introduction L`entraide familiale : régulations juridiques et sociales

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Françoise LE BORGNE-UGUEN et Muriel REBOURG
INTRODUCTION
[« Logique du délire », Jean-Claude Maleval]
[ISBN 978-2-7535-1331-0 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]
En mémoire de Michèle Kérisit, professeure à l’université d’Ottawa, notre collègue et amie, disparue en 2011.
Dans une société de longévité et de pluralité des formes de vie privée, cet
ouvrage traite de situations qui génèrent des besoins de soutien. Ces derniers
ne trouvent de réponse unique ni dans les solidarités sociales construites sur le
compromis social de l’après-guerre ni dans les ressources privées, inégalitaires.
L’accompagnement et le soin aux différents âges et moments du parcours de
vie mobilisent à la fois des ressources et des transferts publics et privés (AttiasDonfut, 1995, 2000). Dans cette introduction, le terme d’entraide familiale est
retenu pour désigner les échanges intra-familiaux, de services et/ou de biens et
les flux financiers entre parents.
Les différentes contributions présentées explorent les manières dont se font
et se défont les liens entre les dimensions statutaires articulées à des droits et des
devoirs et les engagements plus contractuels ou électifs entre parents. Ainsi, les
formes de l’activité familiale s’institutionnalisent sur les fondements statutaires
de la filiation et de l’alliance mais leur mise en œuvre fait intervenir aussi des
normes, des valeurs qui se modifient selon les événements intervenant dans la
vie des individus et de leur entourage. Cet ouvrage 1 rend compte des imbrications entre les différentes ressources et identifie les processus qui les organisent,
dans une perspective bi-disciplinaire, mobilisant le droit et la sociologie 2. Les
juristes rendent compte des logiques de production et de mise en œuvre de
1. Une partie des textes présentés prend appui sur des recherches soutenues par la mission
recherche de la Direction de la recherche des évaluations et des études statistiques (DREES)
du ministère de la Santé et par le GIP Droit et Justice du ministère de la Justice, dans l’appel
à projet « la parenté comme lieu de solidarités », ouvert entre 2000 et 2003. Initiés lors du
colloque Les solidarités familiales et leurs régulations publiques : Regards croisés entre sociologie et droit organisé par le Centre de recherche en droit privé (EA 3881) et l’Atelier de
recherche sociologique (EA 3149) en 2005 à l’université de Brest, les échanges scientifiques
se sont ouverts à d’autres chercheurs actifs sur ces questions, présents dans cette publication.
2. Les codirectrices de l’ouvrage remercient Simone Pennec, sociologue à l’UBO, pour les
suggestions et retenues dans cette introduction.
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règles juridiques, en fonction de leur contexte d’émergence et des arguments qui
les valident ou les modifient. Les sociologues envisagent les questions sociales,
juridiques et familiales comme ayant partie liées. Elles gagnent à être comprises
dans leur transversalité, dans leurs effets différenciés selon les appartenances de
genre ; selon les droits sociaux acquis par les individus de manière variable au
cours de leur parcours de vie ; et selon les appartenances sociales et familiales.
L’égalisation ou, a contrario, le renforcement des inégalités au sein des parentés
et dans l’espace sociétal, peut être éclairé par l’exploration des moments de la vie
qui mettent à l’épreuve les réponses de la solidarité publique et les ressources
des individus et de leur parenté 3.
Deux questionnements traversent l’ensemble des contributions ici réunies.
Le premier renvoie au fait que la production juridique ne peut être uniquement
envisagée comme la mise en place de règles impératives. Le fait de mobiliser ou
de différer le recours aux différents droits, la mise en question de l’adéquation
de certaines dispositions juridiques avec les temporalités actuelles des parcours
de vie, donnent à comprendre les logiques présentes entre acteurs, au sein et
au-delà de la parenté. Le second questionnement rend compte des processus qui
président à la répartition du travail d’accompagnement et de soutien. Il envisage
les régulations entre l’individu lui-même, ses différents parents et les acteurs de
la citoyenneté sociale : la famille, l’État et le marché.
Ainsi, le lecteur comprend que les variations de la mise en œuvre des règles
de droit sont analysées par l’ensemble des chapitres réunis dans cet ouvrage.
