Rappels théoriques Pratiques kinésithérapiques Les limites de l’apprentissage Perspectives et avenir APPRENTISSAGE D’UNE DIAGONALE DE KABAT Jacques FRAUDET1 MOTS CLÉS Apprentissage moteur Facilitation neuromusculaire Kabat Pédagogie Renforcement musculaire “ La méthode Kabat se propose d’aider à la reprogrammation des gestes en utilisant des stimulations sensorielles facilitantes ” 1 Kinésithérapeute cadre de Santé Centre hospitalier de Saint-Malo (35) ANS la méthode de Kabat, l’apprentissage moteur trouve une place prépondérante. L’objectif de cet apprentissage vise la reprogrammation d’un schéma moteur complexe tridimentionnel selon deux composantes [1, 2] : D Il faut expliquer au patient l’obligation de dénuder les zones du corps qui seront en contact avec les mains du thérapeute. Explication préalable de l’exercice – l’activité musculaire, c’est-à-dire réapprendre aux muscles à travailler ensemble (notion de travail en chaîne), de façon coordonnée (chronologie, intensité de la contraction, couplage agoniste antagoniste...), lors d’un geste complexe (mettant en jeu plusieurs articulations), mais néanmoins inclus dans notre programme moteur ; Il est préférable d’expliquer simplement au patient, avant l’exercice, que le type de mouvement attendu est certainement nouveau pour lui, différent de ce qu’il a pu faire précédemment (si c’est le cas) et peut-être complexe (notion de direction diagonale, de rotation et de sollicitation de plusieurs articulations en même temps). – le déplacement dans l’espace des différents segments osseux : redonner à l’apprenant, cette sensation du mouvement du corps ou d’un membre (ou segment de membre) dans les trois plans de l’espace et dans des directions fonctionnelles. Mais, en revanche, il faut aiguiser sa curiosité en lui vantant les avantages d’une telle méthode afin qu’il soit vite motivé. Il faut le sensibiliser sur la nécessaire attention qu’il doit porter aux sensations cutanées qu’il va percevoir et qui vont guider le mouvement. TECHNIQUES PÉDAGOGIQES POUR FAIRE EXÉCUTER CORRECTEMENT UN MOUVEMENT COMPLEXE EN KABAT Mouvement préalable Installation Pour certains patients, il est préférable, avant d’entamer la séance, de faire plusieurs fois passivement le mouvement, à des vitesses différentes et en leur demandant de regarder leur membre au cours du déplacement. Les exercices se pratiquent le plus souvent en décubitus. En effet, un certain nombre de patients négligent un peu la guidance sensitive et déclen- KS n° 474 février 2007 43 APPRENTISSAGE D’UNE DIAGONALE DE KABAT chent eux-mêmes le mouvement qu’ils croient être le bon (et qui, généralement, ne l’est pas). Il arrive malgré tout pour certains patients un peu réfractaires (il en existe...) que cette simulation passive ne suffise pas et que le mouvement obtenu reste médiocre. On peut alors leur proposer une cible à atteindre (la poche opposée de leur pantalon, un tableau sur le mur...) pour faciliter la direction du mouvement. Le choix des mots (fig. 1 et 2) Les ordres verbaux et leur tonalité ont une grande importance en Kabat. Ils vont avoir pour effet de stimuler l’effort du patient et de guider le mouvement. Il faut donc que le choix des mots soit juste, simple et donc tout à fait compréhensible par le patient : “Tendez le coude !” peut ne rien vouloir dire pour lui ; il vaut mieux dire “Garder le coude bien droit”. “Pliez la cheville !” peut ne pas être compris ; dites plutôt “Relevez le pied !”, de même que “Tendez les doigts !” qu’il faudrait peut-être mieux remplacer par “Ouvrez la main !”. Il ne suffit pas non plus de répéter sans cesse : “Poussez ! Poussez ! Poussez !” pour faciliter la qualité de la réponse musculaire. Il faut bien sûr que le patient comprenne qu’il doit pousser, mais il est préférable de lui dire sur quoi il doit le faire : “Poussez sur ma main” est une invitation plus précise. Pour compléter cette indication, ou pour corriger le mouvement (si l’on sent qu’il dévie de sa trajectoire prévue) on peut faire bouger sa main sur la peau du patient (sans la quitter) pour relancer l’information sensitive directionnelle verbale. On peut également en cours d’exercice, modifier ou préciser l’ordre verbal pour compléter la localisation d’une poussée : “Poussez plus sur ma main !” ou “Tournez plus”, ou “Serrez la main plus fort !”