20 Le patient sans diagnostic : un Autre qui dérange ? Melissa

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Le patient sans diagnostic : un Autre qui dérange ?
Melissa Dominicé Dao1 et Eliane Bélanger
Introduction
Au cours de leurs études, les futurs médecins font non seulement un apprentissage de connaissances
théoriques et pratiques, mais vivent une véritable altération de leur pensée et de leur raisonnement
au fur et à mesure qu’ils s’acculturent au monde médical. Leurs nouvelles connaissances en
biologie, histologie, ou physiopathologie leur apportent une perception du corps humain et de son
fonctionnement qui est définitivement modifiée et qui occupera désormais une place dominante
dans leur compréhension du vécu symptomatique du patient. De plus, lors de leur entrée dans la
pratique clinique, les futurs médecins sont amenés à formater les histoires de leurs patients en
« cas » médicaux, c’est-à-dire à raconter cette réalité subjective de manière standardisée tout en
éliminant systématiquement les données biographiques du patient qui ne sont pas médicalement
pertinentes. Ceci leur permet de les transformer en un script qui les aide à identifier un diagnostic
clinique (Nendaz et al, 2005). Ces apprentissages sont, sans conteste, indispensables à une pratique
de la médecine et à une réflexion clinique efficace. Néanmoins, ils comportent également un certain
nombre de limites dans le domaine de la communication avec le patient, en particulier lorsque les
médecins sont confrontés à des patients dont la présentation clinique ou le référentiel culturel
paraissent étrangers à leur pratique.
De par sa légitimité scientifique, la médecine occidentale tend à se considérer comme neutre et
universelle, et elle est souvent aveugle à un certain nombre de valeurs et de mythes fondateurs qui y
sont véhiculés, comme par exemple son objectivité, l’exhaustivité de ses diagnostics et sa capacité
à guérir (Taylor, 2003). Lorsque cette vision idéalisée de la médecine est remise en question, par
exemple lors d’échec de traitement ou d’absence de diagnostic identifiable, elle est souvent vécue
douloureusement tant par les professionnels de la santé que par les patients.
De plus, cette façon classique de présenter la réalité du patient sous forme d’un « cas médical »
stéréotypé constitue également une forme de (re)construction de celle-ci, avec le risque d’ignorer le
vécu du patient et son système de pensée (Good, 1994). La prise en charge clinique implique aussi
un transfert de l’information médicale obtenue (traitement, pronostic, évolution) vers le patient.
Elle nécessite donc, pour être efficace, une reconstruction de son histoire en fonction du problème
médical mis en évidence comme de son contexte individuel (Greenhalgh & Hurwitz, 1998).
A partir d’un travail de recherche s’intéressant aux explications données par les patients et par leurs
médecins de premier recours lorsqu’il n’y avait pas de diagnostic trouvé pour les symptômes des
patients, cette communication souhaite développer une réflexion autour de la perception médicale
de l’altérité. En effet, il apparaît ici qu’être orphelin de diagnostic, et donc de possibilités de
classification et d’action par son médecin, profère au patient une singularité plus difficile à aborder
que celle apportée par des différences ethniques ou culturelles.
Le projet
Les résultats qui vont être présentés ci-dessous proviennent d’un plus vaste projet de recherche
visant à étudier les explications et les représentations de la maladie de plusieurs groupes ethniques
ou culturels lors d’absence de diagnostic médical avéré, c’est-à-dire dans des situations de
1 Adresse de l’auteur principal: Melissa Dominicé Dao, Département de Médecine Communautaire, Hôpitaux
Universitaires de Genève, CH-1211 Genève 14, courriel : [email protected], tél : + 41 22 372 33 11 interne
6857821
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symptômes médicalement inexpliqués (Dominicé Dao, 2006). Afin de situer la problématique du
patient dans un contexte concret, des entretiens ont eu lieu non seulement avec les patients mais
aussi avec leur médecin traitant. Ceux-ci ont permis de comparer la congruence des explications de
chacun et surtout d’évaluer la connaissance qu’avaient les médecins des explications de leurs
patients pour leurs symptômes.
