g e n s d ’ i c i Claudette Hugon Une psy entre les murs Alex Giraud lui ont enseigné que rien n’est jamais acquis, ni définitivement fermé. A 18 ans, bac sciences en poche, cette Charentaise, petite-fille d’agriculteurs, projette de devenir ingénieur agronome. Des circonstances familiales en décident autrement et il lui faut gagner sa vie tout en étudiant. Elle fait alors une licence de psycho. Puis, pour des raisons de santé cette fois, elle doit interrom­ pre ses études. Elle devient éducatrice auprès de jeunes en difficulté… jusqu’au moment où elle décide de reprendre sa formation et obtient enfn son diplôme de psychopathologie clinique, avant de postuler à Niort. P our aller de l’hôpital à la maison d’arrêt, Claudette Hugon emprunte des trajets variés, mais toujours à pied. Ça l’aide à prendre du recul avant de rencontrer ses patients dans l’un ou l’autre de ses deux lieux de tra­ vail. Cette marcheuse à la mince stature et au regard décidé est psychologue au centre hospitalier depuis quinze ans. “Maintenant, je suis spécialisée dans les gens qui ont eu à faire avec la justice, expose-t-elle. J’ai un mi-temps à la maison d’arrêt, et un mi-temps à l’hôpital auprès des auteurs d’agressions sexuelles et de violences conjugales sous obligation de soin.” Prison, hôpital, traumatismes, soins… L’univers professionnel de Claudette, ce sont les faces cachées de notre humanité. Celles enfermées derrière des murs ou à l’intérieur des crânes. Son métier s’exerce dans la discrétion. Ses patients sont des personnes mises au ban de la société en raison d’actes qu’ils ont commis. Des personnes dangereuses ? Elle rectifie : “On confond 20 Vivre à Niort 6-maq VAN 203.indd 20 Mai 2010 “… il faut croire en l’homme. Et en même temps accepter ses limites.” la potentialité de la personne à commettre un crime avec le fait qu’elle ait déjà été capable de quelque chose.” Et souligne : “le devoir de la société est aussi de rappeler que le risque zéro n’existe pas.” Claudette porte une grande attention aux mots, ceux qu’elle emploie et ceux prononcés par son interlocuteur. A propos de son métier, elle dit : “Ce n’est pas à moi, c’est à la personne de trouver l’articulation pour construire sa vie en respectant ce qu’elle ressent, tout en respectant la société. Cela rejoint la demande sociale, mais ne se réduit pas à ça.” Lors d’un premier entretien avec un patient, elle explique son rôle avec ces mêmes mots. Or, se respecter soi-même n’a rien d’évident, ajoute-t-elle : “Ça surprend, mais en prison on rencontre des gens souvent trop intransigeants avec eux-mêmes. Ils veulent coller à un idéal et ne respectent pas ce qu’ils sont.” Entre la psy et le patient, la relation qui s’instaure vise à apprendre à parler pour de vrai. “Or, ça prend forcément du temps : cela fait des années qu’ils parlent en mettant de côté ce qu’ils ressentent.” La patience, les choses de la vie qui prennent du temps, Claudette connaît. Ses origines terriennes et son parcours Longtemps référente régionale d’une association professionnelle, la psy continue à intervenir lors de colloques, rencontrant des chercheurs et des soignants d’autres équipes. Une ouver­ ture indispensable dans ce métier éprouvant, où il faut savoir se remettre en question. Pour se ressourcer, Claudette cultive son jardin, pratique la méditation. Mais surtout, elle marche. Cet hiver, elle a parcouru, seule, quelques cen­ taines de kilomètres de sentiers côtiers en Bretagne. Au sein de son équipe, comme à l’ex­ térieur, elle défend tant l’importance du service public que l’humanité des prises en charges. “Pour faire ce métier, il faut croire en l’homme. Et en même temps, accepter ses limites, son impuissance. On ne contrôle pas tout.” Sur l’enfermement, Claudette a aussi des choses à dire : “à Niort, même si la prison est vétuste, il y a un côté humain. Les surveillants et les détenus se connaissent, l’autorité peut être aussi bienveillante.” Et puis elle confie : “En prison, je rencontre une vitalité, une énergie, que je ne sens nulle part ailleurs autant. C’est une belle leçon ! Ça me met les pieds sur terre par rapport à la réalité sociale ; à l’humain en chacun de nous. Et c’est en allant en prison que je me suis le plus aperçu de la violence ordinaire, quotidienne, à l’extérieur.” Véronique Duval N°203 30/04/10 9:47:22