L'ANNÉE DE LA FOI À EPHETA Table des matières A. L'année de la foi...................................................................................................................................... 2 B. Des Symboles de foi à l'exégèse chrétienne...........................................................................................2 1. Les données en présence..............................................................................................................................2 2. Les symboles baptismaux..............................................................................................................................3 3. L'expérience du Père, une immense Réalité à découvrir..............................................................................4 4. C'est par le Fils que le croyant va au Père. ..................................................................................................5 C. Les cinq premiers siècles de l’Église ...................................................................................................... 7 1. Premier siècle : la sortie du judaïsme et l'évangélisation des païens ..........................................................7 a. Les Églises judéo-chrétiennes des années 30................................................................................................7 b. L'évangélisation des années 40-60................................................................................................................. 7 c. L'antisémitisme exacerbé : de 64 à 70............................................................................................................8 d. Les années 70 et le retour en force du judaïsme rabbinique .........................................................................9 e. La fin du premier siècle.................................................................................................................................. 10 f. Une possible réforme liturgique ? ..................................................................................................................10 2. Le second siècle chrétien : le conflit des cultures.......................................................................................11 3. Le troisième siècle, le rayonnement spirituel d'un catéchète .....................................................................12 4. Le quatrième siècle et le début du cinquième.............................................................................................13 a. Origène vilipendé........................................................................................................................................... 13 b. La question aujourd'hui ................................................................................................................................. 15 c. La typologie biblique fut d'abord juive. ..........................................................................................................16 d. La typologie chrétienne.................................................................................................................................. 18 D. Les cinq journées Epheta...................................................................................................................... 20 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 1/20 A. L'année de la foi L'année de la foi (2012-2013), ouverte par Benoît XVI, est l'année du croire. Ce croire s'appuie sur deux supports fondamentaux : le Symbole baptismal1 et les Écritures qui nourrissent la prière de l’Église et fonde la vie sacramentelle. Notre question est celle-ci : comment ces deux supports s'associent-ils ? Comment la catéchèse les intègre-t-elle l'un à l'autre dans l'initiation chrétienne ? Notre première partie cherchera à préciser le rapport qui relie en profondeur le Credo de l’Église à la Bible chrétienne. La seconde partie racontera l'histoire des cinq premiers siècles de notre ère qui ont précisé peu à peu le lien spirituel qui unit la lecture chrétienne 2 aux Symboles baptismaux. Notre développement sera rapide, mais le schéma historique, si sommaire soit-il, devrait intéresser les animateurs de la Parole parce qu'il montre comment s'est précisée peu à peu l'association du Symbole baptismal et des Écritures chrétiennes. B. Des Symboles de foi à l'exégèse chrétienne Il s'agit de bien mettre en évidence le rapport qui unit le Symbole baptismal à la manière ecclésiale de référer les Écritures au Christ, le Fils de Dieu, dont l'itinéraire, en douze étapes, constitue le centre du Credo chrétien. Toutes les correspondances du Christ au Livre saint s'inscrivent dans l'une ou l'autre de ces étapes. Ainsi l’Église évite-telle des interprétations sauvages qui ne renverraient pas au Seigneur de gloire, et passeraient alors à côté du croire de la foi. 1. Les données en présence Dans la foi de l’Église, Jésus ressuscité, Fils et Verbe du Père, est le Christ annoncé dans les Écritures juives. Il est le Seigneur qui "parle" dans la Torah. Il est Dieu qui, de Dieu, est descendu en notre chair puis est remonté pour nous mener "là-haut". Désormais, comme un berger, il conduit au ciel son troupeau, toute l'humanité. Ses créatures ne quittent jamais le cœur de leur Créateur. Nos symboles baptismaux formulent ce mystérieux trajet "ciel-terre-ciel" d'un Dieu qui s'est fait le prochain de l'homme blessé en habitant sur terre pendant trente-trois ans : il est venu chez les siens, mais les siens ne l'ont pas reconnu ! (Jn 1,11). Depuis lors, le Ressuscité de Pâques marche avec les hommes sur la route du temps (Mt 28,20). Il appartient alors à l'approche typologique de la Bible chrétienne d'initier à ce temps intérieur ceux qui cherchent Dieu. Le trajet terrestre, parcouru avant nous par Jésus, semble a priori dangereux, il est évité par les païens qui ont peur des aléas du temps. En revanche, vivre la foi en Dieu dans ce temps, apporte un éclairage à nos vies, qui s'orientent alors vers le ciel. L’Église enseigne cet itinéraire existentiel qui monte vers le ciel. Elle le fait le vivre de l'intérieur et apprécier. Car, pour goûter les bienfaits de l'agir divin, l'être humain a besoin du temps qui nous traverse. C'est là que nos relations aux autres se relisent sous l'éclairage divin. Le Dieu biblique habite l'histoire humaine, nous évitant ainsi la magie mortifère de l'espace religieux. 1 2 Chaque dimanche, nous entendons l'un ou l'autre Symbole de foi, ou celui de Nicée-Constantinople, qui date du IV ème siècle, ou celui simplifié des Apôtres. Les deux Testaments réunis en Jésus-Christ : les Écritures héritées des juifs et le Testament Nouveau écrit au premier siècle. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 2/20 C'est pourquoi Tertullien, ce mystique de la fin du second siècle, écrivait en pleine persécution à ses concitoyens : "On ne naît pas chrétien, on le devient". Les païens de toujours attendent un dieu magicien dans l'espace religieux, mais le Vivant des cieux habite la mémoire des hommes, autrement dit leur rapport personnel au temps et au vieillissement. Aujourd'hui, la terre devient petite, et les relations humaines prennent une dimension universelle. L'amour du prochain, qui n'est pas naturel mais divin, fera disparaître tous nos égoïsmes et tous les racismes. Et si les Symboles baptismaux disent si clairement la Trinité divine, c'est pour rappeler aux chrétiens la manière que Dieu a de venir habiter le temps de l'homme, dans l'Esprit, par le Fils, vers le Père. C'est pourquoi l'initiation aux Écritures chrétiennes, qui unit les deux Testaments bibliques dans le cœur de chacun, s'appuie sur le Symbole baptismal récité, chaque dimanche, par la communauté qui a écouté la Parole. Cette Confession de foi biblique rappelle la manière dont le Verbe divin (le Fils du Père), accompagné de l'Esprit d'amour, fait descendre ici bas la grâce venant du Père. Nous verrons comment les histoires imagées de la Bible résonnent dans les esprits de ceux qui s'en sont imprégnés. Une dimension spirituelle accompagne cette résonance, qui se renforce à l'excès dans le sacrement du Pain et du Vin, du Corps offert et du don divin qui accompagne cette offrande : le pardon infini prononcé à la Croix : Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font (Lc 23,34). 2. Les symboles baptismaux Dans l'antiquité, le Symbole baptismal était reçu en secret afin qu'il ne soit pas compris de travers par des non-initiés qui en seraient restés aux mots. Cette règle de discrétion s'appelait "l'arcane". Les baptisés recevaient oralement le symbole baptismal à leur Baptême, l'apprenaient par cœur, et pouvaient ainsi participer à la prière biblique de la communauté. Les symboles baptismaux donnent la clé de l'approche chrétienne de la Bible. Cette clé est centrée sur Jésus, le Christ des Écritures, le Messie annoncé. Le Fils de Dieu s'approche de l'homme pour le mieux connaître et le mieux comprendre. Et, depuis l'Incarnation de Dieu, l'homme (Adam) est appelé à s'approcher de Dieu dont l'image humaine est Jésus de Nazareth. Ce Messie, narré dans les évangiles, nous a montré comment témoigner au monde de la justice et de l'amour d'en haut. Dieu est venu à l'homme pour que l'homme lève les yeux vers le ciel et s'oriente vers Dieu. La route à prendre est celle prise par Jésus dans le temps de sa propre vie humaine que les évangiles racontent à la manière biblique dans la foi de l’Église. Cette foi, que le croyant vit de l'intérieur en sa propre histoire, fait naître en son cœur la mémoire de Dieu. Cette mémoire, associée à des relations vécues, nourrit la vie du baptisé au fil du temps. Le temps nous emporte tous vers un lieu inconnu, mais il nous traverse aussi laissant en nous des traces. Avec l'âge qui fait revenir des souvenirs enfouis, nous en prenons conscience. C'est alors que le croyant fait revivre en lui la mémoire de Dieu associée à d'innombrables images bibliques. Ce travail de mémoire biblique peut commencer très tôt si le baptisé a bien été initié à la culture biblique et a appris à rapporter à sa vie les récits de l'Alliance où Dieu et l'homme sont associés. Quand le temps humain est nourri de la Bible chrétienne, l'Alliance vécue par Israël puis par Jésus ressuscité, mène en Dieu au-delà de la mort. Et la mort n'est jamais une fin, mais un voile qu'il faut traverser, le voile de la foi. Comme le disait saint Augustin au début du V ème siècle : "Avant la mort, ce n'est pas la mort. Après la mort, ce n'est plus la mort. Ainsi la mort n'existe pas !" Seule existe la Vie divine en son heureuse éternité. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 3/20 D'ailleurs le Symbole donné au Baptême exprime la fin du temps de ce monde avec la mention de la résurrection de la chair et de la vie éternelle. Au bout du temps qui nous traverse et que nous traversons, notre être de chair ne disparaît pas, il est "transformé" (1 Cor 15,52-55) ! Les évangiles évoquent même une transfiguration finale. Mais, vidé de Dieu, coupé de la foi et du Christ, le temps, seulement associé à notre inévitable vieillissement, ne ferait que nous déprimer et risquerait même de nous détourner de ce que Dieu prévoit pour nous : la Vie éternelle. 3. L'expérience du Père, une immense Réalité à découvrir Qui est Dieu ? On l'imagine à notre image comme un individu isolé, c'est une tentation de chacun. Dieu est le Créateur du ciel et de la terre, et même le promoteur de ce double univers visible et invisible évoqué au début du Credo. Ainsi quiconque s’enfermerait dans les seules réalités visibles et extérieures de ce monde-ci ne pourrait jamais rencontrer Dieu. Aveugle de naissance, il serait incapable d'imaginer une telle Réalité dans un monde mental positif aux dimensions limitées 3 (Jn 9). Mais la vie avec ses aléas vient bousculer des idées toutes faites. L'être humain, qu'il le veuille ou non, est jeté dans la foule des humains, et emporté par le courant de l'existence. Où ? Vers la mort, et s'il le désire : au-delà de la mort, en Dieu ! Mais il doit chercher ce Dieu de liberté qui ne s'impose à personne. La foi commence ainsi. Dieu se révèle dans la méditation biblique, mais on l'imagine aux entours de la réalité psychique que nous habitons. Mais le Dieu biblique n'habite pas l'espace extérieur, et l'image spatiale qui nous vient à l'esprit est inadéquate. Dieu habite le temps que chacun traverse ; notre corps est comme une barque posée sur une mer intérieure parfois agitée, car ce lac intime est enfermé dans ses rives. Les tempêtes sont fortes et soudaines. Dieu dort dans la barque à la place du barreur ; il attend d'être réveillé, laissant au passager la liberté de ce réveil (Mc 4,36-38). Durant la traversée qui est sa vie, le passager peut se contenter d'observer les choses du dehors, souvent belles. Il ne voit pas que, dans la barque près de lui, Dieu est là. Dieu attend d'être secoué, bousculé, d'être prié en vérité et avec foi. Il agit alors et mène le passager au-delà des tempêtes selon une logique de navigation qui échappe à ceux qui ne voient que l'extérieur, la sécurité de la vie. Il existe une vision spirituelle, meilleure que l'image spatiale, celle de l'amour juste : l'intelligence de la foi et la connaissance de Dieu. L'une et l'autre touchent à la gestion du temps intérieur. Cultivées chaque jour, elles apportent peu à peu la mémoire du Seigneur. Ainsi faut-il apprendre à "relire" nos vies en Dieu et pas seulement en nous ! Telle est la clé formulée dans le Symbole baptismal, clé pour la Bible et clé pour la vie. Dans la foi biblique, d'abord et avant tout, Dieu est "le Père" universel, père au sens sémitique du terme. Bien qu'invisible et transcendant, cet Être originel donne vie à tout être, et il s'annonce lui-même dans sa créature traversée par le temps. Cette annonce est "première", primordiale, fondamentale pour la vie chrétienne. Dieu, l'origine de tout, est vivant, il est le principe même de la vie spirituelle. En grec, on le dit : l'archè ! En araméen, le Père se dit "Abbah4". Le baptisé en témoigne dès que l'Esprit de Dieu vient s'unir à son esprit. Paul souligne cette nécessité spirituelle et intérieure à des Romains tentés par un juridisme extérieur (Rm 8,15-16), un ritualisme peut-être, attirés au mieux par une morale légaliste, enseignée du dehors comme une leçon d'école qui éviterait de faire l'expérience du temps. L'année de la foi nous invite à mesurer combien notre rapport à Dieu n'est pas de l'ordre de la nature, 3 4 Cet univers n'a pas de transcendance, et Dieu lui-même appartient au cosmos comme dans les cultes agraires. L'article ha se place après le mot ab qui signifie "père". 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 4/20 qu'il appelle un travail particulier de notre esprit livré au temps. L'essentiel travail spirituel suppose une ouverture à l'invisible Réalité qui se tient "au-delà" du réel habituel. N'est-il pas nécessaire de cultiver en nous la transcendance d'un Dieu vivant qui se révèle en l'homme ? Un long apprentissage élargit l'esprit humain à la dimension du ciel. L'exemple de l’antiquité chrétienne laisse entendre plusieurs années d'initiation pour des catéchumènes, adultes, chercheurs de Dieu. L'évangile de Jean revient plusieurs fois sur la Réalité du Père qui est aux cieux, qui habite au-delà de notre existence. Jésus le dit pour lui-même : Le Père est en moi, et je suis dans le Père (Jn 10,38). L'homme, qu'est d'évidence le fils de Marie, entend le Père en lui, et il ajoute la réciproque : "Je suis dans le Père". Jésus habite ce Père. La Réalité divine qu'il perçoit en lui, qu'il entend dans la prière, existe donc hors de lui. Dieu n'est pas une émotion religieuse passagère d'ordre psychique, il est la Réalité fondamentale, appelée aussi vie éternelle. Et la recherche de cette vie éternelle semble être la visée principale des évangiles, voire leur principe fondamental (Mc 10,17; Jn 3,15; Lc 10,25). Jésus ne s'arrête pas là. Dans sa prière, juste avant sa mort, le Seigneur élargit à ses disciples la réciprocité "Père-Fils" qui l'habite. Comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi, qu'eux aussi soient "un" en nous [...] pour qu'ils soient "un" comme nous sommes "un" : moi en eux et toi en moi [...] Que là où je suis, je veux qu'ils soient avec moi (Jn 17,21-24). Jésus paraît déjà habiter la vie éternelle, il réside dans cette Réalité invisible qui est l'unicité de Dieu. Dieu est UN ! L'unique Père embrasse toute l'humanité de ses deux bras. Il nous entoure, nous accompagne, et nous entrerons tous en Lui après avoir traversé la mort et être passés dans l'éternité. Nous avons l'aide du Fils visible en son humanité et celle de l'Esprit que le croyant demande au Père en priorité (Lc 11,13; Mt 12, 31-32). Les disciples de Jésus, qui acceptent, chaque jour, de prendre le chemin très risqué du temps, se retrouvent avec leur Seigneur dans le même et unique "lieu" spirituel : la Réalité éternelle de justice et d'amour. Celui qui aime et vit en vérité ne craint pas la mort naturelle qui vient de toutes façons. En revanche, les païens, qui habitent tous les pays de notre monde (le mot n'est pas péjoratif), ignorent la Réalité de l'Alliance et sa verticalité, ils ignorent Dieu. Et si jamais ils lisent la Bible, ils la prennent au ras du texte et la comprennent comme un texte du passé puisqu'ils ne voient pas Dieu dans le texte, mais seulement un mot qui ne leur dit rien. Les païens ne sont donc pas en mesure de quitter leur ignorance. Dans les Actes des Apôtres5, Luc esquisse le portrait du païen de son époque. Cet athée ignore tout du Dieu vivant, il est incapable de concevoir la pratique priante de la sainte Écriture. Vu par l'évangéliste qui désirerait lui confier l’Évangile, le païen semble inatteignable car il s'en tient au monde extérieur, à la nature. Attaché au cosmos, il est tenté par la magie, la drogue et l'attrait de l'argent. Comment pourrait-il avoir l'idée d'une Réalité invisible qui habiterait le temps de sa vie ? Il peut tout juste imaginer Dieu dans la religion, dans les lieux de culte, mais que Dieu puisse être si près de lui sans qu'il le sache, est de l'ordre de l'impossible. Un tel état d'esprit commande à la fois la religion extérieure, et l'athéisme qui habite la même extériorité. Les missionnaires qui évangélisèrent le monde pour la première fois avaient bien conscience de cet obstacle mental. 4. C'est par le Fils que le croyant va au Père. La première évangélisation, lancée par Pierre et Paul en Asie Mineure et en Grèce, semble avoir voulu 5 Les communautés juives chrétiennes disparaissent vers la fin du premier siècle. Deux facteurs s'ajoutent. Une persécution systématique de l'administration romaine depuis la révolte juive (66-70). Les juifs sont traités de barbares. Par ailleurs, sous la direction du judaïsme rabbinique, toutes les synagogues ont fermé leurs portes aux chrétiens, même autour du lac de Tibériade, le berceau de l’Église (Lc 10,13-15). 