Les manières par lesquelles les acteurs, y compris l’individu pour lui-même,
interviennent et qualifient la situation au plan juridique, permettent de saisir
les enjeux de leurs places et de leurs activités. Les mobilisations pour introduire des modifications législatives et réglementaires sont aussi des manières de
comprendre ce qui se joue dans la parenté d’aujourd’hui. Les tenants de cette
manière de procéder, juristes et sociologues, considèrent que les acteurs utilisent et envisagent le droit comme « offrant des éléments (en nombre variable)
de définition du cadre d’une situation » (Lascoumes et Serverin, 1995). Cette
perspective prolonge les travaux d’I. Théry lorsqu’elle analyse la construction
des politiques publiques dans le domaine de la famille et les injonctions contradictoires de celles-ci en direction des femmes. Il s’agit alors de « montrer que la
légitimité juridique ne préexiste nullement à la mise en œuvre du droit, mais se
construit quotidiennement par les arguments et décisions judiciaires » (Théry,
1993). Le droit fait toujours question et les itinéraires juridiques sont des activités de familles en même temps qu’ils sont affaires d’État. D’emblée, plusieurs
3. Dans l’introduction, le terme de parent sera entendu au sens généalogique. Il intègre, au-delà
des père et mère, la filiation, la conjugalité et la collatéralité (frères-sœurs). Au sein de
chacun des chapitres, les auteurs précisent les définitions qu’ils retiennent pour rendre
compte des effets spécifiques de certains de ces liens sur les normes et les pratiques de
soutien qu’ils analysent.
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auteurs soutiennent le pari d’une sociologie politique du droit. Ils montrent
en quoi la capacité des acteurs familiaux (l’individu et ses parents) à mobiliser
des droits, à conquérir une légitimité auprès d’autres interlocuteurs (législateur, responsables d’institutions publiques, professionnels), ne va pas de soi.
Les pouvoirs diffèrent selon les positions sociales, selon les hiérarchies professionnelles et selon les marges de négociation entre les organismes du champ
juridique, social, sanitaire, voire biomédical.
« [La] contrainte de la qualification juridique […] est aussi fonction d’opportunités, de circonstances politiques et de finalités auxquelles ils [les acteurs]
adhèrent. […] Les usages du droit et de la justice constituent alors des
éléments importants du répertoire de l’action collective. Le registre légal
peut être envisagé comme une composante déterminante des interactions
sociales ordinaires, et il se manifeste moins par des références formalisées au
droit institutionnalisé que par des formulations juridiques enchâssées dans
des raisonnements ordinaires » (Commaille et Duran, 2009).
Les travaux présentés s’inscrivent dans le prolongement des analyses réunies par
L.-H. Choquet et I. Sayn lorsqu’ils rendent compte des mouvements réciproques
entre les obligations et l’entraide familiale, et entre les politiques sociales et
l’entraide familiale. Le droit intervient comme instrument de régulation au
sein de chacun des registres. Envisager les réponses aux nouvelles réalités du
parcours de vie individuel, conjugal, filial, c’est mobiliser la « vieille panoplie
du Code civil pour réactiver des “solidarités familiales” tantôt effectives, souvent
présumées et parfois improbables ou impossibles » (Choquet et Sayn, 2000).
Plusieurs chapitres font référence à l’analyse des législations civiles et de protection sociale, en mobilisant des comparaisons internationales ainsi que la jurisprudence et ses évolutions. Le droit civil constitue l’instrument principal de
régulation de la sphère privée. Sont également considérés les outils juridiques de
la politique familiale, intégrant les prestations familiales, les dispositions d’aide
sociale à l’enfance ou à la vieillesse ainsi que les mesures fiscales et successorales.
Le second axe de questionnement explore les processus de répartition des
responsabilités et des pratiques de soutien dans un contexte de défis nouveaux
pour les solidarités socialisées. Il analyse le régime de citoyenneté qui « désigne
les arrangements institutionnels, les règles et les représentations qui guident
simultanément l’identification des problèmes par l’État et les citoyens, les choix
politiques, les dépenses de l’État, et les revendications des citoyens » (Jenson,
2001). Ces « politiques sociales ne sont pas neutres dans la mesure où elles
définissent la citoyenneté sociale en institutionnalisant les différentes manières
d’organiser la prise en charge du “care” et donc le partage des responsabilités
entre État, marché et famille, les trois piliers pourvoyeurs de bien-être »… Elles
se « différencient en réalité selon le genre » (Dang et Letablier, 2009). Les travaux
précurseurs (Pitrou, 2002 ; Debordeaux et Strobel, 2002) ont décrit l’importance,
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la diversité mais aussi la fragilité et l’inégalité de l’entraide familiale. Quelles sont
les conditions normatives et matérielles de la préservation de choix pour les
différents acteurs et probablement pour certains plus que pour d’autres ? Il s’agit
de quitter une vision substantialiste des solidarités tout en examinant les formes,
l’importance de leurs contenus et leurs remaniements. S’éloigner d’une vision
naturalisée de solidarités, enchantées ou défaillantes, pour interroger les usages
indigènes de ce terme. Cet ouvrage actualise cette analyse à propos de plusieurs
situations pour lesquelles l’intervention des parents est attendue, voire requise.