Les patients recrutés étaient ceux souffrant de symptômes médicalement inexpliqués (SMI), c’està-dire un symptôme qui dure depuis au moins trois mois, pour lequel le médecin ne trouve pas de
diagnostic malgré les investigations appropriées (Nimnuan et al, 2001). Les symptômes
médicalement inexpliqués sont rencontrées fréquemment en médecine de premier recours et
peuvent représenter jusqu’à un tiers de leurs consultations ambulatoires (Fink et al, 1999). Ils sont
grevés de beaucoup de détresse et de handicap pour les patients -en particulier en ce qui concerne
les co-morbidités psychiatriques (dépression et anxiété)- et ils sont associés à beaucoup de
frustration et de sentiments d’impuissance pour le médecin (Henningsen et al, 2003 ; Reid et al,
2001 ; Reid et al, 2003 ; Lin et al, 1991). Le choix que nous avons fait d’explorer des situations
avec des SMI provient du nombre important de difficultés de prise en charge qui leur sont liées,
mais aussi parce que l’absence de diagnostic médical laisse davantage de place au patient pour
élaborer ses propres hypothèses explicatives.
Différentes problématiques liées au recrutement, comme par exemple la définition d’un groupe
ethnique précis et la multiplicité des nationalités représentées parmi la patientèle, nous ont conduit
à redéfinir deux sous-groupes de patients comme suit: a) les Canadiens de souche, et b) les
immigrants récents, définis comme étant au Canada depuis 10 ans maximum, et ayant immigré
après leur 16ème anniversaire (variable de substitution pour l’acculturation) (Salant & Lauderdale,
2003). Ainsi la médecine occidentale telle que pratiquée au Canada a été considérée elle-même
comme une variable culturelle à laquelle les patients immigrants sont plus ou moins acculturés.
Finalement seize situations de SMI ont été recrutées dans deux centres de premier recours d’un
quartier multiculturel de Montréal. Des entretiens semi-structurés ont été conduits avec les patients
puis leurs médecins. Ces entretiens ont été enregistrés puis transcrits sous forme de texte afin de
subir une analyse détaillée de contenu. Celle-ci se fait selon une approche anthropologique
interprétative, avec identification des thèmes récurrents par induction (Strauss & Corbin 1994 ;
Charmaz, 2002). Il est évident que notre expérience de pratique de la médecine de premier recours
en milieu multiculturel et d’enseignement aux résidents en formation constitue un facteur important
enrichissant notre perspective dans l’analyse de ces transcriptions.
Les résultats détaillés de ce projet ne font pas l’objet de cet article et peuvent être consultés ailleurs
(Dominicé Dao, 2006). Pour cette communication, nous nous sommes penchés spécifiquement sur
les 16 entretiens avec les médecins, en nous concentrant sur les perceptions et les représentations
qu’ils ont de leurs patients avec des symptômes médicalement inexpliqués, mais aussi leurs
réactions face à leurs patients nouveaux arrivants et de leur perception de la différence culturelle.
Nous souhaitons montrer comment l’aberration de l’absence de diagnostic représente ici une
altérité bien plus importante pour le médecin que la différence culturelle avec son patient.
L’échantillon des médecins est représentatif des équipes médicales qui officient dans ces deux
cliniques. On peut noter que la diversité culturelle se retrouve non seulement au niveau du groupe
des patients (comme nous l’avions recherché), mais également chez les médecins, dont trois sur
quatorze sont nés à l’étranger et six autres ont au moins un des deux parents étranger, ce qui
correspond pratiquement à la démographie montréalaise.
Les différents SMI (douleurs, fatigue, plaintes neurologiques, gastro-intestinales et autres) dont se
plaignent les patients sont qualifiés par leurs médecins traitants comme des plaintes vagues, pas
claires, sans facteur déclenchant ou précipitant, inhabituels, difficiles à expliquer, multiples. Ces
plaintes comme le comportement du patient qui en découle sont vécues difficilement par leur
médecin.
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Un patient difficile à la limite de la légitimité
Le patient avec SMI est donc perçu par son médecin comme « challenging », différent, plus
difficile et exigeant. La littérature médicale sur le « patient difficile » met d’ailleurs bien en
évidence l’importance de la présence de plaintes sans substrat organique parmi ces patients
(Steinmetz & Tabenkin, 2001; Hahn et al, 1994).
