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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Sus à l'envahisseur végétal
25/05/12
Elles se reproduisent, se dispersent sans faire bruit puis finissent par envahir et coloniser des espaces
naturels, parfois sur des surfaces considérables, au détriment des espèces indigènes. Méconnues, les plantes
invasives constituent une problématique environnementale récente et représentent une menace pour la
biodiversité. Le projet AlterIAS, coordonné par l'unité Biodiversité & Paysage de Gembloux Agro-Bio Tech
et co-financé par la Commission Européenne ainsi que les administrations régionale et fédérale en charge de
l'environnement en Belgique, entend attirer l'attention sur ces coriaces envahisseurs végétaux, venus d'ailleurs
mais importés dans nos contrées pour des raisons ornementales, à travers plusieurs campagnes préventives
de sensibilisation et d'information.
Nous sommes entre 1825 et 1850. Philip von Siebold, officier néerlandais de la Compagnie des Indes en
poste à Nagasaki, importe de nouveaux specimens de plantes vers sa pépinière située à Leiden, au Pays-Bas.
La renouée du Japon (Fallopia japonica), plante exotique originaire d'Asie orientale, vient d'être découverte
et introduite en Europe pour un usage horticole (d'où le nom d'auteur qui suit l'un des synonymes de la
plante : Polygonum cuspidatum Siebold & Zucc). On retrouvera d'ailleurs sa trace dans le catalogue de
vente de Siebold. Elle y sera cultivée puis plébiscitée dans d'autres pays pour ses qualités ornementales
remarquables. Importée hors de son aire de distribution initiale, la plante s'adapte progressivement à son
nouvel environnement, finit par s'échapper des jardins et s'installe dans la nature. La suite du récit - sans
vouloir rejouer les scénarios catastrophistes de films de science-fiction - est celle d'une invasion : petit à petit,
la renouée se disperse, prolifère dans l'environnement et s'impose au détriment des espèces indigènes. Si
bien qu'elle devient une menace pour la biodiversité locale.
En Belgique, la date d'introduction initiale est inconnue, mais il est hautement probable que la plante ait
également posé ses pénates suite à une importation humaine. Les collections d'herbier du Jardin Botanique
National de Meise montrent des individus archivés en 1890, témoins des premières observations dans la
nature. Aujourd'hui, on retrouve la renouée un peu partout, surtout le long des cours d'eau. « La renouée
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du Japon est une espèce ornementale rhizomateuse, autrefois fort appréciée dans les jardins pour son
abondante floraison et son important pouvoir couvrant, ce qui se révèle pratique en termes d'entretien,
explique Mathieu Halford, coordinateur au sein de Gembloux Agro-Bio Tech du projet AlterIAS , un
projet de communication consacré aux plantes invasives et à la prévention dans le secteur vert (l'horticulture
ornementale). En effet, la plupart de ces espèces sont toujours disponibles à l'heure actuelle sur le marché,
en vente chez les horticulteurs et pépiniéristes, achétées par les consommateurs puis plantées dans les parcs
et jardins publics comme privés. Le problème des plantes invasives telles que la renouée est que celles-ci ont
la particularité de présenter une dynamique de population importante : elles peuvent s'échapper et coloniser
les milieux semi-naturels en formant des populations denses, mono-spécifiques, où très peu d'autres espèces
peuvent se développer. Elles provoquent alors des pertes de biodiversité en termes de flore mais également
de faune en ceci que les modifications de la végétation se répercutent sur les espèces animales qui vivent
dans le milieu. » La problématique, « qui relève d'un phénomène global lié à la mondialisation et l'intensification
des transports d'organismes à travers la planète» glisse l'ingénieur agronome entre deux explications, est
à prendre au sérieux. Elle a donné naissance, dans les années 1990, à une discipline scientifique à part
entière appelée « biologie des invasions ».
