PREV EW> DANS LA ROME DES CÉSARS GILLES CHAILLET PREVIEW> DANS LA ROME DES CÉSARS de GILLES CHAILLET Peu de villes, comme Rome, sont à tel point le reflet de la civilisation qui les a vues naître, s’épanouir et arriver à maturité. Ses rues, ses places, ses monuments gardent encore aujourd’hui les vestiges du faste d’un temps où les Romains étaient les maîtres du monde. Une époque où Rome était devenue le paradigme de la ville idéale, admirée, imitée, mais jamais égalée. ROME, VILLE L’EMPIRE Le mythe des origines Selon une tradition légendaire, l’histoire de la ville de Rome prendrait racine dans la guerre de Troie, ce qui donnerait à ses habitants un arbre généalogique aussi ancien que celui des Grecs. Lors de l’incendie de Troie par les Grecs, le prince Énée parvient à s’enfuir de la ville, accompagné de son père Anchise, de son fils Ascagne-Iule et d’un certain nombre de ses compatriotes. Après avoir pérégriné dans tout le bassin méditerranéen, les Troyens fugitifs arrivent au Latium et font alliance avec le roi de l’endroit, Latinus. Cette alliance est scellée par l’union d’Énée et de la princesse Lavinia, qui donne son nom à la première cité fondée par les Troyens sur le sol italien, Lavinium. Trente ans plus tard, Ascagne, fils d’Énée, fonde à son tour une autre ville dans le Latium, Albe-la-Longue, et ses descendants règnent sur cette région pendant quatre siècles. Au VIIIe siècle av. J.-C., deux frères ennemis, Numitor et Amulius, se disputent le trône. Amulius chasse Numitor, s’empare du pouvoir et, lorsque sa nièce Rhéa Silva, enceinte par les œuvres du dieu Mars, met au monde des jumeaux, il ordonne que les nourrissons Romulus et Remus soient abandonnés dans le lit du fleuve Tibre. Mais, attirée par les vagissements des bébés, une louve les recueille et les nourrit dans la grotte du Lupercal, au pied du Palatin. Parvenus à l’âge adulte, Romulus et Remus reviennent à Albe, rétablissent sur le trône leur grand-père Numitor et s’en vont fonder une ville en 753 av. J.-C. La légende veut qu’ils choisissent pour ce faire le site où la louve les avait nourris. Afin de déterminer l’emplacement précis de leur fondation, les jumeaux prennent l’avis des dieux par les auspices, mais ils finissent par se quereller 64> pour savoir à qui reviendra l’honneur de tracer l’enceinte de la nouvelle cité. Considérant que les auspices sont en sa faveur, Romulus détermine le «pomoerium» ou enceinte sacrée : à l’aide d’une charrue tirée par une vache et un taureau blanc, il trace un sillon en soulevant l’attelage à l’emplacement des futures portes. Furieux de cette initiative, Remus saute par-dessus le fossé du pomoerium, et, pour punition de cette provocation sacrilège, est tué par son frère. Romulus reste donc seul maître du site de Rome. Il décide alors que la nouvelle ville sera un «asyle», c’est-à-dire un refuge pour tous les exilés ou les malfaiteurs chassés de leur patrie. Les premiers habitants auraient donc été des délinquants. Or, l’avenir de Rome est tributaire de la naissance d’enfants qui assumeront l’héritage des fondateurs. Aussi, les compagnons de Romulus enlèvent les filles de leurs voisins Sabins pour en faire leurs épouses, ce qui provoque une guerre entre Romains et Sabins. Le conflit se termine grâce à l’intervention des femmes sabines qui s’interposent entre leurs pères et leurs maris. Désormais, Romulus partage le pouvoir avec le roi sabin Titus Tatius. Après lui, trois rois latino-sabins se seraient succédés sur le trône de Rome : Numa Pompilius, qui aurait organisé la vie religieuse instituant le culte et fondant les collèges des sacerdoces, et réformé le calendrier en divisant l’année en douze mois ; Tullus Hostilius, qui aurait détruit la ville rivale, Albe-la-Longue, ce qui permit d’étendre la domination de Rome ; et Ancus Martius, qui aurait entrepris la