannique.
L'Incarnation du Verbe, la Résurrection du Crucifié, l'écoute trinitaire de la Parole de Dieu, et le
modèle marial de cette écoute ont été ajoutés à l'évangile de Marc, celui du Secret Messianique qui
venait d'une période antérieure. La pédagogie du secret y avait été essentielle, elle incitait à l'intériorité
de la foi, à la patience nécessaire pour entrer dans le temps du salut, et à l'approfondissement spirituel
des Écritures. En revanche, la théologie de l'Incarnation du Verbe avec sa dimension trinitaire
n'apparaissait pas encore.
e. La fin du premier siècle
Vers la fin du premier siècle, Luc fait paraître ses deux écrits à Théophile (son évangile et les Actes
des Apôtres). Ces deux textes associés, inséparables l'un de l'autre, situeraient bien Luc à la fin de la
rédaction évangélique. On a eu tort de classer le troisième évangile dans les synoptiques, il présente
une étape nouvelle en ouvrant un large horizon : "la vie de Église", absente jusque là.
Il est probable qu'à cette époque, l’Église cherchait à unifier ses pratiques liturgiques en proposant pour
les sacrements l'approche trinitaire du Dieu biblique. Un unique baptême au nom du Père, et du Fils et
du Saint-Esprit fut alors diffusé dans tout l'empire et sans doute au-delà. Serait-ce à ce moment que
s'est développée l'habitude d'ouvrir et de fermer la prière chrétienne par un signe de croix ?
Les mêmes ajouts théologiques et sacramentels que dans l'évangile de Luc se retrouvent dans la
dernière version de l'évangile de Matthieu. À la fin de ce texte catéchétique, le Ressuscité dit aux onze
disciples : "Baptisez toutes les nations au Nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit..." (Mt 28,1920)13. La grande Église, devenue universelle, semble bien proposer partout la même pratique
sacramentelle qui suppose déjà la structure trinitaire des futurs symboles baptismaux. Luc en fut sans
doute un fervent partisan.
Même si Eusèbe de Césarée (IVème siècle) dit que Luc est originaire d'Antioche, l'évangéliste a
longtemps vécu dans la région d’Éphèse-Troas où il serait retourné après l'incendie de Rome. La région
était calme, et le port permettait d'atteindre facilement les grandes métropoles de la Méditerranée
orientale. On ne sait quel fut le rôle du futur évangéliste auprès de Timothée et d'autres nouveaux
apôtres missionnaires ? N'aurait-il pas été été la plume d'une équipe dirigeante, et peut-être plus que
cela s'il se déplaçait dans les communautés ?
À la fin du premier siècle, les évangiles étaient donc quasiment écrits, il y aura peu de modifications
par la suite, même si de nouveaux horizons vont bientôt apparaître.
f. Une possible réforme liturgique ?
La fin de la rédaction évangélique, au moment où Luc ajoute à l'évangile son texte sur l’Église, pourrait
bien coïncider avec une réforme liturgique de dimension universelle. Elle n'est dite nulle part, mais
tout semble y mener. L’Église couvre alors un immense territoire et ses pratiques ne sont certainement
pas unifiées, comme paraissent l'évoquer les Actes des Apôtres (Ac 19,2-6). À Éphèse, on ne connaît
apparemment que le baptême de Jean... baptiste. Et l'enrichissement théologique de l'évangile de Marc,
13
L'exégèse moderne a bien perçu que l'évangile de Marc semble être le fond commun des évangiles de Luc et de
Matthieu. Il y eut des ajouts, une seconde source dit-on, mais qui pourrait correspondre aux apports de Luc. Ces ajouts
coïncideraient avec une réorganisation de la catéchèse. Tout cela se discute.
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réalisé par Luc, appelle le baptême trinitaire.
La réforme liturgique supposée, n'apparaît-elle pas en termes voilés dans les deux premiers chapitres
des Actes ? Les apôtres ‒ comprendre peut-être les baptisés de l'année ‒ sont appelés à vivre cinquante
jours d'approfondissement spirituel. Ils viennent d'être baptisés et ont communié pour la première fois
au temps de Pâques, à l'équinoxe de printemps. Le second écrit à Théophile s'ouvre sur un partage du
sel où le Ressuscité est présent. Les apôtres, les nouveaux comme leurs prédécesseurs, verront Jésus
monter au ciel, sans doute dans un ciel spirituel. Puis ces chrétiens engagés partiront du Mont des
Oliviers pour se rendre à Jérusalem après avoir parcouru un chemin de shabbat (un samedi de
prière ?). Cette nouvelle Jérusalem, chère à Luc, n'est évidemment pas la capitale politique des juifs,
détruite trente ans plus tôt.
À lire ce récit, on imagine l'histoire des premiers apôtres, mais il s'agit peut-être aussi d'un présent
sacramentel. Ce langage biblique est destiné à être actualisé par les chrétiens, mais le mystère du Christ
qui fait l'actualité de ce langage biblique, doit pouvoir être perçu par les non-initiés comme la
description d'un passé neutre, nullement mystérieux. Telle est la règle de l'arcane. Ce texte qui dit le
mystère – on le dit mystagogique – est destiné à être compris de l'intérieur. Les cinquante jours
d'approfondissement spirituel se terminent par la fête de la nouvelle Pentecôte qui prend, en JésusChrist ressuscité, la dimension universelle de la Jérusalem d'en haut14.
2. Le second siècle chrétien : le conflit des cultures
En cette fin de siècle, personne ne connaissait plus Jésus selon la chair. Personne non plus ne
rencontrait un témoin de l'époque où avait vécu le fils de Marie. L'humanité du Seigneur entrait ainsi
dans l'histoire, et pour certains dans la légende. Cet éloignement des origines chrétiennes allait en effet
produire d'innombrables spéculations sur l’identité réelle du Seigneur. Sa divinité, séparée de la chair,
risquait de frapper les imaginations et d'écraser l'union intime de l'homme et de Dieu, parfaitement
réussie en Jésus. En plus, la transcendance biblique, portée dans sa chair par le prophète de Nazareth
reconnu comme Christ (ou Messie), risquait aussi de disparaître. Toute la foi chrétienne pouvait
s'écrouler dans des gnoses cérébrales.
