Les parcs, reflets d`un environnement politique et social

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LIBÉRATION SAMEDI 13 ET DIMANCHE 14 OCTOBRE 2012
COMPRENDRE LE MAG
•
XVII
POINTS DE VUE ET CARTES DU MONDE avec les Editions
Sarek
Banff
Yoho Waterton
Glacier
Mont Rainier
Yellowstone
Sequoia
Yosemite
2012
Kings Canyon
1984
Océan
Engadine
Atlantique
Océan
El Chico
Pacifique
1972
1962
Océan
Période de création
du premier parc national,
par pays ou par région
1945
1933
1914
1872
Indien
Océan
Pacifique
Aucun parc national
Quelques parcs « pionniers »
Océan
Nahuel
Huapi
Sabi Game Reserve (Kruger)
Royal Natal
Atlantique
National Park (Royal)
Mont Buffalo
Tongariro
Promontoire de Wilson
Fiordland
NB : Les espaces représentés ne sont pas nécessairement classés
parcs nationaux dès leur création, mais le deviennent par la suite.
Leur statut de protection antérieur permet ce classement.
Sources : Samuel Depraz, 2008 ; www.protectedplanet.net, 2012.
Les parcs, reflets d’un environnement politique et social
G
éographe et maître de conférences à
l’université de Savoie, Lionel Laslaz travaille sur les régions de montagnes. La
protection de la nature est révélatrice des
sociétés qui la mettent en œuvre. Cette carte
historique des parcs nationaux raconte aussi bien
la domination et la colonisation de l’espace que
le respect de la nature.
Comment apparaissent les premiers parcs ?
La protection de la nature reste un phénomène
récent, même s’il y avait déjà des espaces réservés
avant, comme les réserves de chasse, la protection
des forêts pour l’exploitation du bois. Le premier
parc, le type le plus emblématique d’espace
protégé, apparaît aux Etats-Unis à Yellowstone
[Wyoming, ndlr] en 1872, dans les Rocheuses.
A la même période, d’autres sont établis au
Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en
Afrique du Sud où une réserve est créée dès 1899
qui deviendra le parc national Kruger en 1926.
Le phénomène est essentiellement anglo-saxon
jusqu’au début du XXe siècle.
Pourquoi d’abord chez les Anglo-Saxons ?
Les espaces protégés sont des constructions par
des sociétés qui y projettent un certain nombre de
valeurs, de croyances ou de mythes. Ce n’est pas
un phénomène permanent, c’est une prise de
conscience progressive. Donc, cette protection
se fait selon des critères sociétaux. C’est ce qu’explique un sociologue comme Jean Viard, dans son
ouvrage le Tiers Espace (1990), où il montre le rôle
central de la religion dans ce domaine. Le protestantisme, majoritaire dans l’espace anglo-saxon,
reviendrait à placer l’homme et la nature sur un
pied d’égalité, alors que le catholicisme instaurerait plutôt un rapport de domination de l’homme
sur la nature. C’est une hypothèse qui se vérifie
plus ou moins bien. Par exemple l’Italie, pays du
catholicisme, fut dès 1922 l’un des premiers, après
la Suède protestante, à mettre en œuvre une politique de protection de la nature avec le Grand Paradis. C’est aussi le cas de l’Irlande.
Comment le phénomène s’est-il étendu ?
Certains pays ont hérité d’une conservation de
la nature d’abord par le biais de la colonisation.
Ainsi l’Algérie a-t-elle disposé de ses premiers
parcs nationaux au début du XXe siècle, tandis que
le premier en France n’était inauguré qu’en 1963.
Les Européens ont utilisé leurs colonies comme
«bancs d’essai» de leur politique de protection de
l’environnement, plus facilement mise en œuvre
dans leurs colonies qu’en métropole.
La nature et l’espace interviennent aussi ?
En effet, les politiques environnementales se mettent souvent en place dans des pays relativement
«neufs». Ils ne disposent pas d’un patrimoine historique majeur et surinvestissent dans leur patrimoine naturel. Ils disposent souvent d’espaces très
vastes avec une faible densité humaine, 33 millions
d’habitants au Canada aujourd’hui par exemple,
et bien moins à l’époque de la création des parcs.
La notion de wilderness est typiquement nordaméricaine, elle ne tient pas compte des populations qui ont précédé les Européens sur ces territoires qu’ils considèrent comme «sauvages». Le
plus vaste espace protégé se trouve au Groenland,
la péninsule arabique abrite le deuxième plus
étendu au monde, 640 000 km², supérieur à la
superficie de la France, ce qui peut s’expliquer
aussi par une très faible densité humaine.
Pourtant, certaines régions peu peuplées ont créé
des parcs très tardivement ?
En Asie centrale, les indépendances, qui résultent
de l’éclatement de l’ex-URSS, sont très récentes.
En Afrique, les créations d’espaces protégés se
multiplient après les indépendances ; pour les
nouveaux gouvernements, c’est une façon d’affirmer leur souveraineté et de revendiquer une certaine forme de reconnaissance internationale.
La politique joue donc aussi un rôle ?
Bien sûr, la nature des régimes intervient également, un système autoritaire va parfois sanctuariser un espace pour des raisons économiques, politiques ou ethniques, et cela avec des moyens forts
de coercition. Ces régimes utilisent parfois ce prétexte pour sédentariser des populations nomades
ou, à l’inverse, exclure des populations sédentaires, ce que l’on appelle le «déguerpissement». Un
espace protégé est une création politique.
Recueilli par CATHERINE CALVET
ATLAS
MONDIAL
DES ESPACES
PROTÉGÉS
de LIONEL
LASLAZ,
SAMUEL
DEPRAZ,
SYLVAIN
GUYOT,
STÉPHANE
HÉRITIER.
Cartographie:
ALEXANDRE
NICOLAS
éd. Autrement,
96pp., 19 €.
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