Face à ces patients, nos médecins expriment des émotions négatives telles que frustration, irritation,
anxiété et stress, également décrites par d’autres auteurs (Ringsberg & Krantz, 2006).
M: Uhm and how do you feel altogether about this patient?
D: Uhm.. I have to admit that when I see her on my list I am a bit anxious ’cause I’m, it’s
not clear what she has and I never have a good answer for her. Uhm.. so. she’s very nice,
like very nice but just that I am a bit anxious when I .. I’m not like she’s not my favorite
patient! Like she’s not like a difficult patient or anything but ah… (NCB-01-D)
Pour quelques rares médecins ces émotions négatives ont pu être surmontées, par exemple en
acceptant leurs limites en tant que thérapeute.
D: I mean I find her, initially I found her very stressful, now I sort of find her very
amusing. (…) Because there's really, I'm realizing now that there's really very little that I
can do. (…) Initially, um I felt very intimidated and I cringed every time I saw her name
on the schedule, but uh..I'm kind of amused by the whole thing right now....Ah...I kind of
look forward to it. (CB-10-P)
Le non respect de certains aspects normatifs du comportement-maladie attendu de la part du patient
remet en question la validité et la légitimité de ses plaintes. En fait pour les médecins, il semble y
avoir des symptômes appropriés et des maladies légitimes, et d’autres qui ne le sont pas ou moins.
Les plaintes de leurs patients avec SMI font souvent parties de celles qui sont jugées inappropriées.
Well, some of these complaints are actually valid, like, like the flatulence with the
Metformin, that’s probably a a side-effect. But the ones where ahm, like, you look
through the side effects of the medications and it’s not there, and she describes it “it starts
there and then moves and then comes here”, I don’t know what those are due to. (CB-07D)
Dans ces situations d’incapacité à poser un diagnostic, le médecin semble perdre ses repères
habituels. De plus le patient avec SMI ne parait pas respecter la norme habituelle, que ce soit la
façon d’être malade, de se plaindre et de se comporter, ou la fréquence de consultation attendue. Il
ne rentre alors plus dans un schéma correspondant à que les médecins ont appris, et devient alors un
patient « déviant ».
D: I think she, I find that she’s also the type of patient who will talk to you about every,
you know, when you ask a patient what, what you want to know “Tell me why you’ve
come?” you listen to reasons and then you say, you know, “Is there anything else, or what
else?” She will always come up with something “oh, my ear!” or, “I have this thing on
my ear!” You know so she’s, and I think a part of her is that she’s anxious about all of
these things that she’s feeling and doesn’t have the judgment to say, “Oh no, this is, you
know, I can tell this is the little thing in my earlobe, it should, you know it’s not worth
bringing it up to the doctor”. (CB-04-D)
On peut dire ici que le comportement-maladie exagéré du patient sort du « paradigme officiel de la
représentation du corps » (Le Breton, 1995).
Soma versus Psyche
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Une des réponses des médecins aux symptômes médicalement inexpliqués de leurs patients
« déviants » est de replacer le problème dans une causalité psychosociale, psychologique ou
psychiatrique.
D: I think she has some legitimate medical problems that I haven’t found explanations for
but I think the fact that she’s always coming in with physical symptoms and some of
them that don’t seem to have any clear physical cause I think related to something more
psychological level.
M: Which would be?
D: Anxiety and this bigger picture that I can’t really put my finger on (le médecin
soupçonne un traumatisme passé) but there’s definitely psychiatric component to it.
(NCB-03-D)
Ce déplacement d’un processus de physiopathologie somatique à des mécanismes psychologiques
voire psychopathologiques est une stratégie couramment employée par les médecins pour faire sens
de l’absence de diagnostic (Woivalin et al., 2004).
Dans nos entretiens, cette psychologisation croissante des symptômes se fait en parallèle avec une
imputabilité au patient. Certains médecins les lient à des évènements de vie difficile.
D: Yes. The whole fact that she’s a housewife here and she was a doctor back home. And
she has no family and no support system here. And she has three children and her
husband doesn’t, I mean he helps in his own way by going to work and bringing home
money, but he doesn’t help around the house. She’s isolated. .. Uhm, so, for sure. Like I
think it’s the main cause of her problem. (NCB-05-D)
D’autres se réfèrent davantage à des mécanismes psychologiques ou psychodynamiques.