construction du premier pont sur le Tibre et fondé la colonie d’Ostie dans son embouchure, procurant ainsi un débouché maritime à Rome. À la fin du VIIe siècle, un émigré appelé Lucumon, originaire de la ville étrusque de Tarquinia, s’installe à Rome et est élu roi sous le nom de Tarquin l’Ancien, mettant ainsi fin à la royauté latino-sabine et inaugurant une lignée de rois étrusques sous le règne desquels Rome ne cessera de prospérer. IMPÉRIALE Une légende aux fondements historiques avérés S’il est vrai que le mythe tient une large place dans les récits consacrés à la fondation de la ville de Rome, ces histoires traduisent d’une manière plus ou moins codée des réalités confirmées par des découvertes archéologiques. Au milieu du IIe millénaire av. J.-C., grosso modo au moment où la légende situe l’occupation du Latium par Énée, des peuples indoeuropéens arrivent en Italie et s’installent dans les monts Albains et sur les collines de la future Rome – au pied desquelles se trouvent à l’époque encore des marécages. Il y aurait eu trois villages sur le Palatin, puis trois sur l’Esquilin et enfin un sur le Coelius. Au VIIe siècle, ces villages s’unissent pour former une coalition. Ce n’est pas encore une cité à proprement parler, mais les villages entretiennent entre eux des liens religieux, consacrés par un sacrifice offert en l’honneur des Montes. Cette Ligue septimontiale laisse de côté le Capitole, le Quirinal et le Viminal, des Colles occupés sans doute par un autre groupement, les Sabins. INTERVIEW RÉALISÉE PAR RICARDO ALVAREZ Aux VIIe-VIe siècles, la péninsule italienne est occupée en partie par un peuple non indo-européen, les Étrusques. Les villages des ligues latines et sabine se trouvent sur le Tibre, tête de pont à proximité de deux grandes villes étrusques, Véies et Fidènes, ce qui donne au site de la future Rome un intérêt stratégique incontestable. C’est probablement au VIIe siècle que les Étrusques investissent ce site et réunissent les villages des deux ligues en fondant une ville. Ils placent cette cité sous la direction d’un lucumon, c’est-à-dire un chef, ce que les Romains auraient interprété plus tard comme un nom propre, celui du premier roi étrusque. La ville de Rome est donc une fondation étrusque intégrant des peuples sabino-latins déjà installés sur le site. Les Romains n’ont d’ailleurs jamais nié la domination étrusque ; ils l’ont simplement fait entrer dans le cadre d’une ville déjà fondée et constituée, affirmant ainsi leur prééminence vis-à-vis de leurs dominateurs. La royauté La tradition parle de trois rois étrusques : Tarquin l’Ancien (617-579), Servius Tullius (579-535) et Tarquin le Superbe (535-509). Pendant les années de leur règne, Rome cesse d’être un simple centre agricole et pastoral et devient une ville commerciale et artisanale puissante aux dimensions imposantes, dépassant en extension les principales villes du Latium et de l’Étrurie : elle est renforcée par une solide enceinte de murs et s’embellit de temples et d’édifices publics. 65> PREVIEW> Le cadre primitif de cette Rome royale est constitué par les Gentes, ou clans de tous ceux qui se rattachent à un même ancêtre et ont en commun le sang, le nom, la religion, ainsi que l’assistance des clientèles qui dépendent d’eux. La société est divisée en deux strates : patriciens, membres des familles les plus riches, et plébéiens qui constituent les couches les plus humbles de la population. Le roi cumule les fonctions judiciaires, religieuses, politiques et militaires, mais une certaine autorité est laissée à deux organes consultatifs : le sénat, formé des chefs des familles les plus importantes, et les comices curiates ou assemblée générale des citoyens ; ces derniers, contrôlés par les patriciens, étaient subdivisés en trente curies regroupées en trois tribus. Postérieurement, Servius Tullius tentera de limiter le pouvoir des patriciens et de favoriser l’ascension sociale des nouveaux riches en instituant des comices centuriates, fondées sur la division en centuries selon le cens. La République La royauté étrusque se termine tragiquement, avec le tyran Tarquin le Superbe. Un de ses neveux, en violant Lucrèce, épouse du noble Collatinus, provoque la révolte des Romains : dirigés par Brutus, ils renversent la monarchie et installent une nouvelle forme de gouvernement, la République, en 509 av. J.