Plantes Kabylie rd1_2

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Photo de couverture : Mahfoud Yanat
Mohand Aït Youssef
Plantes médicinales de Kabylie
Préface du docteur Jean-Philippe Brette
Ibis Press
Paris, 2006
Sommaire
Préface
Etude des espèces identifiées classées par ordre alphabétique
5
11
Liste des espèces non identifiées
333
Bibliographie
334
Glossaire des termes de botanique
339
Glossaire des termes médicaux
341
Liste des plantes citées
342
Liste des informateurs
349
Liste des abréviations
350
Préface
Des thérapeutes, des plantes et des esprits
L’ouvrage rend compte de l’usage des plantes médicinales en Kabylie et propose des éclairages scientifiques
sur ces pratiques traditionnelles. Cependant, ces utilisations thérapeutiques ne peuvent être entièrement
comprises si on ignore les contextes parfois magiques et religieux dans lesquels elles fonctionnent et si on
omet les praticiens qui en sont les acteurs. C’est pourquoi il nous a semblé opportun, en introduction, de
dire quelques mots sur les porteurs de ce savoir traditionnel et sur l’univers dans lequel la thérapie s’inscrit.
Acteurs de la thérapie traditionnelle
En étudiant les acteurs de la thérapie traditionnelle selon les services qu’ils rendent aux diverses communautés humaines de villes et de villages, de tribus et de confédérations, nous avons abouti à recenser cinq
catégories de tradipraticiens en Kabylie (valables probablement en d’autres régions arabophones et berbérophones du Maghreb)1.La plupart de ces acteurs sont des thérapeutes de premier recours pour la population,
avant que celle-ci ne s’en remette (éventuellement) aux mains des «t’bîb», représentants officiels de la science
médicale et pharmaceutique.
El ‘attâr (l’herboriste; le pharmacien; le droguiste-herboriste). On le rencontre sur les marchés
hebdomadaires: il étale devant lui, sur ses nattes, toutes les drogues – végétales, animales, minérales – qu’il
estime nécessaires pour offrir un éventail complet des remèdes propres à guérir ses clients. Il propose des
dizaines de produits extraits du règne végétal (diverses parties séchées de plantes médicinales), ainsi que des
produits qui vont de la fleur de soufre au caméléon desséché. L’achat, qui est une véritable consultation,
avec établissement d’un diagnostic et choix entre plusieurs voies thérapeutiques possibles, s’apparente à une
véritable offre de services sur le plan sanitaire. Le consultant connaissant rarement à l’avance le traitement
dont il devrait bénéficier, el ‘attâr se doit d’être particulièrement expérimenté pour lui offrir les meilleures
chances de guérison… De plus, le patient sait qu’il peut retrouver chaque semaine son thérapeute au même
emplacement sur le marché du village.
L’injebaren (le rebouteux, le redresseur)
Il s’agit le plus souvent d’un homme qui s’apparente au rebouteux des régions rurales de pays présentant
d’autres traditions culturelles.
S’il appartient à une famille maraboutique, son don lui a été transmis par un de ses ascendants (directs
ou collatéraux) et sa lignée se doit dans tous les cas d’être exemplaire…
Il s’occupe des membres fracturés, des entorses graves, des articulations démises. Il peut remplacer le chirurgien orthopédiste, être en mesure de redresser les fractures déplacées, de fabriquer des systèmes de contention (immobilisation des membres fracturés), de poser des attèles… Il s’occupe exclusivement des maux
qui concernent l’appareil locomoteur. On dit de lui: «Sa main est un remède…» (N. Mohia, 1985).
1. Notre propos s’appuie sur les travaux de plusieurs auteurs qui ont recensé plusieurs types de tradipraticiens. N. Zerdoumi,
Enfants d’hier – L’éducation de l’enfant en milieu traditionnel algérien, Domaine maghrébin, Paris, 1970; F. Boiteux, Médecine traditionnelle de l’enfant kabyle, thèse de doctorat en médecine, Caen, 1976; J.-P. Brette Phytothérapie traditionnelle kabyle (...) Bilan de
quinze mois d’observations et d’études sur le terrain, thèse de doctorat en médecine, Paris, 1985.; N. Mohia, La Thérapeutique traditionnelle de la société kabyle, thèse de doctorat en médecine, Paris, 1985; L. Bedon, Contribution à l’étude phytochimique de quinze
plantes de Grande Kabylie, thèse de doctorat en pharmacie, 1996.
5
La qâbla (la sage-femme)
C’est une femme d’âge mûr, déjà mère de plusieurs enfants; elle peut exercer son art jusqu’à un âge avancé.
Elle s’occupe des parturientes, surtout au terme de leur grossesse. Avant la mise en place de maternités en
milieu rural (avec des sages-femmes et accoucheuses agréées et diplômées par l’État algérien), c’est elle qui
accouchait la plupart des femmes.
Elle prend également en charge tous les soins à apporter aux nouveau-nés, aux nourrissons ou aux jeunes
enfants. Possédant une expérience due à l’observation et à l’application de soins sur ses propres enfants, elle
peut faire office de spécialiste des maladies infantiles (infectieuses et autres).