. Lorsque l’on pratique des techniques “d’inversions lentes” (mouvements aller-retour), on peut simplifier les ordres en utilisant les expressions “Tirez !” (lorsque le membre se rapproche de l’axe du corps), et “Poussez !” (lorsqu’il s’en éloigne). Ces deux expressions en alternance sont très stimulantes pour le patient, car elles sont simples, suffisamment précises et ne l’embarrassent plus d’autres informations directionnelles qui ne sont plus nécessaires (au stade des inversions lentes, puisque celles-ci supposent un “apprentissage” préalable par la pratique des pivots simples de nombreuses fois). L’écoute des réactions du corps Pour arriver à une qualité du mouvement garante d’une réponse musculaire adaptée, il faut non seulement bien expliquer ce que l’on veut obtenir mais être capable de modifier ou compléter au cours du mouvement, si nécessaire, les stimulations (verbales ou tactiles, comme vu précédemment) qui facilitent ce mouvement (feedback). Figure 2 ▲ Position d’arrivée de la diagonale B-A▲ ▲ Figure 1 Position de départ de la diagonale B-A n° 474 février 2007 44 KS Il ne faut pas hésiter également à “aider” un patient qui a du mal à répondre correctement aux diverses stimulations, en refaisant en passif le mouvement plusieurs fois, afin de lui permettre de mieux le ressentir. La résistance C’est un élément important de cette méthode. Il faut l’utiliser de façon progressive, pour ne pas décourager le patient en lui proposant d’emblée un effort trop important. Cette résistance doit être asservie à la force du patient ce qui demande de la part du thérapeute une vigilance permanente des réactions du patient (exemple : si le mouvement obtenu est trop long, c’est certainement que la résistance proposée est trop forte). La patience Certains patients peuvent mettre un certain temps à exécuter de façon correcte ces mouvements complexes Kabat. Il faut en avoir conscience et accepter de leur donner ce temps. La réussite dépend aussi de la faculté du thérapeute à se remettre en cause sur les raisons de cette difficulté. Il ne faut pas penser que le patient est le seul fautif (même si certains sont moins “doués” que d’autres). Il est nécessaire comme nous l’avons dit précédemment de s’adapter aux capacités individuelles de nos patients en s’assurant que toutes nos stimulations sont bien perçues et que le patient les comprend bien. Le cas échéant, il peut être utile de repartir à zéro dans l’explication ou dans le dosage des résistances. Les commentaires du patient Le patient qui vient de faire un effort physique et de concentration (comme c’est le cas pour un exercice de Kabat) pour satisfaire à la demande de “son kiné” apprécie quelques compliments mais aussi qu’on lui demande d’exprimer ce qu’il a ressenti au cours de cet exercice complexe : quelles sont les sensations particulières perçues ? Qu’a-t-il trouvé de différent par rapport à un exercice plus classique ? Apprécie-t-il ce type d’exercice ?... DISCUSSION SUR LA MÉTHODE KABAT ET L’APPRENTISSAGE Apprentissage Dans la méthode, il y a bien multiplication des contrôles articulaires, on peut donc parler de nécessité d’apprentissage. Kabat et notion de temps Si pour un réel apprentissage, c’est-à-dire une mémorisation du geste, la notion de durée (fréquence des répétitions du geste) est importante. On ne peut pas dire que dans la méthode Kabat cette notion soit primordiale, car on sait que le nombre de mises en situation est faible : quelques mouvements par séance, une ou 2 séances par jour, et ce pendant de nombreuses semaines seulement. Quand on parle de durée d’apprentissage pour un geste (sportif par exemple), on envisage des durées souvent beaucoup plus longues : des heures de travail par jour et plusieurs jours par semaine, pendant des semaines. Kabat et notion d’environnement Environnement matériel Ce n’est pas un élément essentiel pour la méthode. Le patient est dans une position peu habituelle dans son fonctionnement gestuel : en décubitus, sur une table de rééducation, sans repère facilitant. Environnement humain Beaucoup plus intéressant, car le soignant prenant en charge le patient va s’évertuer à lui faciliter la tâche par sa technicité, sa