-C. Le premier siècle de la République romaine est marqué par l’affrontement de deux groupes des habitants de Rome : les patriciens et les plébéiens. À l’époque, Rome n’était pas une cité pourvue d’institutions communes à tous ses habitants. Les patriciens détenaient le monopole des magistratures, des pouvoirs militaires, des actes religieux et du sénat ; face à eux se trouvait la plèbe, qui était inorganisée et ne possédait aucun droit. Petit à petit, la plèbe prend conscience de sa capacité politique et des instruments dont elle dispose pour s’affirmer. Les patriciens refusant de partager leurs privilèges, les plébéiens se retirent sur le mont Aventin en 494 ou 493 et menacent de se séparer définitivement des patriciens pour fonder leur propre ville. Le consul Ménénius Agrippa les convainc de renoncer à leur projet. En échange, ils obtiennent la création des «tribuns de la plèbe», représentants et défenseurs des plébéiens qui pourront exprimer leur volonté en votant des 66> LA SOCIÉTÉ EST DIVISÉE EN DEUX STRATES : PATRICIENS, MEMBRES DES FAMILLES LES PLUS RICHES, ET PLÉBÉIENS QUI CONSTITUENT LES COUCHES LES PLUS HUMBLES DE LA POPULATION. «plébiscites». Les revendications des plébéiens ne s’arrêtent pas là. Les lois étant secrètes et connues uniquement des pontifes et des magistrats patriciens, ils réclament la publication d’un code de lois écrites, la loi des Douze Tables. Progressivement, les plébéiens obtiennent également l’accès aux charges politiques. Ainsi, Rome progresse d’un pouvoir royal unique à un État républicain bâti sur des charges partagées. Par leurs luttes, les plébéiens sont progressivement intégrés dans la cité. Cependant, seule une minorité bénéficie de cette ouverture politique. Le clivage originel patriciens-plébéiens disparaît, mais une nouvelle fissure fait son apparition entre ceux qui détiennent pouvoir et richesse (patriciens et plébéiens aisés) et le reste du peuple romain. À peine consolidée, la jeune république doit aussitôt se défendre contre les attaques de ses voisins et se découvre très vite une vocation expansionniste qui l’amènera, en l’espace de deux siècles, à dominer toute la péninsule. L’ascension politique et militaire de Rome est double. Elle s’affirme d’abord dans le Latium, puis dans toute la péninsule, contre les Étrusques au nord, contre les Sabelles, les Ombriens, les Samnites, les Campaniens et les villes grecques du sud. Au moment de la chute de la royauté, Rome se trouve à la tête d’une ligue de peuples latins. Ces peuples sont environnés d’ennemis : les Volsques, établis dans les monts Albains ; les Eques, installés dans la région de Tibur et de Prénestre, et les Sabins, occupant le nord du Latium. Des conflits provoqués par l’occupation d’un terrain ou par des razzias menées sur les troupeaux ou les biens d’un voisin ne cessent de se produire, jusqu’à ce que, vers 430, les Latins et les Romains parviennent à contrôler les Volsques et les Eques. Un autre problème de voisinage se pose à Rome par la présence des Étrusques au nord du Tibre, et plus précisément par l’existence des villes de Fidènes et de Véies, qui contrôlent le passage du fleuve et contrarient le commerce romain. Rome détruit Fidènes et 425 et, après un difficile siège de dix ans, anéantit Véies en 396, obtenant ainsi le monopole du trafic sur le