La seconde révolte juive contre l'empire (132-135) ne fit qu'exacerber l'antisémitisme ambiant, et que
dévaluer encore plus l'héritage biblique venu des anciennes synagogues. Luc avait déjà atténué cette
origine juive de l’Église en taisant, dans son récit des Actes, les débuts galiléens de la foi chrétienne. À
la lecture de l'histoire qu'il raconte, on peut avoir l'impression que la première communauté chrétienne
habitait Jérusalem et avait été la malheureuse victime du pouvoir juif. En réalité, l'histoire fut plus
lente et la situation politique plus complexe à l'intérieur d'un judaïsme marqué par une grande diversité
et toutes sortes de tensions.
14
Elle se situe aux alentours du solstice d'été dans le calendrier liturgique déjà évoqué par Luc au début de son évangile.
Là, le prêtre Zacharie reçoit le message de Gabriel dans le Temple de Jérusalem à l'heure de l'encens, qui sera celle de
la Croix. La scène (liturgique) se situe sans doute à l'équinoxe de printemps, c'est-à-dire à la Pâque. Six mois plus tard,
exactement, Marie reçoit la visite de l'ange. Tout le calendrier de Luc se révèle dans cette évocation temporelle. Six
mois séparent Jean-Baptiste de Jésus, autrement-dit l'ancienne Alliance de la nouvelle. Ces deux pôles (Jean-Baptiste et
Jésus) s'opposent dans une année de douze mois. Marie conçoit six mois après Élisabeth, et Jésus naîtra donc six mois
après son parent. Serait-ce à Noël en hiver comme nous l'imaginons aujourd'hui ? Non, car dans le calendrier juif,
l'équinoxe de printemps renvoie aussitôt à l'équinoxe d'automne, le mois de Tishri (début de l'année) répond au mois de
Nissan où la Pâque se fête. C'est, semble-t-il, à cette occasion que Marie reçoit l'ange et conçoit. Trois mois plus tard, au
solstice d'hiver, Élisabeth mettra Jean-Baptiste au monde, alors que les juifs fêtent Hanoukha. Six mois après, au solstice
d'été, Marie enfantera Jésus, alors que la lumière solaire est à son maximum. C'est aussi la nouvelle Pentecôte narrée
dans les Actes des Apôtres. Cette hypothèse ouvre bien des horizons.
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Cependant, les apôtres juifs d'Antioche transmettaient à l’Église des nations l'écoute liturgique de la
Parole de Dieu. Et cette expérience essentielle devrait limiter les dérives de ceux qui se fixent sur un
savoir religieux. Aujourd'hui comme hier, une humanité à l'esprit concret, formatée par la raison
philosophique, refuse la transcendance du ciel, et accueille difficilement l'apport divin de la culture
biblique de la Parole15. C'était vrai chez les grecs antiques, ce l'est encore.
Ce n'est pas le lieu ici d'énumérer, comme l'a fait Irénée à la fin du siècle, les gnoses spéculatives
véhiculées par des philosophies dualistes. L'enjeu essentiel des débats est bien la transcendance du
Dieu biblique qui n'appartient pas au cosmos. Toutes ces théories, dites "hérétiques", occultent l'écoute
trinitaire du Verbe divin, sur laquelle insisteront tant les Symboles baptismaux futurs.
La culture gréco-romaine était véhiculée par les mythes grecs, surtout l'Iliade et l'Odyssée, allégorisés
en une morale acceptable. Cette culture, concrète dans ses idées, va se heurter à l'écoute biblique de la
Parole de Dieu, qui ouvre à l'expérience intérieure du Transcendant. Et cet usage priant des Écritures,
hérité des grands prophètes juifs, coïncide avec celle du Ressuscité de Pâques, descendu du ciel pour
retourner au ciel et y conduire l'humanité. Cependant, l'homme enfermé dans l'une ou l'autre religion,
voire dans une laïcité militante, crée Dieu à son image. Il usurpe la place divine. Les guerres de
religion de tous les temps sont nées du rationalisme et d'un refus religieux de la Transcendance.
Contre la raison raisonnante, juifs et chrétiens affirment le même monothéisme d'en haut16 : Notre Père
est aux cieux17 ! Ces deux peuples de la Bible disent la même Réalité, chacun avec leurs mots : Que ta
volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! Les mythes interprétés ignorent ce "lieu des hauteurs", et
se contentent d'illustrer une éthique humaine. En revanche, l'écoute biblique de la Parole de Dieu a une
autre portée : accueillir l'au-delà divin, la justice et l'amour qui descendent d'en haut pour être vécues
en bas. Le Seigneur appelle l'homme, et celui-ci donne son accord : "Amen ! De tout moi-même, âme et
corps associés, je désire monter vers le Père à la suite du Fils pour vivre ressuscité en Lui".
La transcendance du Vivant, qui vient à l'homme, est refusée, voire ignorée, par les spéculations
pseudo-philosophiques, ou pseudo-scientifiques, qui se répandent dans le monde depuis la fin du
second siècle. Irénée répond à ces dérives mentales en rappelant la pratique trinitaire de la Parole de
Dieu, soutenue par la typologie biblique dont l’Église se nourrit.
La fin du second siècle de notre ère précise déjà où se situe le conflit des cultures 18, dans la différence
qui existe entre l'allégorisation moralisante des mythes19 et l'expérience trinitaire du Dieu qui se situe
au-delà du cosmos, dont il est le Créateur. D'un côté : horizontalité de la vie, et de l'autre : verticalité.
3. Le troisième siècle, le rayonnement spirituel d'un catéchète
La famille d'Origène était originaire d’Égypte, son père mourut martyr, et lui-même mourra des suites
15
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18
19
Il est possible que ce soit aussi un handicap pour des juifs, eux-mêmes tentés par un fondamentalisme biblique aux
racines politiques. Mais c'est un autre sujet.