Impact écologie et économique
Qu'elles se prénomment renouée du Japon, berce du Caucase, balsamine de l'Himalaya, rosier rugueux, lupin
vivace, jussie à grandes fleurs, ou autre, les plantes invasives sont des espèces exotiques qui, pour la plupart,
ont été introduites volontairement dans nos contrées suite aux premiers engouements pour la pratique du
jardinage. « En Belgique, poursuit Mathieu Halford, on en dénombre une soixantaine d'espèces, ce qui est
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certes une proportion très faible - moins de 1 % - parmi l'ensemble des plantes ornementales disponibles sur
le marché (des dizaines de milliers). Mais, insiste-t-il, les impacts peuvent êtres considérables. »
Justement, quels sont ces impacts et comment la plante s'y prend-t-elle pour terrasser ses concurrentes
locales ? « Tout d'abord, il y a les impacts sur les espèces indigènes engendrant des pertes de biodiversité,
comme expliqué plus haut. Il y a également des impacts sur les écosystèmes. Par exemple, certaines plantes
invasives peuvent modifier les propriétés physico-chimiques du sol. La renouée, pour reprendre son exemple,
dispose d'un réseau de rhizomes - de tiges souterraines - qui varie de 3 à 7 mètres de profondeur ; cela lui
permet de pomper des éléments minéraux en profondeur dans le sol et de les restituer au niveau des couches
superficielles du sol (l'humus). Les teneurs en éléments minéraux y sont modifiées ce qui altère le cycle des
nutriments et la composition de l'humus par rapport à celui que l'on trouve sur une végétation « normale ».
D'autres plantes invasives, aquatiques, sont, elles, capables d'asphyxier des plans d'eau en formant des
tapis denses qui vont recouvrir la surface, empêchant ainsi la lumière d'y pénétrer et freinant la circulation de
l'oxygène dans le milieu aquatique. » Pour être encore plus compétitifs, certains de ces petits envahisseurs
végétaux ont quant à eux pour stratégie de libérer au niveau de leur système racinaire des substances toxiques
dans le sol, lesquelles vont tout bonnement empêcher le développement d'autres végétaux. « Et puis il y a,
enfin, les espèces invasives de la famille des Fabacées (les légumineuses, comme par exemplele robinier
faux-acacia et le lupin vivace) dont la particularité est de pouvoir capter l'azote atmosphérique et de le libérer
dans le sol. Elles enrichissent ainsi le milieu en azote, ce qui pose problème dans les milieux semi-naturels : de
nombreux milieux à grande valeur écologique sont en effet caractérisés par des sols dits oligotrophes, c'està-dire pauvres en azote ; le maintien de ces conditions est primordial pour maintenir l'habitat et la végétation
caractéristiques de ceux-ci. Si une espèce légumineuse envahit ce genre de milieu, si elle enrichit le sol en
azote, elle va modifier la composition botanique et les conditions du sol et la végétation typique de ce milieu va
être altérée. » L'impact écologique de certaines plantes invasives est important puisque non seulement la flore
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est touchée, mais la faune qui y est associée est également perturbée - les insectes pollinisateurs, la faune
du sol et les populations d'oiseaux, entre autres. Il est important de nuancer que toutes les plantes invasives
n'ont pas le même impact environnemental. Certaines sont dommageables pour la biodiversité, tandis que
d'autres sont moins problématiques en Belgique par rapport à d'autres pays européens. A côté de l'impact
écologique, il existe aussi un impact économique car il est très difficile de freiner l'avancée de ces espèces,
pour le moins résistantes, dès qu'elles sont installées dans les milieux naturels. Les moyens à mettre en œuvre
sont extrêmement coûteux. Les coûts pour les gestionnaires de terrain sont dès lors parfois astronomiques.
Deux exemples : en Allemagne, les coûts annuels pour la gestion de la berce du Caucase sont estimés à 12
millions d'euros ; en Flandre, un million d'euros est nécessaire chaque année pour la gestion de l'hydrocotile
fausse-renoncule.