Les travaux des auteur(e)s réuni(e)s envisagent particulièrement les effets de
l’entraide sur les individus et certains membres de leur parenté, les transferts
obligés en direction de certains parents, dans un contexte de pression et de
recomposition de l’intervention de l’État. Au-delà des lois et des droits, un appel
à la responsabilisation des acteurs se renforce, en particulier pour les individus
éloignés des protections liées au salariat continu et stable. L’action déployée par
l’État peut être analysée selon deux directions. D’une part, l’État, dans sa rencontre
avec les citoyens, cherche à mobiliser les valeurs et normes de la responsabilité
vis-à-vis de soi et de l’engagement vis-à-vis d’autrui. De l’autre, par les politiques
sociales, l’État vise à empêcher que les nouvelles formes familiales, lorsqu’elles se
conjuguent avec de la précarité économique, n’affaiblissent ou fassent disparaître
les liens des individus à leur parenté et à la société. Souci de cohésion sociale
et de mobilisation familiale s’élaborent en continuité. Face à la promotion de
droits individuels, d’une société d’individus responsables et autocontrôlés, les
sociologues identifient les effets des modes de régulation adoptés, en repérant les
inégalités, selon le genre, les âges, les parcours personnels, familiaux et sociaux.
Les différents chapitres rendent compte de tensions dans la mise à l’œuvre de
services fournis par les familles et par d’autres réseaux sociaux, permettant de
saisir l’enchâssement entre différentes normes et formes de solidarités. Le terme
de solidarité sociale, publique ou socialisée, recouvre les liens des individus à
la société. Par distinction, différents usages, indigènes et scientifiques, du terme
de solidarité familiale sont proposés par plusieurs auteurs, juristes et sociologues. Ils éclairent ainsi : « La seule véritable question que pose, au plan descriptif, l’usage d’une unique catégorie englobante de “solidarité familiale”… : elle
mêle des échanges ou transferts très différents, puisque certains font partie de la
définition même des liens de parenté comme liens institués tandis que d’autres à
l’inverse n’en font pas partie, voire s’y opposent tout à fait sciemment » comme le
souligne I. Théry (2007). Ces formes de l’entraide restent trop souvent étudiées
de manière segmentée, mis à part de récents travaux qui permettent de penser
« l’écart entre les principes moraux de solidarité auxquels les individus restent
attachés et les conditions réelles d’application de ces principes, lesquels sont
variables d’une société à une autre » (Paugam, 2007).
Une forte activité de soutien, acquise implicitement ou sous contrainte de la
loi, se généralise du fait de la diversité des moments du parcours de vie durant
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lesquels chacun de nous est affaibli et dépend du recours à autrui. Les contours
de ces imbrications, entre les fondements des pratiques et les limites de l’entraide
au sein des familles et les règles de la solidarité publique, sont identifiés dans
les textes qui composent les trois parties de l’ouvrage. Proposer une lecture des
différents registres de solidarité, aux plans politique et scientifique, identifier la
non-équivalence entre les formes et les processus de la « solidarité familiale » et
de la « solidarité publique », c’est le pari tenu par Michel Messu dans le chapitre
liminaire. Il questionne la notion de « solidarité familiale », qui n’apporte rien
de plus que la notion de famille, si elle n’est pas mise en regard des dispositifs
de solidarité sociale. La solidarité familiale ne s’est jamais démentie si on accepte
de la définir à partir du sens des responsabilités qui la fonde et de l’évolution de
la valeur d’indépendance au sein de la famille. Ce sont les politiques publiques
qui « consolident » les solidarités familiales. « À chaque fois que l’on cherche
à saisir le caractère spécifiquement familial de la solidarité, on se trouve renvoyé à sa dimension sociale […] on ne trouve finalement de solidarité familiale
empirique qu’organisée socialement par le droit, les politiques publiques ou par
l’échange marchand. »
CONTEXTES CULTURELS ET POLITIQUES NATIONALES
EN DIRECTION DES FAMILLES
La première partie de l’ouvrage souligne, au-delà des spécificités nationales,
un mouvement convergent de production des droits. En Europe de l’Ouest et
en Amérique du Nord, les responsabilités parentales, conjugales et intergénérationnelles, ne sont remises en question, ni au plan des principes ni au plan des
pratiques, encadrées par de nouvelles politiques de santé.