L'Islam, comme ses deux religions sœurs, quand il est instrumentalisé par une idéologie politique, devient l'adversaire
acharné de la Transcendance divine, qu'il affirme pourtant hautement : Allah est grand ! Et c'est vrai.
Le Notre Père chrétien est une reprise élargie du Qadish juif, qu'on appelle aussi "prière des morts". Il en existe
plusieurs versions.
Le concept d'inculturation de l'évangile dans les cultures de ce monde (Directoire Général pour la Catéchèse, N°202)
restera flou et inopérant s'il ne pose pas explicitement la question de la transcendance divine, c'est-à-dire l'impact de
Dieu-Très-Haut en l'homme terrestre ? Nos sociétés techniques évacuent tout naturellement Dieu et l’Église.
Aujourd'hui, on utilise parfois les évangiles à la manière de l'allégorisation des mythes grecs pour en tirer une petite
plate morale qui neutralise le Dieu transcendant. Par exemple, Noël ne célèbre plus l'Incarnation de Dieu en notre
humanité, et fête la naissance de Jésus, voire son anniversaire. C'est sympathique, mais plutôt réducteur.
L'évangélisation devra montrer de la compréhension et de la finesse.
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d'un cruel emprisonnement. Origène était un chrétien cultivé dont le projet catéchétique visait
l'expérience biblique et spirituelle de la Parole de Dieu, fondement essentiel de toute vie sacramentelle.
Il introduisait les catéchumènes dans la Transcendance du Christ, Verbe divin qui "parle" partout dans
les Écritures.
Pour le catéchète alexandrin, toute image biblique, toute figure de l'histoire d'Israël, voire tout détail du
texte, était l'occasion de cultiver la transcendance. En Christ, grâce au rapport entre les deux
Testaments, tout élément linguistique de la "lettre" biblique peut être, selon lui, l'occasion d'une
signification chrétienne inspirée par l'Esprit. Car la lettre tue, seul l'Esprit vivifie (2 Cor 3,6).
Catéchète, il recherche l'expérience spirituelle qui se nourrit du texte inspiré en le recevant au-delà des
mots. Il invite le catéchumène à dépasser la "lettre", autrement dit à exprimer la transcendance biblique
en disant un sens spirituel. Il donne l'exemple.
En cultivant son jardin intérieur, l'apprenti chrétien apprend à passer de la réalité historique, immédiate
et mondaine, à celle du Royaume de Dieu. Origène recherche ce changement de niveau (mental), ce
changement de tête, dans la réception priante du texte biblique. Il ne s'intéresse pas d'abord à la
cohérence théologique, ni au raisonnement qui y mène, mais au cœur sincère qui s'ouvre à Dieu. On lui
reprochera une théologie floue, mais il vit au troisième siècle, et sa mission était d'initier à l'écoute de
la Parole de Dieu.
Tout naturellement, Origène appelle "allégorie" ce travail spirituel, c'était le mot utilisé pour
interpréter moralement les mythes grecs souvent immoraux. Origène s'inscrit dans les habitudes
culturelles de sa société, il n'y voit aucun mal. Pour l'homme de foi qu'il est, l'allégorie biblique est
infiniment supérieure à l'opération littéraire réalisée sur les écrits d'Homère, car le sens spirituel de la
Bible est le Christ lui-même qui "parle" en son Église.
Le travail sur les mythes de la culture profane a préparé l'allégorisation de la Bible chrétienne qui est
d'un tout autre ordre. Dans son école de catéchèse, Origène introduisait les catéchumènes dans l'écho
divin et la transcendance spirituelle. C'était bien sa mission.
En son temps, Origène était reconnu comme un grand mystique et un excellent pédagogue, même s'il y
eut des critiques à son égard. Il fut aussi honteusement jalousé par un certain clergé, qui l’obligea à
s'expatrier à Césarée (maritime) en Palestine où, ordonné prêtre, il put travailler en paix et s'informer
de près sur l'exégèse juive de l'époque.
Certes, ce catéchète exceptionnel fut un théologien maladroit, mais il vivait en un temps où l'on ne
bénéficiait pas encore de la synthèse théologique des grands conciles futurs. Origène était un homme
de la première moitié du troisième siècle, en une société qui n'avait rien à voir avec ce quatrième siècle
qui le jugea durement sans rien connaître de son milieu !
4. Le quatrième siècle et le début du cinquième
a. Origène vilipendé
Ce siècle bouleversa la vie de l’Église, lui assurant pignon sur rue et pouvoir politique. L'institution
ecclésiale devint la religion officielle de l'empire. Deux conciles œcuméniques ont lutté contre les
erreurs théologiques courantes à l'époque, ils se sont tenus à Nicée et à Constantinople sous l'autorité
de l'empereur. Ces deux grandes concertations ont confirmé la divinité du Fils et de l'Esprit, aussitôt
intégrée dans le Credo officiel qui porte leur nom. Cette mise au point nécessaire n’enlevait rien, ‒ au
contraire ‒ au travail biblique des catéchètes.
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Mais le contexte politique et extérieur de la foi semble avoir peu à peu gagné sur la Réalité du Père qui
se situe au-delà de la réalité terrestre, que nous avons appelée « transcendance ». L’Église accueillait de
plus en plus de monde, et la culture ambiante était bien peu biblique. Dès lors, le changement d'univers
mental que la conversion au Christ suppose, se faisait sans doute mal. D'ailleurs, la discipline de
l'arcane qui imposait le secret des textes de la foi, disparaîtra à la fin du siècle sur la rive nord de la
Méditerranée occidentale. C'est pourquoi la polysémie des mots de la foi a dû peu à peu se perdre au
contact d'une culture ambiante sans verticalité. Les mots de la foi se banalisent vite quand la lecture
spirituelle est absente. L'invasion barbare a ensuite brisé l'ordre établi. Rome fut pillé en 410. Alors
dans les paroisses, adieu la culture biblique de l'Alliance, adieu aussi les sens spirituels inspirés par
l'Esprit ! Heureusement, la lectio divina, cette lecture divine des Saintes Écritures référées au Christ,
fut conservée avec soin dans les monastères.
