1 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr versée très rapidement afin de permettre à la Grèce d’honorer l’échéance de 3,2 milliards d’euros dus à la BCE le 20 août. Grèce : un troisième plan de sauvetage tout aussi irréaliste que les précédents PAR MARTINE ORANGE ARTICLE PUBLIÉ LE MERCREDI 12 AOÛT 2015 Le gouvernement grec et les créanciers ont abouti à un projet, mardi 11 août. Celui-ci semble présenter des conditions moins draconiennes. Dans les faits, les objectifs semblent tout aussi inatteignables que lors des plans précédents, les créanciers fermant les yeux sur l’effondrement économique de la Grèce depuis la fermeture des banques et le contrôle des capitaux. © Reuters «L’accord est fait. Il reste deux ou trois détails à négocier», annonçait le ministre grec des finances, Euclide Tsakalotos, après une nuit de négociations. «Un accord de principe a été arrêté sur des bases techniques», a confirmé une porte-parole de la Commission européenne. Avant d’ajouter : « La prochaine étape, maintenant, c’est une évaluation politique. » Un pays comme un business unit. Un pays sans histoire, sans géographie, sans société, sans loi, sans politique. Un pays comme une simple unité de production, hors du temps et de toute contingence. Telle est la première impression qui se dégage à la lecture du projet d’accord du troisième plan de sauvetage de la Grèce, annoncé le 11 août, tant la liste des exigences, des postulats se conforme à tous les préceptes gestionnaires convenus, sans tirer la moindre leçon des échecs passés, des circonstances actuelles. Pressé par les échéances, le gouvernement grec entend présenter le projet au Parlement dès le 13 août. Un test attendu par les observateurs, avides de savoir si le premier ministre Alexis Tsipras a encore une majorité, si Syriza parvient encore à conserver ou non son unité. Dès cette séance parlementaire, ou peut-être dans la foulée, une nouvelle liste de réformes devrait être adoptée par le Parlement. Les créanciers en font un préalable à tout déblocage des fonds du plan de sauvetage. Ce projet pourtant est censé sauver la Grèce pour la troisième fois depuis 2010. Négocié dans la plus grande discrétion entre le gouvernement grec et les représentants du quadrige – FMI, BCE, Commission européenne, et désormais Mécanisme européen de stabilité –, il entend concrétiser l’accord européen obtenu à l’arraché le 12 juillet et permettre le versement d’une aide de 86 milliards d’euros sur trois ans à Athènes. Une première tranche, dont le montant reste encore en discussion, devant normalement être Une première salve de «réformes structurelles », selon le jargon du moment, a été votée dès juillet. En vrac, le Parlement a adopté la hausse de la TVA portée à 23%, la réforme des retraites, les changements de législation pour les procédures civiles, les nouvelles modalités de sauvetage des banques, la libéralisation de l’électricité, la libéralisation du marché du lait et des boulangeries. [[lire_aussi]] Les responsables européens ont inscrit une liste de trente-cinq mesures supplémentaires, jugées prioritaires et à adopter dès cette semaine. Une liste surréaliste où l’essentiel est mêlé à l’accessoire, où le dogmatisme prend souvent le pas sur le pragmatisme. Au mépris du principe même de la loi, 1/4 2 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr Catastrophe économique Le gouvernement grec affirme que cette révision des objectifs va se traduire par une diminution de l’austérité de l’ordre de 11 points de PIB. « Totalement faux. On fait comme si le nouvel accord abaissait les objectifs budgétaires. Ce qui se passe est que les créanciers et le gouvernement grec ont réalisé que l’économie grecque était en récession et que les objectifs d’excédents budgétaires précédents étaient ridicules. Mais en fait, rien n’a changé. Les mesures et la politique qui a échoué depuis cinq ans sont les mêmes. L’austérité continue », a dénoncé Costas Lapavistas, député de Syriza, devenu l'une des figures de l’opposition du parti depuis l’accord du 12 juillet, après la publication du projet d’accord. les parlementaires grecs sont donc priés de voter dans le même texte : la création d’un fonds souverain de 50 milliards d’euros, destiné à recevoir les entreprises à privatiser et dont le produit servirait à recapitaliser les banques, un dispositif législatif pour les mauvaises créances bancaires, l’augmentation d’une taxe de solidarité portée de 6 à 8% pour les revenus au-dessus de 50000 euros, l’accélération des perceptions fiscales perçues à l’avance pour les petits commerçants, la fin des niches fiscales accordées aux agriculteurs, une révision du système de protection sociale afin d’économiser 0,5% de PIB par an, la fin progressive des préretraites, la fin des allègements de TVA pour les îles, la libéralisation du marché du gaz, la baisse du prix des médicaments génériques, etc. En complément de ces mesures supposées redonner une compétitivité à l’économie grecque, les créanciers ont fixé de nouveaux objectifs budgétaires au gouvernement grec. Accusés par nombre d’économistes de travailler sur des chiffres irréalistes – toutes les prévisions depuis 2010 ont été erronées–, les négociateurs ont voulu montrer qu’ils avaient retenu la critique. Au lieu d’inscrire un surplus budgétaire correspondant à 1% du PIB dès cette année, comme ils l’exigeaient lors des discussions en juin, ils ont pris en compte, disent-ils, la dégradation économique actuelle. Selon leurs estimations, l’économie grecque devrait être en récession, en accusant une chute de l’ordre de 2,1% à 2,3% du PIB cette année. Le plan prévoit donc pour 2015 un déficit budgétaire primaire (avant remboursement de la dette) de 0,25% du PIB. Mais dès l’année prochaine, les finances publiques devraient à nouveau afficher un excédent primaire de 0,5% du PIB, puis de 1,75% en 2017, et de 3,5% en 2018, sans qu’aucune indication n’ait été donnée sur l’évolution de la dette, son éventuelle restructuration. Les créanciers ont décidé de renvoyer cette question essentielle à plus tard, le temps de voir si la Grèce se conforme bien à tous les préceptes imposés. Les premières analyses, faites par les milieux bancaires, ne sont pas loin de celles du député grec. « Le plan de sauvetage grec est construit sur des prévisions fantaisistes : ces prévisions optimistes suggèrent que le plan ne peut pas durer longtemps », annonce l’économiste allemand Holger Zchaeptiz. « Irréaliste », dit de son côté l’analyste Jonathan Loynes, de Capital economics. «Le plan repose sur des prévisions économiques et pour les finances publiques qui sont hautement fantaisistes. Des études récentes montrent que l’impact du contrôle des capitaux sur l’économie a été catastrophique, avec des niveaux d’effondrement de l’activité bien supérieurs à ce qui avait été vu en 2010-2011 quand l’économie s’était contractée de 9%. Bien sûr, cette extrême faiblesse peut s’achever quand les contrôles (sur les capitaux) seront levés. Mais il n’apparaît pas qu’ils vont l’être prochainement. Et même s’ils le sont, le PIB pourrait chuter bien plus que les 2,1% à 2,3% prévus. Nous nous attendons à une contraction de 4 points de PIB ou pire.» Même si quelques premiers chiffres, comme l’indice d'activité, illustrent l’ampleur de la chute, personne n’a encore pris la mesure du choc sur l’économie grecque, provoqué délibérément par l’Union européenne et 2/4 3 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr la BCE, lorsqu’ils ont imposé en juin la fermeture des banques et le contrôle des capitaux. La Grèce est désormais coupée de tout le système monétaire européen (target 2), de tout système monétaire international, privée d’une partie du système de paiement. Elle vit en autarcie monétaire, déconnectée de tout, même si l’euro reste la monnaie fiduciaire. Alors que peut-on libéraliser ou privatiser dans ces conditions, sauf à accepter cyniquement un pillage ? à 92 milliards d’euros. Une remise sur pied au moins partielle du système bancaire grec, sujet qui n’existait pas jusqu’en juin, est devenue prioritaire pour les créanciers. Une recapitalisation d’une dizaine de milliards d’euros est jugée urgente, avant même que la BCE n’ait établi un bilan de santé complet, prévu pour octobre. Face à cet écroulement économique, toutes les projections du plan de sauvetage paraissent tenir du plan sur la comète. Que peuvent faire alors les responsables européens ? Vont-ils à nouveau faire semblant, voter l’aide et les programmes, tout en sachant qu’ils sont irréalistes? Une nouvelle réunion de l’Eurogroupe doit se tenir vendredi 13 août pour étudier le projet. Même si le ton se veut plus diplomatique, l’Allemagne, soutenue par la Finlande et la Slovaquie, n’a pas changé de ligne. Elle est toujours sur celle défendue par son ministre des finances, Wolfgang Schäuble. Les conséquences de cet isolement sont catastrophiques. Les entreprises ne peuvent ni importer ni se faire par leurs exportations, sauf à passer par des systèmes parallèles. À l’exception du tourisme, l’activité s’est effondrée. De plus en plus de salariés travaillent à mi-temps, voire au quart de temps et souvent ne sont plus payés depuis des mois. Les biens de première nécessité comme les médicaments sont rationnés. «Il importe que ce plan soit une base pour les années à venir et pas seulement pour les mois à venir. La croissance et des conditions attractives et sûres pour attirer les investissements doivent être l’objectif », a déclaré le président de la commission des finances du parlement, Jens Spahn, en réaction à la publication du projet d’accord. Pour lui, mieux vaut prendre le temps d’examiner le plan à fond, de l’amender si nécessaire plutôt que de se précipiter, laissant entendre que la convocation du Bundestag qui doit donner son accord à toute aide ne sera pas pour le 18 août, comme l’espère le gouvernement grec. En attendant, le parlementaire suggère de reprendre le schéma suggéré par Wolfgang Schaüble : accorder un crédit-relais à Athènes pour lui permettre de payer la BCE le 20 août. Une façon de ménager les apparences avant une sortie de la Grèce de la zone euro, souhaitée par Berlin. À ce stade d’effondrement économique, alors que la Grèce est totalement coupée du reste de l’Europe, celle-ci est peut-être non inévitable mais aussi souhaitable, plutôt que s’acharner dans une austérité sans sens ni raison. Les 50 milliards d’euros que les Grecs ont retirés des banques ces derniers mois permettent sans doute d’amortir un peu le choc dans un premier temps et de maintenir une économie où tout est payé en liquide. Mais plus le temps passe, plus la situation empire. Des reportages parlent de l’apparition d’une économie de troc. Dans le nord du pays, certains ont adopté le lev, la monnaie bulgare. Toute une économie parallèle de survie semble ainsi en train de se mettre en place, qu’il risque d’être difficile de contenir. L’effondrement économique alimente la dégradation du système bancaire. Les mauvaises créances grossissent à vue d’œil dans les bilans bancaires, au fur et à mesure que les faillites s’accélèrent. Selon les estimations des négociateurs, celles-ci s’élèvent 3/4 4 Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 28 501,20€. Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. 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