Fast-génétique»,lemiragedesorigines

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Métissage
Le Temps
Samedi Culturel
Samedi 23 novembre 2013
«Fast-génétique»,lemiragedesorigines
Les tests commerciaux d’ADN nous
relient aux peuples antiques et aux
migrations préhistoriques. Ai-je une
appartenance, suis-je une multiplicité?
Terrain glissant, où l’illusion de la «race»
repointe le bout de son nez
d’une analyse confiée à la société
suisse iGenea, basée à Baar (ZG).
«Nous avons démarré en 2006.
Auparavant, nous faisions des tests
de paternité, mais il y avait peu de
possibilités de croissance dans ce
domaine. C’était le commencement de la généalogie par ADN en
Europe, personne ne faisait des
tests d’origines», raconte la fondatrice, Joëlle Apter, généticienne
formée à l’Université de Zurich.
Les prix des tests de base, effectués dans un laboratoire aux EtatsUnis, vont de 199 à 1099 euros,
selon la formule choisie. Que
peut-on découvrir? «Le test montre trois choses. En premier lieu, où
se trouvait l’ancêtre de votre lignée
paternelle ou maternelle et quel
était son groupe préhistorique.
Deuxièmement, votre peuple
d’origine dans l’Antiquité. Enfin, la
région où votre profil génétique
est le plus typique.» Nous voilà
dans la recherche de racines ancestrales plutôt que dans l’exploration familiale. «Chez nous, seulement 30% des demandes sont de
type généalogique. Aux Etats-Unis,
la proportion est inverse. Logique:
en Europe, et en Suisse en particulier, on remonte très loin avec des
arbres généalogiques classiques.»
Vous voilà certifié Hellénique,
Viking ou Juif. Juif? Le lien suggéré
entre génétique et judaïté avait fait
réagir la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme
et la diffamation (Cicad) en 2008.
«Il n’y a pas de racisme là-dedans.
Je suis moi-même Juive», signale
Joëlle Apter. Le souhait de confirmer des «racines juives» semble un
moteur important pour la fondatrice d’iGenea et pour ses usagers.
«Les tests montrent que les Juifs
sont un peuple qu’on peut différencier génétiquement. Ce n’est
pas seulement une religion. Ces
marqueurs génétiques viennent
du fait que les enfants se font au
sein du groupe, sans se mélanger
avec d’autres peuples. La même
chose vaut pour les Basques.»
Aucune certitude, toutefois. On est
au royaume des probabilités.
«Il y a dans nos listes des peuples africains, tels que les Berbères
et les Bantous, ou sud-américains,
Viking certifié
En septembre dernier, un installateur sanitaire zurichois découvrait qu’il avait pour ancêtre la momie Oetzi – l’homme décédé il y a
5000 ans et conservé dans la glace
des Alpes tyroliennes. Obtenue par
accident dans le cadre d’une quête
du père, la révélation résultait
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«L’individu est
génétiquement
complexe.»
Et un cocktail
d’ADN ne définit
pas un peuple…
,
Joëlle Apter
Fondatrice d’iGenea
«Chacun de nous
est un grand mélange.
Mais le test désigne
un seul peuple,
car il concerne
un ancêtre unique»
comme les Mayas et les Incas… Si
vous faites partie d’un peuple que
la science n’a pas encore étudié,
vous n’aurez pas de résultat.» N’y
a-t-il pas des chances pour que je
sois composé de plusieurs peuples? «Chacun de nous est un
grand mélange. Mais le test désigne un seul peuple, car il concerne
un ancêtre unique, celui qui a
transmis le chromosome Y que
vous avez reçu de votre côté paternel si vous êtes un homme. Ou
l’ADN mitochondrial, pour la lignée maternelle.» Et si je veux reconstituer la recette de mon cocktail génétique, décomposer la
multitude qui me constitue? «Il
existe d’autres tests, avec lesquels
on peut établir des pourcentages,
mais ils ne remontent qu’à 5 à 7
générations.»
Généticien des populations, directeur de recherche au CNRS, le
Français Pierre Darlu a consacré à
la généalogie génétique un chapitre du livre ADN superstar ou superflic?, coécrit avec Catherine Bourgain et paru au Seuil en janvier.
Qu’en pense-t-il? «C’est une vision
simplificatrice. Pour commencer,
en remontant dix générations, vos
ancêtres représentent déjà plus de
mille personnes. Trouver la trace
d’une seule d’entre elles donne
une indication extrêmement réduite sur vos origines.» La piste du
chromosome Y, voie étroite…
Autre problème: l’anachronisme. «Ces entreprises utilisent
des données sur la distribution des
haplogroupes dans les populations actuelles. Pour vous rattacher
à une population dans le passé, il
faudrait avoir des banques de données d’ADN fossile. Ou alors des
scénarios tenant compte des migrations, que seuls les historiens et
préhistoriens peuvent fournir.»
Certains sites de généalogie génétique évoquent tout cela. «C’est
le cas avec Genographic, relève
Michel Goyard. Un service à vocation ethnographique, qui cherche
à vous raccrocher aux mouvements de population à travers le
monde.»