Elle pratique fréquemment des gestes appartenant à différents rituels magico-religieux: faire tourner un
œuf au-dessus de la tête d’un enfant malade, afin d’éloigner l’aÿn, le mauvais œil, maléfice prenant la forme
d’une maladie ou disgrâce envoyée sur l’enfant par une voisine particulièrement jalouse de la beauté et de la
pleine santé de l’enfant (parfois à l’intérieur du même clan, quartier, voire de la part de quelqu’un vivant sous
le même toit). Elle prodigue des massages susceptibles de favoriser une grossesse chez une femme restant trop
longtemps sans enfant (la malédiction de la stérilité féminine… Les cas de stérilité masculine étant, la plupart
du temps, ignorés)
Du fait du développement de la médecine officielle (dispensaires, maternités et consultations de Protection
maternelle et infantile en milieu rural), la place de la qâbla se réduit et son influence paraît diminuer depuis
quelques décennies.
Le m’rabet (plur.: m’rab’tin), la tam’rabet (marabout ou marab’ta); le taleb (plur.: tolba) (le lettré); le
cheîkh (plur.: chouyoukh) ou la cheïkhat’ (le Vieux ou la Vieille, l’Ainé(e), Un(e) qui sait).
Il s’agit d’un personnage auquel on doit un respect tout particulier, en partie au titre de son savoir, mais
surtout au titre de la puissance que lui confèrent ses origines familiales ou tribales. Il est en effet issu d’une
lignée maraboutique et veille à transmettre peu à peu son savoir à certains des siens, parmi les générations
suivantes. Il s’agit assez souvent d’un homme, et d’un lettré, connaissant parfaitement le Coran. Il est (ou est
censé être) dans sa communauté un musulman exemplaire.
À l’inverse, une femme (marabta ou cheïkhat’) peut détenir des connaissances tout en restant parfaitement
illettrée. Son savoir est purement oral, mais la transmission de hîkma ou barâka (puissance issue du sacré) est
toujours de même nature pour les deux sexes et s’effectue toujours de la même façon, génération après génération, pour les gens de lettres comme pour les illettrés.
Sa pratique peut être prophylactique ou thérapeutique.
Selon N. Mohia (1985), le patient n’est en général pas interrogé: il s’agit d’une observation visuelle d’une
durée variable – et non d’une observation clinique au sens où un médecin l’entend – qui va lui permettre de
reconnaître les signes d’une maladie.
Une fois son diagnostic établi, ce tradipraticien traite la personne au moyen (visible) d’amulettes: soit des
versets du Coran, soit des formules magiques connues de lui seul… Il rédige ces écrits sur de petits morceaux
de papier qu’il enferme ensuite dans de petits sachets de cuir qu’il fait porter au malade sur lui en permanence
afin de lui assurer la guérison.
Le professeur Khaled Benmiloud – chef de clinique en psychiatrie – a décrit en 1968, lors d’une conférence
à Alger, le t’âleb ainsi: «Le t’âleb n’interroge pas le patient; à la vue, il reconnaît les signes, définit les troubles
et agit. Il s’emploie à déposséder le consultant, il s’évertue à chasser les jnouns qui l’habitent, par des formules
magiques, par des gestes thérapeutiques. [...] Le t’âleb dialogue avec les jnouns qu’il chasse. À son réveil, le
visiteur ne garde aucun souvenir des pratiques dont il a été l’objet.»
Ces techniques de l’ordre de l’hypnose – dont Benmiloud signalait également la pratique courante en
milieu rural et qui sont liées pour lui au grand nombre de manifestations hystériques traitées efficacement –
ont contribué à la popularité des t’olba, thérapeutes dont le savoir empirique s’applique remarquablement au
long cortège de manifestations d’ordre psychiatrique ou psychosomatique. À propos des nombreux thérapeutes, descendants de lignées maraboutiques en milieu rural ou urbain utilisant des techniques similaires,
6
Dermenghem avait noté que les traditions locales attribuaient à la puissance de ces lointains marabouts et à
celle de leurs descendants deux grands types de guérison:
– guérisons spectaculaires de cas plus ou moins lourds de désordres psychiatriques avérés,
– guérisons ou rémissions de maladies nerveuses de gravité variable telles que spasmophilie et épilepsie.
L’iderwicen ou la seh’h’ara (l’envoûteur-désenvoûteur ou la désenvoûteuse) – parfois qualifiés de arif ou
aarifa, en langue arabe.
Ces thérapeutes traditionnels, qui sont indifféremment des hommes ou des femmes, ont uniquement
recours à la sorcellerie pour soigner leurs patients.Ils possèdent le pouvoir d’envoûter à leur tour l’ennemi de
la personne qui vient les consulter: il s’agit soit de nuire à celui-ci soit de permettre de désenvoûter le patient
– et de lui apporter dans le même temps chance dans ses affaires, travail ou études, et un mariage favorable.
Ces personnes possèderaient aussi le don de prédire l’avenir.
La seh’h’ara, écoutée et estimée, possède un savoir dont on dit qu’il peut être très étendu: elle peut jouer
le rôle de conseillère dans des cas bénins comme dans de graves crises touchant la collectivité. Son pouvoir
lui vient de sa connaissance des ensorcellements et de diverses pratiques magiques.
Condamnés par l’orthodoxie musulmane, l’iderwicen comme la seh’h’ara sont cependant toujours bien
présents dans la vie sociale en Kabylie.