La manière dont les différents droits européens dessinent les contours des
solidarités familiales et des solidarités sociales est analysée par Frédérique
Granet. S’agissant des solidarités familiales, elle repère un rétrécissement de la
sphère des obligations réciproques entre les parents et la contractualisation d’un
périmètre d’obligations légales commun à plusieurs pays d’Europe. L’auteure
établit la diversité des obligations alimentaires dans trois types de liens : les différents modes de conjugalité, les charges des enfants dans les situations de recompositions familiales, les relations entre frères et sœurs. Les solidarités sociales
sont marquées d’une forte diversité de prestations servies par les politiques
nationales selon leur contexte sociohistorique. Les critères retenus en matière
de prestations familiales et d’aide au logement, la subsidiarité de la solidarité
publique dans l’aide au recouvrement des créances alimentaires impayées en cas
« d’in-solidarité » d’un des parents dans l’exécution de l’obligation d’entretien
d’un enfant, lui permettent de montrer la variété et la faiblesse du niveau des
droits dans certains contextes nationaux. L’analyse souligne un double mouvement, à la fois, « cette nouvelle marque d’intérêt du droit communautaire pour la
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famille » et le fait que la partition entre solidarité publique et solidarité familiale
« dépend étroitement des politiques étatiques ».
Centrer le questionnement sur le soutien familial à l’échelle intergénérationnelle permet d’identifier plusieurs invariants et également de repérer des
différences entre les modèles de solidarité familiale au sein de l’Europe. C’est
la perspective retenue par Jim Ogg et Sylvie Renaut. Ils mobilisent l’analyse de
trois positions générationnelles dans des contextes culturels et nationaux différents (13 pays), partageant la caractéristique commune d’appartenir à l’Union
européenne. Repérer les formes du soutien familial entre la génération pivot et la
génération aînée est possible lorsque l’on recueille trois indicateurs de soutien :
le soutien effectif à travers les modes de contact, y compris la cohabitation ; le
soutien prospectif (soutien domestique, psychologique et financier) ; la mesure
normative du sentiment de responsabilité et des obligations (attitude des enfants
vis-à-vis des ascendants). Si partout en Europe, des formes d’entraide existent,
les normes et les pratiques sont variables selon le type de soutien attendu et
dépendent avant tout des positions générationnelles familiales et des contextes
culturels. Les auteurs aboutissent à l’analyse suivante : « Si l’on s’accorde sur
cette idée que le soutien familial serait la résultante des effets culturels et institutionnels, alors on se doit de veiller aux décisions qui engagent l’évolution des
systèmes de protection et de redistribution envers les plus âgés, en particulier
les pensions de retraite et l’accès aux soins. »
Cette compréhension des niveaux de soutien et de leurs effets inter et intragénérationnels passe aussi par l’analyse des arbitrages nationaux quant à la prise
en charge des jeunes enfants par les parents, pour permettre l’articulation entre
travail parental et travail professionnel. Blanche Le Bihan-Youinou et Claude
Martin s’intéressent aux effets des réformes de la petite enfance en Europe. En
matière d’accompagnement des enfants, les réglages entre l’offre publique et
l’offre familiale, le plus souvent principalement maternelle, font question. La
flexibilité de l’emploi, particulièrement la croissance des horaires de travail non
standard, a des effets sur l’articulation vie familiale et vie professionnelle. Les
auteurs montrent les variations des publics visés par les politiques publiques
en Europe, retenant particulièrement le contexte de trois pays : la Finlande, le
Portugal et la France. « Les arrangements de garde combinent des ressources
formelles et/ou informelles, publiques et/ou privées, rémunérées et/ou non
rémunérées », dont l’accès et la disponibilité sont variables et inégalitaires pour
les différents parents.
Investiguer par une approche sociohistorique un contexte national précis
permet d’analyser les imbrications entre dispositifs d’État, politiques sociales
et solidarités familiales. Cette posture heuristique est développée dans le
contexte du Canada, par Michèle Kérisit à propos des populations migrantes.
La continuité des obligations de soutien familial est inscrite dans l’histoire des
parrainages depuis les années 1946 jusqu’en 2002. Dans un pays qui cherche la
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INTRODUCTION
croissance démographique par le recours à une main-d’œuvre « jeune et compétente », et qui veut assurer une « cohésion inter-ethnique » ; c’est un « parent
désigné » qui devient le garant des ressources du parent qu’il « fait entrer » au
Canada. Cette politique assimile les personnes parrainées à des « personnes à
charge », créant des dépendances entre conjoints, enfants et également ascendants, qui vont au-delà du droit civil. Le texte montre comment le « remaniement des dispositifs de regroupement familial par l’État canadien continue de
renvoyer les solidarités familiales à l’ordre du privé et du domestique ». Les
politiques d’immigration et les politiques sociales ont des effets inégalitaires
sur les rapports sociaux de sexe et d’ethnicité, aux dépens des femmes et des
candidats à l’entrée les moins pourvus de ressources.