Tibre. Une fois les adversaires du Nord éliminés, Rome se tourne vers le Sud, où se trouvent les Samnites, puissant peuple du sud des Apennins. Entre 343 et 290, elle livre trois guerres contre les Samnites, qui aboutissent à la formation d’un État fédéral romain-latin, contrôlant un vaste territoire où prospèrent de nombreuses colonies. Les victoires sur les Samnites ouvrent la voie vers le Sud de l’Italie, la Grande Grèce, qui est absorbée en 272 dans les possessions romaines. Après la prise en 265 de la dernière ville étrusque encore libre, Volsinies, Rome est maîtresse de la péninsule, de l’Arno et du Rubicon au nord au détroit de Messine au sud. Souveraine de l’Italie, Rome veut maintenant devenir une puissance méditerranéenne. Or la colonie phénicienne de Carthage, fondée à la fin du IXe siècle av. J.-C., contrôle les routes maritimes vers l’ouest et détient le monopole incontesté du commerce occidental. La rivalité entre les deux puissances débute en Sicile, où habitent des Grecs qui étaient depuis toujours les adversaires des Carthaginois et qui avaient passé des alliances avec leurs compatriotes du Sud de l’Italie, désormais entrés dans l’orbite de Rome. Cette situation conduit fatalement à l’affrontement. Les guerres puniques dureront plusieurs dizaines d’années et verront les Romains et les Carthaginois se battre tant sur mer que sur terre. Au cours de la première guerre punique (264241), sans doute la plus cruelle et la plus violente, a lieu la bataille navale de Myles (260) qui, avec celle des îles Égates en 241, permet aux Romains de conquérir successivement la Sicile, la Sardaigne et la Corse. La deuxième guerre punique (219-201) est dominée par la personnalité exceptionnelle d’Hannibal. Élevé depuis sa plus tendre enfance dans la haine des Romains, Hannibal attaque la ville espagnole de Sagonte, alliée de Rome, remonte de l’Espagne vers la Gaule, franchit les Alpes, débarque à l’improviste dans le nord de l’Italie, remporte les victoires du Tessin, de Trébie, de Trasimène et, en progressant vers le sud de la péninsule, il pulvérise les forces romaines près de Cannes. Seule l’intervention des Scipions, Publius Cornelius l’Africain en particulier, détermine un renversement de la situation en faveur de Rome, qui bat Carthage lors de la bataille décisive de Zama en 202. Prétextant un conflit entre les Carthaginois et le roi numide Massinissa, Scipion Émilien, petit-fils du vainqueur de Zama, donne le signal de l’ultime conflit. Après un siège atroce, Carthage est prise en 146, incendiée et rasée, et l’Afrique devient une province romaine. Par la suite, les Romains se lanceront dans une série d’offensives diplomatiques et militaires contre les autres royaumes orientaux (Macédoine, Syrie, Égypte) qui, de 201 à 133 av. J.-C., fera d’eux les maîtres de toute la Méditerranée. LA CRISE DE LA RÉPUBLIQUE Rome domine désormais la Méditerranée, mais seule une petite partie de la population (les oligarques) tirent parti de cette situation. La conquête de nouveaux territoires suscite des problèmes agraires, au centre de conflits et de guerres civiles qui entraîneront l’effondrement la République. Les terres appartenant à l’État romain à la suite des guerres sont accaparées par la noblesse, tandis que les petits propriétaires terriens, retenus pendant de nombreuses années dans les zones des combats, n’ont plus les moyens à leur retour au pays de remettre en état leurs terres laissées en friche. Leur situation s’aggrave lorsqu’ils doivent faire face à la concurrence des produits provenant des territoires conquis. Ils finissent par quitter leurs domaines pour s’installer à Rome avec leur famille, grossissant une plèbe urbaine miséreuse. Afin de trouver une solution à cette situation fort préoccupante, le tribun de la plèbe Tiberius Graccus présente en 133 une loi agraire