I think at this point it’s unexpressed anger, and there, there’s people she wants to punch in
the head and she’s just using a lot of muscle tension not to do it. … and she’s very, very
rigid, in her thinking, and so she’s become quite rigid in her neck as well. So that’s my,
that’s my analysis of this. (…) So, but you know, you can’t smack people around until
they get insight! (CB-05-D)
Alors que pour d’autres la responsabilité des symptômes est clairement localisée chez le patient.
The patient prefers to stay in this chronic disability. (CB-09-D)
Illness is her « raison d’être ». (CB-10-D)
She’s created this for herself. (NCB-04-D)
Avec enfin une omniprésence de la notion de « bénéfices secondaires » retirés par le patient de sa
symptomatologie.
All the time I was very aware she’s getting a lot of secondary gain out of this! (…) ahm I
think being in pain gives her a reason to lie in bed for the weekend ... (mhm) especially
the weekends when her son is with his father (sigh) (…) It means that she doesn’t work as
much as, as she, she can, she could work if she was healthy 100 percent, .. Which means
she remains financially depend on him (son ex-mari), which maintains some kind of
relationship with him, that otherwise she might not have... (CB-05-D)
Toutefois les médecins n’entendent pas toujours ce terme conformément à la définition théorique,
c’est-à-dire comme un concept de mode d’adaptation et de compensation inconsciente, mais plutôt
dans le sens commun du mot, rattaché à la notion de profit par un patient exploitant le système
qu’il soit social, familial ou professionnel (Allaz, 2003).
M: How do you think the chest pain affects her life?
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D: … Ahm.. I think she uses it as an excuse to not do things. She’s the time of person
who is lazy, who, she lives with her sister and her sister does everything for her. Ahm..
and I think that she probably not consciously but she milks it for what it is, in other
words, like she has this pain or she feels weak or she’s tired, short of breath “Oh now I
gotta sit on the couch I can’t do anything”. (Yea, mhm.) That’s what I think. (CB-04-D)
Cette imputabilité du problème au patient peut-être comprise comme une stratégie de défense des
médecins contre leur propre limitation -voir impuissance- et la frustration qui en est engendrée
dans ces situations de somatisation chronique. Le recours à des étiquettes dépréciatives, telles que
« névrose de compensation » ou « sinistrose », a d’ailleurs été décrit par Allaz (2003) comme des
marqueurs de tension dans la relation médecin-malade, qui peuvent provenir de difficultés de
communication ou d’un manque de familiarité du médecin à des problématiques psychologiques
du patient.
De plus cette responsabilité attribuée au patient néglige complètement la place du contexte social
ou économique que subit le patient. Le danger de considérer les symptômes comme découlant
d’une responsabilité individuelle implicite du patient est d’ignorer le rôle des problématiques
politiques et économiques plus larges, comme par exemple les inégalités sociales, le chômage ou
l’immigration.
Le doute et l’ambivalence envers le patient
Face à ce patient dont l’absence de diagnostic médical invalide les plaintes, et qui est perçu comme
partiellement responsable de ses symptômes, voire qui en tire une certaine forme de profit, le
médecin se met insidieusement à douter.
D: The other thing that was frustrating about her was, um, the whole time she would ask
for a leave of absence all the time. And, as a new resident, it didn’t bother me at the start
but as I got more experience I was always the thought, the worry that your patient is
taking you for a little bit of a ride. Just asking for time off when you’re not sure if they
need it or not. And especially with this patient with the symptoms that, you know it’s, it’s
hard to say. She has so many symptoms and it’s, it’s hard to say what, how much is, not,
not really true. I’m not saying they’re not, they’re fake, like she’s faking but there’s
always the thought you know, is she faking? Oh, I don’t know, it’s, it’s something you
hate to think about with your patients, but it’s, you know, it’s reality in it’s own little
mind. (CB-07-D)
Il peut douter de la véracité du symptôme, de l’intensité du symptôme rapporté, des conséquences
sur la vie du patient, des efforts déployés (ou non) par le patient pour s’en sortir.