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DES SOLIDARITÉS PUBLIQUES SUBSIDIAIRES DES SOUTIENS FAMILIAUX
La deuxième partie de l’ouvrage privilégie l’analyse des échanges familiaux
lorsqu’ils sont façonnés, voire requis par différents droits. Sont présentées des
recherches qui portent sur les spécificités retenues par le droit civil, le droit de
la protection sociale et de l’aide sociale. Ces dispositions juridiques font l’objet
d’appropriations diverses selon les modes de fonctionnement familial dans
lesquels elles sont mobilisées. Les textes portent sur les modes de recours au
droit et sur les effets de certaines réglementations sur les acteurs, dans des situations où les besoins de soutien sont accrus en intensité et inscrits dans la durée.
La législation relative à l’aide sociale, à travers le principe de subsidiarité, fait
prévaloir la production de services familiaux sur les prestations fournies par la
collectivité (art. L. 132-6 du Code de l’action sociale et des familles). Cette subsidiarité se concrétise par l’existence de recours contre les obligés alimentaires et
contre la succession des bénéficiaires de l’aide sociale.
Évelyne Serverin développe cette analyse de l’ambiguïté présente dans la
référence au principe de subsidiarité, principe toujours effectif pour certains
motifs de sollicitation d’intervention de l’État et pas pour d’autres. Elle définit
les enjeux et les paradoxes d’une transmission patrimoniale qui continue à s’établir selon le principe de la subsidiarité de l’État en matière d’aide sociale et qui
mobilise conjointement les récentes réformes fiscales des droits successoraux
(recours sur succession, donations et legs). Derrière le principe énoncé, deux
réalités émergent selon les motifs de recours à l’intervention de l’État. Dans la
première : lorsque les situations à l’origine de la demande d’aide sociale sont liées
à la survenue d’un risque (handicap, autonomie, perte temporaire de revenu),
l’État a jusqu’ici fait preuve de sollicitude, excluant les récupérations sur successions pour ces prestations de solidarité publique. Dans la seconde : l’événement
lié à la demande relève de la pauvreté (aide sociale à l’hébergement, allocation
de solidarité aux personnes âgées) ; dès lors, la subsidiarité s’exerce pleinement
et les récupérations se font « sans concession », à l’égard des successions les plus
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modestes. La marge de transmission au sein des familles modestes s’amenuise
tandis que dans le même temps, le législateur vise à modérer le taux d’imposition
sur les successions pour les « plus fortunés ». Du point de vue de l’auteure, cette
disparité de traitement, cumulée aux inégalités engendrées par les obligations
maintenues entre parents pour les personnes aux faibles ressources, mérite d’être
débattue. « Il est urgent d’ouvrir une discussion générale sur l’utilité sociale du
maintien partiel de la subsidiarité, étayée par des données quantitatives sur son
effet patrimonial. »
Dans un registre proche en matière successorale, la législation fiscale joue
également un rôle prépondérant dans la justification, la normalisation et la
promotion des solidarités familiales, incitant de plus en plus à anticiper les transmissions patrimoniales. C’est la question traitée par Raymond Le Guidec à travers
le rapprochement qu’il propose entre famille, succession et fiscalité. L’évolution
législative récente, encore renforcée dans la nouvelle législature, incite à l’anticipation successorale. La succession, transmission du patrimoine du défunt, peut
être comprise comme la réalisation d’une solidarité familiale. Ainsi, la réserve
héréditaire est le prolongement du devoir alimentaire dans la parenté. Certes, les
fondements de la légitimité de la fiscalité des donations et successions sont discutés. Plus encore, les taux et les barèmes marquent des préférences et des hiérarchies entre différentes formes de vie familiale selon leur inscription juridique.
