La vie après un cancer du sein : les désirs La protection juridique de l’ emploi du patient atteint de cancer Legal protection of the employement of cancerous patients Mots-clés : Maladie du salarié – Protection de l’ emploi – HALDE. Keywords: Disease of the employee – Legal job protection – High authority of fight against discriminations and for equality. R. Mislawski* L e Plan cancer a fait de l’ amélioration des dispositifs de maintien et de retour dans l’ emploi des patients atteints de cancer un de ses objectifs (mesure 55). La protection de l’ emploi n’ est pas un problème spécifique aux patients atteints de cancer : toute maladie peut avoir des conséquences sur le travail du fait des arrêts nécessités par les traitements ou de la diminution de la capacité physique de la personne malade. Le droit social n’ a pas attendu le Plan cancer pour poser des règles protectrices de l’ emploi salarié. La maladie, cancéreuse ou non, n’ est pas seulement prise en compte par le droit social en tant que telle, mais aussi au titre de la lutte contre les discriminations qui a pris une grande place dans la législation sous l’ influence du droit européen où elle a d’ abord concerné les différences de traitement liées au sexe ou aux origines avant de s’ étendre à la santé et au handicap (1). La lutte contre les discriminations est une application du principe d’ égalité de la Déclaration des droits de l’ homme et du citoyen de 1789 (2). Discriminer dans l’ emploi, c’ est prendre en compte un facteur autre que la seule aptitude de la personne afin de refuser de l’ embaucher. Le droit du travail a pris note de cette évolution et a introduit en son sein la lutte contre les discriminations comme principe de protection de l’ emploi, y compris en matière de santé. Mais la lutte contre les discriminations n’ est pas l’ apanage du droit du travail. Elle s’ est dotée d’ un nouvel acteur, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’ égalité (HALDE), susceptible de jouer un rôle encore peu connu dans la défense de l’ emploi de la personne malade. La protection de l’ emploi par le droit du travail Le droit du travail pose des règles assurant une protection étendue et efficace de l’ emploi de la personne malade sous le couvert de la prohibition des discriminations (1). Toutefois, elle n’ est pas sans limite, la maladie pouvant avoir des conséquences objectives sur l’ emploi (2). * Médecin coordonnateur, docteur en droit, Saint-Louis réseau sein, Paris. 31es Journées de la SFSPM, Lyon, novembre 2009 Une protection étendue et efficace Le Code du travail (3) énonce qu’ aucune personne ne peut être écartée d’ une procédure de recrutement, de l’ accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’ objet d’ une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, d’ intéressement, de distribution d’ actions, de formation professionnelle, de mutation, de reclassement ou de renouvellement de contrat de travail, en raison de différents facteurs comme le sexe ou l’ origine, mais aussi l’ état de santé ou le handicap. Le Code donne ainsi un champ très large à la protection dans la mesure où il vise tous les aspects de l’ emploi, de la période d’ embauche jusqu’ à la rupture du contrat, sans oublier aucune étape de la carrière d’ un salarié. La protection est d’ autant plus large qu’ elle vise à rendre illégales les discriminations directes et indirectes. La discrimination est directe est intentionnelle et consiste à traiter une personne de manière moins favorable qu’ une autre dans une situation comparable en considération explicite de son état de santé. La discrimination indirecte peut être non intentionnelle. Elle est constituée lorsqu’ une disposition ou une pratique apparemment neutre est par sa nature susceptible de produire un effet défavorable pour des personnes ayant une caractéristique dont la prise en compte est prohibée, à moins que cette pratique ne soit objectivement justifiée et que les moyens soient nécessaires et appropriés. Si la prise en compte des discriminations liées à la santé est largement admise, la difficulté de leur preuve peut être un obstacle à leur reconnaissance. Aussi le législateur a-t-il aménagé dans ce domaine un système probatoire (4) : en cas de litige, la personne qui pense être victime d’ une discrimination notamment liée à son état de santé n’ a pas à apporter la preuve directe de ce fait ; il lui suffit de présenter les éléments laissant supposer l’ existence de la discrimination, et c’ est à l’ employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la discrimination alléguée. Le juge forme sa conviction sur des présomptions, et non sur des preuves, ce qui est nettement favorable au salarié. Si la discrimination est reconnue, le licenciement est nul, les arriérés de salaires doivent être versés, et la réintégration du salarié peut être prononcée (5). La responsabilité pénale (6) de l’ employeur peut être engagée et une indemnisation du préjudice résultant de la mesure est possible. 