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 5/20 faire découvrir aux païens grecs la Réalité divine, ce Père Créateur du ciel et de la terre, dont ils ignoraient tout. Comment aller au Père sinon par le Fils, Dieu fait homme, ressuscité d'entre les morts, qui s'annonce dans les Écritures ? Et cette première annonce de Dieu aux païens de jadis a réussi audelà de toute attente. Très vite, des dizaines de communautés chrétiennes se sont constituées un peu partout dans l'empire. Chaque dimanche, elles se réunissaient pour écouter la Parole de Dieu et vivre d'une vie nouvelle ouverte sur l'éternité divine. Alors que la Réalité du Créateur, qui engendre le monde à son amour, évoque la relation globale de la divinité à notre humanité, l'écoute de la Parole de Dieu est, pour le païen, une pratique inconnue qu'il devra acquérir. Il devra comprendre comment Jésus est la porte du ciel ! (Jn 10,9)6. Pour croire dans le Père, c'est-à-dire situer sa vie dans la Réalité divine, le païen devra commencer par croire dans le Fils, c'est-à-dire entendre le Fils "parler" en lui et y répondre. Mais il faut du temps ‒ il faut le temps ‒ pour percevoir le murmure du ciel dans la prière. Le Fils est alors identifié à la Parole du Père. Il est la voix qui traverse l'histoire biblique tout entière comme elle traverse aujourd'hui la vie intérieure du pratiquant biblique. Bien que pure transcendance, cette voix silencieuse s'entend au point d'être dite « Parole de Dieu ». Le prophète Élie l'entendit à l'Horeb au matin d'une fuite tragique à l'issue de laquelle il reçut une mission nouvelle (1 R,19,13). Chacune des étapes du trajet du Fils, qui constitue aujourd’hui le centre du Symbole, porte un aspect de la Réalité divine que le Fils révèle dans son parcours. Ce Credo baptismal ne fait que préciser l'itinéraire décrit dans l'évangile de Jean : Nul n'est monté au ciel, sauf celui qui est descendu du ciel, le fils de l'homme qui est au ciel (Jn 3,13). Le fils descend, et c'est Noël. Après la Croix, le Fils ressuscite, il a vaincu la mort, et c'est le triomphe de Pâques. Cinquante jours plus tard, l’Église célèbre la descente de l'Esprit sur le Corps du Christ rassemblé, c'est la Pentecôte... Le temps de l’Église est désormais constitué selon un cycle liturgique annuel. Dans sa communauté de prière, chaque baptisé parcourt, étape par étape, le trajet du Fils dans le temps de sa vie7. Le chemin du Fils est incompréhensible sans l'aide de l'Esprit du Père qui envoie sa lumière. Nous allons au Père d'où tout vient, grâce à l'action conjuguée du Fils et de l'Esprit. Comment se réalise cette expérience de Dieu ? En écoutant la Parole, à la clarté divine de l'Esprit-Saint selon les douze étapes énumérées dans le Symbole baptismal. Les communautés chrétiennes traversent ainsi l'année liturgique. À chaque étape, ou à chaque moment liturgique, l’Église propose des lectures adaptées des deux Testaments bibliques : l'ancien Texte résonne dans l’évangélique nouveau comme une prophétie de l'unique Seigneur. Il y a en chacun des écoutants, comme un écho de la Parole. C'est bien cela l'expérience trinitaire, elle permet la prière nourrie de la Bible chrétienne et de la vie sacramentelle qui se nourrit elle-même du Verbe, la Parole faite chair. 6 7 Les premières lignes du chapitre 10 de l'évangile de Jean semblent évoquer le trajet du catéchumène qui écoute le Seigneur et découvre la Porte d'en haut qui ouvre sur le Père. D'autres moments nourrissants se préciseront dans les siècles qui vont suivre, par exemple la seconde ascension des Actes des Apôtres, qui n'est pas simple à comprendre : pourquoi deux ascensions ? 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 6/20 C. Les cinq premiers siècles de l’Église 1. Premier siècle : la sortie du judaïsme et l'évangélisation des païens Le premier siècle est essentiel à connaître, car la culture chrétienne y est née à travers différentes péripéties. En soixante-dix ans, après deux ou trois générations chrétiennes, l’Église émerge du judaïsme en ayant vécu de terribles moments où la foi s'est affermie. a. Les Églises judéo-chrétiennes des années 30 La Résurrection du Christ, en l'an 30 de notre ère, a jailli sur les terres galiléennes où le prophète Jésus était connu et apprécié du peuple. Des dizaines de synagogues, autour du lac, paraissent avoir identifié Jésus au Christ attendu. Elles l'entendaient "parler" dans les Écritures. Ces juifs de Galilée sont devenus tout naturellement chrétiens. Ces juifs, premiers chrétiens, semblent avoir rapidement identifié le Ressuscité avec Adonaï, le Seigneur qui est écouté, chaque shabbat, dans les synagogues. Et l'hostilité des sadducéens du Temple a peut-être favorisé cette incroyable identification. Par ailleurs, à Pâques, au milieu du mois de nissan, trois jours de fête chrétienne célébraient la mort et la Résurrection de Jésus. La Pâque chrétienne était vécue comme un enrichissement du calendrier juif palestinien. Chaque année, cette Pâque de l'Agneau que fut Jésus, précédait d'un jour la Pâque juive célébrée le 14 du mois de nissan. Lus et reçus comme des textes chrétiens, et non comme un compterendu du passé, les évangiles sont convergents sur ce point. Les études du cardinal Daniélou sur le Judéo-christianisme 8 font toujours autorité sur ces débuts juifs de l’Église chrétienne, époque que Luc a omis dans ses écrits à Théophile. On voit bien comment la typologie chrétienne s'est mise en place à travers des correspondances nommées testimonia (ou "témoignages" du Christ dans les Écritures). C'étaient des « colliers » de citations bibliques comme il y en avait dans le monde juif9. b. L'évangélisation des années 40-60 Luc, dernier des évangélistes, a raconté cette évangélisation des païens, décidée à Antioche sous la responsabilité de l'apôtre Pierre et le leadership de Paul qui fut recruté pour ce travail missionnaire. Il y eut au départ une forte persécution des chrétiens à Jérusalem. Cette persécution sanglante a dispersé les juifs chrétiens installés dans la capitale. C'est à cette occasion que Jean, fils de Zébédée, qui, comme Paul, semble avoir étudié la tradition juive auprès de sages juifs, immigra avec quelques milliers de personnes dans la région d’Éphèse à l'extrémité ouest de l'Asie mineure. D'autres s'installèrent à Chypre, d'autres à Antioche et d'autres encore au-delà du Jourdain, etc... Dans les Actes des Apôtres, Luc esquisse l'orientation pastorale de cette évangélisation en schématisant la mentalité magique et très religieuse des grecs à évangéliser. Ces chrétiens d'origine païenne 8 9 Sacramentum futuri (les testimonia) (Beauchesne 1950) ; Études d'exégèse judéo-chrétienne, Études sur les origines de la typologie biblique (Beauchesne, 1966). Les sages juifs avaient l'habitude de mettre ensemble plusieurs versets bibliques qui s'enrichissaient mutuellement. Ce procédé de « colliers » de versets est sous-jacent à la fois à l'Ancien Testament et aux évangiles. Ces correspondances sont pertinentes puisque le même Dieu est agissant en toute la Bible. Le monothéisme biblique justifie ces harmoniques littéraires. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 7/20 constitueront peu à peu les premières communautés chrétiennes non-juives, qui reconnaissaient la présence active de l'Esprit de Dieu et du Ressuscité. Il est probable que les récits évangéliques, qui ont servi à l'évangélisation, furent écrits à Antioche sous la responsabilité de Pierre pour devenir le support narratif du travail missionnaire. Ces textes issus de la Galilée chrétienne, faisaient écho à des récits de l'Ancien Testament, lus dans la traduction grecque de la Bible juive. L'identification de Jésus avec le Seigneur qui « parle » aux juifs de la Première Alliance était certainement le cœur du dynamisme évangélique. Dans ces communautés juives chrétiennes, Jésus ressuscité était prié, célébré, acclamé et reçu au Baptême et dans l'Eucharistie. On attendait même son retour définitif dans une société romaine en plein chamboulement, on le réclamait même : Marana, tha ! Viens, Maître ! (Ap 22,17 & 20). c. L'antisémitisme exacerbé : de 64 à 70 C'est en 66 que les hostilités commencèrent en Palestine, mais l'antisémitisme sévissait partout dans l'empire. Et quand la ville de Rome brûla en juillet 64, incendie causé par un accident domestique, les coupables furent aussitôt désignés : les juifs ! L'évangélisation reçut un sérieux coup d'arrêt, car les apôtres étaient tous juifs. Pierre et Paul furent mis à mort. Heureusement que leurs adjoints, plus jeunes, purent s'échapper avec les archives de l'évangélisation. Marc s'embarqua pour Alexandrie, et Luc se retrouva dans la région d'Éphèse qu'il connaissait bien, il y avait rencontré Paul quelques années plus tôt10. Dans cette période plus que trouble, Marc écrivit son évangile à partir des archives de Pierre qu'il avait emportées, et d'un évangile en araméen de Matthieu, découvert dans la grande bibliothèque d'Alexandrie. Ce texte disparu décrivait probablement la liturgie pascale des premières communautés judéo-chrétiennes de Galilée. L'évangile de Marc, terminé sans doute à Alexandrie à la fin des années 70, fut le premier évangile organisé destiné à alimenter la liturgie de la Parole des communautés de l'empire. Il correspond à un cycle liturgique annuel, et fut sans doute l'évangile commun utilisé partout dans les églises au cours des années 70. Il servira de base aux évangiles ultérieurs de Luc et de Matthieu. De son côté, Luc réfugié à Éphèse chez son ami Timothée, chef de la communauté, a sans doute diffusé les dernières lettres de Paul. L'homme de culture, qui deviendra le troisième évangéliste, a pu rédiger l’épître aux Éphésiens à partir de notes prises auprès de l'apôtre des païens. Peut-être a-t-il aussi écrit l'épître aux Hébreux, il en avait largement les compétences, mais il est difficile de le prouver. La révolte des juifs de Judée contre l'empire romain a éclaté en 66, et la capitale des juifs, encerclée par trois légions romaines soutenues par des machines de siège, fut prise quatre ans plus tard. Jérusalem en ruines fut quasiment rayée de la carte politique, et le magnifique Temple, bâti par Hérode, partit en fumée. Le royaume des Hérode disparut, ainsi que les pèlerinages au Sanctuaire, tant prisés par les juifs de l'empire. Privé de son Temple, le judaïsme était décapité, il fallait vite imaginer un autre judaïsme avec de nouvelles règles pour les synagogues. Les communautés judéo-chrétiennes, déjà très touchées par la guerre, allaient disparaître face à une persécution qui venait à la fois de l'administration romaine antisémite et des frères juifs qui refusaient le messianisme chrétien. Et l'on sait, par l’Apocalypse de saint Jean, que les communautés juives-chrétiennes de la région d’Éphèse furent envoyées aux travaux 10 Selon les Actes, le jeune Luc aurait rencontré Paul à Troas au nord d’Éphèse, au moment de passer en Grèce (Ac 16,11 et Ac 20). À deux reprises (aux deux voyages), le récit devient collectif, il s'écrit en « nous ». L'auteur des Actes semble bien avoir été de la partie. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 8/20 forcés dans l'île voisine de Patmos. d. Les années 70 et le retour en force du judaïsme rabbinique Les romains redonnèrent une chance aux juifs officiels en acceptant qu'ils installent un nouveau centre religieux à Yavné sur la Méditerranée non loin de Gaza. De là, ils organisèrent un judaïsme sans Temple, forcément hostile à un christianisme qui prétendait être "le nouvel Israël". Les évangiles de Jean et de Matthieu témoignent de cette guerre fratricide. En 78, les synagogues furent invitées à réciter la nouvelle prière dite des "18 bénédictions". Mais la douzième bénédiction impose à la communauté priante de maudire les juifs déviants, c'est-à-dire les judéo-chrétiens. Comment peut-on se maudire soi-même ? Quatre ou cinq ans plus tard, la nouvelle prière fut rendue obligatoire, les chrétiens juifs, montrés du doigt et privés de lieu de culte, furent obligés de quitter leur synagogue et parfois aussi leur village ou leur quartier. C'est à cette époque que l'évangile de saint Jean fut écrit un peu comme une bouteille jetée à la mer. On y passe en revue les "signes" de Jésus-Christ ressuscité. Derrière l'évidente théologie johannique, il y a aussi, moins visible, la manière de lire la Bible en la référant au Seigneur Jésus. Cette exégèse chrétienne des Écritures risquait, elle aussi, de se perdre. Le verbe theôrein, expression quasiment technique en exégèse biblique est souvent employée dans ce texte tardif. Le mot semble renvoyer à la lecture chrétienne pratiquée dans les communautés johanniques. Le verbe theôrein sera repris plus tard dans la theôria chère à l'exégèse d'Antioche dont nous parlerons plus loin. Le terme évoque une ou plusieurs correspondances bibliques réalisées autour d'une image centrale, figure, type ou tupos11 ; on traduit souvent theôrein par "contempler" pour mettre en évidence l'attitude spirituelle. Marie-Madeleine contemple (theôrei) le tombeau ouvert dans le jardin du Golgotha, elle "voit" deux anges assis de part et d'autre de la pierre tombale où Jésus reposait (Jn 20,12). La scène allusive semble renvoyer au jardin d’Éden qui fut fermé par Dieu. Le tombeau ouvert peut en effet évoquer le Paradis ouvert. La theôria est cette contemplation du Ressuscité agissant dans le récit de la première Alliance. Ce mot grec commence en plus par l'évocation de Dieu (Theos), qui joue comme un clin d’œil spirituel dans le cœur du croyant. Luc a souvent utilisé le verbe theôrein, et il applique curieusement le mot theôria à la scène très théologique de la Croix contemplée par des foules qui se repentent ! La scène évangélique est déjà une icône du Seigneur. En s'inspirant de la théologie et de l'exégèse johannique, Luc a sans doute sauvé le patrimoine apostolique de l’Église. Depuis sa fuite de Rome, le jeune homme vivait à Éphèse, probablement dans la communauté fondée par Paul, qu'il avait jadis bien connue. Mais cet intellectuel, mystique et ouvert à l'universel, n'était pas homme à refuser l'autre communauté chrétienne que le bouillant Zébédée, exilé de Jérusalem, avait fondée. N'était-elle pas aussi apostolique que la tradition de Pierre ? Il semblerait que l'intransigeant fils du tonnerre (Mc 3,17) n'ait pas du tout participé à l'évangélisation des païens. Il n'appréciait peut-être pas l'initiative de Pierre d'ouvrir les portes de l’Église au toutvenant du paganisme. D'ailleurs, le fils Zébédée semble n'avoir jamais rencontré Paul, qui habita pourtant Éphèse en même temps que lui. On sait par ailleurs qu'il y eut de graves désaccords entre Pierre et Jean qui avaient pourtant annoncé ensemble la Résurrection du Christ en Galilée et en Judée12. Ce désaccord touchait probablement à l'évangélisation sans conditions des goïm impurs. 11 12 Le mot est employé par Paul pour évoquer un personnage (Rm 5,14) ou une scène biblique (1 Cor 10,6). Il est à la base de l'expression "typologie". On le trouve en Jn 20,25. Nous verrons plus loin comment ce mot s'est imposé dans l’Église. Jean n'apparaît pas à la rencontre de Jérusalem en l'an 50 (Ac 15). Son nom n'est même pas cité. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 9/20 Tout comme il s'était mis à l'école de Paul, Luc s'est donc mis à l'école de Jean en fréquentant ces autres chrétiens apostoliques qui furent dès le début, témoins oculaires et serviteurs de la Parole (Lc 1,2). Et, à partir de ces rencontres avec l'autre tradition apostolique, il écrivit son propre évangile en enrichissant celui compilé par Marc, d'éléments tirés de la riche théologie johannique. L'Incarnation du Verbe, la Résurrection du Crucifié, l'écoute trinitaire de la Parole de Dieu, et le modèle marial de cette écoute ont été ajoutés à l'évangile de Marc, celui du Secret Messianique qui venait d'une période antérieure. La pédagogie du secret y avait été essentielle, elle incitait à l'intériorité de la foi, à la patience nécessaire pour entrer dans le temps du salut, et à l'approfondissement spirituel des Écritures. En revanche, la théologie de l'Incarnation du Verbe avec sa dimension trinitaire n'apparaissait pas encore. e. La fin du premier siècle Vers la fin du premier siècle, Luc fait paraître ses deux écrits à Théophile (son évangile et les Actes des Apôtres). Ces deux textes associés, inséparables l'un de l'autre, situeraient bien Luc à la fin de la rédaction évangélique. On a eu tort de classer le troisième évangile dans les synoptiques, il présente une étape nouvelle en ouvrant un large horizon : "la vie de Église", absente jusque là. Il est probable qu'à cette époque, l’Église cherchait à unifier ses pratiques liturgiques en proposant pour les sacrements l'approche trinitaire du Dieu biblique. Un unique baptême au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit fut alors diffusé dans tout l'empire et sans doute au-delà. Serait-ce à ce moment que s'est développée l'habitude d'ouvrir et de fermer la prière chrétienne par un signe de croix ? Les mêmes ajouts théologiques et sacramentels que dans l'évangile de Luc se retrouvent dans la dernière version de l'évangile de Matthieu. À la fin de ce texte catéchétique, le Ressuscité dit aux onze disciples : "Baptisez toutes les nations au Nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit..." (Mt 28,1920)13. La grande Église, devenue universelle, semble bien proposer partout la même pratique sacramentelle qui suppose déjà la structure trinitaire des futurs symboles baptismaux. Luc en fut sans doute un fervent partisan. Même si Eusèbe de Césarée (IVème siècle) dit que Luc est originaire d'Antioche, l'évangéliste a longtemps vécu dans la région d’Éphèse-Troas où il serait retourné après l'incendie de Rome. La région était calme, et le port permettait d'atteindre facilement les grandes métropoles de la Méditerranée orientale. On ne sait quel fut le rôle du futur évangéliste auprès de Timothée et d'autres nouveaux apôtres missionnaires ? N'aurait-il pas été été la plume d'une équipe dirigeante, et peut-être plus que cela s'il se déplaçait dans les communautés ? À la fin du premier siècle, les évangiles étaient donc quasiment écrits, il y aura peu de modifications par la suite, même si de nouveaux horizons vont bientôt apparaître. f. Une possible réforme liturgique ? La fin de la rédaction évangélique, au moment où Luc ajoute à l'évangile son texte sur l’Église, pourrait bien coïncider avec une réforme liturgique de dimension universelle. Elle n'est dite nulle part, mais tout semble y mener. L’Église couvre alors un immense territoire et ses pratiques ne sont certainement pas unifiées, comme paraissent l'évoquer les Actes des Apôtres (Ac 19,2-6). À Éphèse, on ne connaît apparemment que le baptême de Jean... baptiste. Et l'enrichissement théologique de l'évangile de Marc, 13 L'exégèse moderne a bien perçu que l'évangile de Marc semble être le fond commun des évangiles de Luc et de Matthieu. Il y eut des ajouts, une seconde source dit-on, mais qui pourrait correspondre aux apports de Luc. Ces ajouts coïncideraient avec une réorganisation de la catéchèse. Tout cela se discute. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 10/20 réalisé par Luc, appelle le baptême trinitaire. La réforme liturgique supposée, n'apparaît-elle pas en termes voilés dans les deux premiers chapitres des Actes ? Les apôtres ‒ comprendre peut-être les baptisés de l'année ‒ sont appelés à vivre cinquante jours d'approfondissement spirituel. Ils viennent d'être baptisés et ont communié pour la première fois au temps de Pâques, à l'équinoxe de printemps. Le second écrit à Théophile s'ouvre sur un partage du sel où le Ressuscité est présent. Les apôtres, les nouveaux comme leurs prédécesseurs, verront Jésus monter au ciel, sans doute dans un ciel spirituel. Puis ces chrétiens engagés partiront du Mont des Oliviers pour se rendre à Jérusalem après avoir parcouru un chemin de shabbat (un samedi de prière ?). Cette nouvelle Jérusalem, chère à Luc, n'est évidemment pas la capitale politique des juifs, détruite trente ans plus tôt. À lire ce récit, on imagine l'histoire des premiers apôtres, mais il s'agit peut-être aussi d'un présent sacramentel. Ce langage biblique est destiné à être actualisé par les chrétiens, mais le mystère du Christ qui fait l'actualité de ce langage biblique, doit pouvoir être perçu par les non-initiés comme la description d'un passé neutre, nullement mystérieux. Telle est la règle de l'arcane. Ce texte qui dit le mystère – on le dit mystagogique – est destiné à être compris de l'intérieur. Les cinquante jours d'approfondissement spirituel se terminent par la fête de la nouvelle Pentecôte qui prend, en JésusChrist ressuscité, la dimension universelle de la Jérusalem d'en haut14. 