« Par ses dispositions sélectives, la réforme protège et promeut les familles qu’elle
préfère. Il y aura donc encore beaucoup à faire pour parvenir à l’égalité. En ce
sens, c’est d’abord au législateur civil qu’il appartient d’intervenir. »
Les deux textes qui suivent partagent un point de vue proche. Ils mobilisent
une analyse des pratiques familiales contraintes par les obligations alimentaires
adossées à certaines prestations d’aide sociale. Ils soulignent un renforcement de
l’imposition de l’engagement des proches au nom de solidarités familiales présumées. Les normes mobilisées reposent sur une assimilation entre conception
de la morale familiale et règles de la politique familiale. Isabelle Sayn envisage
la mise en œuvre des obligations alimentaires, adossées ou non à des prestations sociales (aide sociale et protection sociale), comme un indicateur de ce
que recouvrent les solidarités familiales. Deux processus sont relevés. Tout
d’abord, l’assimilation renforcée voire la superposition entre solidarité familiale
et obligation alimentaire alors que la première n’est pas une catégorie juridique
et est une notion « à contenu variable ». Ensuite, l’auteure propose une lecture
des pratiques de mobilisation de l’obligation alimentaire par les institutions de
protection sociale (CAF) comme les services d’aide sociale départementaux. Le
caractère personnel de l’obligation alimentaire est modifié, puisque sa mise en
œuvre est imposée par l’institution de protection sociale, le bénéficiaire-créancier étant contraint d’agir à l’encontre du ou des parent(s) débiteur(s). Dans le
fonctionnement de la protection sociale, cette mobilisation contrainte assimile la
dette alimentaire à un processus d’engagement des solidarités parentales, entre
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INTRODUCTION
ex-conjoints. « La conception subsidiaire des prestations sociales légitime une
conception autoritaire des solidarités familiales. »
Les personnes du grand âge sont confrontées à ce même processus lorsqu’un
recours est exercé contre les débiteurs alimentaires par les établissements publics
de santé et les services d’aide sociale des conseils généraux. C’est le propos de
Muriel Rebourg lorsqu’elle montre en quoi les recours exercés constituent des
manifestations d’une solidarité familiale contrainte, imposée par des tiers institutionnels étrangers au rapport alimentaire. Parallèlement, la Cour de cassation,
par sa jurisprudence, protège les obligés alimentaires face à une lourde dette
alimentaire. Cet impératif doit être concilié avec celui des établissements publics
de santé et des départements qui cherchent à équilibrer leur budget. L’évolution
des règles devrait contribuer à éviter tant l’accumulation d’arriérés que la substitution dans l’exercice du recours des établissements publics de santé par les
conseils généraux. « L’évaluation de la contribution familiale en fonction des
capacités financières du débiteur alimentaire par le juge aux affaires familiales
devrait éviter une augmentation de la précarité de la famille sollicitée dont la
participation sera, dans certains cas, faible voire nulle. »
Cette mobilisation du principe de subsidiarité entre État et famille se trouve
également au fondement d’une autre disposition du Code civil : la protection
juridique des majeurs. Le contexte de la réforme de la loi du 5 mars 2007, en
application depuis janvier 2009, permet à Gilles Séraphin de montrer la permanence des formes de solidarités attendues par le législateur mais aussi de repérer
des voies de continuité possible entre des modes d’action partagés entre différents acteurs. Le dispositif de protection juridique a réaffirmé le principe de la
primauté familiale et maintenu le processus de subsidiarité de l’État par rapport
à la famille. Au-delà des principes, la nomination d’un parent ou la délégation à
l’État peut-elle révéler des attributions complémentaires plus que substitutives
entre ces deux formes de solidarité ? Ainsi, y compris lorsqu’une mesure est
déferrée à l’État, l’auteur propose de distinguer deux modalités : une solidarité
publique substitutive d’une solidarité familiale et une solidarité publique qui
tente de se concevoir comme une solidarité familiale indirecte et déléguée. Le
point de vue privilégie l’étude des modalités de protection qui ouvrent des voies
de continuité entre l’exercice de la représentation par un protecteur familial et la
mise à disposition auprès de cet acteur de ressources et de soutiens professionnels. Dans cette perspective de valorisation de complémentarité entre plusieurs
registres de solidarité, l’appui aux tuteurs familiaux, développé par des associations de représentation des familles, constitue un enjeu décisif pour l’avenir. « Il
est important de constater que la Loi énonce qu’une solidarité privée doit être
soutenue par une solidarité publique ; même si cette solidarité publique apparaît
encore bien faible. »
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RESPONSABILISATION AU SEIN DES PARENTÉS
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ET SOUTIENS SOUS CONTRAINTE
La dernière partie réunit des textes qui rendent compte de l’agencement
entre les mobilisations de membres de la parenté et l’action des professionnels
légitimés par l’action publique. L’attention aux pratiques et à l’expression des
responsabilités des acteurs interroge les articulations entre entraide familiale
et solidarités publiques. Les expériences sociales analysées par les juristes et
par les sociologues attestent d’une non-équivalence et d’une non-substitution
entre activités des parents et pratiques professionnelles. La répartition de la
production des services résulte du croisement entre les recours aux droits de la
protection sociale, la hiérarchisation des responsabilités entre parents et entre
institutions et professionnels. Cet ordonnancement est susceptible de remise en
question par l’évolution des configurations familiales et des modes d’intervention sociale. Les attributions de genre, les appartenances générationnelles, les
ressources et les protections, conduisent à des appels au soutien qui évoluent au
cours des événements des parcours de vie individuels et familiaux. Les interactions et les positions des acteurs peuvent conduire à des rapports de coopération,
de continuité entre parents et avec les différents professionnels. Dans d’autres
contextes, les ruptures par rapport aux pratiques antérieures impliquent des
retraits de l’entraide familiale et/ou une mise en question des interactions entre
professionnels et parents.