À l'est de l'empire, des tensions culturelles opposaient les rives sud et nord de la Méditerranée.
Épousant de vieilles querelles politiques, l’Église nordique d'Antioche et celle sudiste d'Alexandrie
montraient une agressivité réciproque. Cette hostilité ne fit qu'exacerber les injustes accusations
portées par Antioche contre l'allégorie excessive du catéchète égyptien, dont nous avons compris la
raison : aider à faire le saut dans la Réalité du Père, et permettre la communion avec cette Réalité du
Dieu transcendant.
Dans un Orient vite échauffé, les critiques contre Origène continuèrent durant la première moitié du
cinquième siècle. Il fallut le concile d’Éphèse (431) pour faire taire d'injustes accusations. La
condamnation du littéralisme de Nestorius, l'archevêque de Constantinople, révéla les limites de
l'exégèse du nord, parfois si collée au texte biblique qu'elle en oubliait le travail de l'esprit et
minimisait la dimension christologique de toutes les Écritures20.
(1) Le premier reproche fait à Origène fut son allégorisation galopante, la multiplication de
significations spirituelles mal fondées dans la "lettre". L'expression d'un sens spirituel intéressait plus
le catéchète que le sens historique qui était considéré à l'époque comme une description exacte du
passé. Et introduire un doute sur ce que la Bible raconte aurait fragilisé la vérité puisque, sans critique
historique, le texte est forcément pris pour la vérité.
(2) C'est sans doute ce qui fit peur à certains : sortir du texte revenait à quitter la vérité du Livre saint et
à faire de la Bible un mythe légendaire. Ce fut la seconde attaque lancée contre Origène : il aurait ôté
sa chair à la Bible en mettant les saintes Écritures au niveau mythique et légendaire d'Homère.
Pourtant, les exégètes des deux bords de la Méditerranée valorisaient la Bible de la même façon. Ils
montraient la même rigueur dans la réception des détails du texte biblique. Tous tiraient de ce texte
inspiré un enseignement au-delà de la "lettre", tous confrontaient tel passage biblique avec la suite de
l'histoire d'Israël.
(3) Toutefois Origène préférait aller droit au Christ, trop vite pour beaucoup. Ce fut le troisième
reproche qu'on lui adressait : aller trop vite au Christ en sa catéchèse.
Mais pour Origène, le temps de l’Église était arrivé avec l'Incarnation de Dieu et la Résurrection des
morts. Ce temps est nouveau et singulier grâce à l'eschatologie qui lui est associée. Le temps traverse
désormais une intériorité inconnue des siècles passés. L'âme chrétienne, nourrie par la Parole, monte
vers le ciel, accueillie par le Ressuscité qui la ressuscite en Dieu. C'est cela l'eschatologie.
Pour le catéchète d'Alexandrie, la véritable histoire biblique n'était plus le passé d'Israël, mais bien ces
20
Le débat exégétique s'est cristallisé sur la qualité de la Vierge Marie, figure essentielle de la foi chrétienne. Nestorius
voyait simplement en elle la mère de Jésus et refusait de la nommer aussi « theôtokos », c'est-à-dire « mère de Dieu ».
L'archevêque manquait de hauteur, son esprit positif appauvrissait la foi.
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jours qui sont les derniers qui ouvrent désormais toute l'humanité à la Résurrection de la chair
(Hé 1,2).
C'est pourquoi la Bible entière est relue et revécue en Jésus-Christ, le Fils du Père qui est aussi sa
Parole. Inséparables des évangiles, les Écritures étaient, pour Origène et bien d'autres, le langage
typologique qui oriente l'humanité vers la Résurrection et à la charité. La fin de la Loi et des Prophètes
est le Christ, et il n'y a pas d'autre finalité, pas d'autre eschatologie. Ce mot célèbre est de Cyrille
d'Alexandrie, l'homme qui présida le concile d’Éphèse.
Toute la Bible est donc prophétie du Christ. C'était l'enseignement de Paul et du Nouveau Testament.
Les baptisés sont appelés à cultiver en eux le don de prophétie, c'est-à-dire la typologie biblique
(1 Cor 14,39). Car l'Église naît au monde quand l'éternité de Dieu se lie au temps des hommes. Grâce
au Christ, ce temps où l'Alliance peut se vivre en plénitude, est enfin arrivé. C'est le temps du mystère,
celui de la vie sacramentelle. On comprend pourquoi Origène allait droit au Christ en allégorisant et en
actualisant tous les récits d'Israël, devenus en Église notre histoire du salut, une histoire mondiale.
b. La question aujourd'hui
La critique historique a pris une place prépondérante dans l'église catholique depuis un demi-siècle.
Cette science donne raison à Origène en supprimant l'idée mythique de l'époque patristique : le texte
biblique n'est pas une description linéaire et exacte du passé d'Israël, pas plus que les évangiles ne sont
une vie de Jésus. Certes, derrière le texte saint, il y a bien l'histoire.
Les historiens modernes cherchent à situer les scènes racontées dans les péripéties de l'histoire sainte.
Dans quel contexte ont-elles été ainsi narrées ? Aujourd'hui le mot "historique" ne veut plus dire
"factuel", mais "situé dans un passé" qui reste à déterminer. Les scientifiques reconstituent ce passé
avec l’aide de matières annexes comme l'archéologie, l'épigraphie et évidemment l'histoire positive et
datée, sous-jacente à la Bible.
C'est pourquoi nous savons aujourd'hui que la Bible est le récit de l'Alliance de la terre et du ciel, de
l'homme et de Dieu associés. Nous ne lisons plus le texte saint où Dieu est, comme la simple
description du passé humain d'Israël. Le mystère du Très-Haut traverse de bout en bout l'écrit biblique
dont la dimension théologique est essentielle. Et ce qui, jadis, pouvait paraître légendaire devient un
élément crucial de la vérité, car il révèle la part du Verbe divin dans l'histoire d'Israël. Ainsi la science
a-t-elle besoin de la foi pour entrer dans la littérature biblique qui vient de la foi.