Les vecteurs de dispersion des espèces sont, quant à eux, multiples. Il y a bien sûr les facteurs naturels : les
graines peuvent être dispersées par le vent, les oiseaux, les cours d'eau ; c'est aussi le cas des fragments
de rhizome, dont quelques grammes suffisent pour régénérer un individu. Certaines espèces, elles, se
reproduisent de manière végétative, sans reproduction sexuée. Sans compter les dispersions directement
imputables à l'homme - plantations dans les parcs et jardins, dépôts sauvages de déchets verts, transports de
sol ou encore travaux de remblais et déblais en milieu urbain - qui participent, elles aussi, des phénomènes
d'invasion. « Avec le flux des véhicules, les bords de route - tout comme les voies de chemin de fer - se
transforment eux aussi en de véritables corridors de dispersion », ajoute Mathieu Halford. Dans ces conditions,
repousser ces espèces hors de chez nous relève presque de l'entreprise impossible.
Miser sur la prévention
Par ailleurs, si les scientifiques connaissent les risques liés aux plantes invasives, ce n'est malheureusement
pas le cas du secteur horticole et du grand public, lesquels « sont confrontés à un cruel manque d'information. »
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D'où l'utilité d'AlterIAS qui entend, à travers une campagne d'information, réduire les introductions volontaires
des plantes invasives dans les jardins, les parcs, les étangs d'agrément, les espaces verts et les bords de
routes. Soumis en 2008 et accepté en 2010 pour une durée de quatre ans, le projet est structuré en trois
campagnes : une campagne d'information générale sur les plantes invasives ; une deuxième campagne,
« actuellement en cours », axée sur les solutions ; et, enfin, une campagne de sensibilisation destinée
spécialement à l'enseignement horticole. Le public-cible brasse autant les professionnels de l'horticulture, les
amateurs de jardinage que l'enseignement horticole. « En matière de solutions pour enrayer la dissémination
des plantes invasives, il y a deux grandes stratégies. La gestion, d'une part : on va sur le terrain et on essaie
de freiner le développement des populations établies dans la nature, voire même parfois de les éliminer, ce
qui suppose des moyens techniques importants, coûteux, sans pour autant assurer un résultat concluant ;
et, d'autre part, la prévention : on met en place des instruments visant à limiter les introductions (plantation,
commercialisation) des espèces envahissantes. » C'est à ce stade que l'information des différents publics
est essentielle. Le code de conduite érigé dans le cadre du projet suit la deuxième voie. Ce document - une
première en Belgique - développé dans un esprit participatif, à partir d'une dizaine de tables rondes qui ont réuni
les principales fédérations et associations horticoles actives dans le pays, préconise toute une série de bonnes
pratiques à suivre afin d'éviter les introductions et la dispersion des plantes invasives. Les professionnels du
secteur horticole, associations et fédérations comprises, sont conviés à y adhérer. Cinq mesures y sont mises
en évidence :
1. Se tenir informé de la liste des plantes invasives en Belgique (disponible sur la plateforme belge pour
la biodiversité)
2. Stopper la vente et/ou la plantation de certaines plantes invasives en Belgique
3. Diffuser de l'information sur les plantes invasives aux clients ou aux citoyens
4. Promouvoir l'utilisation de plantes alternatives non invasives
5. Participer a# la détection précoce des plantes invasives
Basé sur le libre engagement, le code privilégie l'autorégulation à la contrainte ou la sanction. Car il n'est pas
question de fustiger le secteur horticole pour mauvaises pratiques. Au contraire. « Celui-ci se montre d'ailleurs
ouvert à ce genre disposition, insiste Mathieu Halford, en témoigne l'adhésion des principales fédérations
horticoles du pays. Jusqu'à présent, l'utilisation des espèces invasives, que ce soit par les professionnels ou les
particuliers, est la conséquence d'une information lacunaire sur la problématique. Ce public n'est généralement
pas conscient des risques environnementaux liés à ces espèces.» AlterIAS espère bien y remédier.
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