87 R. Mislawski Les limites à la protection du salarié La protection de l’ emploi n’ est toutefois pas absolue en cas de maladie du salarié, à la différence des autres cas de discriminations. Aussi, la rupture du contrat de travail reste possible malgré la maladie du salarié dans différents cas, dans la mesure où aucun d’ entre eux ne vise directement l’ état de santé du salarié. Il peut y avoir licenciement en cas de faute du salarié, ou bien si son absence perturbe gravement le fonctionnement de l’ entreprise, ou bien encore si l’ inaptitude du salarié à son poste est constatée à l’ issue de la reprise de travail (7). En cas d’ arrêt de travail, le contrat est suspendu, mais il n’ est pas anéanti. Si la prestation de travail n’ est pas exigible, les autres obligations rattachées au contrat de travail persistent. Un salarié peut donc commettre une faute, source de licenciement pour cause réelle et sérieuse, dans différents cas où il viole une obligation contractuelle. Il en est ainsi lorsque le certificat médical justificatif de l’ arrêt de travail n’ est pas adressé dans le temps imparti, lorsque le salarié a une activité professionnelle parallèle, ou s’ il ne reprend pas le travail à l’ expiration de l’ arrêt de maladie, par exemple. Un licenciement est possible du fait des conséquences objectives de l’ absence du salarié en arrêt de travail sur le fonctionnement de l’ entreprise. Des absences répétées ou prolongées peuvent entraîner une désorganisation importante de l’ entreprise qui peut nécessiter de remplacer définitivement le salarié en procédant à l’ embauche d’ un nouveau salarié par un contrat à durée indéterminée. Enfin, l’ inaptitude constatée par le médecin du travail en l’ absence de possibilité d’ adaptation du poste de travail du salarié ou de son reclassement dans l’ entreprise peut également autoriser un licenciement. La lutte contre les discriminations liées à la santé et la HALDE La HALDE est une autorité administrative indépendante créée par la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004. Elle est compétente pour connaître de toutes les discriminations directes ou indirectes prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie. La santé et le handicap sont des objets possibles de discrimination entrant dans le champ d’ action de cette institution. La HALDE peut apporter une aide appréciable au salarié dans la mesure où elle dispose de larges pouvoirs afin d’ établir la réalité de la discrimination (1) ; elle bénéficie en outre d’ un droit d’ intervention devant les tribunaux (2). De larges pouvoirs afin d’ établir la discrimination La HALDE, peut mettre en œuvre ses pouvoirs en vue d’ établir les faits à la demande de toute personne s’ estimant victime de discrimination, qui peut la saisir directement ou par l’ intermédiaire d’ un parlementaire. Elle peut aussi être saisie par toute association déclarée depuis 5 ans dont les statuts lui donnent comme but de lutter contre les discriminations. La HALDE peut aussi s’ autosaisir des faits dont elle aurait eu connaissance (8). La HALDE, après sa saisine, va faire usage des larges pouvoirs dont elle est investie à l’ égard des personnes privées et publiques. Elle peut demander à toute personne désignée de lui fournir des explications, éventuellement en saisissant le juge des référés en 88 cas de refus. Les administrations et tout organisme chargé d’ une mission de service public sont tenus de permettre à leurs agents de répondre à ses demandes, et le secret professionnel ne lui est pas opposable (9). Elle peut procéder à des vérifications sur place et toute pièce qu’ elle juge nécessaire doit lui être communiquée. Le système probatoire est le même que celui du Code du travail : c’ est à la personne désignée de prouver que son comportement n’ est pas discriminatoire. Lorsqu’ elle estime que des faits sont constitutifs de discrimination, la Haute Autorité peut adresser des recommandations à l’ entreprise, proposer un règlement amiable du différend, voire procéder à une transaction pénale. De plus, elle peut saisir le procureur en vue de déclencher l’ action publique et signaler des agissements discriminatoires à toute autorité ayant pouvoir disciplinaire à l’ égard du coupable (10). Elle peut aussi saisir l’ inspection du travail et collaborer avec elle. La HALDE a eu plusieurs fois l’ occasion de se prononcer et de faire cesser ou sanctionner des discriminations liées à l’ état de santé ou à un handicap, mais il ne semble pas qu’ elle ait été saisie dans le cas de patients atteints de cancer. Ce défaut de sollicitation provient probablement du fait que son rôle et sa compétence sont mal connus. Il n’ y a pas de raison de penser que les patients atteints de cancer voient leurs droits mieux respectés dans l’ entreprise que les autres malades. Un droit d’ intervention devant les tribunaux L’ intervention de la HALDE en matière judiciaire peut être directe ou indirecte. La HALDE joue un rôle indirect dans la mesure où elle a une mission de conseil auprès de la victime afin, d’ une part, de l’ aider à faire la preuve des agissements, d’ autre part, en la guidant dans les méandres des procédures et la constitution de son dossier (11). Mais, la HALDE peut aussi avoir un rôle direct. Elle peut intervenir de plein droit sur sa propre demande dans toute instance ayant à statuer sur une question de discrimination et faire connaître ses observations. Elle peut aussi être sollicitée par le tribunal pour donner son avis sur les faits (12). Si cette intervention suscite des interrogations au regard des droits de la défense, il n’ empêche que son influence est très grande sur les décisions des magistrats, qui suivent ses conclusions dans 83 % des cas. Les discriminations concernant la maladie sont à l’ origine de 20 % des avis rendus par la Haute Autorité ces dernières années (13). Au terme de ce bref exposé, un certain nombre d’ enseignements se dégagent pour les professionnels de santé. La maladie étant une réalité médicale aussi bien que sociale, il est impératif pour le médecin de prendre en compte la situation du salarié au-delà de sa maladie. Il doit s’ enquérir de ses conditions de travail afin, si cela est possible, de s’ adapter à son cas, en particulier en ce qui concerne les arrêts de travail : parfois il sera préférable de prévoir un arrêt de travail de longue durée afin d’ éviter la désorganisation de l’ entreprise par des arrêts répétés, parfois ce sera l’ inverse. La maladie pouvant être source de discrimination, il peut être utile, dans certaines situations, ne pas faire de demande d’ ALD : tel est le cas des patients présentant un cancer in situ. Le médecin traitant ne doit pas hésiter à entrer en contact avec le médecin du travail pour discuter de la situation professionnelle du patient, après accord de ce dernier. Enfin, en cas de difficulté, il faut faire savoir au salarié qu’ il peut trouver des appuis dans la protection de son emploi auprès de la HALDE. ■ 31es Journées de la SFSPM, Lyon, novembre 2009 La protection juridique de l’ emploi du patient atteint de cancer Références bibliographiques [1] Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d’ un cadre général en faveur de l’ égalité de traitement en matière d’ emploi et de travail. JOCE, décembre 2000;16:22. [2] Article 1er : “Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit.” Article 6 : “Tous les citoyens […] sont admissibles à tous les emplois selon leur capacité et sans autre distinction que leurs vertus et leurs talents.” [3] Article L. 1132-1 du Code du travail. [4] Article L. 1134-1 du Code du travail. [5] Article L. 1132-4 du Code du travail. [6] Articles 225-1 et 225-2 du Code pénal. [7] Liaisons sociales, Maladie du salarié, septembre 2006;37:47. [8] Article 4 de la loi du 30 décembre 2004. [9] Articles 5, 6 et 10 de la loi du 30 décembre 2004. [10] Articles 11, 11-1 et 12 de la loi du 30 décembre 2004. [11] Article 7 de la loi du 30 décembre 2004. [12] Article 13 de la loi du 30 décembre 2004. [13] HALDE, Rapport d’ activité pour l’ année 2008. 31es Journées de la SFSPM, Lyon, novembre 2009 89