limitant la possession des terres à 125 hectares par citoyen ; ceux qui en détiendraient plus s’en verraient dépossédés, et ce surplus serait redistribué 67> PREVIEW> aux citoyens de la plèbe. La loi est votée, mais pendant l’été 133 Tiberius et trois cents de ses partisans sont assassinés par les sénateurs. Le flambeau est repris par son frère cadet Caius, élu tribun de la plèbe en 123. Il fait voter une série de lois destinées à réformer les institutions romaines, devenues inadaptées à la taille de l’Empire, mais les sénateurs, menacés dans leurs intérêts, s’arrangent pour le faire abattre au cours d’une émeute. Les lois des Gracques sont rapidement abandonnées, et la noblesse poursuit son enrichissement. Cependant, une nouvelle tendance politique apparaît dans les rangs de la noblesse, celle des Populares, partisans des réformes, face aux Optimates, le clan des sénateurs conservateurs attachés à leurs privilèges. En 112, Rome doit faire face au prince numide Jugurtha. Or, les différents généraux envoyés en Afrique le combattre font preuve d’incapacité, lorsqu’ils ne se font pas tout bonnement acheter par l’ennemi. Les Populares et la plèbe trouvent dans la personne de Marius, militaire incorruptible se réclamant des Gracques, le personnage de la situation. Élu au consulat pour l’année 107, il fait voter une réforme militaire révolutionnaire. Il supprime l’obligation du cens minimum exigé pour servir dans la légion, ce qui permet aux prolétaires de Rome, jusqu’alors écartés du service, de s’enrôler. Il constitue ainsi une armée de métier formée par des hommes pour lesquels le service est le seul moyen de vivre. Entièrement dévoués à leurs chefs, ils joueront un rôle décisif dans l’accession au pouvoir de Sylla, de Pompée et de César. En 88, Rome se trouve contrainte d’entreprendre une expédition militaire contre Mithridate, roi du Pont, qui essaye d’affermir sa domination en Orient et fait assassiner tous les commerçants italiens d’Asie Mineure. Pour mener cette guerre, le Sénat élit Sylla, adversaire acharné des Populares, mais ceux-ci, par plébiscite, font transférer le pouvoir entre les mains du vieux Marius. Sylla, qui se trouve déjà à Capoue avec ses légions, revient à Rome et pénètre dans la ville à la tête de ses légionnaires. Pour la première fois, un général se permet de bafouer les lois les plus saintes de la cité, suivi sans hésitation par une armée dévouée à son chef. Ensuite il repart pour l’Orient, où il va mener ses opérations de 87 à 83. Les partisans de Marius, sous l’impulsion du consul Cinna, profiteront de cette absence pour reprendre le pouvoir et massacrer leurs adversaires. Ils monopolisent tous les pouvoirs pendant ces cinq années. Le retour de Sylla en Italie après avoir remporté la guerre contre Mithridate provoque une guerre civile entre les deux camps qui durera près de deux ans. En 82, Sylla met le siège devant Rome et entre pour la deuxième fois dans la cité avec ses troupes. Maître de la situation, il se fait plébisciter comme dictateur pour une durée illimitée, et profite de son pouvoir pour modifier profondément les institutions romaines, en diminuant les pouvoirs du Sénat et des tribuns de la plèbe. 68> Les triumvirats Dans cette situation de crise du régime républicain et d’échec des institutions, les forces militaires et les hommes qui les commandent acquièrent un pouvoir grandissant : Pompée, vainqueur de Sertorius, général romain qui avait installé un État indépendant en Espagne, de Mithridate, roi du Pont, et de Tigrane, roi d’Arménie ; Crassus, qui était venu à bout de la révolte des gladiateurs menée par le Thrace Spartacus ; et César, d’origine patricienne et grand orateur. En 60, les trois hommes constituent un triumvirat afin de s’emparer des postes clés de la République et de lutter contre l’oligarchie des Optimates. En 