2. Le second siècle chrétien : le conflit des cultures En cette fin de siècle, personne ne connaissait plus Jésus selon la chair. Personne non plus ne rencontrait un témoin de l'époque où avait vécu le fils de Marie. L'humanité du Seigneur entrait ainsi dans l'histoire, et pour certains dans la légende. Cet éloignement des origines chrétiennes allait en effet produire d'innombrables spéculations sur l’identité réelle du Seigneur. Sa divinité, séparée de la chair, risquait de frapper les imaginations et d'écraser l'union intime de l'homme et de Dieu, parfaitement réussie en Jésus. En plus, la transcendance biblique, portée dans sa chair par le prophète de Nazareth reconnu comme Christ (ou Messie), risquait aussi de disparaître. Toute la foi chrétienne pouvait s'écrouler dans des gnoses cérébrales. La seconde révolte juive contre l'empire (132-135) ne fit qu'exacerber l'antisémitisme ambiant, et que dévaluer encore plus l'héritage biblique venu des anciennes synagogues. Luc avait déjà atténué cette origine juive de l’Église en taisant, dans son récit des Actes, les débuts galiléens de la foi chrétienne. À la lecture de l'histoire qu'il raconte, on peut avoir l'impression que la première communauté chrétienne habitait Jérusalem et avait été la malheureuse victime du pouvoir juif. En réalité, l'histoire fut plus lente et la situation politique plus complexe à l'intérieur d'un judaïsme marqué par une grande diversité et toutes sortes de tensions. 14 Elle se situe aux alentours du solstice d'été dans le calendrier liturgique déjà évoqué par Luc au début de son évangile. Là, le prêtre Zacharie reçoit le message de Gabriel dans le Temple de Jérusalem à l'heure de l'encens, qui sera celle de la Croix. La scène (liturgique) se situe sans doute à l'équinoxe de printemps, c'est-à-dire à la Pâque. Six mois plus tard, exactement, Marie reçoit la visite de l'ange. Tout le calendrier de Luc se révèle dans cette évocation temporelle. Six mois séparent Jean-Baptiste de Jésus, autrement-dit l'ancienne Alliance de la nouvelle. Ces deux pôles (Jean-Baptiste et Jésus) s'opposent dans une année de douze mois. Marie conçoit six mois après Élisabeth, et Jésus naîtra donc six mois après son parent. Serait-ce à Noël en hiver comme nous l'imaginons aujourd'hui ? Non, car dans le calendrier juif, l'équinoxe de printemps renvoie aussitôt à l'équinoxe d'automne, le mois de Tishri (début de l'année) répond au mois de Nissan où la Pâque se fête. C'est, semble-t-il, à cette occasion que Marie reçoit l'ange et conçoit. Trois mois plus tard, au solstice d'hiver, Élisabeth mettra Jean-Baptiste au monde, alors que les juifs fêtent Hanoukha. Six mois après, au solstice d'été, Marie enfantera Jésus, alors que la lumière solaire est à son maximum. C'est aussi la nouvelle Pentecôte narrée dans les Actes des Apôtres. Cette hypothèse ouvre bien des horizons. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 11/20 Cependant, les apôtres juifs d'Antioche transmettaient à l’Église des nations l'écoute liturgique de la Parole de Dieu. Et cette expérience essentielle devrait limiter les dérives de ceux qui se fixent sur un savoir religieux. Aujourd'hui comme hier, une humanité à l'esprit concret, formatée par la raison philosophique, refuse la transcendance du ciel, et accueille difficilement l'apport divin de la culture biblique de la Parole15. C'était vrai chez les grecs antiques, ce l'est encore. Ce n'est pas le lieu ici d'énumérer, comme l'a fait Irénée à la fin du siècle, les gnoses spéculatives véhiculées par des philosophies dualistes. L'enjeu essentiel des débats est bien la transcendance du Dieu biblique qui n'appartient pas au cosmos. Toutes ces théories, dites "hérétiques", occultent l'écoute trinitaire du Verbe divin, sur laquelle insisteront tant les Symboles baptismaux futurs. La culture gréco-romaine était véhiculée par les mythes grecs, surtout l'Iliade et l'Odyssée, allégorisés en une morale acceptable. Cette culture, concrète dans ses idées, va se heurter à l'écoute biblique de la Parole de Dieu, qui ouvre à l'expérience intérieure du Transcendant. Et cet usage priant des Écritures, hérité des grands prophètes juifs, coïncide avec celle du Ressuscité de Pâques, descendu du ciel pour retourner au ciel et y conduire l'humanité. Cependant, l'homme enfermé dans l'une ou l'autre religion, voire dans une laïcité militante, crée Dieu à son image. Il usurpe la place divine. Les guerres de religion de tous les temps sont nées du rationalisme et d'un refus religieux de la Transcendance. Contre la raison raisonnante, juifs et chrétiens affirment le même monothéisme d'en haut16 : Notre Père est aux cieux17 ! Ces deux peuples de la Bible disent la même Réalité, chacun avec leurs mots : Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ! Les mythes interprétés ignorent ce "lieu des hauteurs", et se contentent d'illustrer une éthique humaine. En revanche, l'écoute biblique de la Parole de Dieu a une autre portée : accueillir l'au-delà divin, la justice et l'amour qui descendent d'en haut pour être vécues en bas. Le Seigneur appelle l'homme, et celui-ci donne son accord : "Amen ! De tout moi-même, âme et corps associés, je désire monter vers le Père à la suite du Fils pour vivre ressuscité en Lui". La transcendance du Vivant, qui vient à l'homme, est refusée, voire ignorée, par les spéculations pseudo-philosophiques, ou pseudo-scientifiques, qui se répandent dans le monde depuis la fin du second siècle. Irénée répond à ces dérives mentales en rappelant la pratique trinitaire de la Parole de Dieu, soutenue par la typologie biblique dont l’Église se nourrit. La fin du second siècle de notre ère précise déjà où se situe le conflit des cultures 18, dans la différence qui existe entre l'allégorisation moralisante des mythes19 et l'expérience trinitaire du Dieu qui se situe au-delà du cosmos, dont il est le Créateur. D'un côté : horizontalité de la vie, et de l'autre : verticalité. 3. Le troisième siècle, le rayonnement spirituel d'un catéchète La famille d'Origène était originaire d’Égypte, son père mourut martyr, et lui-même mourra des suites 15 16 17 18 19 Il est possible que ce soit aussi un handicap pour des juifs, eux-mêmes tentés par un fondamentalisme biblique aux racines politiques. Mais c'est un autre sujet. L'Islam, comme ses deux religions sœurs, quand il est instrumentalisé par une idéologie politique, devient l'adversaire acharné de la Transcendance divine, qu'il affirme pourtant hautement : Allah est grand ! Et c'est vrai. Le Notre Père chrétien est une reprise élargie du Qadish juif, qu'on appelle aussi "prière des morts". Il en existe plusieurs versions. Le concept d'inculturation de l'évangile dans les cultures de ce monde (Directoire Général pour la Catéchèse, N°202) restera flou et inopérant s'il ne pose pas explicitement la question de la transcendance divine, c'est-à-dire l'impact de Dieu-Très-Haut en l'homme terrestre ? Nos sociétés techniques évacuent tout naturellement Dieu et l’Église. Aujourd'hui, on utilise parfois les évangiles à la manière de l'allégorisation des mythes grecs pour en tirer une petite plate morale qui neutralise le Dieu transcendant. Par exemple, Noël ne célèbre plus l'Incarnation de Dieu en notre humanité, et fête la naissance de Jésus, voire son anniversaire. C'est sympathique, mais plutôt réducteur. L'évangélisation devra montrer de la compréhension et de la finesse. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 12/20 d'un cruel emprisonnement. Origène était un chrétien cultivé dont le projet catéchétique visait l'expérience biblique et spirituelle de la Parole de Dieu, fondement essentiel de toute vie sacramentelle. Il introduisait les catéchumènes dans la Transcendance du Christ, Verbe divin qui "parle" partout dans les Écritures. Pour le catéchète alexandrin, toute image biblique, toute figure de l'histoire d'Israël, voire tout détail du texte, était l'occasion de cultiver la transcendance. En Christ, grâce au rapport entre les deux Testaments, tout élément linguistique de la "lettre" biblique peut être, selon lui, l'occasion d'une signification chrétienne inspirée par l'Esprit. Car la lettre tue, seul l'Esprit vivifie (2 Cor 3,6). Catéchète, il recherche l'expérience spirituelle qui se nourrit du texte inspiré en le recevant au-delà des mots. Il invite le catéchumène à dépasser la "lettre", autrement dit à exprimer la transcendance biblique en disant un sens spirituel. Il donne l'exemple. En cultivant son jardin intérieur, l'apprenti chrétien apprend à passer de la réalité historique, immédiate et mondaine, à celle du Royaume de Dieu. Origène recherche ce changement de niveau (mental), ce changement de tête, dans la réception priante du texte biblique. Il ne s'intéresse pas d'abord à la cohérence théologique, ni au raisonnement qui y mène, mais au cœur sincère qui s'ouvre à Dieu. On lui reprochera une théologie floue, mais il vit au troisième siècle, et sa mission était d'initier à l'écoute de la Parole de Dieu. Tout naturellement, Origène appelle "allégorie" ce travail spirituel, c'était le mot utilisé pour interpréter moralement les mythes grecs souvent immoraux. Origène s'inscrit dans les habitudes culturelles de sa société, il n'y voit aucun mal. Pour l'homme de foi qu'il est, l'allégorie biblique est infiniment supérieure à l'opération littéraire réalisée sur les écrits d'Homère, car le sens spirituel de la Bible est le Christ lui-même qui "parle" en son Église. Le travail sur les mythes de la culture profane a préparé l'allégorisation de la Bible chrétienne qui est d'un tout autre ordre. Dans son école de catéchèse, Origène introduisait les catéchumènes dans l'écho divin et la transcendance spirituelle. C'était bien sa mission. En son temps, Origène était reconnu comme un grand mystique et un excellent pédagogue, même s'il y eut des critiques à son égard. Il fut aussi honteusement jalousé par un certain clergé, qui l’obligea à s'expatrier à Césarée (maritime) en Palestine où, ordonné prêtre, il put travailler en paix et s'informer de près sur l'exégèse juive de l'époque. Certes, ce catéchète exceptionnel fut un théologien maladroit, mais il vivait en un temps où l'on ne bénéficiait pas encore de la synthèse théologique des grands conciles futurs. Origène était un homme de la première moitié du troisième siècle, en une société qui n'avait rien à voir avec ce quatrième siècle qui le jugea durement sans rien connaître de son milieu ! 