PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 46 NOURRIR LES PLANTES L'AZOTE Partie 2 INTRODUCTION Au chapitre précédent, nous avons expliqué les mécanismes d'absorption et de transformation de l'azote par les plantes, jusqu'aux humains. Mais, les plantes ont-elles toujours à leur disposition les quantités suffisantes de l'élément, au moment requis ? Peuvent-elles nous indiquer en tout temps si l'approvisionnement est déficient, surabondant ou correct ? Si nous interprétons correctement les signaux qu'elles nous envoient, il faut savoir réagir adéquatement. Il faut aussi prendre en compte les conditions écologiques qui contrôlent l'approvisionnement. Voilà ce que tente d'expliquer le présent chapitre. DÉVELOPPEMENT VÉGÉTATIF L'azote (N) produit le développement végétatif de la plante et cause la succulence. Une plante avec un surplus d'azote est succulente, c'est-à-dire qu'elle possède des feuilles d'un vert foncé, plus épaisses et plus juteuses que la normale. La tige est peu rigide parce que pleine d'eau, ce qui cause la verse. J'ai souvent vu des champs semés en avoine comme pâturage d'appoint, surfertilisés en azote. Le champ avait l'apparence d'une abondante chevelure verte épandue par terre. Les bovins qui en consommaient trop pouvaient être malades suite à un excès de nitrates, si on ne leur fournissait pas du carbone au moyen de la paille à consommer. L'excès d'azote, en favorisant la pousse végétative, retarde en plus la floraison et le développement des graines et des fruits. L'application d'une bonne dose d'azote sur du maïs qui a plus de 30 cm de hauteur retardera la formation des grains et leur maturité. Les producteurs de fleurs en serre retardent la floraison des plantes en appliquant un excès d'azote, en plus de modifier la température, l'éclairage, etc. Il faut être vigilant car un surplus d'azote diminue la force de résistance des plantes aux maladies. Par contre, une carence en azote est aussi préjudiciable qu'une surabondance. Les signaux de détresse sont différents et varient légèrement selon la plante. On sait que l'azote fait partie de la structure chimique de la chlorophylle, responsable de la pigmentation verte des feuilles (40). Donc, un manque d'azote diminue la chlorophylle et les feuilles perdent leur couleur verte, jaunissent, puis brunissent. Vu que l'azote est très mobile dans les plantes, celles-ci puisent ce qui leur manque d'azote dans la chlorophylle emmagasinée dans les premières feuilles à leur base. Dans le plant de maïs, le jaunissement commence par une pointe de flèche dans les feuilles de base, qui vise la tige (Figure 46.1). Déficience d’azote dans le maïs. Dans les plants de légumineuses et bon nombre de plantes maraîchères, les feuilles de base développent une bordure vert-jaunâtre. Au stade avancé, les feuilles deviennent jaunes, brunissent, sèchent et tombent. La carence en azote ralentit la croissance végétative et produit donc des plantes rabougries. Figure 46.1 Déficience d’azote dans le maïs. 146 PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 46 L'APPROVISIONNEMENT FIXATION DE L'AZOTE DANS LE SOL Le chapitre précédent mentionne que la principale source d'approvisionnement en azote est l'atmosphère, via les orages électriques et les gouttes de pluie qui le transportent vers le sol. Très peu de minéraux présents dans le sol contiennent des sels d'azote. Donc, impossible d'en obtenir suite à leur altération ou décomposition. En plus, l'azote dans le sol est maintenu dans un état très dynamique, soumis constamment à tous les aléas du climat et des sols. Deux systèmes prévalent pour fixer l'azote dans le sol : la nitrification symbiotique et celle des organismes autosuffisants. Ces deux principes s'affrontent constamment dans le sol pour s'accaparer l'azote tombé du ciel dans les gouttes de pluie ou l'azote que libèrent les microorganismes qui digèrent les substances chimiques provenant de la matière organique ou des engrais minéraux. Figure 46.2 Il faut donc parler de métabolisme de l'azote en nature, plutôt que d'un approvisionnement constant. L'azote provient des activités biologiques du sol ainsi que de la fertilisation qu'apportent les humains. PLANTES ASSOCIÉES À DES FIXATEURS D'AZOTE