Le contexte québécois de détermination de l’inaptitude des aînés permet de
rendre compte de la place tenue par différents professionnels et leurs modes
de relation à l’égard des proches de toute personne dont l’aptitude est évaluée.
À partir d’une analyse de récits des acteurs professionnels impliqués dans
la détermination de l’inaptitude, Catherine Canuel, Yves Couturier et Marie
Beaulieu montrent que ce processus est foncièrement interprofessionnel, mobilisant médecins, travailleurs sociaux et juristes. Cette inter-professionnalité se
traduit par le fait que s’établit « un rapport entre intervenants et proches qui
se fonde notamment sur une série d’attentes partagées des premiers à l’égard
des seconds ». Quatre rôles sont exercés par les professionnels en direction des
proches : « assurer la procédure, évaluer les modes de soutien et d’engagement
des proches, infléchir le rôle des proches et répondre aux sollicitations et aux
besoins des proches ».
Dans le contexte français, l’analyse de l’expérience de la protection juridique
au sein des couples âgés, ouvre une voie d’exploration de l’imbrication entre
différentes dispositions du droit civil, au moment où l’ajustement des places
entre conjoints se modifie du fait d’incapacités de l’un d’entre eux. Françoise
Le Borgne-Uguen montre que la subsidiarité de la protection juridique au regard
des règles matrimoniales, le devoir de soutien entre époux et l’externalisation
d’une part des soutiens requis, portent la marque des rapports entre économies
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[« Logique du délire », Jean-Claude Maleval]
[ISBN 978-2-7535-1331-0 Presses universitaires de Rennes, 2011, www.pur-editions.fr]
INTRODUCTION
individuelles, économies conjugales et économies familiales. Si le droit établit la
possibilité de ne pas recourir à la protection juridique dans le cadre de l’alliance,
l’existence de mesures de protections à l’égard de majeurs mariés, exercées par
une conjointe ou par un professionnel, mérite attention. L’auteure envisage
ces situations comme indices des articulations entre l’engagement conjugal de
soutien et les enjeux de l’économie familiale. « Les réponses des conjointes
dépendent de deux processus : la manière d’intégrer l’activité de protection
à l’ensemble du travail de soutien qu’elles produisent et, en même temps, de
répondre aux représentations qu’elles se font des règles de droit qui les concernent ; en particulier concernant le devoir de soutien entre époux. »
Ces processus, qui fondent l’économie familiale et les économies individuelles de chacun des membres d’une parenté, sont également au centre des
qualifications de l’aide donnée à un membre de sa famille lorsqu’elle dépasse
les « devoirs de famille ». Vivien Zalewski propose de retenir deux processus
structurant les engagements au sein de la parenté : la distinction entre le travail
productif et le travail non productif au sein des familles, la différence entre
l’indemnisation d’un préjudice ou d’un manque à gagner et la rémunération
du travail de soutien fourni à un parent. Cette question ne peut s’éclaircir qu’à
partir des réponses respectives fournies par le droit civil et le droit social. Les
évolutions repérées conduisent l’auteur à identifier les réponses partielles et
inégalitaires que le droit civil apporte à celui qui a sur-contribué au travail
auprès de son parent, au-delà de la piété filiale ou au-delà du devoir d’assistance
entre époux. Dans tous les cas, le Code civil place ses réponses et les formes
de reconnaissance de ces activités du côté de l’indemnisation plutôt que de la
rémunération. Catégorisées comme un travail domestique, elles restent différenciées de la catégorie du travail productif. Les évolutions récentes du droit
social conduisent très peu souvent à une rémunération du « travail de famille »,
même si quelques allocations conduisent à une indemnisation du parent qui
intervient. Restrictives sur certains liens de parenté (conjugalité), ne prenant en
compte qu’une très faible part du temps effectif consacré au parent, l’hypothèse
d’une conversion de ces allocations en droits de tirage sociaux est soulevée.
Elle permettrait « un véritable choix entre temps consacré à la famille et temps
consacré au marché du travail. Cette orientation devrait être renforcée pour que
ce choix ne soit pas irréversible et qu’il soit ouvert à tous ».
Saisir les régulations présentes dans l’ordre des services produits par les
membres de la parenté et par les professionnels des services à domicile en
direction des personnes au grand âge, c’est la perspective retenue par Simone
Pennec. L’attention aux « solidarités pratiques » conduit à identifier des inégalités familiales entre différents parents en place de fournisseurs et de destinataires de ces services, en particulier dans les rapports de filiation, des descendants, fils et filles, à l’égard de leurs ascendant(e)s, père et mère. Certes, les
cadres des politiques publiques définissent des droits et devoirs de familles et
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contraignent diversement les un(e)s et les autres au soin familial, selon leur
sexe, leurs âges, leurs possibilités d’externaliser les services à produire. Pour
saisir ces dynamiques, ce chapitre met en évidence deux dimensions d’analyse
peu souvent explicitées. La première renvoie à la prise en compte des spécificités des trajectoires et des temporalités des membres de la parenté, en places
filiales, pour rendre compte de l’hétérogénéité des pratiques et des engagements.
La seconde consiste à rapprocher les processus de ces « solidarités pratiques »
repérés chez les praticien(ne)s au sein de leur parenté et également présents au
sein d’un précariat professionnel majoritairement féminin dans les services à
domicile. Minoration de la reconnaissance de compétences pourtant attendues
et mobilisées, naturalisation des affects et mise en évidence d’un modèle compassionnel de l’engagement : autant de caractéristiques qui font continuité entre
travail dans les services aux personnes et travail de famille. « Cette main-d’œuvre
majoritairement féminine est faiblement rémunérée, voire pas du tout, professionnelles et parentes indemnisées pour le soin familial constituant un vivier de
travailleuses pauvres qui contribue à reproduire une vieillesse aux ressources
précaires. Ces éléments, joints à la longévité plus élevée des femmes, risquent
de maintenir une part d’entre elles dans la dépendance des arbitrages familiaux,
à défaut de services collectifs adéquats et de possibilités d’accès aux services
marchands. […] Les parcours des femmes se trouvent fortement déterminés par
la production et la responsabilité de ces services, à plusieurs moments du cycle
de vie et dans des rôles distincts. »
L’imbrication entre soutiens profanes et régulation professionnelle publique
est également visible dans l’hétérogénéité des coopérations entre les médecins
généralistes et les membres des familles des patients au grand âge. Pour la rendre
plus explicite, Guillaume Fernandez montre l’importance de centrer l’intérêt
sur « les configurations dans lesquelles évoluent les différents médecins ». Si
l’ensemble de ces derniers souligne la présence des membres de la famille auprès
du parent qui a besoin de soins, ils sont partagés sur les normes et les modalités de concertation avec eux. De manière variable selon les caractéristiques
des médecins et les contextes des familles, une première tendance consiste à
maintenir un paternalisme médical et à l’étendre à l’égard des parents, nombre
de décisions continuent à relever de l’autorité médicale. Une seconde tendance
prend les contours d’un attentisme et d’une faible anticipation à l’égard des
préoccupations des proches, le médecin reste en retrait d’une concertation et
d’une coordination avec eux. Troisième tendance : les médecins tendent à s’engager dans la préservation de conditions favorables à la mobilisation familiale
dans la durée. Ces processus sont particulièrement visibles lorsqu’est soulevée
l’hypothèse de l’entrée en établissement d’un patient-parent vivant jusqu’alors à
son domicile. « Dans le cadre d’une politique vieillesse qui n’a cessé d’affirmer
le maintien à domicile comme une de ses priorités, et qui confie une mission
d’orientation dans le domaine médico-social aux généralistes, ceux-ci ne sont
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INTRODUCTION
que peu familiarisés avec cette dimension de leur activité. Les familles et parfois
les patients peuvent ainsi se trouver à porter jusqu’à leur limite des situations
difficiles, bien souvent connues, mais dont il n’est pas clairement établi de quelle
compétence elles relèvent. »
Dans cet ouvrage, plusieurs contributions relèvent l’importance de l’engagement des femmes dans l’entraide en direction de leurs parents, y compris
d’ailleurs dans les formes du travail de soin professionnel. Peut-on identifier
et comprendre les processus qui fondent ce constat ? C’est ce que propose
Geneviève Cresson. À partir d’une analyse en termes de rapports sociaux de
sexe, elle montre que les formes d’entraide les plus relationnelles, à la différence de l’entraide plus matérielle et économique, essentialisent l’idée de compétences féminines. Faire appel à l’analyse de la division du travail entre hommes
et femmes dans l’ensemble des registres sociaux permet de dé-naturaliser, de
mettre en question l’a priori de compétences spécifiques attribuées aux femmes
dans ce domaine. Préciser les liens entre les formes de solidarité et les rapports
sociaux de sexe contribue à rendre visible la production normative qui préside
à l’usage de terminologies qui portent la marque de cette domination masculine,
tels les termes de « solidarité familiale », d’« aidants naturels », de « qualités
féminines ». Cette orientation permet aussi de saisir les engagements de certains
hommes dans diverses activités de soutien et la nécessité de penser des modalités
plus égalitaires à la répartition de ce travail de soin dans l’espace des familles et
les espaces professionnels. « La (très relative) prise de distance des femmes par
rapport à cette solidarité […] est une invitation à rechercher des alternatives
plus égalitaires, moins dévalorisées. »
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