Chapitre 12-III

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Fiche concours : Un État-providence généreux enferme-t-il
les individus dans l’inactivité ? (Chapitre 12-III)
Vingt ans après la création du revenu minimum d’insertion en France (RMI, 1988), les pouvoirs publics ont voulu sortir
les allocataires de l’assistanat en lui substituant le revenu de solidarité active (RSA). Il s’agissait à la fois de lutter contre
la pauvreté et d’inciter à la reprise d’une activité salariée, même restreinte. Cette tendance à l’activation des dépenses
sociales repose sur l’hypothèse selon laquelle les individus rationnels effectueraient un calcul coût/avantage et
refuseraient de travailler en raison de revenus sociaux trop élevés, révélant une préférence pour l’assistanat. Cette
hypothèse est-elle acceptable ?
I. Les revenus sociaux enferment dans l’inactivité
Sans remonter jusqu’aux critiques d’un T.R. Malthus à propos du Speenhamland Act (1795-1834), il est un discours
récurrent visant à présenter « l’inactif » indemnisé comme un fainéant. Le terme inactif ici signifie sans activité
professionnelle et s’éloigne donc de la définition de l’Insee pour qui le chômeur est un actif. L’économiste Jacques Rueff
(1896-1978) n’écrivait-il pas en 1931 un article intitulé « L’assurance chômage : cause du chômage permanent » ? Pour lui,
l’indemnité devient un salaire plancher en dessous duquel l’ouvrier préfère vivre de cette « subvention » plutôt que
travailler.
Cette idée se retrouve dans la notion d’activation des dépenses sociales qui semblent se généraliser dans le monde anglosaxon d’abord puis en Europe continentale sous l’appellation workfare.
Mais ce soupçon à l’égard des pauvres, se complaisant dans cet « assistanat », va au-delà des chômeurs. Ainsi, le
philosophe allemand Peter Sloterdijk considère-t-il que l’État-providence conduit à une situation dans laquelle « les
citoyens improductifs vivent directement aux dépens des citoyens productifs ». Les indemnités ne doivent donc être ni
généreuses ni inconditionnelles.
II. L’inactivité ne correspond pas aux aspirations citoyennes
Pourtant, selon les enquêtes disponibles comme celles réalisées par la Drees en France, dans leur grande majorité les
allocataires de minima sociaux sont en recherche d’emploi. Ceux qui n’accèdent pas à un emploi considèrent dans leur
grande majorité que c’est par manque de formation. Ces enquêtes montrent par ailleurs que c’est davantage
l’insuffisance de l’offre d’emploi qui enferme dans le chômage. Une minorité d’allocataires déclare ne pas chercher un
emploi pour deux raisons principales : des problèmes de santé, des contraintes familiales (femmes seules avec des
enfants en bas âge sans solution de garde).
D’ailleurs, le modèle danois de flexisécurité est fondé sur une relation de confiance envers les citoyens. Les niveaux
d’indemnisation sont plutôt généreux, et plutôt que surveiller et punir les « mauvais pauvres », les conditions d’un retour
à l’emploi sont construites à travers un accompagnement et une formation en concordance avec les besoins de
l’économie. Par ailleurs, les services facilitant ce retour à l’emploi, comme les gardes d’enfant, sont proposés en quantité
suffisante pas les pouvoirs publics.
En conséquence, il semble que l’enfermement dans l’inactivité comme conséquence de la générosité de l’État-providence
soit exagérée. Il existe sans doute des personnes qui trichent, mais la plupart des allocataires souhaiteraient accéder à un
emploi décent. Repenser l’accompagnement vers l’emploi plutôt que stigmatiser les allocataires gagnerait
vraisemblablement en efficacité.
Économie, sociologie et histoire du monde contemporain, 2e édition
© Armand Colin, 2016.
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