Plantes Fougères tempérées Fougères tropicales Bouleaux, Bourdaine, Aulnes, Rosacées Orme, févier, légumineuses SOURCES D'APPROVISIONNEMENT Microorganismes Cyanobactéries-Anabaena Cyanobactéries-Nostoc Actinomycètes- Frankia L'azote disponible est en mutation constante dans le sol parce que deux procédés opposés s'affrontent constamment, soit la nitrification et la dénitrification. Qui plus est, les rythmes d'activités évoluent constamment en fonction des changements météorologiques. NITRIFICATION EN SYMBIOSE Le grand savant Louis Pasteur a démontré, il y a deux siècles à peine, que la création spontanée n'existait pas. Des microorganismes en étaient responsables. En 1804, De Saussure a été le premier à prouver que l'azote était un élément essentiel pour la croissance des plantes, en utilisant une culture hydroponique sans matière organique. Depuis ce temps, l'étude des phénomènes biologiques est devenue une science basée essentiellement sur la chimie, la physique et les mathématiques plutôt que sur les "mystères de la création". Pourtant, encore aujourd'hui, les adeptes de l'agriculture bioorganique refusent d'accepter que la nature soit seulement un arrangement ordonné de réactions chimiques et physiques. Dans le système symbiotique, les microorganismes trouvent leurs sources d'énergie dans la plante hôte et lui refilent des nitrates en échange, pour bâtir ses tissus. Depuis longtemps, nous savons que les plantes légumineuses comme le trèfle, la luzerne, les pois, le soya et d'autres fixent et accumulent des nitrates dans le sol (43). Leurs racines possèdent des nodules qui contiennent des bactéries de la famille des rhizobium. Heureusement, pour le bien-être de la végétation naturelle, ces plantes ne sont pas seules à fixer et accumuler les nitrates en symbiose. Dans son ouvrage Botany, an introduction to plant biology, J. D. Mauseth (R6) présente une liste de plantes qui forment une association avec des microorganismes fixateurs d'azote dans le sol (Figure 46.2). Eubactéries- Rhizobium Figure 46.3 Pour contrôler la pollution par les nitrates, mieux vaut réduire la fertilisation organique et utiliser davantage les engrais minéraux afin de mieux intervenir efficacement lorsque les besoins en azote sont détectés et ce, pour chaque champ en culture. 147 PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 46 NITRIFICATION PAR AUTOSUFFISANCE DÉNITRIFICATION Les fixateurs d'azote autosuffisants peuvent absorber l'azote directement des déchets organiques dans le sol. Il en existe deux grands groupes : les organismes en milieu aérobie et les autres en milieu anaérobie. En milieu aérobie, c'est-àdire dans les sols avec régime d'humidité imparfait à excellent (7), on trouve les Azobactères, les Klebsiella, et les Cytophages. En milieu anaérobie, avec régime d'humidité mauvais à très mauvais, il y a les Clostridium. Donc, les fixateurs d'azote autosuffisants agissent aussi bien dans les sables secs que dans les marécages. Les microorganismes sont tellement variés et abondants dans le sol qu'ils s'accaparent rapidement tout ce qui est disponible, les uns au détriment des autres. Des bactéries comme les Pseudomonas réduisent les nitrates (NO3-) jusqu'à l'ion ammonium (NH4+). D'autres poursuivent la dénitrification jusqu'à produire de l'azote (N) gazeux ou de l'oxyde d'azote (NO), un gaz à effet de serre, qui tous deux retournent dans l'atmosphère. C'est pourquoi l'ion ammonium (NH4+) dure si peu longtemps dans le sol. En fait, les plantes préféreraient absorber leur azote (N) à partir de la formule ammonium (NH4+), la plus facile à réagir chimiquement. Mais, elles doivent se contenter généralement de la forme nitrate (NO3), qu'elles doivent reconvertir en ammonium (NH4+) à cause de la rivalité entre les bactéries de la nitrification et celles de la dénitrification. Après avoir extrait les produits azotés de la matière organique, ces microorganismes meurent et laissent leurs sousproduits azotés disponibles pour d'autres qui peuvent les absorber et les nitrifier. Le groupe des Nitrobactères et des Nitrocoques possède l'enzyme nitrosomonas (45). Ces bactéries peuvent donc convertir les produits aminés et ammoniacaux des Azobactères et autres, en nitrites puis en