La Bible, Livre de l'Alliance, aux genres littéraires variés, narre l'action conjuguée du Créateur et de
l'homme de foi. Celui-ci est en Dieu, et Dieu est en lui. Les disciples d'Origène défendaient cette
transcendance de la lecture chrétienne des Écritures contre une exégèse polémique détachée de la foi,
car trop attachée à la positivité des mots.
Mais l'histoire positive, dont le texte biblique est une émanation, ne dit rien de l'âme nourrie de Dieu,
ni de l'amour d'en haut, ni du don de soi aux autres, ni de la miséricorde, ni du courage que Dieu donne
pour lutter contre l'injustice et les ravages de l'argent sale. En revanche, le texte biblique évoque
l'expérience du Très-Haut, c'est pourquoi la foi peut venir au secours de la science, car Dieu est le
même hier, aujourd’hui et demain. Connaître l'histoire positive sous-jacente au texte est important,
mais s'en tenir aux faits, en oubliant l'intériorité qui se génère en elle, revient à exclure Dieu de la vie
des hommes, à refuser le Créateur du monde visible et invisible. Ce Vivant de la foi n'attend pourtant
que notre prière et nos actes pour diffuser sa grâce, ses dons et ses forces mystérieuses.
Quiconque, de nos jours, se suffirait de la critique historique qui recherche les faits à partir desquels la
Bible fut écrite, détruirait l'essentiel de la Révélation, il anéantirait la transcendance du Livre saint et
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supprimerait, en toute bonne conscience, l’eschatologie de la Résurrection. Non seulement il ne verrait
pas le trésor divin caché dans le champ des Écritures (Mt 13,44), mais fort de sa science critique, il
passerait à côté du mystère du Christ et de l’Église, qui « étincelle » dans le cœur du croyant. D'où la
grave accusation de dualisme que vient de porter Benoît XVI dans Verbum Domini21 contre une
exégèse critique qui revendiquerait le monopole de l’interprétation. Cette intolérance de la science vis
à vis de la foi serait plus dangereuse que le fondamentalisme naturel de l'humain qui divinise le texte
sacré. En effet, en s'incarnant, le Verbe divin se rend présent à ceux qui l'écoutent dans toutes les
Écritures comme les disciples d'Emmaüs l'écoutaient, le cœur tout brûlant du feu de l'Esprit (Lc 24,27;
Jn 5,46). Cet évangile de Luc exprime bien l'expérience du Dieu trinitaire inscrite dans le Symbole
baptismal.
Origène a été cet immense croyant à qui l'on a refusé la sainteté qu'il avait pourtant payée de sa vie. Ce
catéchète cultivé fut le plus lu et le plus apprécié des Pères de l’Église, malgré toutes les
condamnations qui ont plané sur lui pendant un siècle et demi. Au onzième siècle, saint Bernard
témoignait encore de la qualité de ses méditations typologiques. Comme catéchète et praticien de la
Parole, Origène n'est-il pas bien placé aujourd'hui pour transmettre la dimension transcendante de la
foi, le complément spirituel qui manque tant à une critique historique du texte saint, incapable
d'interpréter la typologie biblique inspirée par ce Dieu qui appelle l'ensemble des humains ?
Il nous faut maintenant préciser le lien intrinsèque qui unit en profondeur la Bible et son principal
genre littéraire : la typologie.
c. La typologie biblique fut d'abord juive.
En raison des critiques adressées au catéchète égyptien sur les origines païennes du mot allégorie, on
préfère aujourd’hui utiliser le terme typologie. Ce mot technique semble évoquer la manière spécifique
dont le Pentateuque a été écrit au cours des dizaines et des dizaines d'années qui ont suivi l'Exil à
Babylone. Les communautés juives relisaient leur vie en référence au Dieu vivant, elles semblent s'être
référées à des textes d'avant l'Exil, qui exprimaient en des scènes imagées l'agir de Dieu dans l'histoire
de leur peuple22. Les rédacteurs, grands pratiquants de la Bible, mettaient l'accent sur l'Alliance avec ce
Dieu qu'ils écoutaient dans leur histoire, histoire qui les ouvraient à l'avenir. Ils ne faisaient pas de
leçons de morale, ils n'illustraient pas une éthique comme on le ferait aujourd’hui, ils exprimaient par
ces types traditionnels, la présence de Dieu dans le temps de leur vie.
Les types sont des images, des tableaux, des figures historiques, des scènes exemplaires, qui
constituent le tissu de la narration biblique. L’Alliance s'exprime ainsi. Ces types disent la chair de
l'humanité biblique, le Corps que l'amour venu d'en haut sanctifie du dedans ; ils surgissent dans le
cours du récit, et supposent un décryptage, l'interprétation spirituelle23 des initiés.
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Le problème est grave, car il touche à la structure de nos institutions. Dans l'université, l'exégèse scientifique sépare les
deux Testaments, instaurant une coupure mortelle pour l'exégèse de la Bible chrétienne. En effet, ce ne sont pas les
mêmes professeurs qui traitent de l'un et l'autre Testaments, alors que la foi de l’Église suppose un lien étroit entre les
deux Alliances puisque Jésus est le Messie qui s'annonce dans toutes les Écritures. Dès lors, la typologie biblique ne
vient plus nourrir la foi chrétienne dont le fondement est la messianité de Jésus. Il faudrait que l'exégèse scientifique s'en
tienne à la critique textuelle qui est essentielle, et que l'exégèse chrétienne, initiée en Église, soit bien distinguée de la
transmission du texte. L'exégèse patristique visait l'unité de toutes les Écritures et respectait la transcendance divine qui
s'y révélait, ce que la science a du mal à cautionner. Toute la question de l'inculturation du Dieu biblique dans la culture
se situe là. La refuser, reviendrait à opposer Dieu et l'homme, la foi et la science, les deux exégèses. Dualisme !