4. Le quatrième siècle et le début du cinquième a. Origène vilipendé Ce siècle bouleversa la vie de l’Église, lui assurant pignon sur rue et pouvoir politique. L'institution ecclésiale devint la religion officielle de l'empire. Deux conciles œcuméniques ont lutté contre les erreurs théologiques courantes à l'époque, ils se sont tenus à Nicée et à Constantinople sous l'autorité de l'empereur. Ces deux grandes concertations ont confirmé la divinité du Fils et de l'Esprit, aussitôt intégrée dans le Credo officiel qui porte leur nom. Cette mise au point nécessaire n’enlevait rien, ‒ au contraire ‒ au travail biblique des catéchètes. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 13/20 Mais le contexte politique et extérieur de la foi semble avoir peu à peu gagné sur la Réalité du Père qui se situe au-delà de la réalité terrestre, que nous avons appelée « transcendance ». L’Église accueillait de plus en plus de monde, et la culture ambiante était bien peu biblique. Dès lors, le changement d'univers mental que la conversion au Christ suppose, se faisait sans doute mal. D'ailleurs, la discipline de l'arcane qui imposait le secret des textes de la foi, disparaîtra à la fin du siècle sur la rive nord de la Méditerranée occidentale. C'est pourquoi la polysémie des mots de la foi a dû peu à peu se perdre au contact d'une culture ambiante sans verticalité. Les mots de la foi se banalisent vite quand la lecture spirituelle est absente. L'invasion barbare a ensuite brisé l'ordre établi. Rome fut pillé en 410. Alors dans les paroisses, adieu la culture biblique de l'Alliance, adieu aussi les sens spirituels inspirés par l'Esprit ! Heureusement, la lectio divina, cette lecture divine des Saintes Écritures référées au Christ, fut conservée avec soin dans les monastères. À l'est de l'empire, des tensions culturelles opposaient les rives sud et nord de la Méditerranée. Épousant de vieilles querelles politiques, l’Église nordique d'Antioche et celle sudiste d'Alexandrie montraient une agressivité réciproque. Cette hostilité ne fit qu'exacerber les injustes accusations portées par Antioche contre l'allégorie excessive du catéchète égyptien, dont nous avons compris la raison : aider à faire le saut dans la Réalité du Père, et permettre la communion avec cette Réalité du Dieu transcendant. Dans un Orient vite échauffé, les critiques contre Origène continuèrent durant la première moitié du cinquième siècle. Il fallut le concile d’Éphèse (431) pour faire taire d'injustes accusations. La condamnation du littéralisme de Nestorius, l'archevêque de Constantinople, révéla les limites de l'exégèse du nord, parfois si collée au texte biblique qu'elle en oubliait le travail de l'esprit et minimisait la dimension christologique de toutes les Écritures20. (1) Le premier reproche fait à Origène fut son allégorisation galopante, la multiplication de significations spirituelles mal fondées dans la "lettre". L'expression d'un sens spirituel intéressait plus le catéchète que le sens historique qui était considéré à l'époque comme une description exacte du passé. Et introduire un doute sur ce que la Bible raconte aurait fragilisé la vérité puisque, sans critique historique, le texte est forcément pris pour la vérité. (2) C'est sans doute ce qui fit peur à certains : sortir du texte revenait à quitter la vérité du Livre saint et à faire de la Bible un mythe légendaire. Ce fut la seconde attaque lancée contre Origène : il aurait ôté sa chair à la Bible en mettant les saintes Écritures au niveau mythique et légendaire d'Homère. Pourtant, les exégètes des deux bords de la Méditerranée valorisaient la Bible de la même façon. Ils montraient la même rigueur dans la réception des détails du texte biblique. Tous tiraient de ce texte inspiré un enseignement au-delà de la "lettre", tous confrontaient tel passage biblique avec la suite de l'histoire d'Israël. (3) Toutefois Origène préférait aller droit au Christ, trop vite pour beaucoup. Ce fut le troisième reproche qu'on lui adressait : aller trop vite au Christ en sa catéchèse. Mais pour Origène, le temps de l’Église était arrivé avec l'Incarnation de Dieu et la Résurrection des morts. Ce temps est nouveau et singulier grâce à l'eschatologie qui lui est associée. Le temps traverse désormais une intériorité inconnue des siècles passés. L'âme chrétienne, nourrie par la Parole, monte vers le ciel, accueillie par le Ressuscité qui la ressuscite en Dieu. C'est cela l'eschatologie. Pour le catéchète d'Alexandrie, la véritable histoire biblique n'était plus le passé d'Israël, mais bien ces 20 Le débat exégétique s'est cristallisé sur la qualité de la Vierge Marie, figure essentielle de la foi chrétienne. Nestorius voyait simplement en elle la mère de Jésus et refusait de la nommer aussi « theôtokos », c'est-à-dire « mère de Dieu ». L'archevêque manquait de hauteur, son esprit positif appauvrissait la foi. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 14/20 jours qui sont les derniers qui ouvrent désormais toute l'humanité à la Résurrection de la chair (Hé 1,2). C'est pourquoi la Bible entière est relue et revécue en Jésus-Christ, le Fils du Père qui est aussi sa Parole. Inséparables des évangiles, les Écritures étaient, pour Origène et bien d'autres, le langage typologique qui oriente l'humanité vers la Résurrection et à la charité. La fin de la Loi et des Prophètes est le Christ, et il n'y a pas d'autre finalité, pas d'autre eschatologie. Ce mot célèbre est de Cyrille d'Alexandrie, l'homme qui présida le concile d’Éphèse. Toute la Bible est donc prophétie du Christ. C'était l'enseignement de Paul et du Nouveau Testament. Les baptisés sont appelés à cultiver en eux le don de prophétie, c'est-à-dire la typologie biblique (1 Cor 14,39). Car l'Église naît au monde quand l'éternité de Dieu se lie au temps des hommes. Grâce au Christ, ce temps où l'Alliance peut se vivre en plénitude, est enfin arrivé. C'est le temps du mystère, celui de la vie sacramentelle. On comprend pourquoi Origène allait droit au Christ en allégorisant et en actualisant tous les récits d'Israël, devenus en Église notre histoire du salut, une histoire mondiale. b. La question aujourd'hui La critique historique a pris une place prépondérante dans l'église catholique depuis un demi-siècle. Cette science donne raison à Origène en supprimant l'idée mythique de l'époque patristique : le texte biblique n'est pas une description linéaire et exacte du passé d'Israël, pas plus que les évangiles ne sont une vie de Jésus. Certes, derrière le texte saint, il y a bien l'histoire. Les historiens modernes cherchent à situer les scènes racontées dans les péripéties de l'histoire sainte. Dans quel contexte ont-elles été ainsi narrées ? Aujourd'hui le mot "historique" ne veut plus dire "factuel", mais "situé dans un passé" qui reste à déterminer. Les scientifiques reconstituent ce passé avec l’aide de matières annexes comme l'archéologie, l'épigraphie et évidemment l'histoire positive et datée, sous-jacente à la Bible. C'est pourquoi nous savons aujourd'hui que la Bible est le récit de l'Alliance de la terre et du ciel, de l'homme et de Dieu associés. Nous ne lisons plus le texte saint où Dieu est, comme la simple description du passé humain d'Israël. Le mystère du Très-Haut traverse de bout en bout l'écrit biblique dont la dimension théologique est essentielle. Et ce qui, jadis, pouvait paraître légendaire devient un élément crucial de la vérité, car il révèle la part du Verbe divin dans l'histoire d'Israël. Ainsi la science a-t-elle besoin de la foi pour entrer dans la littérature biblique qui vient de la foi. La Bible, Livre de l'Alliance, aux genres littéraires variés, narre l'action conjuguée du Créateur et de l'homme de foi. Celui-ci est en Dieu, et Dieu est en lui. Les disciples d'Origène défendaient cette transcendance de la lecture chrétienne des Écritures contre une exégèse polémique détachée de la foi, car trop attachée à la positivité des mots. Mais l'histoire positive, dont le texte biblique est une émanation, ne dit rien de l'âme nourrie de Dieu, ni de l'amour d'en haut, ni du don de soi aux autres, ni de la miséricorde, ni du courage que Dieu donne pour lutter contre l'injustice et les ravages de l'argent sale. En revanche, le texte biblique évoque l'expérience du Très-Haut, c'est pourquoi la foi peut venir au secours de la science, car Dieu est le même hier, aujourd’hui et demain. Connaître l'histoire positive sous-jacente au texte est important, mais s'en tenir aux faits, en oubliant l'intériorité qui se génère en elle, revient à exclure Dieu de la vie des hommes, à refuser le Créateur du monde visible et invisible. Ce Vivant de la foi n'attend pourtant que notre prière et nos actes pour diffuser sa grâce, ses dons et ses forces mystérieuses. Quiconque, de nos jours, se suffirait de la critique historique qui recherche les faits à partir desquels la Bible fut écrite, détruirait l'essentiel de la Révélation, il anéantirait la transcendance du Livre saint et 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 15/20 supprimerait, en toute bonne conscience, l’eschatologie de la Résurrection. Non seulement il ne verrait pas le trésor divin caché dans le champ des Écritures (Mt 13,44), mais fort de sa science critique, il passerait à côté du mystère du Christ et de l’Église, qui « étincelle » dans le cœur du croyant. D'où la grave accusation de dualisme que vient de porter Benoît XVI dans Verbum Domini21 contre une exégèse critique qui revendiquerait le monopole de l’interprétation. Cette intolérance de la science vis à vis de la foi serait plus dangereuse que le fondamentalisme naturel de l'humain qui divinise le texte sacré. En effet, en s'incarnant, le Verbe divin se rend présent à ceux qui l'écoutent dans toutes les Écritures comme les disciples d'Emmaüs l'écoutaient, le cœur tout brûlant du feu de l'Esprit (Lc 24,27; Jn 5,46). Cet évangile de Luc exprime bien l'expérience du Dieu trinitaire inscrite dans le Symbole baptismal. Origène a été cet immense croyant à qui l'on a refusé la sainteté qu'il avait pourtant payée de sa vie. Ce catéchète cultivé fut le plus lu et le plus apprécié des Pères de l’Église, malgré toutes les condamnations qui ont plané sur lui pendant un siècle et demi. Au onzième siècle, saint Bernard témoignait encore de la qualité de ses méditations typologiques. Comme catéchète et praticien de la Parole, Origène n'est-il pas bien placé aujourd'hui pour transmettre la dimension transcendante de la foi, le complément spirituel qui manque tant à une critique historique du texte saint, incapable d'interpréter la typologie biblique inspirée par ce Dieu qui appelle l'ensemble des humains ? Il nous faut maintenant préciser le lien intrinsèque qui unit en profondeur la Bible et son principal genre littéraire : la typologie. c. La typologie biblique fut d'abord juive. En raison des critiques adressées au catéchète égyptien sur les origines païennes du mot allégorie, on préfère aujourd’hui utiliser le terme typologie. Ce mot technique semble évoquer la manière spécifique dont le Pentateuque a été écrit au cours des dizaines et des dizaines d'années qui ont suivi l'Exil à Babylone. Les communautés juives relisaient leur vie en référence au Dieu vivant, elles semblent s'être référées à des textes d'avant l'Exil, qui exprimaient en des scènes imagées l'agir de Dieu dans l'histoire de leur peuple22. Les rédacteurs, grands pratiquants de la Bible, mettaient l'accent sur l'Alliance avec ce Dieu qu'ils écoutaient dans leur histoire, histoire qui les ouvraient à l'avenir. Ils ne faisaient pas de leçons de morale, ils n'illustraient pas une éthique comme on le ferait aujourd’hui, ils exprimaient par ces types traditionnels, la présence de Dieu dans le temps de leur vie. Les types sont des images, des tableaux, des figures historiques, des scènes exemplaires, qui constituent le tissu de la narration biblique. L’Alliance s'exprime ainsi. Ces types disent la chair de l'humanité biblique, le Corps que l'amour venu d'en haut sanctifie du dedans ; ils surgissent dans le cours du récit, et supposent un décryptage, l'interprétation spirituelle23 des initiés. 21 22 23 Le problème est grave, car il touche à la structure de nos institutions. Dans l'université, l'exégèse scientifique sépare les deux Testaments, instaurant une coupure mortelle pour l'exégèse de la Bible chrétienne. En effet, ce ne sont pas les mêmes professeurs qui traitent de l'un et l'autre Testaments, alors que la foi de l’Église suppose un lien étroit entre les deux Alliances puisque Jésus est le Messie qui s'annonce dans toutes les Écritures. Dès lors, la typologie biblique ne vient plus nourrir la foi chrétienne dont le fondement est la messianité de Jésus. Il faudrait que l'exégèse scientifique s'en tienne à la critique textuelle qui est essentielle, et que l'exégèse chrétienne, initiée en Église, soit bien distinguée de la transmission du texte. L'exégèse patristique visait l'unité de toutes les Écritures et respectait la transcendance divine qui s'y révélait, ce que la science a du mal à cautionner. Toute la question de l'inculturation du Dieu biblique dans la culture se situe là. La refuser, reviendrait à opposer Dieu et l'homme, la foi et la science, les deux exégèses. Dualisme ! Les courants juifs de l'époque possédaient les textes des grands prophètes, et peut-être aussi une pré-histoire imagée d'Israël, écrite au temps de la splendeur de la royauté davidique d'avant l'Exil. Ces images, qui révèlent l'Alliance, seront reprises dans l'écriture des Livres de la Torah. C'est cela la typologie : reprendre et actualiser des images déjà utilisées La typologie biblique réalise un développement continu des images bibliques qui courent au fil du texte saint. Comme 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 16/20 La typologie, ce procédé littéraire, a donc été utilisée par les écrivains bibliques dès qu'ils ont commencé à écrire la Bible au retour de l'Exil, sans doute vers le cinquième siècle d'avant notre ère, ou un peu plus tard24. Ceux qui revenaient d'Exil, avec les difficultés qu'ils rencontraient, et l'hostilité de ceux qui étaient restés à Jérusalem, auraient revécu les mêmes obstacles que le peuple de Dieu qui sortait d’Égypte pour gagner la Terre Promise. Ils sont sortis de la Babylonie, ont traversé le désert à leur tour, et ont pris possession de la Cité sainte que d'autres habitaient. Dans cette typologie de l'Exil, Babylone était l’Égypte esclavagiste, et Jérusalem le nouveau jardin d’Éden, la terre nouvelle proposée par Dieu à son peuple. Esdras était rapproché de Moïse. On voit comment le langage biblique est venu se coller à l'histoire pour montrer la pérennité de Dieu. La Torah actuelle est composée de cinq livres, mais ce Pentateuque vient d'une compilation qui mit du temps à se réaliser. Il semble y avoir eu au départ deux typologies adverses. La première fut celle promue par les exilés qui étaient de retour à cette Jérusalem retrouvée qui symbolisait la Terre Promise par Dieu. La seconde fut celle des juifs restés sur la terre de leurs ancêtres qui développaient une typologie nourrie de la vie des patriarches, d'Abraham à Joseph. Eux, ils n'avaient pas quitté la terre des ancêtres ! La tension devait être grande entre ces deux courants juifs qui défendaient chacun leur propre situation et leur propre Torah. Le Livre de l'Exode fut celui des exilés rentrés chez eux, alors que celui de la Genèse exaltait la foi des ancêtres restés sur la terre que Dieu donna à Abraham et à sa descendance25. Les cinq livres, qui constituent aujourd'hui le Pentateuque, semblent n'avoir été groupés que tardivement, probablement au début du troisième siècle. Les exégètes détectent en effet des retouches qui furent sans doute négociées pas à pas dans l'un et l'autre Livre, afin qu'une unique Torah puisse être enfin proposée à tous les juifs. Les figures exemplaires variaient d'un camp à l'autre. D'un côté : Abraham, Sara, Isaac, Jacob et Joseph. De l'autre : Moïse avec la traversée de la mer, le désert, la montagne, Aaron et Josué. La typologie des uns et des autres différait au départ, et des retouches sur les récits auraient facilité l'accord. La souplesse de la typologie a sans doute aidé un tel arrangement : les images s'ajoutent les unes aux autres, mais ne se détruisent pas. Et puis on peut toujours les ré-interpréter. Il ne faudrait surtout pas voir la typologie comme un système clos : les images peuvent se comprendre différemment et se réinterprètent sans cesse au fil du récit. L'interprétation n'est jamais une répétition du passé, mais une avancée dans le temps, car l'image interprétée « est recomposée par le lecteur en luimême après qu'il l'a reçue du livre. Elle enferme dans ses limites un drame non encore dénoué 26. » L'histoire se poursuit, le temps continue ! En agissant dans l'histoire humaine, Dieu fait avancer 24 25 26 l'écrit Paul Beauchamp, on peut « les suivre jusqu’à leur accomplissement en Jésus-Christ . Mais c'est prendre, avec franc parler, la responsabilité d'interpréter. » Alors que l'idée morale est claire puisqu'elle est écrite noir sur blanc, le « type », surtout s'il révèle la volonté de Dieu, oblige à une parole de sens, le témoignage de la foi. C'est comme devant un événement qui survient, il faut l'interpréter ! (L'un et l'autre Testament. Seuil 1990, p.220). Le nouveau Temple de Jérusalem fut reconstruit en l'an 500, il deviendra le lieu culturel où la rédaction de la Torah s'est réalisée en deux siècles environ. Il fallait d'abord que les différents courants juifs se mettent d'accord, et que certaines tensions s'apaisent. Des événements graves vont le permettre. Le Livre des Nombres semble émaner d'une source militaire. Ce Livre évoque une armée en bataille et un esprit davidique de conquête (Eldad et Médad du chapitre 11 ont David en leur nom : dad). Le texte se situerait bien après l'invasion grecque d'Alexandre de Macédoine, vers la fin du quatrième siècle, peut-être même au début du troisième. Le Livre du Deutéronome (ou seconde Loi, la première étant narrée dans l'Exode) tourne la page de Moïse (sa mort est racontée) et conduit au cycle guerrier de Josué. Les temps avaient changé, nous sommes loin du retour de l'Exil. Beauchamp, ibid, p.225. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 17/20 l'homme... Même si la scène typologique s'appuie sur une figure forte qui demeure comme un jalon dans la méditation spirituelle, de nouveaux récits vont venir enrichir l'exemplarité biblique. La typologie édifie l'avenir et a contribué peu à peu à l'attente du Messie. d. La typologie chrétienne La typologie juive27 fut reprise par l’Église apostolique dans la rédaction des évangiles. S'y ajoute la dimension eschatologique apportée à la fois par l'Incarnation du Verbe en notre humanité, et par la Résurrection de la chair dont témoigne le Ressuscité. L’Église est la communauté eschatologique, le peuple de la fin des temps. Avec sa dimension universelle, elle devient même le nouvel Adam, elle est le Corps du Christ qui parcourt le temps en vivant l'histoire du salut. Jésus signifie « Dieu sauve ! » L’Église oriente les humains, tous les humains, vers la Vie éternelle et la Résurrection de la chair. Telle est la mystérieuse et nouvelle Création que le Créateur réalise en ses créatures. Le mot typologie exprime ce socle biblique et évangélique de la foi chrétienne, que l'amour divin transfigure. Il ne s'agit pas ici d'idées, ni de fables, mais bien de la Réalité définitive qui convertit la chair à la Vie en Dieu. C'est ce qu'on nommera bien plus tard, au début du second millénaire : transsubstantiation. L’Eucharistie, qui guérit la chair et la transfigure de l'intérieur, prolonge l'Incarnation et prépare notre Résurrection à tous28 ! Même si le mot allégorie a une origine religieuse, il semble moins adapté que celui de typologie pour exprimer le mystère du Christ attendu depuis des siècles (Ep 3,5-6) Ce mot allégorie, très commun chez les grecs, n'apparaît qu'une seule fois dans le Nouveau Testament avec le sens d'un mouvement. Paul transpose les figures (types) des deux fils d'Abraham, Ismaël (l'enfant de la chair) et Isaac (l'enfant promis par Dieu), à la situation actuelle des chrétiens. Ou bien ceux-ci vivent et s'enferment dans les égoïsmes de la chair, ou bien ils acceptent d'entrer dans le mystère