D: You know, as things got more and more complicated, (sigh) you know it was like she
would be able to go cross country skiing with her friends for the weekend, but the she
would be bedridden the whole week. (CB-05-D)
Mais en parallèle du médecin qui doute ou qui tient le patient comme responsable (du moins
partiel) de sa souffrance, il y a aussi un soignant empathique qui souhaite aider son patient. On
observe une grande ambivalence des médecins envers leurs patients. La plupart des médecins
interrogés estiment avoir une bonne relation avec leur patient, et se déclarent même très touchés
par leur histoire. Cette ambivalence est bien illustrée par les propos de ce jeune médecin.
M: How do you feel about this patient?
D: She’s a mixture! Ah, if I didn’t know her, and I didn’t know her family (mhm) she
would be the kind of patient who, when you see one or two of them in your afternoon
schedule you know it’s going to be a hard afternoon. For a variety of reasons, they’re
emotionally more demanding, they take up more time and they put you behind and that
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makes everything else sort of awkward and, and that’s a hard, those are facts. (Mhm) The
fact is I know her, and I, as you saw when you meet her, she’s really, she’s a remarkable
woman. I also have a lot of admiration for her, she is honest in ways that I find striking,
she has resilience that’s remarkable, and has been able to pull herself through things, she
has a family I know, and so, it, I have had the chance with her to develop what I think of
as the physician-patient relationship where we, I know her, I know her family and I enjoy
our visits. (Mhm) Even though they’re probably among one of the more difficult ones
that I have! (CB-03-D)
La place de l’altérité
Lorsque durant l’entretien nous avons identifié une différence culturelle entre le médecin et son
patient, les médecins ont été questionnés sur la possibilité que celle-ci ait pu constituer une barrière
à la communication. Leurs réponses montrent que les médecins accordent peu d’attention à la
différence culturelle avec le patient. L’origine ethnique du médecin lui-même est généralement
ignorée ou minimisée par ceux-ci, sauf dans un cas où le médecin considère que sa propre origine
étrangère aide le patient à être plus à l’aise. La différence culturelle, que les médecins situent donc
généralement chez le patient, est le plus souvent reconfigurée en termes de barrière linguistique.
M: How do you find understanding the communication between you and her?
D: Like I said I think for the most part she understands what I say to her she’s not always
able to answer my questions clearly or she’ll ask me to repeat the question and rephrase
because she doesn’t always understand. In general, she has a fairly good understanding,
(but) there are always issues of language.
M: Do you feel that the cultural difference was a barrier between you and the patient?
D: I didn’t find so much cultural I think it’s more language. I don’t know in terms of
culturally her situation at home whether something was going on but in terms of my
interaction with her it did not limit it. (NCB-03-D)
La différence socioéconomique avec le patient immigrant récent est également fréquemment mise
en avant par leurs médecins, même si cela est aussi vrai pour leurs patients canadiens
économiquement précaires. Un seul médecin a mentionné la discrimination que subissent parfois
les patients migrants appartenant à une minorité visible. Lorsque la différence culturelle est
mentionnée, il s’agit de quelque chose de vague et difficile à définir pour le médecin, mais qui
intervient négativement sur la communication.
M: Do you feel like there’s a cultural barrier that prevents better communication or that
makes it more difficult for you to understand her?
D: Yeah, yeah I think there must be, there must be a component that ah ... cause like
sometimes when I ask her some questions like depressive questions or anxiety questions
and she was looking at me like I was weird. Like “Why are you asking these questions”,
and so uhm .. I’m sure there is. (NCB-01-D)
Enfin les médecins ne sont pas exempts de stéréotypes, dont au moins un en est conscient.
M: You feel that the cultural difference was a barrier between you and her?
D: For sure in that I have very strong opinion I spent a lot of time in X (pays de la
patiente) and I have very strong feelings about X, not cultural things but I have a very
clear idea in my mind what X are like so that definitely caused a problem. It always
causes, I have a number of, a few X patients, and with every X patient it’s very hard for
me not to immediately culturally stereotype them.