Dualité étrange, en phase avec
l’époque: la «fast-génétique» évoque à la fois un grand brassage et
une forme d’appartenance très
simplifiée. Pierre Darlu: «On montre que l’individu est génétiquement complexe. En même temps,
on conforte l’idée qu’on peut établir des catégories qu’on appellera peuples ou races… Soit vous
vous dites: je suis un mélange, il y
a un continuum génétique et j’en
suis le fruit. Soit vous biologisez
votre appartenance culturelle – et
vous pourriez être amené à croire
que les races existent objectivement.» De ces effets, lequel l’emporte? «Nous avons déposé trois
projets pour étudier l’impact de
ces tests d’origine, mais nous
n’avons jamais réussi à obtenir
des crédits.»
Potentiellement
sournoises
sur le plan collectif, les répercussions paraissent modestes au niveau individuel. Michel Goyard
semble moins impressionné par
son ancêtre «né au Danemark il y
a 6500 ans» que par un fait avéré
via la généalogie classique: «J’ai
une ancêtre suisse. Elle a migré
d’Aarau à Mulhouse vers 17501800, à une époque où dans les
montagnes on avait du mal à vivre.» Small world.
Richard Powers, l’ADN d’un écrivain
En séquençant son ADN
en 2008, le grand
auteur américain s’est
découvert à 8% Yoruba.
Qu’en dit-il aujourd’hui?
S. MOURARET/DEMOTIX/CORBIS
C
onnaissez-vous
l’histoire du suprématiste
blanc qui se découvre en
partie Noir? Elle se déroule sur un plateau de
la chaîne états-unienne NBC, le
11 novembre dernier. Craig Cobbs,
qui a l’habitude de s’entourer de
fanfreluches néonazies et qui projette d’implanter une enclave 100%
blanche dans le Dakota du Nord,
accepte de passer un test d’ADN
pour le talk-show Trisha. L’animatrice, l’Anglo-Dominicaine Trisha
Goddard, lui livre le résultat: 14%
de son ascendance vient d’Afrique
subsaharienne. Hilarité générale.
Un activiste raciste piégé par la généalogie génétique. Ou plutôt par
la génétique récréative: une extension commerciale de la science des
gènes qui trouve son essor dans
l’exploration identitaire ou dans la
simple curiosité.
Autrefois, lorsqu’on voulait explorer ses racines, on fouillait les
registres de l’état civil. Aujourd’hui, on envoie des échantillons
de salive à des entreprises ayant
pignon sur Net, qui répondent en
nous révélant notre haplogroupe
(un groupe humain partageant un
ancêtre et un ensemble de mutations), notre «peuple d’origine», le
parcours migratoire d’une lignée
d’aïeuls. «On vous explique que le
groupe de votre ancêtre s’est baladé d’Afrique au Moyen-Orient,
de là en Europe centrale, qu’il est
descendu jusqu’en Espagne et qu’il
est remonté en Europe du Nord.
C’est du moins mon cas», raconte
Michel Goyard, ingénieur français
à la retraite rencontré sur le forum
du site Geneanet.org. «Il y a un côté
enquête policière, le challenge de
la découverte», explique-t-il quand
on l’interroge sur ses motivations.
Il y a aussi, potentiellement, une
redéfinition de l’identité.
CORBIS; DR; MONTAGE: DAVID WAGNIÈRES/LE TEMPS
Par Nic Ulmi
Qu’est-ce que
cela fait d’avoir
été une des neuf
premières personnes sur Terre
à avoir son génome complètement
séquencé? L’écrivain américain
Richard Powers (National Book
Award en 2006 pour La Chambre
aux échos) le racontait en octobre
2008 dans le magazine GQ. Nous
l’avons appelé pour prendre des
nouvelles.
Le récit originel, d’abord: «Mais
au-delà de ma liste de risques médicaux, j’ai aussi appris quelque
chose d’autre, quelque chose
d’extraordinaire: 8% de mon matériel génétique contient des variations qui trouvent leur parenté
la plus étroite dans des variantes
découvertes auprès de la population yoruba d’Ibadan, au Nigeria.
Je suis devenu une autre personne, autre que celle que je pensais être», écrivait-il. Qu’en dit-il
aujourd’hui?
«Je suis devenu quelqu’un
d’autre d’une façon plus subtile.
Nous devenons toujours quelqu’un d’autre. Je n’ai pas essayé
d’obtenir davantage d’informations sur mes origines, mais cela
est devenu une partie de ma conscience. Sur le plan général, la notion que chacun de nous est disparate s’est répandue. On accepte
l’idée que nous sommes des mélanges», répond-il.
Pourquoi ce test? Désir personnel ou idée du magazine? «Je travaillais sur le roman Générosité,
qui a une composante génétique.
Sachant cela, GQ m’a proposé
cette mission. Hors de ce cadre, je
n’y aurais pas songé. Car nous
n’en sommes pas au point où ce
genre d’information peut avoir
une vraie pertinence. Ce qui devient clair, c’est qu’obtenir des
conclusions intéressantes devient de plus en plus compliqué.»
Parmi les rares écrivains à créer
du sens à la fois par l’art du récit,
par l’enregistrement contemplatif du monde et par une réflexion
poussée sur les changements que
la science et la technologie apportent à notre vie, Powers publiera en janvier Orfeo, roman
déroulant la cavale d’un compositeur adepte de microbiologie.
«Je travaille sur le prochain: un
livre qui explore la vie et l’histoire
humaines du point de vue de notre lien avec les arbres.» Il écrit.
Nous patientons. N. U.
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