Dix-Huitième Année. — N° 41 6»om:m.£iïx*e Causerie, LUCIEN.— Propos humoristiques: Le Ci-an d'arrêt, Pierre BATAILLE. — Nos théâtres, X. — Casins des Arts. — Scala Bouffes. — Histoire de la semaine, TANT-MIEUX. — Montpellier, GUILO. — La Rentrée (poésie), Tony BOUUDIN. — Tableau de la troupe du Grand-Théâtre. — Nîmes, Auguste MOREL. — Le petit dernier de Sarrazin. — Déclamation. — L'G<3uf de Pâques (comédie en un acte), Louis BOGEY. — Bulletin financier. CAUSERIE^ La plupart des critiques parisiens ont salué, cette année, la réouverture des théâtres non par un hosanah, mais par un de profundis. D'après eux, le théâtre se meurt, le théâtre est mort. Si on y va encore, c'est par habitude, tout le monde s'y ennuie, même ceux qui s'ennuient sans s'en rendre compte, comme on a certaines maladies que l'illusion TOUS empêche de trop sentir. Pourquoi cet ennui ? Parce que les pièces sont toutes fondues dans le même moule. « S'il est vrai, dit M. Henri Fouquier, que c'est surtout par les plaisirs qu'elle prend qu'on doit juger une race, nous sommes une nation de conservateurs entêtés, de conservateurs-bornes, comme on disait jadis, puisque nous supportons indéfiniment les mêmes acteurs, les mêmes pièces, le même magasin de pantins étiquetés, poussiéreux et de moins en moins ressemblants à des personnages vivants ! » « Que ferez-vous quand vous serez au ministère? » demandait-on à M. de Rémusat, qui battait en brèche le cabinet : — Nous jouerons le même air de flûte que nos prédécesseurs, répondait le spirituel parlementaire : seulement nous le jouerons mieux ». Au théâtre, c'est toujours le même air de flûte : seulement, il est de plus en plus mal joué et la seule chose qu'on y trouve d'inédite, ce sont les « couacs » des flûtistes maladroits ! » Voilà à peu près le thème développé par les critiques dramatiques, qui — pour me servir •les expressions de M. Henri Fouquier — jouent le même air de flûte, avec plus ou moins de talent. La conclusion est donc qu'une révolution est nécessaire dans l'art dramatique. On réclame Le N° |5 cent Dimanche 5 Octobre 1890 l'homme de génie qui brisera la vieille formule yn^jrt impossible au théâtre où la convention et trouvera la nouvelle. -Bègïie en souverain et régnera toujours. Ce « Le révolutionnaire qu'attend le théâtre, n'est pas parce que les acteurs mangent un dit encore M. Henri Fouquier, sera un homme vrai gigot, comme dans ['Abbé Constantin ou qui regardera sans parti-pris et exprimera ce une vraie salade comme dans le Duc Job, qu'on qu'il a vu avec simplicité. Qu'il se dépêche fait au théâtre de la vérité absolue. seulement de venir, car jamais on n'eut plus Un exemple entre mille : deux personnages besoin qu'aujourd'hui de quelque chose de nou- sont dans un salon, dont le théâtre reproduit veau par la seule force de la vérité. » avec exactitude, l'ameublement. Ils causent Il y a dans les jérémiades de mes confrères entre eux en circulant, par conséquent, ils doiparisiens une bonne part d'exagération. Non vent être tantôt adroite, tantôt à gauche, et le théâtre n'est pas mort, il souffre simplement tourner, dans certains mouvements, le dos à d'anémie, parce que les écrivains de la der- la salle. Voilà la vérité. Pourquoi dès lors les nière période, les Dumas, les Augier pour la acteurs représentant ces personnages, s'arrancomédie; les Labiche, les Sardou, pour le vau- gent-ils toujours pour se trouver devant le trou deville; les Dennery, les Anicet Bourgeois pour du souffleur, en faisant face au public ? C'est le drame n'ont pas eu d'héritiers, mais des suc- làdela pure convention, convention absolument cesseurs, gens de métier exclusivement, qui, imposée par la nécessité pour ces acteurs, d'être n'étant pas capables de rien inventer, ont fait entendus du public, qui, autrement ne pourrait des comédies, des vaudevilles et des drames pas suivre l'action et ne comprendrait rien à la d'après les procédés trouvés par leurs devan- pièce. Et les entrées et les sorties ? Amusezvous — comme je l'ai fait parfois — à les ciers. Est-il donc besoin d'un homme de génie pour expliquer. Si vous y réussissez, je vous promets accomplir la révolution dramatique dont on une stalle pour la première représentation du parle? Je ne le crois pas. Un homme de talent Lohengrin au Grand-Théâtre. Molière se préoccupait peu de ces détails suffirait. Le public est d'humeur accommodante et se et cependant, vous m'accorderez bien qu'il avait plus qu'aucun autre le sentiment du contente de peu. Vous souvient-il du succès de ces proverbes théâtre, puisque après deux cents ans écoulés, mis à la mode par Octave Feuillet, qui, pour ses comédies font assez bonne figure à la scène, me servir de l'expression convenue, en avait et qu'on ne se lasse pas de les entendre, quoiqu'on les sache par cœur. trouvé la formule? Quelques jeunes auteurs qui ont cru être des En a-t-on assez abusé de ces proverbes prétentieux, dont le style avait l'odeur de la révolutionnaires et qui n'ont été que des é'meupommade à la rose et le goût d'un verre d'eau tiers, ont bien tenté de mettre le réalisme dans le langage de leurs personnages. J'ai donné ici sucrée, à la fleur d'oranger. Je vous défierais bien de lire aujourd'hui même quelques échantillons du style en usage sans nausées, ces proverbes, qui nous faisaient au Théâtre-Libre, et on a pu sur ces échantilpâmer d'admiration. Ne dites pas poliment que lons se rendre compte que la tentative n'a pas nous étions des imbéciles, que nous n'y enten- de chance de réussir devant un public qui se dions rien, et ne vous imaginez pas que votre respecte. Je ferai, à ce propos, observer que les pergénération a plus d'esprit et de goût que nous. Nous subissions — comme vous la subissez vous- sonnes de bonne éducation, et pour cela il n'est mêmes _ la mode qui existe dans l'art dra- pas nécessaire d'être marquis ou vicomte et matique comme dans la toilette. En parcourant d'avoir été élevé sur les genoux d'une duchesse, les gravures de mode, on ne peut s'empêcher évitent — par un sentiment de pure convede rire de la crinoline, qui a eu son heure de nance — d'employer dans leur conversation le triomphe. Eh bien! jeunes gens, vos mères mot propre, quand il est malpropre, ils le remétaient charmantes et adorables avec cette placent par une périphrase. Le réalisme dans le langage — tel que l'ont compris certains aucrinoline. Demandez plutôt à vos pères. Quant â croire — comme certains de mes teurs — n'est donc pas même pratiqué dans la confrères — que l'avenir du théâtre est dans le Tie réelle par les gens bien élevés. Pas n'est besoin, je le répète encore, d'un réalisme, je m'y refuse absolument. Le réalisme homme de. génie pour donner quelque attrait au n'a en soi rien de ragoûtant, et il est absolu-