M: So what’s your cultural stereotype of X? (rires)
D: Pushy, uh loud, uh tough, uhm….not very..ah gracious….very ah not really into
subtlety you know and you know I just had I just got a new X patient who’s not at all like
that but it took me the whole visit before I was able to grab my head around that fact, you
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know. Uhm..so for her I’m sure that I was you know I may not treated her with as much
sensitivity because I have thought about her as an X. (NCB-04-D)
Mais en règle générale, la méconnaissance voire l’ignorance de la culture du patient n’est que peu
considérée comme problématique par les médecins ou comme ayant une influence sur la prise en
charge médicale.
D: I don’t think that the culture difference is a barrier. I think that if you are, if you
understand the culture is an ASSET. But I think if you DON’T understand the culture because the way we are trained is to NOT make assumptions, you know, certain things
that you know- we would not miss anything. But you know of the smaller type problems,
THAT you know, maybe we would not pick those up. (NCB-02-D)
L’attitude de ce médecin résume bien la croyance dans la « culture de la non-culture » en
médecine, c’est-à-dire la conception de la biomédecine comme universelle possédant des vérités
tangibles, démontrables et absolues, avec une complète absence de considération pour ses aspects
de construction sociale occidentale (Taylor, 2003). Cela ne veut pas dire que certains processus à la
base de maladies ne peuvent pas être regardées comme universelles, mais plutôt que ceux-ci sont
compris et intégrés à des systèmes de signification qui sont conditionnés socialement et
culturellement, tout comme la réponse de la société à ces maladies.
Le peu de considération donné aux aspects culturels des situations cliniques rapportées n’est pas
surprenant. En effet, malgré les nombreuses recommandations faites pour inclure davantage de
compétence culturelle dans la formation des médecins, en particulier en médecine de famille
(Betancourt, 2003 ; Culhane-Pera et al., 1997 ; Like et al., 1996), les recherches sur le terrain
montrent que les médecins présentent des lacunes dans la communication interculturelle (Ferguson
et Candib, 2002). Ils démontrent aussi des lacunes dans la connaissance de l’impact de la culture
sur la maladie et son traitement (Rosenberg et al, 2006), et que les médecins de premier recours
n’ont pas de cadre conceptuel spécifique pour faire face à la différence culturelle avec leurs
patients (Rosenberg et al, 2007).
Les professionnels de la santé confrontés à l’Autre culturellement différent peuvent se retrouver
menacés dans leur identité professionnelle (Léanza, 2003). Toutefois, dans notre projet, il semble
que la différence culturelle primordiale ne se situe pas entre un patient migrant et un médecin, mais
plutôt au niveau d’une non-conformité du patient à des normes intrinsèque à la culture
biomédicale. Les soignants, mis devant l’incapacité de formuler un diagnostic et d’agir sur les
plaintes de leur patient, sont donc gravement remis en question au niveau de leur rôle et de leurs
compétences. Un processus de distanciation et de stigmatisation du patient2 par le soignant permet
de renforcer les normes tout en décrivant l’autre comme déviant de celles-ci, et ainsi se défendre
contre la menace identitaire qu’il représente (Grove & Zwi, 2006).
Conclusion
Dans les messages implicites véhiculés par l’enseignement de la biomédecine occidentale se
retrouve l’idée que toute pathologie peut-être mise en évidence par un examen physique ou
complémentaire, c’est-à-dire un certain mythe de toute-puissance diagnostique. Dans les récits de
nos médecins, on retrouve certains présupposés de la médecine occidentale décrits par Gordon
(1988). Par exemple, l’idée que la maladie est un phénomène universel distinct des problèmes de
société, de spiritualité ou de moralité, ou que la réalité de la maladie est proportionnelle aux traces
physiques mises en évidence sur le corps du malade ou aux examens complémentaires (laboratoire,
radiologie, etc.). Les symptômes médicalement inexpliqués perturbent cette vision biomédicale
2
Décrit comme « othering » en anglais (sans traduction française satisfaisante). Pour plus de détails voir Grove et Zwi
(2006).
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objective idéalisée. Non seulement ils questionnent la compétence et la crédibilité des individus
médecins, mais ils affaiblissent la rationalité et l’autorité de toute l’institution biomédicale,
remettant ainsi en cause sa capacité d’expliquer et de contrôler la maladie (Kirmayer, 1988).