du Christ promis dans les Écritures. Ces actuels "fils" d'Abraham sont figurés soit par Ismaël, soit par Isaac dont le sacrifice annonce la Croix. À chacun donc de choisir : ou bien de moisir dans la voie de la mort, ou bien de marcher dans la voie de la Vie qui nous vient du Golgotha. Paul qualifie d'allégorique cette typologie biblique qui précise les deux manières de vivre selon la Bible chrétienne (Gal 4,24). Le mot grec utilisé par l'apôtre, souligne le passage de la réalité ancienne à la réalité future, déjà vécue en Église. L'histoire d'Israël dit autre chose que ce que le texte montre. La particule allos, préfixée dans le terme allé-gorie, évoque un passage à l'autrement-dit. Ce qui apparaît dans la "lettre" comme une énigme exprime le monde qui vient, ce temps de l’Église qui se dévoile. L'apôtre met l'accent sur le déplacement du passé au présent, sur le mouvement de l'esprit qui permet la transcendance spirituelle du texte inspiré. Le récit biblique, mis en exergue par l’auteur de l’épître aux Galates, vient du socle historique de la typologie juive. Paul fait passer de l'histoire à l'histoire, et non de l'histoire (ou d'un mythe) à une idée abstraite ou à un thème moral. Ici, allégorie et typologie ne s'opposent pas, bien au contraire. La typologie exprime le mouvement du temps, et l'allégorie le travail de l'esprit. Ce mouvement de la foi, sur lequel l'allégorie opère, est induit dans le symbole baptismal. Plongé dans le Père (c'est-à-dire dans la Réalité primordiale), le baptisé accepte de se couler dans le chemin de 27 28 Sur la typologie biblique, on peut lire cet ouvrage très technique de Raymond Kuntzmann, intitulé Typologie biblique (Cerf 2002). Le mot transsubstantiation a été proposé par Lanfranc, un moine du onzième siècle, pour répondre à une crise majeure où l’Église occidentale était tiraillée entre une compréhension littérale et magique du sacrement et une interprétation désincarnée, déconnectée de la typologie biblique. On n'a rien trouvé de mieux, pas de mot meilleur, à une époque où la chrétienté occidentale sortait d'une obscure barbarie. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 18/20 justice et d'amour que le Fils venu du ciel lui a ouvert pour le mener au ciel. Le baptisé se laisse aussi immerger dans la flamme de l'Esprit divin qui le brûle, éclaire sa liberté intérieure, et met sa chair en mouvement. Le symbole baptismal rappelle l'expérience de la Trinité qui rend possible l'exégèse chrétienne de la Bible toute entière, mettant la foi en mouvement29. La triple immersion du Baptême, qui fut adoptée dans toutes les Églises chrétiennes dès la fin du premier siècle, se réalise au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, et s'actualise dans la prière biblique et typologique de l’Église. L'assemblée dominicale confirme l'action trinitaire de Dieu quand elle adresse au Père sa prière "par le Christ notre Seigneur". C'est alors que l'histoire biblique d’Israël devient pour ainsi dire le langage ecclésial de la vie intérieure, celui de l'histoire du salut commune à tous (Dei Verbum N°1) ; il est même intégré à la prière. Toute l'humanité est invitée à partager cette vie divine, la justice et l'amour dans des relations planétaires qui s'imbriquent de plus en plus. Et si le mouvement de la foi, dynamisé par la Trinité divine, favorise l’approche typologique de la Bible chrétienne (les deux Testaments réunis en Christ), l'inverse est aussi vrai. L'apprentissage de la typologie biblique transforme l'histoire de chacun en une histoire biblique qui mène au Christ. C'est ainsi que se constitue le Corps universel du Christ dont les humains sont membres. Et c'est l'expérience personnelle de la Trinité divine qui fait grandir l’Église, par le Fils, dans l'Esprit, vers le Père. N'est-ce pas ce que faisait Origène quand il visait la transcendance chrétienne des saintes Écritures ? Le catéchète d'Alexandrie respectait aussi les deux temps habituels de l'initiation chrétienne : d'abord le lait des Écritures, long apprentissage de cette culture biblique toute ouverte sur la Croix et sa suite : la Révélation intime du Ressuscité. Ensuite, les nourritures solides, autrement dit la vie sacramentelle où le croyant adulte s'engage, corps et âme, dans le Mystère du Christ. C'est là, que les "types", les figures concrètes, les images bibliques et tous les personnages de l'histoire d'Israël évoquent la dimension charnelle de nos existences marquées par le vieillissement et la mort. Mais le Ressuscité "transforme" cette mort en amour et en Vie définitive. Rappelons-nous la phrase d'Augustin : "Donne ta mort, il te donnera sa Vie : ah l'admirable échange !". En chaque être humain, la Foi en Christ est "transformée" en une vivante Espérance30, puis la singulière Charité, ultime vertu théologale, descend dans l'âme désireuse de tout pardonner pour ressusciter avec le Christ (1 Cor 13,13). Les correspondances internes à la Bible chrétienne, héritées des juifs, sont devenues le patrimoine spirituel de l’Église universelle, elles apparaissent explicitement dans les vitraux typologiques des cathédrales des XIIème et XIIIème siècles. D'autres verrières montrent ces annonces du Messie, véritables promesses de Dieu faites à une humanité qui en reconnaît la Réalité englobante : "Je crois en Dieu". C'est bien en ce lieu là, lieu divin, que l’Église grandit en prière et en actes. Je crois en Dieu quand j'habite cette Réalité divine qui s'approche de moi en Jésus-Christ, portée par l'Esprit qui me transfigure du dedans. Je me nourris du Christ, et j'en fais mémoire à chaque Eucharistie. Mon histoire personnelle en devient toute biblique, "typologiquement" biblique. Ce lieu où les Apôtres étaient tous réunis ensemble (Ac 2,1) au jour de Pentecôte, n'est-il pas le lieu divin qui est cité en tête du Credo : le Dieu créateur de mon humanité ? 29 30 On rappelle plus souvent aujourd’hui la trinité des Personnes qui constituent l'Être divin : un seul Dieu en trois personnes. Cette représentation statique du Vivant de la Bible ne dit rien du dynamisme de l'expérience trinitaire faite par le pratiquant qui écoute la Parole de Dieu pour la mettre en pratique. Il est en effet une chose d'expliciter l'Être de Dieu, il en est en une autre de faire expérimenter aux baptisés l'action concertée des deux mains du Père, ce que nos ancêtres chrétiens nommaient : « la Trinité économique », c'est-à-dire l'activité divine en l'homme. Augustin est le premier à mettre en garde contre les spéculations théologiques qui risquent de « chosifier » Dieu. Mais le schéma de la Trinité ontologique s'est imposé, jusque dans l'art, à la Contre-Réforme catholique : le triangle équilatéral ! Comme on "transforme" un essai au rugby. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 19/20 D. Les cinq journées Epheta Nous avons commencé par montrer le lien qui unit le Symbole baptismal à l'exégèse typologique de l’Église en prière. Nous avons ensuite survolé l'histoire mouvementée de la rédaction évangélique, nécessaire pour comprendre ces catéchèses que sont les évangiles. Nous avons enfin rappelé comment l'exégèse typologique s'est développée chez les juifs lors de la rédaction de la Torah. Elle fut ensuite reprise et prolongée par l’Église aux siècles suivants pour aboutir à l'expérience du Dieu Trinité alors que le Credo de l’Église se fixait. Notre vaste tour d’horizon est terminé. Nous pouvons maintenant entrer dans l'année de la foi en ne séparant jamais le Symbole baptismal de l'exégèse biblique. Cette association du Symbole et de la typologie chrétienne donne son sens à la célèbre phrase de Saint Jérôme : Celui qui ignore les Écritures, ignore Jésus-Christ. L'étonnante affirmation est citée à la fin de Dei Verbum, elle sera reprise dans le Catéchisme de l’Église Catholique. Ce sont bien ces Écritures qui mènent au Christ en s'enrichissant au cours des siècles. Il est nécessaire de les mieux connaître jusque dans leurs plus petits détails, pour les méditer au fil du temps. Ce temps nous emporte, mais nous traverse aussi, laissant dans nos cœurs une espérance et un avant-goût de la joie de Pâques. Tous les textes bibliques, éclairés par les évangiles du Christ, deviennent à leur tour "évangiles", ou "Bonne Nouvelle". Nous découvrons en eux le trésor vivifiant de la foi, ce Dieu Vivant qui nous "parle" et nous accompagne jour après jour. Cette année, dans chacune de nos réunions parisiennes, nous partirons d'un « type » de l'Ancien Testament. Nous approfondirons cinq figures bibliques typiques (Joseph, David, Jonas, Élie et Élisée, et pour terminer : l'ascension de Jésus en Dieu selon ses deux faces : celle des évangiles où Jésus est enlevé au ciel, et celle des Actes qui montre les "apôtres" préparés dans la prière à "voir" Jésus monter). Avec ces « types » présents dans les deux Testaments, nous préciserons le lien spirituel qui unit le Credo et la typologie biblique. Ainsi le Symbole baptismal deviendra vraiment l'expression d'une foi nourrie de la typologie chrétienne dont le moine de Bethléem rappelait la richesse spirituelle. Des vitraux typologiques de cathédrales gothiques nous apporteront un support d'images bibliques. Nous méditerons également quelques commentaires de Pères de l’Église, notamment d'Origène. Le 5 octobre, nous nous attacherons à la figure du patriarche Joseph qui pourrait évoquer le père adoptif de Jésus, la Réalité du Père des cieux, bien d'autres scènes bibliques, et d'abord et avant tout le Christ lui-même, notre Joseph spirituel, selon l'expression d'Origène31. Dans notre partage, pour bien appréhender ce vaste récit de la Genèse dans l'océan des Écritures, et découvrir ses innombrables harmoniques, nous respecterons la procédure pédagogique habituelle de la lectio divina (mémoire, parole, prière). Claude et Jacqueline Lagarde 31 Cf. Homélies sur la Genèse, Sources chrétiennes N°7bis, Cerf, 1976, p.357. On peut aussi lire ce livre très typologique : Joseph, l'éloquence d'un taciturne, Salvator, 2012, du dominicain suisse Philippe Lefebvre. 19 septembre 2012 Epheta 2012-2013.odt 20/20