Les courants juifs de l'époque possédaient les textes des grands prophètes, et peut-être aussi une pré-histoire imagée
d'Israël, écrite au temps de la splendeur de la royauté davidique d'avant l'Exil. Ces images, qui révèlent l'Alliance, seront
reprises dans l'écriture des Livres de la Torah. C'est cela la typologie : reprendre et actualiser des images déjà utilisées
La typologie biblique réalise un développement continu des images bibliques qui courent au fil du texte saint. Comme
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La typologie, ce procédé littéraire, a donc été utilisée par les écrivains bibliques dès qu'ils ont
commencé à écrire la Bible au retour de l'Exil, sans doute vers le cinquième siècle d'avant notre ère, ou
un peu plus tard24.
Ceux qui revenaient d'Exil, avec les difficultés qu'ils rencontraient, et l'hostilité de ceux qui étaient
restés à Jérusalem, auraient revécu les mêmes obstacles que le peuple de Dieu qui sortait d’Égypte
pour gagner la Terre Promise. Ils sont sortis de la Babylonie, ont traversé le désert à leur tour, et ont
pris possession de la Cité sainte que d'autres habitaient.
Dans cette typologie de l'Exil, Babylone était l’Égypte esclavagiste, et Jérusalem le nouveau jardin
d’Éden, la terre nouvelle proposée par Dieu à son peuple. Esdras était rapproché de Moïse. On voit
comment le langage biblique est venu se coller à l'histoire pour montrer la pérennité de Dieu.
La Torah actuelle est composée de cinq livres, mais ce Pentateuque vient d'une compilation qui mit du
temps à se réaliser. Il semble y avoir eu au départ deux typologies adverses. La première fut celle
promue par les exilés qui étaient de retour à cette Jérusalem retrouvée qui symbolisait la Terre Promise
par Dieu. La seconde fut celle des juifs restés sur la terre de leurs ancêtres qui développaient une
typologie nourrie de la vie des patriarches, d'Abraham à Joseph. Eux, ils n'avaient pas quitté la terre
des ancêtres !
La tension devait être grande entre ces deux courants juifs qui défendaient chacun leur propre situation
et leur propre Torah. Le Livre de l'Exode fut celui des exilés rentrés chez eux, alors que celui de la
Genèse exaltait la foi des ancêtres restés sur la terre que Dieu donna à Abraham et à sa descendance25.
Les cinq livres, qui constituent aujourd'hui le Pentateuque, semblent n'avoir été groupés que
tardivement, probablement au début du troisième siècle. Les exégètes détectent en effet des retouches
qui furent sans doute négociées pas à pas dans l'un et l'autre Livre, afin qu'une unique Torah puisse être
enfin proposée à tous les juifs.
Les figures exemplaires variaient d'un camp à l'autre. D'un côté : Abraham, Sara, Isaac, Jacob et
Joseph. De l'autre : Moïse avec la traversée de la mer, le désert, la montagne, Aaron et Josué. La
typologie des uns et des autres différait au départ, et des retouches sur les récits auraient facilité
l'accord. La souplesse de la typologie a sans doute aidé un tel arrangement : les images s'ajoutent les
unes aux autres, mais ne se détruisent pas. Et puis on peut toujours les ré-interpréter.
Il ne faudrait surtout pas voir la typologie comme un système clos : les images peuvent se comprendre
différemment et se réinterprètent sans cesse au fil du récit. L'interprétation n'est jamais une répétition
du passé, mais une avancée dans le temps, car l'image interprétée « est recomposée par le lecteur en luimême après qu'il l'a reçue du livre. Elle enferme dans ses limites un drame non encore dénoué 26. »
L'histoire se poursuit, le temps continue ! En agissant dans l'histoire humaine, Dieu fait avancer
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26
l'écrit Paul Beauchamp, on peut « les suivre jusqu’à leur accomplissement en Jésus-Christ . Mais c'est prendre, avec
franc parler, la responsabilité d'interpréter. » Alors que l'idée morale est claire puisqu'elle est écrite noir sur blanc, le
« type », surtout s'il révèle la volonté de Dieu, oblige à une parole de sens, le témoignage de la foi. C'est comme devant
un événement qui survient, il faut l'interpréter ! (L'un et l'autre Testament. Seuil 1990, p.220).
Le nouveau Temple de Jérusalem fut reconstruit en l'an 500, il deviendra le lieu culturel où la rédaction de la Torah s'est
réalisée en deux siècles environ. Il fallait d'abord que les différents courants juifs se mettent d'accord, et que certaines
tensions s'apaisent. Des événements graves vont le permettre.
Le Livre des Nombres semble émaner d'une source militaire. Ce Livre évoque une armée en bataille et un esprit
davidique de conquête (Eldad et Médad du chapitre 11 ont David en leur nom : dad). Le texte se situerait bien après
l'invasion grecque d'Alexandre de Macédoine, vers la fin du quatrième siècle, peut-être même au début du troisième. Le
Livre du Deutéronome (ou seconde Loi, la première étant narrée dans l'Exode) tourne la page de Moïse (sa mort est
racontée) et conduit au cycle guerrier de Josué. Les temps avaient changé, nous sommes loin du retour de l'Exil.
Beauchamp, ibid, p.225.
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l'homme... Même si la scène typologique s'appuie sur une figure forte qui demeure comme un jalon
dans la méditation spirituelle, de nouveaux récits vont venir enrichir l'exemplarité biblique. La
typologie édifie l'avenir et a contribué peu à peu à l'attente du Messie.
d. La typologie chrétienne
La typologie juive27 fut reprise par l’Église apostolique dans la rédaction des évangiles. S'y ajoute la
dimension eschatologique apportée à la fois par l'Incarnation du Verbe en notre humanité, et par la
Résurrection de la chair dont témoigne le Ressuscité. L’Église est la communauté eschatologique, le
peuple de la fin des temps. Avec sa dimension universelle, elle devient même le nouvel Adam, elle est
le Corps du Christ qui parcourt le temps en vivant l'histoire du salut. Jésus signifie « Dieu sauve ! »
L’Église oriente les humains, tous les humains, vers la Vie éternelle et la Résurrection de la chair.