Pour les soignants, la mise en échec de leurs compétences et leur capacité d’action par ses
situations sans diagnostic et donc sans plan d’action thérapeutique est lourde à porter. On note une
grande ambivalence des médecins par rapport à ces patients, avec à la fois une reconnaissance de
leur souffrance mais aussi des contre-transferts négatifs. Leur capacité d’empathie est mise à mal
par ces situations complexes et difficiles, et le rejet de la responsabilité sur le patient peut être
compris comme une défense contre leur sentiment d’impuissance et de frustration. Notre
hypothèse explicative à ce phénomène d’ambivalence est que la différence présentée par cet Autre
est trop importante par rapport à leurs attentes et à ce qu’ils ont appris. Le fait que le patient et ses
symptômes ne se conforment pas à la prédominance inconsciente du modèle biomédical classique
(c’est-à-dire l’identification d’un diagnostic par des signes et symptômes cliniques et des examens
complémentaires paracliniques, l’élaboration d’un plan thérapeutique, l’amélioration du patient ou de certains paramètres biologiques-, la résolution du problème et la diminution des
consultations) représente une altérité que le médecin peine à aborder. Ce patient sans diagnostic est
étranger à son système de raisonnement et d’intervention. Un diagnostic médical formel aurait
apporté une légitimité incontestable aux symptômes du patient. Son absence rend les symptômes
suspects et les motifs du patient questionnables.
Dans ces situations difficiles, mais pourtant fréquentes en médecine de premier recours ou de
spécialité, quelles sont les stratégies qui permettraient de renouer le dialogue ? Pour faire le
parallèle avec d’autres situations interculturelles, plusieurs pistes de réflexion pourraient être
envisagées.
D’abord il est nécessaire que le médecin éclaircisse le contexte de vie de son patient. La réalité
sociale et économique du patient est habituellement négligée par le médecin, ce qui pourrait être
lié à son incapacité d’action sur ces problématiques de société à large échelle, surtout par rapport à
sa pratique de la clinique de l’individu. Porter son regard sur le chômage, la précarité, la
discrimination ou les difficultés du milieu professionnel vécues par le patient permettrait de sortir
du modèle de responsabilité individuelle du patient, et d’élargir le champ des causes possibles pour
son mal. Ces causalités sociales semblent non seulement acceptables pour le patient, mais aussi par
le médecin (Salmon et al., 2004 ; Wileman et al., 2002).
Ensuite, il s’agit pour le clinicien de s’intéresser aux modèles explicatifs du patient. Le fait de
reconstruire avec lui la narration de son histoire, de situer ses symptômes dans une trajectoire de
vie, et de trouver avec lui un (ou plusieurs) sens à son mal sont autant de façons de détourner le
problème de l’échec de l’absence de diagnostic et de renouer un dialogue devenu parfois difficile
avec le patient. En effet plusieurs recherches ont démontré que les patients ont plusieurs
explications à leurs SMI, et que celles-ci sont dynamiques (Dominicé Dao, 2006; Peters et al,
1998). Le sens donné à la maladie par le patient est plastique, et cette potentialité est sousexploitée par les médecins.
Cette proposition permettrait peut-être d’améliorer la sensibilité interculturelle des médecins, selon
le modèle proposé par Bennett (1986). Selon ce modèle, il y a six phases de sensibilité
interculturelle. Dans les trois premières phases (déni, défense, minimisation) le soignant considère
sa culture comme étant la réalité centrale, dans une attitude d’ethnocentrisme. Ensuite, dans les
trois phases suivantes (acceptation, adaptation comportementale et cognitive, intégration) le
soignant est capable de relativiser sa culture par rapport aux autres, c'est-à-dire qu’il adopte une
position d’ethnorelativisme. C’est en complexifiant sa vision et son expérience de la différence
que le clinicien peut progresser d’un stade à l’autre (Hammer, Bennett & Wiseman, 2003).
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Association pour la recherche interculturelle
En conclusion, par analogie avec d’autres situations interculturelles, il s’agit pour le médecin de se
décentrer de son modèle culturel habituel pour appréhender d’autres réalités, et pour accepter
d’être remis en question par l’altérité de son patient. La tâche n’est pas évidente, mais nous
sommes persuadés qu’elle permet un déblocage et un engagement du médecin et de son patient
lors des situations complexes d’absence de diagnostic médical.
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