Maux, mauvais œil et génies
Néfissa Zerdoumi écrivit en 1979, à propos des pathologies infantiles prises en charge par les différents
acteurs de soins de santé primaires que nous venons de citer:
«La frontière entre le mal d’origine organique et le mal causé par le mauvais œil (l’‘ayn) ou les génies
(jnoûn) est imprécise; il y a toujours un doute et il est rare qu’à côté des médications spécifiques il ne soit pas
fait appel aux moyens propres à conjurer le mauvais sort.»
Et plus proche encore de l’objet de nos recherches: «Si l’on considère le comportement psychologique de
ces mères, constamment sollicitées par les maux qui atteignent leurs enfants, on s’aperçoit que le t’âleb (guérisseur versé dans le même art que le marabout), la seh’h’ara (magicienne, guérisseuse) et, en dernier ressort,
le t’bîb (médecin) interviennent tardivement dans les soins curatifs; c’est d’abord à la médecine familiale que
la mère a recours, pour soigner son enfant. On craint de rendre public ce que l’on considère comme un coup
du mauvais sort susceptible de réjouir les ‘adiân (envieux, rivaux…). On entoure le mal de mystère, de secret
(sirr) et on essaie de le soigner soi-même [...] Dieu a placé, à côté du mal, le remède à ce mal.»
Les arbres sacrés
Les arbres sacrés ou Génies-Gardiens appartenant au règne végétal furent identifiés par les populations de
Kabylie (et d’autres régions berbérophones du Maghreb) et repérés par certains ethnologues.
En effet, il peut subsister, en maintes régions du monde berbérophone, les traces d’une religiosité antéislamique baptisée par les ethnologues «Culte des intermédiaires» (cf. Dermenghem, Servier, etc.). Ce culte a
pu être observé chez un assez grand nombre de peuples du monde entier.
En Kabylie, les intermédiaires de ce culte sont nommés essasen (pluriel de ‘assâs), «les gardiens» , équivalents
des Sidi el Mokhfi (Monsieur le Caché) de certaines tribus arabisées.
Ils sont les gardiens d’un ordre naturel et surnaturel, intermédiaires entre le monde divin et celui des
hommes, entre le monde des jnoun (c’est-à-dire « gens» ou «génies» ; djinn au masculin singulier, djenia pour
un élément féminin) et celui des saints de l’islam (des personnages depuis longtemps décédés pour la plupart.
Le dernier parmi les plus éminents d’entre eux semblant être le cheikh al-’Alawi de Mostaganem, disparu en
1934).
La présence de ces jnouns ou celle de ces (parfois bien rudes) saints consacrés par la tradition locale (les
ouali, «les proches» de la divinité unique) a ainsi de tout temps pourvu de sacralité certains lieux ou certains
vivants, hommes et femmes ou animaux dits «marabouts» : ces mrabtin, (m’rabet au masculin; mrab’ta au
7
féminin), par exemple, sont ceux dont la lignée est de longue date habitée par cette sacralité, toujours reçue
mystérieusement, comme en héritage, attachée au nom du fondateur d’un clan, d’une localité, d’un village.
Rochers, hauts lieux, sources, lieux consacrés – qoubba (sanctuaires-tombeaux à coupole blanche), cimetières –, bois ou forêts, jusqu’à certains arbres, arbustes, arbrisseaux: tous peuvent incarner cette qualité surnaturelle d’être les gardiens des humains morts ou vivants. Pour ceux qui savent les voir, les entendre, leur
parler – ces témoins muets se réfugiant volontiers dans le mutisme –, ils sont les témoins de la bonne ou
mauvaise conduite de l’humanité qui évolue sous leurs yeux invisibles et multiples (œil: aïnin’, pluriel d’alayn’ qui est aussi le nom arabe de la source).
Ces entités puisent leurs forces à la fois dans le monde naturel et dans l’ordre surnaturel et sont ainsi à la
lisière entre la divinité, le monde des esprits (er-roûh’aniyin’, roûh’aniya) et le monde du vide, de ce vide purement matériel où s’enfoncent les hommes.Elles sont utiles aux humains, car elles disposent d’un pouvoir –
une parcelle de la puissance divine –, bénéfique en général, sur tous les êtres vivants.
Il y a ainsi des arbres vénérés, qui furent consultés ou simplement pris à témoin par tels saints personnages
particuliers – marginaux, craints ou déjà vénérés – au temps proche ou lointain où ils vivaient de ce côté-ci
du monde.
La durée de vie de ces végétaux supérieurs – ligneux, plus ou moins hauts et ramifiés – peut dépasser celle
de la plupart des êtres humains: certains ont ainsi survécu (en premier lieu dans l’imaginaire du peuple) à
leurs prestigieux confidents et alliés. Aux XIXe et XXe siècles, des observateurs ont noté que ces arbres (voire
certains arbustes) – situés dans des endroits retirés, des lieux élevés proches des communautés humaines ou
près de sanctuaires – possédaient un nom propre.Ils avaient été consacrés, faisaient partie d’un lieu consacré
particulier, à l’image du bois sacré entourant les sanctuaires de l’Antiquité grecque archaïque et jusqu’à la
Grèce de l’époque classique.
Selon l’ethnologue Émile Dermenghem (1954), les espèces les plus souvent consacrées dans le nord du
Maghreb sont : en premier lieu, l’Oléastre (variété sauvage de l’Olivier), ou zebboû(d)ja ; le Caroubier
(kharrouba) ; le Figuier (kerma) ; le Lentisque (dhrou). Ensuite et un peu moins fréquemment, le Micocoulier
(tarzaza) ; le Chêne vert ou Yeuse (kerrouch ou bellouth) ; le Genévrier oxycèdre (thaqa) ; le Frêne (derdâr) ;
le Thuya, ou aghagh (ar’ar’) ; le Cassie (bâna ou chouk el bân).
Exceptionnellement: le Cèdre (meddâd), l’Orme (parfois ormeau) (nchem), l’Acacia, le Platane, voire le Lierre.
Comme il est malséant de prononcer – à haute voix – le mot «génie(s) », jinn ou jnoun, on utilise des
périphrases pour les désigner: doûk en-nâs, «ces gens-là» ; nâs el okhrin, «ces autres gens» ; rjal Allah ou aït
Rebbi, «les hommes de Dieu» ou «la tribu de Dieu» ; moual el ardh, «les maîtres (moul: “patron”) de la terre,
du sol» ; rjal el khafiya, «les hommes cachés» ; rouhaniyin, «les esprits» (roûh: «esprit», roûhania: «fantôme,
esprit»)
A propos d’une pierre servant de support aux sacrifices d’animaux domestiques – pierre enserrée par les
racines d’un Caroubier (Ceratonia siliqua L.) – , avait cours un bien curieux proverbe local: «Celui qui met
son intention dans l’arbre et la pierre réussit. »
On dit que Sid el Kebîr (littéralement: Monsieur le Grand, le marabout local) avait coutume de s’asseoir
adossé à elle ou de faire ses ablutions à son sommet. On dit que le moul ez-zebboujât, le Maître des oliviers
sauvages (ou Oléastres), l’ancien génie évidemment, trônait sur cette pierre, attendant Sid el Kebîr auquel il
devait céder la place. À Blida, ville dont Sidi Ahmed el Kebîr passe pour être le saint fondateur, en sortant
du cimetière des marabouts, Dermenghem décrit un second cimetière où tant de Blidéens aiment avoir leur
tombe: à l’ombre de magnifiques zebboujes (Oléastres) centenaires, une tombe basse, fraîchement chaulée,
ornée des lampes antiques, bougies et brûle-parfums habituels, est consacrée à Sidi Charef. De nombreux
chiffons, ex-voto qui chacun correspond à un vœu, à une prière, à une plainte, à une angoisse, pendent des
arbres, dont les pieds ont été passés à la chaux.
Nous avons nous-même pu constater la pérennité de ces rites en Kabylie, près de la qoubba (coupole ou
marabout) dominant de très haut le village de Timezrit – lieu solitaire dominant la plaine et la mer côté nord
8
et la chaîne du Djurdjura côté sud: bouts de laine, lambeaux de vêtements aux couleurs vives étaient accrochés
en permanence aux rameaux de quelques figuiers et autres arbustes de l’endroit, laissant deviner les multitudes
mains anonymes féminines venues ici faire part de suppliques, désirs secrets ou remerciements…
Dermenghem a également relaté une légende qui concerne l’existence mythique du mystique Abou Ya’zâ,
le saint de la montagne berbère, anachorète étrange qui fut sans doute illettré.
« C’était un homme vêtu d’une tunique en poils de chèvre ou en feuilles de palmier nain, coiffé d’une
calotte de joncs. Il était d’apparence timide, mais n’en commandait pas moins, disait-on, aux bêtes
féroces. Sa nourriture ordinaire consistait en fruits, en racines, en herbes, de préférence celles que personne ne mangeait, auxquelles il ajoutait parfois une farine de glands. [...] Durant dix-huit ans, on le
connut sous le sobriquet de Boû Ouanalkout, nom d’une plante dont il se nourrissait, toujours inconnu
et sans attache. [...] Il ne parlait que la langue berbère. Cela le minimisait peut-être aux yeux des lettrés,
mais cela montre aussi que, conformément à l’esprit de l’islam qui n’admet aucune supériorité intrinsèque raciale et ne fait pas de différence entre les croyants, la notion de sainteté était indépendante de
toute hérédité ; la wilaya (c’est-à-dire la proximité avec la Divinité) était une affaire de Dieu, un secret
entre l’âme et son Principe. »
Dermenghem relate l’épisode du lion mis en fuite par cet homme armé de son seul bâton: «Abou Ya’zâ
se mit à manger, comme il le faisait parfois, des bourgeons de laurier-rose. L’un de ses disciples dit alors à un
autre: “Celui qui mange le laurier-rose est capable de mettre en fuite le lion.” »
Nous déconseillons à nos lecteurs de suivre le régime alimentaire d’Abou Ya’zâ, eu égard à la formidable
toxicité de l’ensemble des parties du laurier-rose (voir chapitre Nerium Oleander L.) : résister au laurier-rose,
plus encore qu’au lion, est en fait une des manifestations, une des preuves de la wilaya et de la protection
d’ordre divin dont bénéficiait cet anachorète étrange1.
«Abou Ya’zâ mourut âgé, pense-t-on, de cent trente ans. Son tombeau devint un lieu de pèlerinage où les
vœux étaient exaucés. Ses miracles furent encore plus nombreux, assure-t-on, après sa mort que de son vivant.
[...] C’est surtout sur la foule des humbles avides de faveurs que règne Moulay (ou Maître) Bou Ya’zâ, plus
puissant encore dans sa tombe, puissant sur les deux mondes.»
Les deux mondes sont bien sûr le mode manifesté aux créatures et le monde de l’invisible.
La hiérarchie des saints de l’islam
Citons à nouveau Dermenghem : «En haut de l’échelle, il y a les çoufis proprement dits, initiés parfaits
qui ont réalisé l’union (c’est-à-dire l’adhésion parfaite, fusionnelle, de leur être à la Divinité), mais restent
conscients, guident les autres hommes. Il y a aussi les mejdoûbs (pouvant correspondre au vocable mejnoun,
signifiant “le fou”, “l’aliéné”), complètement submergés, qui ont subi l’attrait, la jadba, au point de n’en être
plus que les jouets passifs. On donne ce nom autant à d’authentiques mystiques aux impulsions incontrôlées
qu’à de simples faibles d’esprit.
[...] D’une façon générale, le saint est le walî, celui qui est proche de Dieu. [...] El walî, l’Ami, est un des
noms d’Allah. [...] La baraka peut signifier la force miraculeuse, presque physique, le borhân (c’est-à-dire: la
preuve) qu’on lui attribue et dont il fait profiter l’implorateur intéressé.» À propos du rapport ancien entre
ces saints de l’islam et les génies disséminés (sorte de personnification – si l’on peut dire – des forces de la
nature) : le saint ne vit pas seulement en harmonie avec la nature, il ne commande pas seulement aux animaux,
mais aussi aux génies. Nous le retrouvons donc, surajouté naturellement, dans les lieux saints hantés par les
forces mystérieuses. Les inscriptions [...] indiquent des lieux de pèlerinage à des génies locaux auxquels ont
succédé des saints musulmans.»
A défaut de la succession d’un saint au génie maître du lieu, on a pu observer quelques cas d’identité
parfaite entre le saint obscur et un génie caché derrière le nom de ce prétendu saint. Dermenghem relate:
1. Il faut savoir que le lion, comme le serpent, est un symbole de la vertu. Il peut, aux yeux de certains croyants, être une des formes revêtues par ces hommes passant pour saints ou par des génies.
9
«Les maîtres de certains lieux ne dissimulent aucunement leur qualité de génies. Tel est le cas, entre autres,
de Sidi Mîmoûn l-eghiâm (Monseigneur le Chanceux des brumes) dans la Mitidja (en Algérie) ou de Sidi
Chamharouch dans le Haut Atlas.»
À propos d’un de ces personnages, circule cette légende: un des Sept Rois des Génies s’islamisa dès le
temps du Prophète, particulièrement lettré, devint cadi des jnoun (génies). Il ne mourut que dans les dernières
années du XIXe siècle.
Durées de vie fabuleuses… qui ne sont pas sans rappeler la longévité de certains végétaux supérieurs –
certains arbres présents dans toute l’Afrique du Nord, tels le Cyprès méditerranéen ou le Chêne vert (la durée
maximale de la vie d’une yeuse approche mille ans).
Le végétal, lien mystique
La liste des arbres consacrés fournie par Dermenghem comprend un grand nombre d’arbres à la longévité
importante; l’être humain semble avoir été de tout temps fasciné par cette faculté que possèdent certains
végétaux supérieurs (arbres, arbustes) de survivre à sa propre existence – une vie qu’il juge souvent, plus ou
moins consciemment, dérisoirement brève…
Citons le commentaire pertinent de Dermenghem aux textes berbères Les gardiens (Ibla, 1949) : « L’idée
morale surajoutée à la donnée animiste serait que l’homme, qui ne possède rien en propre, n’est qu’un propriétaire de circonstance, un locataire étroitement surveillé.»
D’où l’interprétation qui suit, donnant un sentiment de vertige au même observateur: «L’arbre sur le
mont est, par excellence, un trait d’union mystique entre le ciel et la terre. »
Docteur Jean-Philippe Brette
10
Aceras anthropophorum (L.) Ait.
(= Aceras anthropophora Rob. Brown)
&
Orchis simia Lamk. (Orchis militaris L. ssp simia Lam.)
(= Orchis tephrosanthos Vill., B. & T.)
&
Orchiceras bergoni (Nant.) Camus
(hybride = Aceras anthropophorum (L.) Ait. x Orchis simia Lamk.)
Aceras anthropophorum (L.) Ait.
(= Aceras anthropophora Rob. Brown)
argaz i‘ellaq
«Des deux tubercules d’argaz i‘ellaq, on jette le fripé et on garde le jeune. On en fait une décoction et, à partir du décocté,
une crème qui est un traitement antigoutteux externe.
On peut aussi, avec le décocté du tubercule jeune, ou avec la crème fabriquée à partir de lui et qu’on associe à des parties
aériennes ou à des feuilles d’azegduf – ortie –, faire des cataplasmes pour les problèmes de rhumatismes et de goutte.
Le remède pour traiter les rhumatismes est préparé avec le tubercule jeune d’argaz i‘cellaq – “homme pendu” –, les fleurs
de cinkurat – ivette –, et les fleurs et les feuilles – ou même le fruit qu’on aura débarrassé de son enveloppe – de hantal
– coloquinte.
D’abord, et après avoir jeté le vieux tubercule fripé d’argaz i‘ellaq – celui de l’an passé –, on garde le jeune, lisse – celui
de l’année –, et on l’épluche; on prend sur deux plantes, deux tubercules jeunes qu’on débarrasse de leur enveloppe, et
qu’on écrase.
Ensuite, on prend 5 ou 10 grammes, ou même 100 grammes, peu importe, de fleurs jaunes de cinkurat ! On les écrase
bien et on ajoute du gras – du suif – ou du jaune d’œuf, quelque chose de huileux et de visqueux, et on ajoute un verre
ou deux de farine (d’orge ou de blé dur).
Enfin, l’Ìantal, la coloquinte, qui est très dangereuse: on prend soit son fruit débarrassé de son enveloppe, soit ses fleurs
et ses feuilles; on écrase l’un ou les autres et l’on mélange à la préparation précédente.
Le fruit de l’Ìan†al peut rester pendant deux mois dans un certain état de fraîcheur, de même que ses feuilles et ses fleurs.
Et j’ai oublié de dire que toutes les parties des deux autres plantes doivent être utilisées de préférence quand elles sont
encore fraîches.
Le mélange forme une sorte de pâte qu’on applique cinq ou six fois dans la semaine sur les articulations douloureuses. En
général, ce traitement concerne surtout les grosses articulations comme les chevilles, les genoux, les épaules, les coudes, les
poignets, mais aussi, un peu, la colonne vertébrale, par exemple pour les rhumatismes du cou, qui sont très douloureux… »
Amar HAMANACHE, tradipraticien-herboriste,
Tahchat-M’Kira, Grande Kabylie, printemps 1992.
Notes: ortie: voir Urtica urens L. – Cinkurat, ou ivette: voir Ajuga iva (L.) Schreb.– Ìan†al, ou coloquinte: voir Citrullus colocynthis Schrad.
Noms habituels
Arabe: argaz i‘ellaq i‘ellaq (Algérie, Gr. Kabylie: TahchatM’Kira [BRETTE, 1992]) ; faham (Algérie [FOURMENT et
ROQUES, QUÉZEL & SANTA]).
Français: homme pendu; pantine; faham d’Algérie; faham;
ophrys homme (pour la plante). Thé de Bourbon; thé de la
Réunion; thé de Maurice (pour l’infusé de feuilles).
La plante et son habitat
L’espèce Aceras anthropophorum L. appartient au genre
botanique Aceras R. Br. et à la famille des Orchidacées, ou
Orchidées. Elle est répartie dans l’aire atlantique et méditerranéenne. En Algérie, souvent dénommée faham, elle
est commune dans le Tell, mais rare sur les Hauts Plateaux
de l’Atlas saharien. On la trouve surtout dans les broussailles et les forêts [NFAlg].
C’est une plante herbacée vivace, haute de 10 à 40 cm. Les
parties souterraines comportent deux tubercules arrondis,
ovoïdes. La tige fait 10 à 40 cm de haut. Les feuilles sont,
pour certaines, basilaires et, pour les autres, caulinaires. Elles
sont glabres, souples et larges (sèches, elles sont minces, plus
ou moins recroquevillées et portent des plicatures) ; elles sont
bien développées et très allongées, arrondies à leur extrémité
et insensiblement atténuées à leur base. Elles sont marquées
d’une nervure médiane assez proéminente. Sèches, elles sont
de couleur fauve (jaune-roux). Elles ont une odeur et une
saveur de coumarine sur le sec (odeur et saveur de foin coupé).
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L’inflorescence est en épi très long, étroit et assez dense, pouvant dépasser 20 cm. La fleur est petite et comporte six divisions irrégulières; elle est de couleur verdâtre, bordée de rouge.
Le périanthe est à tube soudé à l’ovaire. Le calice et sa corolle
sont particuliers: sépales et pétales sont connivents les uns avec
les autres, nettement rabattus «en casque» ; ils sont pareillement rayés de rouge. La corolle possède un labelle, ou tablier,
pétale supérieur – d’aspect très particulier – présent dans la
fleur de toutes les espèces de la famille des Orchidées. Ce
labelle est plan et dirigé vers le bas, non éperonné et il fait de
8 à 10 mm de long; il est divisé en quatre lobes linéaires (en
fait, deux lobes latéraux et un lobe médian profondément
fendu). Il est décrit comme profondément trifide (fendu en
trois) : ses deux lobes latéraux sont parfaitement linéaires; son
lobe médian est d’abord linéaire, puis devient profondément
bifide; l’ensemble ressemble alors à un homme pendu (d’où
le nom vernaculaire donné à cette espèce). L’étamine est à filet,
et son anthère est biloculaire. L’étamine et le style sont soudés
en une pièce unique – une colonne: le gynostème. Celui-ci
est court. Le pollen est réuni en deux masses, ou pollinies, portées par un pédoncule ayant à sa base deux glandes distinctes,
ou rétinacles, celles-ci étant renfermées dans un repli du stigmate, une petite bourse unique, nommée «bursicule», à un
rétinacle. L’ovaire est situé sous le périanthe et est généralement contourné, tordu.
La récolte des feuilles s’effectue, en Algérie, durant l’été.
L’espèce Aceras anthropophorum L. peut s’hybrider avec
l’espèce Orchis simia Lamk. pour donner un Orchiceras
nommé Orchiceras bergoni (Nant.) Camus, que l’on trouve
à Tizi Ouzou et dans ses environs.
(NFAlg; RPMAA; PMM)
Orchis simia Lamk. (Orchis militaris L. ssp simia Lam.)
«Singe ou militaire ? Ici, je lis Orchis simia, et là Orchis militaris, et, non, vraiment, je ne vois pas un militaire ! Cette
plante me fait plutôt penser à un singe, avec ses “testicules” petits, le fripé et l’autre… Et la “lèvre inférieure de la corolle”,
comme tu l’appelles, ça vous fait vraiment penser à un petit singe, un qui n’a aucune méchanceté et qu’on voit parfois
en passant par les gorges de Kherrata… mais ce “singe en plante”, il est plus petit encore et il a deux longs bras roses…
[...] Regarde mon livre, il y en a de très belles, de ces orchidées… Pourtant, les plus belles sont en dehors du livre. Tu te
souviens que Roumî a demandé: “Sans le parfum de ‘werd’ – de rose –, que sentirait le mot de ‘werd’ ?”
Dans ces plantes qui sont dans la famille – ou la tribu – des orchidacées, il y a celle qui a sur sa lèvre la lettre grecque
omega inscrite en haut, le miroir de Vénus, la bécasse, le fer à cheval bleu, celle qui a des chaussons noirs avec un miroir
rose en demi-lune, l’araignée, portant la lettre H qui est deux fois barrée, l’araignée noire aux chaussons noirs (avec deux
lignes en argent dessus), le bombyx, le bourdon, la guêpe, l’abeille (sur sa lèvre est inscrit un grand omega et elle a les
couleurs brun, rouge, jaune, blanc…), et, à part ces hommes pendus que je n’aime pas beaucoup, il y a encore “le bouc,
le singe, le bouffon”.»
Mohand, dit «EL ‘ATTAR », taleb et écrivain public itinérant,
Larbaa-n-Ait Iraten, Grande Kabylie, printemps 1992
Notes: – La famille des Orchidées ou Orchidacées est représentée en Algérie par 48 espèces appartenant à 14 genres botaniques différents,
qui sont: Ophrys L., Orchis L., Serapias L., Aceras R. Br., Hymanthoglossum Spreng., Anacamptis L. C. Rich., Platanthera L. C. Rich., Gennaria
Parl., Neotineas Rchb., Epipactis Zinn, Cephalanthera L. C. Rich., Limodorum Boehmer., Spiranthes L. C. Rich., Neottias Sw. – voir NFAlg
(espèces nos 596 à 643).
– L’allusion aux petits testicules concerne les parties souterraines de la plante.
Noms habituels
Arabe: l-Ìayya wa l-mayta, «la vivante et la morte» (Maroc
[BELLAKHDAR]), pour Orchis militaris L., Orchis morio L. ou
d’autres espèces des genres Orchis L. ou Ophrys L.; l-Ìayya wa
l-mayta (Tunisie [BOUKEF, 1986]), pour diverses espèces des
genres Orchis L. ou Ophrys L.; ◊uÙÙâ e†-†a’leb, «testicules de
renard» ; ÌuÙÙâ l-kelb, «testicules de chien» (Maroc [BELLAKHDAR]), pour Orchis militaris L., Orchis morio L. ou
d’autres espèces des genres Orchis L. ou Ophrys L.; saÌlab; sa’lab
miÙrî (Égypte [SALAH AHMED, HONDA & MIKI, 1979]),
pour les tubercules d’Orchis mascula L.; sa’lab misrî; sa’lab
(Pakistan [KHAN USMANGHANI, HONDA & MIKI, 1986]),
pour les tubercules d’Orchis mascula L. ou Orchis latifolia L.;
salep-e miÙrî (Afghanistan [YOUNOS, FLEURENTIN, NOTTER,
MAZARS, MORTIER & PELT, 1987]), pour les tubercules
d’Orchis latifolia L.; saÌlep; saÌlab (Syrie – HONDA, MIKI &
SAITO, 1990), pour les tubercules de diverses espèces d’Orchis
L.; saÌlep; saÌlab (Turquie [BASER, HONDA & MIKI, 1986]),
pour les tubercules de diverses espèces d’Orchis L. (Selon BELLAKHDAR, le mot saÌlab proviendrait du mot arabe †a’leb –
«renard» ; il serait employé par les Turcs pour abréger l’expression ÌuÙÙâ e†-†a’leb).
Turc: tilki tasaµi; husyet-ül-sal’eb; husyet-ül-kelb (Turquie
[NICOLAS, 1997]), pour les tubercules de diverses espèces
du genre Orchis L.
Recherches BELLAKHDAR
Arabe: buzaydân; bûzaydân magribî; hossat l-kelb; hussat
et-ta’leb; qatel â◊iÌ [IBN AL-BAYTAR, art. nos 801, 802,
1733], [’Umdat a†-†abîb’Umdat a†-†abîb, art. nos 753,
2046], [AL-WAZIR AL-GHASSANI, art. nos 56, 345] [TuÌfat al-ahbâb, art. nos 80, 419, 420], [ABDEREZAQ, art.
no 916], pour diverses espèces des genres Orchis L. ou
Ophrys L.; al-Ìayy wa al-meyyet; saÌleb [ABDEREZAQ, art.
no 916], pour diverses espèces des genres Orchis L. ou
Ophrys L.
Français: orchis singe; orchis, pour Orchis simia L.; orchis
(du grec orkhis: «testicule»), pour diverses espèces d’Orchis
L.; salep; satyrion, pour les tubercules (ou pour toute la
plante) de diverses espèces d’Orchis L. ou d’Ophrys L.
12
La plante et son habitat
Orchis simia Lamk. (= Orchis tephrosanthos Vill., B & T.)
appartient au genre botanique Orchis L. et à la famille des
Orchidacées ou Orchidées.
Cette plante herbacée vivace est répartie dans l’aire eurasiatique. En Algérie, elle est assez rare en Grande Kabylie,
sur le littoral de l’Algérois et dans l’Atlas tellien de l’Algérois. On l’y trouve surtout dans les broussailles, les pâturages et les forêts.
Les parties souterraines comportent deux tubercules, dont
un devient plus ou moins flétri à l’anthèse. Les feuilles sont,
pour certaines, radicales et, pour les autres, peu nombreuses,
caulinaires; les marges de ces feuilles sont non ondulées.
L’inflorescence est en épis ou en grappes spiciformes. Les
bractées florales sont plus ou moins développées. La fleur est
sessile ou très brièvement pédonculée. Le périanthe à six divisions irrégulières est coloré, à tube soudé à l’ovaire. Le calice
a trois sépales dirigés vers le haut de la fleur et qui forment
un «casque» ; ces sépales sont soudés jusqu’au milieu. La
corolle est à trois pétales: deux latéraux et un, supérieur et
médian, plus grand que les deux autres, le labelle, ou tablier
(présent dans la fleur de toutes les espèces d’Orchidées). Ce
labelle est plan et dirigé vers le bas – par torsion de la fleur –,
sa base est sans callosités; il fait de 0,5 à 1 mm de large; il a
des divisions toutes linéaires et il est éperonné (éperon qui est
Récolte des tubercules et la fabrication du salep en Turquie
[communication personnelle de Michèle N ICOLAS à
BELLAKHDAR] : les tubercules de diverses espèces des genres
Orchis L., Ophrys L., Anacamptis L. C. Rich., Barbia, Dactylorhiza, Himanthoglossum Spreng. ou Serapias L. sont récoltés
en Turquie dans les prés; pour obtenir un kilo de tubercules
frais, il faut arracher 250 plantes. Les tubercules, nettoyés à
grande eau, sont bouillis et séchés au soleil sur des draps. Il
existe plusieurs sortes commerciales de salep suivant les espèces
et les régions de production. Ce salep y est fréquemment falsifié par de la fécule (de pomme de terre) et autres amidons.
Dix-sept espèces du genre Orchis L. sont présentes en Algérie et dans d’autres pays du Maghreb.
– Orchis simia Lamk.
– Orchis sulphurea Link. (= Orchis pseudosambucina Ten.),
espèce eurasiatique. En Algérie, elle est assez rare en
Grande Kabylie, en Petite Kabylie, dans l’Atlas tellien de
l’Algérois: il s’agit de la variété var. markusii (Tineo) M.;
on la trouve surtout dans les pâturages, les broussailles et
les forêts de montagne.
– Orchis maculata L., espèce européenne. En Algérie, elle
est très rare en Petite Kabylie, il s’agit de la sous-espèce
ssp. baborica M. et W.; on l’y trouve surtout dans les lieux
humides des montagnes.
– Orchis elata Poiret, espèce sicilienne. En Algérie, elle est
assez commune dans le Tell de l’Algérois et du Constantinois: il s’agit de la sous-espèce ssp. munbyana (B. & R.)
Camus; elle est rare dans l’Atlas tellien de l’Oranais – dans
les monts de Tlemcen – où il s’agit de la sous-espèce
ssp. durandii B. & R.; on l’y trouve surtout dans les prairies
marécageuses et au bord des eaux.
– Orchis papilionacea L. (dite «orchis papillon»), espèce
méditerranéenne. En Algérie, où elle est souvent nommée
ouar er fertettou, elle est assez rare dans le Tell et dans l’Atlas
saharien du Constantinois – Aurès compris – et dans le Tell
du Constantinois – à Bellezma; on l’y trouve surtout dans
les broussailles et les pâturages.
– Orchis morio L. (= Orchis longicornu var. tlemcenensis Batt.;
dite «orchis bouffon» ou «orchis peint»), espèce eurasiatique.
En Algérie, elle est rare dans la zone littorale de l’Oranais – à
Nemours, Beni Saf – dans l’Atlas tellien – à Tlemcen: c’est la
sous-espèce ssp. picta (Lois) Asch. & Gr.; on l’y trouve surtout
dans les broussailles, les pâturages et les forêts.
– Orchis longicornu Poiret, espèce européenne occidentale. En
Algérie, elle est souvent nommée hafer mohera, et est assez
commune dans le Tell et rare en Oranie; on l’y trouve surtout
dans les broussailles, les pâturages et les forêts.
– Orchis coriophora L. (dite «orchis punaise»), dont deux
sous-espèces sont présentes en Algérie: l’une, européenne
– ssp. martinii (Timb.) Camus – comme l’autre, méditerranéenne – ssp. fragrans (Poll) G. Camus –, sont présentes
dans le Tell; on les trouve surtout dans les broussailles, les
pâturages et les forêts.
– