Résumé* de la fatwa délivrée par Sheikh M. Hisham Kabbani et Dr. Homayra Ziad, interdisant les violences conjugales et intitulée « Interdiction des violences conjugales en Islam » Introduction au résumé Ces dernières années, nous faisons face à une série de prétendus « crimes d’honneur », en première ligne dans les médias, souvent mise en corrélation avec l’éternelle question de la position de l’Islam : cette religion autorise-t-elle une quelconque forme de violence physique envers l’épouse, et donc la femme ? Sheikh Kabbani et le Dr Ziad ont tous deux travaillé à l’élaboration d’une fatwa (avis juridique), visant à anéantir toute justification basée sur interprétation malheureuse des saintes écritures islamiques. Leur conclusion est sans détours : « … nous déclarons sans équivoque qu’il n’existe aucun terreau dans la religion de l’Islam soutenant la maltraitance physique conjugale, il ne peut donc y avoir de sanctions religieuses contre ces formes de violence. » Vous pouvez vous procurer la fatwa d’origine sur le site web d’Amazon ou auprès des revendeurs agrées. L’ISBN de la version publiée correspond au 978-1938058080 et contient environ 60 pages. Le résumé contient les grandes lignes de la fatwa, ceci pour permettre une lecture des grandes lignes rapide et facile. Voici donc mon résumé de la fatwa proscrivant les violences conjugales, et je le fais dans le service de Dieu, qu’il puisse aider à promouvoir une meilleure et juste compréhension de Sa Religion Choisie, l’Islam. Et quiconque désire une religion autre que l’Islam, ne sera point agréé, et il sera, dans l’au-delà, parmi les perdants. (3:85) [NDT : à noter que dans la traduction française, le mot « Islam » remplace « self-surrender ».] La Fatwa Introduction Les auteurs de la fatwa expliquent que les avis juridiques portant sur la notion de « frapper une femme » tournent uniquement autour de ce verset du Coran (4:34). Un seul mot provoque l’intense controverse : w’adribuhunna, du verbe arabe ḍaraba. Basés sur cet unique terme, nombreux sont les savants contemporains soutenant qu’un homme peut battre sa femme. Toutefois, certains d’entre eux ont tenté d’atténuer cette interprétation rigoureuse en suggérant que seuls de légers coups étaient autorisés. Mais une telle posture ne fait que renforcer la supposition erronée selon laquelle la violence envers les femmes, aussi légère soit-elle, est autorisée. Dans cette analyse, les auteurs ont donc présenté un certain nombre d’interprétations alternatives, linguistiquement valides, du verset coranique mentionné ci-dessus. De plus, ils font appel à d’autres versets du Coran, et aux hadiths prophétiques, afin d’exposer une juste interprétation des relations, et des normes, dans la relation de couple. Interpréter le Saint Coran Les auteurs expliquent que, d’un point de vue historique, le Coran a été révélé dans un contexte social où la violence familiale, les infanticides et les meurtres étaient choses communes. Le Prophète Muhammad (s) avait la charge d’établir un état de droit qui allait transformer une société clanique, en une communauté civilisée. Le concept du droit des femmes n’existait pas, aussi les femmes étaient-elles perçues comme des biens et traitées comme du bétail. Les hommes étaient rarement tenus pour responsables face aux injustices qu’ils commettaient. De fait, ce verset doit être intégré dans son contexte. La promiscuité sexuelle était également répandue à l’époque, le Coran a donc cherché à limiter les relations sexuelles dans le cadre du mariage, et ce afin de prévenir toutes les difficultés qui pouvaient découler de l’adultère. Certains experts religieux traditionnels ont expliqué l’expression « déloyauté et méconduite » ne faisait pas simplement référence à une désobéissance de l’épouse, mais ben plutôt à son infidélité sexuelle. Ils en citent pour cause le hadith prophétique suivant : Et il est de votre droit de vous assurer qu'elles choisissent leurs amies avec votre approbation, aussi bien que de ne jamais commettre l'adultère. Les enseignements du Prophète (s) mettent en place une pédagogie visant à corriger les mauvais comportements de manière progressive1. Ainsi, durant les vingt-trois années que dura la révélation du Coran, les relations entre hommes et femmes ont progressivement changé et, elles se sont réformées. Le Coran a ainsi restreint un certain nombre de pratiques sociétales prédominantes à l’époque de la révélation, tout en offrant la possibilité aux savants des temps à venir d’adapter de nouveaux codes comportementaux à leurs nouvelles conditions sociales. Les auteurs indiquent que « L’Islam a toujours défendu les plus hauts standards de moralité et d’éthique en matière de relations humaines. » Par exemple, le Coran accorde une grande importance à la famille, tant dans son rapport à l’individu qu’à la société dans son ensemble. Voici ce que Dieu dit dans le Coran au sujet des relations entre un époux et une épouse : 1 Autre exemple : l’interdiction progressive de boire de l’alcool. (ed) - le Coran protège et soutient résolument les valeurs familiales ; o Et de toute chose Nous avons créé [deux éléments] de couple. Peut-être vous rappellerez-vous ? (51:49) - le Coran décrit l’humanité comme tirant son origine d’une seule et même âme, à partir de laquelle Dieu créa chacun des êtres humains, hommes et femmes ; o Il vous a créés d’une personne unique et a tiré d’elle son épouse (39:6) o Ô hommes ! Craignez votre Seigneur qui vous a créés d’un seul être, et a créé de celui-ci son épouse, et qui de ces deux-là a fait répandre (sur la terre) beaucoup d’hommes et de femmes. Craignez de rompre les liens du sang. Certes Allah vous observe parfaitement (4:1) - le couple marié doit partager les qualités quintessentielles de l’humanité : la compassion, la miséricorde, la tendresse, la dignité ; o Et parmi Ses signe Il a créé de vous, pour vous, des épouses pour que vous viviez en tranquillité avec elles et Il a mis entre vous de l’affection et de la bonté. Il y a en cela des preuves pour des gens qui réfléchissent. (30:21) o Elles sont un vêtement pour vous et vous êtes un vêtement pour elles (2:187) La fatwa indique que « dans l’Islam, l’époux et l’épouse sont égaux en droits et en responsabilités. Autrement dit, un équilibre juste et honnête doit être instauré pour préserver un foyer heureux et serein ». Tout comportement nuisible à l’égard des femmes est prohibé : - Ne les retenez pas pour leur faire du tort : vous transgresseriez alors (2:231) Et comportez-vous convenablement avec elles (4:19) Les auteurs ajoutent que même « des islamistes radicaux à l’image de Syed Qutb » se sont dressés contre les violences domestiques2. Une exploration linguistique du mot « daraba » Les auteurs rapportent que « la meilleure compréhension de la terminologie coranique provient du Saint Coran lui-même, en recherchant la signification d’un mot provenant d’un verset, et en étudiant son usage dans un autre verset. La racine ḍaraba possède près de cinquante dérivations. » Ceci laisse le champ libre à de nombreuses interprétations légitimes. Ils présentent ensuite dix sens coraniques possibles du mot daraba : 1. Citer un exemple 2. Citer en exemple [dans l’intention de formuler une comparaison] 3. Représenter 4. Citer un exemple de mauvais comportement 5. Confondre (quelqu’un) ou (s’) écraser 6. Ouvrir/Tracer un chemin 7. Se déplacer 8. Exposer (des faits) ou présenter/citer un argument 9. Installer (ou monter) 10. (se) Rabattre (ou se ranger) Le dernier exemple est d’une importance particulière, car il est cité dans un verset s’appliquant exclusivement aux femmes : …et qu’elles rabattent leurs voiles sur leurs poitrines. (24:31). Les auteurs nous donnent une interprétation possible : séparez-vous d’elles 2 Qyed Qutb dénonce explicitement les violences conjugales dans son exégèse du Coran « In the Shades of the Qur’an », volume 2. dans le lit, (et) par la suite attirez-les amoureusement vers vous. En d’autres termes, après la crispation due à la séparation, faites preuve de tendresse et d’affection pour faire renaître la relation de couple. Il existe aussi un certain nombre d’interprétations donné par les exégètes classiques des premiers temps, à l’image de Zamakhshari qui a écrit : « Il est dit que ce mot -darabasignifie engagez-vous dans une relation sexuelle avec elles, puis retenez-les avec détermination…. Il s’agit là d’une interprétation donnée par l’un des plus grands commentateurs (du Saint Coran). »3 Asfahānī indique que, d’un point de vue métaphorique, daraba signifie « réaliser l’acte sexuel »4, et Qushayri à commenté : « Ce qui est stipulé ici, c’est de les encourager à abonnir progressivement, et avec une attitude amène. Mais, si la question est réglée par une semonce, l’homme ne devrait pas alors la frapper (avec un bâton ou avec la main) car le verset enjoint à la relation sexuelle. »5 La fatwa établit également que « l’Imam Sūyūti assure que la femme ne devrait pas être battue, mais que la douceur et de bonnes manières doivent plutôt lui être témoignées, et si nécessaire, d’autres personnes peuvent intervenir pour rétablir l’entente entre les époux.. »6 L’importance de suivre l’exemple du Prophète Muhammad (s) Pour finir, les auteurs considèrent le Prophète Muhammad (s) comme un modèle par excellence et citent : Dis : « Si vous aimez vraiment Allah, suivez-moi, Allah vous aimera alors et vous pardonnera vos péchés. Allah est Pardonneur et Miséricordieux. (3:31) Il nous a été rapporté que, peu après la révélation du verset en question, certains des compagnons du Prophète (s) ont pris le mot w’adribuhunna dans son sens littéral, et frappèrent leurs femmes, ce à quoi le Prophète (s) s’opposa en disant : « Plusieurs femmes sont venues près de la famille de Muhammad en se plaignant de leur mari. Ceux-ci ne sont pas les meilleurs d'entre vous. » Les auteurs ont cité d’autres hadiths prophétiques : - 3 « Nourrissez-les de ce que vous mangez vous-même, vêtez-les de ce dont vous vous habillez vous-même, et ne les battez pas, et ne les injuriez pas non plus.» « Je vous rappelle d’être bon envers vos femmes! Elles vous sont un soutien dévoué, et elles sont aussi vos compagnes... Au demeurant, vous avez des droits sur vos femmes, et vos femmes ont des droits sur vous… » (On ne commet) pas de tort ou de représailles (en religion). Craignez Allah, L’Exalté, dans le respect (envers) vos femmes ! « Le meilleur d’entre vous est le meilleur envers les siens, et je suis le meilleur envers ma famille » Abu al-Qasim Mahmud ibn umar al-Zamakhshari, Al-Kashshaaf’an Haqa’iq at-Tanzil Abul-Qasim Husayn ibn Muhammad al-Raghib al-Isfahani, Al-Mufradat fi Gharib al-Quran 5 Abd al-Karīm ibn Hawāzin Qushayri, Lata'if al-Isharat bi Tafsir al-Qur'an 6 Jalaluddin Al-Suyuti, Al-Durr Al-Manthur Fi Tafsir Bil-Ma'thur 4 - « Ne frappez pas votre noble épouse, comme si elle était une esclave. » « N’avez-vous pas honte de battre vos femmes comme l’on battrait une esclave ? Vous la battez donc le jour, et avez des relations sexuelles avec elle à la nuit tombée. » Et plus généralement : - « Répondez lorsqu’on vous appelle, ne refusez point un cadeau, et ne battez pas les gens, Musulmans ou non. » Le Prophète (s) envoya à ʽAlī un serviteur, et lui dit « Ne le bats point, car en réalité il m’a été défendu de frapper ceux qui prient, et je l’ai vu prier. » ‘Umar ibn al-Khattāb rapporte « Le Messager d’Allah (s) nous a défendu de frapper tout Musulman qui observe ses prières. » Aishā dit, « Le Prophète (s) n’a jamais frappé aucune de ses épouses, ni aucun de ses serviteurs. » Le Prophète (s) avait une grande considération pour les femmes, ses enseignements portés sur la douceur à leurs égards et les nombreux hadiths interdisant la violence conjugale démontrent que le verset en question ne peut aucunement signifier « frapper et/ou employer la violence contre autrui. » Conclusion Les auteurs concluent que de telles questions éthiques ne devraient pas être une source de friction entre les communautés. L’Islam a été révélé à l’Homme pour tous les temps. Ils terminent leur fatwa en écrivant : « C’est sur cette vision, et sa raison d’être que nous gardons à l’esprit, que nous déclarons sans équivoque qu’il n’existe aucun terreau dans la religion de l’Islam soutenant la maltraitance physique conjugale — ou toute autre forme d’abus entre époux : il ne peut donc y avoir de sanctions « religieuses » en ces termes. Par conséquent, il revient aujourd’hui aux dirigeants, en vertu de leurs devoirs, d’éduquer leurs propres communautés. » Appendice : à propos des auteurs Sheikh Muhammad Hisham Kabbani est un savant reconnu dans le domaine de la Loi islamique traditionnelle ainsi que dans la Science spirituelle Soufie. Il est issu d’une famille de savants islamiques traditionnels respectée, notamment constituée du fondateur de l’Association of Muslim Scholars du Liban, et du grand mufti actuel au Liban (la plus haute autorité religieuse islamique). Ces trois décennies, il a promu les principes islamiques de paix, d’amour, de compassion et de cohésion sociale, tout en s’opposant rigoureusement à toute forme d’extrémisme. En tant que représentant en chef du Naqshbandi Haqqani Sufi Order, il est autorisé à émettre des édits religieux, et à conseiller les étudiants de ce mouvement, lesquels selon un rapport récent, se compte par millions. Il a écrit de nombreux ouvrages sur le droit et la spiritualité islamique. Ses efforts contre le terrorisme sont soutenus et appréciés des législateurs, conseillers en sécurité, représentants religieux et défenseurs des communautés. Sheikh Kabbani a également inauguré des sites web populaires, tels que eshaykh.com, Sufilive.com et Islamicsupremecouncil.org, dans le but de transmettre et partager les valeurs modérées des enseignements de l’Islam. Dr. Homayra Ziad est Professeure adjointe de Religion au Trinity College, où elle enseigne l’Islam. Elle a obtenu un doctorat en Études Islamiques et un M.A. en Relations internationales de l’Université de Yale, ainsi qu’un B.A. en Économie du Bryn Mawr College. Elle a publié plusieurs travaux portant sur le revivalisme Naqshbandi au dix-huitième siècle chez le poète et théologien de Delhi Khwajah Mir Dard, les femmes et l’Islam, l’aumônerie et le Raisonnement Scriptural, l’engagement interreligieux, et la théologie de la libération musulmane. Enfin, le Dr. Ziad est membre du comité de pilotage de l’Islam au sein de l’American Academy of Religion. * Texte d’origine en anglais voir : http://www.worde.org/wp-content/uploads/2011/09/TheProhibitionofDomesticViolenceinIslam-summaryadded-sep-21-2012.pdf