vigilance, et ses encouragements. Kabat et notion de représentation Il est assez souvent conseillé, pour certain sujet (surpris par la complexité apparente du geste), de faire une ou deux fois le mouvement passivement afin que le patient se représente mentalement le déplacement de son membre, ce qui peut améliorer la qualité de sa réalisation. KS n° 474 février 2007 45 APPRENTISSAGE D’UNE DIAGONALE DE KABAT Kabat et notion de couplage (approche émergente de l’environnement) cement articulaire), fonctionnels par une rééducation dite “globale”. Couplage perception-action Pour reprogrammer ces gestes et améliorer leur coordination, il faut passer par une phase de réapprentissage nécessitant l’utilisation d’un certain nombre d’informations sensorielles qui vont permettre au patient de mieux ressentir et de mémoriser l’enchaînement des différents déplacements segmentaires et des contractions musculaires. • 1er postulat : l’environnement appelle certaines actions. • C’est tout à fait vrai en Kabat en ce qui concerne l’influence de l’environnement humain puisque les explications, les corrections, les encouragements de la part du thérapeute vont permettre au patient d’améliorer sa qualité du mouvement recherché et d’augmenter sa motivation (élément propice à la performance). • Cela paraît beaucoup moins vrai en ce qui concerne l’environnement matériel, puisqu’il ne répond en rien à une situation facilitante. • 2e postulat : le comportement moteur est un phénomène émergent d’un réseau de contraintes liées. • C’est un des principes de la méthode Kabat : la “facilitation”. L’action est induite directement par son couplage avec un certain nombre de stimulations ou contraintes qui vont progressivement permettre l’amélioration de la coordination (qualité) du geste (notion d’adaptation). Kabat et notion d’adaptation “L’apprentissage entraîne, à partir de l’expérience antérieure, dans une situation proche et de l’expérience acquise dans la situation actuelle, une modification adaptative du comportement (amélioration des habiletés motrices)”. Approche cognitiviste et Kabat “Connaître le monde extérieur pour s’y adapter en y prélevant les informations qu’il contient”. En Kabat, nous sommes plutôt dans cette approche cognitiviste, puisque l’amélioration du geste se fait à partir d’une analyse précise des stimulations, ce qui amène une réponse adaptée à celles-ci. Ainsi, il peut y avoir une mémorisation des différents paramètres composant le mouvement (direction, amplitude vitesse) et du programme moteur en découlant (mouvement “global”, dans les trois plans de l’espace). Ici, l’expérience acquise lors des exercices répétés dans ces mouvements Kabat, remet à jour l’expérience antérieure, puisqu’un des objectifs de la méthode est de relancer les programmes gestuels (activité musculaire, déplan° 474 février 2007 46 KS Dans la notion d’adaptation, il y a l’idée d’amélioration de la performance antérieure (plus habile, plus rapide, plus stable). En ce qui concerne la méthode de Kabat, si l’on est généralement dans un objectif assez proche (rendre l’apprenant plus performant qu’avant), nous ne visons le plus souvent qu’à atteindre un niveau de performance sensiblement égal à celui d’avant l’accident (ou maladie), ce qui est différent de l’apprentissage d’un geste sportif. Kabat et notion d’expérience corporelle En Kabat on s’appuie évidemment sur l’expérience corporelle, mais celle-ci semble légèrement “gommée” après un accident ou maladie, comme si le cerveau avait un peu oublié tout ou partie de certains programmes moteurs acquis (mauvaise coordination du mouvement). Ici, l’expérience corporelle antérieure ne suffit pas à “résoudre le problème adaptatif” (meilleure qualité du mouvement), c’est-à-dire atteindre le niveau antérieur qui correspond à une motricité fonctionnelle normale. C’est pourquoi la méthode Kabat se propose d’aider à la reprogrammation de ces gestes en utilisant des stimulations sensorielles facilitantes. ■ Indexation Internet : Apprentissage Kabat Pédagogie Bibliographie 1. KNOTT M, VOSS D. Facilitation neuromusculaire par la proprioception. Paris : Maloine, 1977 2. VIEL É, OGHISHIMA E. Rééducation neuromusculaire à partir de la proprioception. Paris : Masson, 1977.