nitrates que les plantes peuvent absorber. C'est la nitrification. Malheureusement, les produits nitrates sont très solubles dans l'eau et ne subissent pas d'attraction électrique de la part des particules de sol, comme l'ion ammonium (NH4+). Ils se délavent facilement et polluent l'eau s'ils ne sont pas utilisés rapidement. C'est semblable au phénomène qui se produit dans les champs de légumineuses tard à l'automne après la récolte (43). En milieu humide et surtout dans les eaux stagnantes, on trouve les cyanobactéries qui vivent en colonies, que l'on appelle des algues bleu-verdâtres. Elles emmagasinent de grandes quantités d'azote sous forme d'acides aminés, qu'elles décomposent facilement pour les utiliser au besoin. Elles causent l'eutrophication des étendues d'eau stagnante ou très peu mobile. Sous les conditions de sols bien aérés, les microorganismes protègent leurs produits azotés contre le lessivage rapide en les dénitrifiant au stade de l'ammonium que les particules du sol peuvent retenir (45). EFFETS DU MILIEU DE CROISSANCE Le système d'approvisionnement en azote est donc très dynamique et très compétitif entre les microorganismes du sol et les plantes, avec ou sans collaboration de part et d'autre. Pour compliquer davantage, ajoutons maintenant les effets dus aux caprices de la météorologie, de la géographie très compliquée de nos sols, et des composés chimiques variés que l'on trouve dans les apports de déchets organiques (E. W. Russell (R3)). Résumons donc les interactions des acteurs écologiques principaux qui contrôlent le métabolisme de l'azote en nature. • Température Tous les microorganismes responsables de la fixation d'azote, de nitrification ou dénitrification, sont très peu actifs quand la température du sol est de 5° Celsius ou moins. C'est pourquoi, à ce moment là, tout produit azoté d'origine organique ou minérale est délavé facilement s'il y a suffisamment d'eau en mouvement dans le sol. Seul l'ion ammonium (NH4+) pourrait être retenu électriquement par les particules de sol. Le maximum de fixation, réduction ou assimilation a lieu entre Figure 46.4 La surfertilisation en azote provoque une apparence d'un vert très foncé, comme c’est le cas pour ce gazon qui s’est fait asperger d’urine de chien. On remarque aussi qu’aux endroits où il y en a eu une quantité excessive d’urine, le gazon est tout simplement mort. 148 PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 46 20 et 25° Celsius au Québec et dans le nord des États Unis, et jusqu'à 35-40° C dans le sud des États Unis, dû à l'adaptation des microorganismes. Si la température n'est pas favorable à la nitrification, l'oxydation de l'ammonium (NH4+) s'arrêtera au niveau des nitrites (NO2-) toxiques, au lieu d'atteindre celui des nitrates (NO3-). La température du sol peut être affectée par la présence de résidus en semis direct, ou par l'ombre porté des billons permanents ou d'une végétation quelconque. • Humidité La nitrification atteint son maximum quand 50 % des pores du sol contiennent de l'eau. On sait cependant que des microorganismes, comme le Clostridium, fixent l'azote sous les conditions anaérobies avec faible teneur en oxygène et beaucoup d'eau. Par contre, la présence de sel dans l'eau ralentit la nitrification au niveau nitrite (NO2-) toxique, mais la dénitrification y est rapide et peut compenser. L'assèchement des sols au moyen du drainage peut compenser également pendant quelques années. Dans les champs labourés, le séchage et le ré-humectage stimulent la nitrification et l'assimilation de l'azote par les microorganismes. • Apports organiques L'apport de matière organique peu décomposée comme les paillis et compost, les résidus de récoltes y compris les résidus de racines, l'urine ainsi que les lisiers ou fumiers à haute teneur en carbone et urée ralentit et arrête les procédés de nitrification. Tous les herbicides et pesticides appliqués en surabondance réduisent la nitrification. La présence d'ammoniaque (NH3) est toxique et limite la nitrification au niveau nitrite (NO2-). La quantité de produits à haute teneur en carbone stimule les activités des microorganismes qui utilisent et monopolisent beaucoup d'azote à cause du C/N élevé (2, 32). • Le pH du sol