59, César obtient un imperium pour cinq ans en Gaule Cisalpine et Transalpine, ce qui lui permet de mener pendant six ans une guerre brillante contre les régions gauloises encore indépendantes. Crassus, qui s’est lancé dans une expédition punitive contre les Parthes, meurt dans la défaite de Carrhes où sont anéanties sept légions. Pompée reste seul maître à la capitale et il obtient d’être nommé consul unique, ce qui fait de lui une sorte de prince qui dirige Rome de 52 à 49. Pour réduire César, dont la renommée monte d’un cran après sa victoire sur Vercingétorix, Pompée fait voter en janvier 49 un sénatus-consulte ordonnant à César de licencier ses troupes et de rentrer à Rome. Loin d’obéir, César fait franchir à ses hommes le Rubicon, petit fleuve qui marque la frontière symbolique de l’Italie, et livre bataille à Pompée et à ses partisans. Pompée se replie sur la Macédoine, où César le poursuit et le vainc définitivement lors la bataille de Pharsale. Débarrassé de son adversaire, César s’emploie à s’assurer la domination du monde méditerranéen. Il se fait attribuer tous les pouvoirs. En 48, il reçoit le titre de dictateur constituant pour un an ; en 47, il est élu consul pour cinq ans et, l’année suivante, il cumule la dictature et le consulat pour dix ans. Alors qu’il vient d’être nommé dictateur à vie, il est assassiné aux Ides de Mars 44 (15 mars) par une coalition de républicains désireux de défendre la liberté romaine contre celui qui est devenu un véritable roi. En octobre 43, après des semaines de grande confusion, un nouveau triumvirat prend le pouvoir, formé par Octave, fils adoptif de César, Marc-Antoine, ami du dictateur assassiné, et Lépide, chef de la cavalerie. Les trois hommes fixent les zones d’influence de chacun : Octave prend en charge les provinces d’Occident, Lépide l’Afrique et MarcAntoine l’Orient ; ce dernier s’installe en Égypte et devient l’amant de la reine Cléopâtre. En 36, Lépide est frappé d’une mesure d’exil pour avoir prêté main forte au gouverneur de Sicile qui s’était constitué un véritable empire maritime et se livrait à des raids de piraterie. Une rivalité s’installe entre Octave et Marc-Antoine, chacun rêvant d’éliminer l’autre pour devenir le seul maître des Romains. En 31, Octave déclare la guerre à la reine d’Égypte. Le 2 septembre, les flottes des deux belligérants s’affrontent dans le golfe d’Ambracie, en Grèce. Le combat, tout d’abord incertain, tourne en faveur d’Octave. Marc-Antoine capitule et se donne la mort, ainsi que Cléopâtre, à Alexandrie. L’empire est désormais entre les mains d’un seul homme. L’EMPIRE Après sa victoire, et faisant preuve d’une habilité extrême, Octave va transformer les institutions romaines pour mettre en place ce que l’on appelle le Principat, puis l’Empire à partir du IIe siècle. Cet homme à la santé fragile gouvernera pendant plus de quarante ans et imposera par la persuasion plus que par la contrainte un nouveau système politique. Il maintient les institutions républicaines (Sénat, magistratures, comices) mais leur enlève une partie de leurs prérogatives. Le prince cumule les fonctions de chef de l’exécutif, des armées, des provinces, de la religion, ainsi que celles de tribun de la plèbe, de censeur, de juge suprême et de législateur. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un système monarchique traditionnel, fondé sur le pouvoir arbitraire d’un seul homme mais, tout en conservant l’appareil républicain, il confisque progressivement tous les pouvoirs. APRÈS SA VICTOIRE, ET FAISANT PREUVE D’UNE HABILITÉ EXTRÊME, OCTAVE VA TRANSFORMER LES INSTITUTIONS ROMAINES POUR METTRE EN PLACE CE QUE L’ON APPELLE LE PRINCIPAT, PUIS L’EMPIRE À PARTIR DU IIE SIÈCLE. Ce régime hybride créé par Octave (auquel les sénateurs décernent le surnom d’ «Auguste») va se maintenir pendant cinq siècles, avec des transformations successives apportées par chaque empereur qui lui succèdera. À la mort d’Octave Auguste en août 14, le Sénat nomme prince, Tibère, le successeur qu’Auguste s’est choisi (il était mort sans descendance directe). Tibère a cinquante-six ans ; il a donc été nourri dans son enfance des principes républicains, ce qui le fait se sentir mal à l’aise dans ce nouveau rôle de prince. Les cinq premières années de son règne se passent dans un calme relatif. Mais la mort en 19 de son neveu et héritier Germanicus, qu’on l’accuse d’avoir assassiné, le poussent à quitter Rome pour Capri, laissant l’exercice du pouvoir à son ami Séjan. Lorsque son successeur, Caligula, arrive au pouvoir, il jouit d’une popularité extraordinaire. Cependant, sept mois après sa nomination, une maladie lui laisse l’esprit dérangé : il se transforme en un véritable monstre et finit assassiné en 41 par une conjuration de sénateurs et d’officiers de la garde prétorienne. À sa mort, son oncle Claude accède au pouvoir. Il s’agit d’un bon empereur, qui sait maintenir la tranquillité publique et entreprendre de grandes constructions nécessaires comme celle du nouveau port d’Ostie. Mais il est victime de son goût des femmes. Sa quatrième épouse, Messaline, le ridiculise en menant une vie sentimentale agitée et la suivante, Agrippine, finira par l’empoisonner après lui avoir fait adopter son fils Néron comme successeur. Néron arrive au pouvoir à dix-sept ans. Il règne dans un premier temps sous la direction de sa mère Agrippine, puis il la fait assassiner et donne libre cours à ses bas instincts. En 68, le peuple se révolte devant ces excès et Néron, déclaré «ennemi public», est contraint de se suicider. Quatre empereurs vont se succéder alors dans le temps record d’à peine un an : Galba, Othon, Vitellius et Vespasien, qui fonde une nouvelle dynastie, celle des Flaviens. Vespasien, premier parmi les princes du Ier siècle, est un homme d’autorité et de bon sens. Il essaye de régler une fois pour toutes le problème de la succession impériale en instituant l’hérédité dynastique, mais sans y réussir, car son 69> PREVIEW> fils aîné, Titus, meurt prématurément après deux ans de règne et son cadet, Domitien, personnage brutal et mégalomane à la manière de Néron, est assassiné en 96. Le IIe siècle est marqué par la dynastie des Antonins, d’origine espagnole ou gauloise. Nerva (96-98), Trajan (98-117), Hadrien (117-138), Antonin le Pieux (138161), Marc-Aurèle (161-180) et Commode (180-192) se transmettent le pouvoir par adoption, convaincus que seul ce système permet à chaque empereur de choisir pour lui succéder la personne la plus digne de cette charge. Sous les Antonins, Rome traverse une période de tranquillité et de prospérité. Les empereurs gouvernent avec modération, et entretiennent d’excellents rapports avec les sénateurs. L’Empire connaît un vrai «âge d’or». Mais ce n’est qu’une accalmie passagère avant l’orage. À la mort de Commode, assassiné en 92, Rome s’enfonce une fois de plus dans des luttes internes. Les différentes légions s’opposent pour imposer leur candidat au trône. Il faut plus de quatre ans pour que l’un de ces nombreux prétendants y parvienne : Septime Sévère. Né en Afrique, Septime Sévère a pour femme la fille d’un grand prêtre syrien. Le nouvel empereur et sa femme vont apporter à Rome une conception orientaliste du pouvoir. Ils introduisent dans le culte officiel leurs pratiques orientales, installant par la même occasion un véritable despotisme impérial. Le Sénat perd la plupart de ses pouvoirs, tandis que l’armée gagne en privilèges. Septime Sévère fait doubler sa garde prétorienne et augmente le nombre des légions, instaurant une véritable dictature militaire. L’accroissement des forces militaires entraîne de nouvelles dépenses, doublant la pression fiscale sur les citoyens. 70>