Telle est la mystérieuse et nouvelle Création que le Créateur réalise en ses créatures. Le mot typologie
exprime ce socle biblique et évangélique de la foi chrétienne, que l'amour divin transfigure. Il ne s'agit
pas ici d'idées, ni de fables, mais bien de la Réalité définitive qui convertit la chair à la Vie en Dieu.
C'est ce qu'on nommera bien plus tard, au début du second millénaire : transsubstantiation.
L’Eucharistie, qui guérit la chair et la transfigure de l'intérieur, prolonge l'Incarnation et prépare notre
Résurrection à tous28 !
Même si le mot allégorie a une origine religieuse, il semble moins adapté que celui de typologie pour
exprimer le mystère du Christ attendu depuis des siècles (Ep 3,5-6) Ce mot allégorie, très commun
chez les grecs, n'apparaît qu'une seule fois dans le Nouveau Testament avec le sens d'un mouvement.
Paul transpose les figures (types) des deux fils d'Abraham, Ismaël (l'enfant de la chair) et Isaac
(l'enfant promis par Dieu), à la situation actuelle des chrétiens. Ou bien ceux-ci vivent et s'enferment
dans les égoïsmes de la chair, ou bien ils acceptent d'entrer dans le mystère du Christ promis dans les
Écritures. Ces actuels "fils" d'Abraham sont figurés soit par Ismaël, soit par Isaac dont le sacrifice
annonce la Croix. À chacun donc de choisir : ou bien de moisir dans la voie de la mort, ou bien de
marcher dans la voie de la Vie qui nous vient du Golgotha.
Paul qualifie d'allégorique cette typologie biblique qui précise les deux manières de vivre selon la
Bible chrétienne (Gal 4,24). Le mot grec utilisé par l'apôtre, souligne le passage de la réalité ancienne à
la réalité future, déjà vécue en Église. L'histoire d'Israël dit autre chose que ce que le texte montre. La
particule allos, préfixée dans le terme allé-gorie, évoque un passage à l'autrement-dit. Ce qui apparaît
dans la "lettre" comme une énigme exprime le monde qui vient, ce temps de l’Église qui se dévoile.
L'apôtre met l'accent sur le déplacement du passé au présent, sur le mouvement de l'esprit qui permet la
transcendance spirituelle du texte inspiré.
Le récit biblique, mis en exergue par l’auteur de l’épître aux Galates, vient du socle historique de la
typologie juive. Paul fait passer de l'histoire à l'histoire, et non de l'histoire (ou d'un mythe) à une idée
abstraite ou à un thème moral. Ici, allégorie et typologie ne s'opposent pas, bien au contraire. La
typologie exprime le mouvement du temps, et l'allégorie le travail de l'esprit.
Ce mouvement de la foi, sur lequel l'allégorie opère, est induit dans le symbole baptismal. Plongé dans
le Père (c'est-à-dire dans la Réalité primordiale), le baptisé accepte de se couler dans le chemin de
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28
Sur la typologie biblique, on peut lire cet ouvrage très technique de Raymond Kuntzmann, intitulé Typologie biblique
(Cerf 2002).
Le mot transsubstantiation a été proposé par Lanfranc, un moine du onzième siècle, pour répondre à une crise majeure
où l’Église occidentale était tiraillée entre une compréhension littérale et magique du sacrement et une interprétation
désincarnée, déconnectée de la typologie biblique. On n'a rien trouvé de mieux, pas de mot meilleur, à une époque où la
chrétienté occidentale sortait d'une obscure barbarie.
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justice et d'amour que le Fils venu du ciel lui a ouvert pour le mener au ciel. Le baptisé se laisse aussi
immerger dans la flamme de l'Esprit divin qui le brûle, éclaire sa liberté intérieure, et met sa chair en
mouvement. Le symbole baptismal rappelle l'expérience de la Trinité qui rend possible l'exégèse
chrétienne de la Bible toute entière, mettant la foi en mouvement29.
La triple immersion du Baptême, qui fut adoptée dans toutes les Églises chrétiennes dès la fin du
premier siècle, se réalise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et s'actualise dans la prière
biblique et typologique de l’Église. L'assemblée dominicale confirme l'action trinitaire de Dieu quand
elle adresse au Père sa prière "par le Christ notre Seigneur". C'est alors que l'histoire biblique d’Israël
devient pour ainsi dire le langage ecclésial de la vie intérieure, celui de l'histoire du salut commune à
tous (Dei Verbum N°1) ; il est même intégré à la prière. Toute l'humanité est invitée à partager cette vie
divine, la justice et l'amour dans des relations planétaires qui s'imbriquent de plus en plus.
Et si le mouvement de la foi, dynamisé par la Trinité divine, favorise l’approche typologique de la
Bible chrétienne (les deux Testaments réunis en Christ), l'inverse est aussi vrai. L'apprentissage de la
typologie biblique transforme l'histoire de chacun en une histoire biblique qui mène au Christ. C'est
ainsi que se constitue le Corps universel du Christ dont les humains sont membres. Et c'est l'expérience
personnelle de la Trinité divine qui fait grandir l’Église, par le Fils, dans l'Esprit, vers le Père. N'est-ce
pas ce que faisait Origène quand il visait la transcendance chrétienne des saintes Écritures ?
Le catéchète d'Alexandrie respectait aussi les deux temps habituels de l'initiation chrétienne : d'abord
le lait des Écritures, long apprentissage de cette culture biblique toute ouverte sur la Croix et sa suite :
la Révélation intime du Ressuscité. Ensuite, les nourritures solides, autrement dit la vie sacramentelle
où le croyant adulte s'engage, corps et âme, dans le Mystère du Christ.
C'est là, que les "types", les figures concrètes, les images bibliques et tous les personnages de l'histoire
d'Israël évoquent la dimension charnelle de nos existences marquées par le vieillissement et la mort.
Mais le Ressuscité "transforme" cette mort en amour et en Vie définitive. Rappelons-nous la phrase
d'Augustin : "Donne ta mort, il te donnera sa Vie : ah l'admirable échange !". En chaque être humain, la
Foi en Christ est "transformée" en une vivante Espérance30, puis la singulière Charité, ultime vertu
théologale, descend dans l'âme désireuse de tout pardonner pour ressusciter avec le Christ
(1 Cor 13,13).
Les correspondances internes à la Bible chrétienne, héritées des juifs, sont devenues le patrimoine
spirituel de l’Église universelle, elles apparaissent explicitement dans les vitraux typologiques des
cathédrales des XIIème et XIIIème siècles. D'autres verrières montrent ces annonces du Messie, véritables
promesses de Dieu faites à une humanité qui en reconnaît la Réalité englobante : "Je crois en Dieu".
C'est bien en ce lieu là, lieu divin, que l’Église grandit en prière et en actes. Je crois en Dieu quand
j'habite cette Réalité divine qui s'approche de moi en Jésus-Christ, portée par l'Esprit qui me transfigure
du dedans. Je me nourris du Christ, et j'en fais mémoire à chaque Eucharistie. Mon histoire personnelle
en devient toute biblique, "typologiquement" biblique.
Ce lieu où les Apôtres étaient tous réunis ensemble (Ac 2,1) au jour de Pentecôte, n'est-il pas le lieu
divin qui est cité en tête du Credo : le Dieu créateur de mon humanité ?
29
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On rappelle plus souvent aujourd’hui la trinité des Personnes qui constituent l'Être divin : un seul Dieu en trois
personnes. Cette représentation statique du Vivant de la Bible ne dit rien du dynamisme de l'expérience trinitaire faite
par le pratiquant qui écoute la Parole de Dieu pour la mettre en pratique. Il est en effet une chose d'expliciter l'Être de
Dieu, il en est en une autre de faire expérimenter aux baptisés l'action concertée des deux mains du Père, ce que nos
ancêtres chrétiens nommaient : « la Trinité économique », c'est-à-dire l'activité divine en l'homme. Augustin est le
premier à mettre en garde contre les spéculations théologiques qui risquent de « chosifier » Dieu. Mais le schéma de la
Trinité ontologique s'est imposé, jusque dans l'art, à la Contre-Réforme catholique : le triangle équilatéral !
Comme on "transforme" un essai au rugby.
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D. Les cinq journées Epheta
Nous avons commencé par montrer le lien qui unit le Symbole baptismal à l'exégèse typologique de
l’Église en prière. Nous avons ensuite survolé l'histoire mouvementée de la rédaction évangélique,
nécessaire pour comprendre ces catéchèses que sont les évangiles. Nous avons enfin rappelé comment
l'exégèse typologique s'est développée chez les juifs lors de la rédaction de la Torah. Elle fut ensuite
reprise et prolongée par l’Église aux siècles suivants pour aboutir à l'expérience du Dieu Trinité alors
que le Credo de l’Église se fixait.
Notre vaste tour d’horizon est terminé. Nous pouvons maintenant entrer dans l'année de la foi en ne
séparant jamais le Symbole baptismal de l'exégèse biblique. Cette association du Symbole et de la
typologie chrétienne donne son sens à la célèbre phrase de Saint Jérôme : Celui qui ignore les
Écritures, ignore Jésus-Christ. L'étonnante affirmation est citée à la fin de Dei Verbum, elle sera
reprise dans le Catéchisme de l’Église Catholique. Ce sont bien ces Écritures qui mènent au Christ en
s'enrichissant au cours des siècles. Il est nécessaire de les mieux connaître jusque dans leurs plus petits
détails, pour les méditer au fil du temps. Ce temps nous emporte, mais nous traverse aussi, laissant
dans nos cœurs une espérance et un avant-goût de la joie de Pâques.
Tous les textes bibliques, éclairés par les évangiles du Christ, deviennent à leur tour "évangiles", ou
"Bonne Nouvelle". Nous découvrons en eux le trésor vivifiant de la foi, ce Dieu Vivant qui nous
"parle" et nous accompagne jour après jour.
Cette année, dans chacune de nos réunions parisiennes, nous partirons d'un « type » de l'Ancien
Testament. Nous approfondirons cinq figures bibliques typiques (Joseph, David, Jonas, Élie et
Élisée, et pour terminer : l'ascension de Jésus en Dieu selon ses deux faces : celle des évangiles où
Jésus est enlevé au ciel, et celle des Actes qui montre les "apôtres" préparés dans la prière à "voir"
Jésus monter). Avec ces « types » présents dans les deux Testaments, nous préciserons le lien spirituel
qui unit le Credo et la typologie biblique. Ainsi le Symbole baptismal deviendra vraiment l'expression
d'une foi nourrie de la typologie chrétienne dont le moine de Bethléem rappelait la richesse spirituelle.
Des vitraux typologiques de cathédrales gothiques nous apporteront un support d'images bibliques.
Nous méditerons également quelques commentaires de Pères de l’Église, notamment d'Origène.
Le 5 octobre, nous nous attacherons à la figure du patriarche Joseph qui pourrait évoquer le père
adoptif de Jésus, la Réalité du Père des cieux, bien d'autres scènes bibliques, et d'abord et avant tout le
Christ lui-même, notre Joseph spirituel, selon l'expression d'Origène31.
Dans notre partage, pour bien appréhender ce vaste récit de la Genèse dans l'océan des Écritures, et
découvrir ses innombrables harmoniques, nous respecterons la procédure pédagogique habituelle de la
lectio divina (mémoire, parole, prière).
Claude et Jacqueline Lagarde
31
Cf. Homélies sur la Genèse, Sources chrétiennes N°7bis, Cerf, 1976, p.357. On peut aussi lire ce livre très typologique :
Joseph, l'éloquence d'un taciturne, Salvator, 2012, du dominicain suisse Philippe Lefebvre.
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