Les effets du pH (16, 17, 18) semblent dus à la présence abondante d'ions aluminium (Al) soluble, quand le pH est de 5 ou moins. La nitrification s'opère préférablement sous un pH entre 5 et 7. En bas de 5, c'est la dénitrification et la formation de nitrites qui réagissent avec les acides humiques, les polyphénols (32, 33). Ceci relâche l'azote sous forme de gaz (N2) ou d'oxyde d'azote (NO) dans l'atmosphère. À pH 7 ou plus, ces pertes sont presque nulles. LES SOLS Par leurs propriétés physiques et chimiques très variables, les sols multiplient les interactions entre l'humidité, la température, la quantité et la nature de la matière organique, et le pH. La texture (5) et la structure (6), le degré de compaction (22) et de cimentation du sous-sol affectent sa perméabilité et son régime d'humidité (3, 19) et, conséquemment, la quantité d'oxygène et de CO2 présents dans l'atmosphère du sol (4). VALEUR DES ANALYSES ET RECOMMANDATIONS Avec un tel pedigree, l'azote que l'on détermine dans un sol, quelle que soit la saison, aura toujours une signification limitée pour faire des recommandations. Pour fertiliser en quantité suffisante au moment approprié, il faut minimiser la fertilisation organique. Celle-ci fait partie de tous les engrenages imaginables de la transformation. Il faut connaître les besoins totaux en azote de la plante cultivée et ceux des différents stades de sa croissance (42). Figure 46.5 Il est fréquent de voir apparaître des algues dans les eaux stagnantes qui emmagasinent de grandes quantités d’azote sous forme d’acides aminés. 149 PRODUCTEUR PLUS Les sols et l'agriculture, Gérard Millette Ph.D. Chapitre 46 Les plus grands besoins se font sentir au cours de la croissance végétative. Un excès d'azote au moment de la formation des grains retarderait leur maturité. Il faut surveiller la plante et détecter les signes de déficience sur les feuilles de la base. Il faut ensuite prendre en compte la contribution de chacun des facteurs qui affectent l'absorption de l'azote par la plante et son métabolisme dans le sol. L'application de nitrates en quantité suffisante, au moment opportun pour la plante, sous les conditions écologiques existantes, est préférable. Figure 46.6 Réduisons la fertilisation organique et utilisons de préférence les engrais minéraux. C'est plus facile ainsi de synchroniser l'apport avec les besoins détectés dans chaque champ en culture. RECOMMANDATIONS Nourrir les plantes en azote est excessivement compliqué. Tout le processus varie constamment selon les changements du milieu écologique, c'est-à-dire les plantes, la météo, les microorganismes et les sols. La procédure conseillée est la suivante : 1. Maintenir un bilan des apports des 5 dernières années en lisier, fumier, etc., plus les résidus des plantes et leurs racines, plus les engrais minéraux ajoutés dans chaque champ. 2. Tenir compte des façons culturales, labours, semis direct, billons permanents, qui affectent la température et l'humidité du sol. 3. Déterminer le rapport C/N (2, 11, 32) au printemps et en automne. 4. Connaître les exigences totales de la plante en azote, ainsi que ses besoins aux étapes importantes de son développement, c'est-à-dire durant la croissance végétative, la floraison, la formation des fruits ou des grains, et leur maturation. 5. Surveiller chaque semaine si des signes de carence en azote apparaissent sur les premières feuilles. 6. Connaître la texture dominante des sols de chaque champ et savoir si une couche cimentée ou compacte est présente dans le sous-sol. 7. Prélever un échantillon de l'eau qui s'écoule de chaque champ à chacune des quatre périodes importantes de croissance de la plante. En déterminer la teneur en nitrates. 8. Appliquer les quantités d'azote requises après avoir dressé le bilan des plus, des moins et des besoins. 9. Surveiller le pH et le corriger si nécessaire. 10. Appliquer surtout des engrais minéraux sous formes de nitrates et ne jamais injecter d'ammoniaque gazeuse dans le sol. 11. Après toutes ces précautions, souhaiter que Mère Nature apporte l'eau et la température optimales, au moment opportun. Nous savons depuis longtemps que la luzerne possède la capacité de fixer et d’accumuler des nitrates dans le sol. 150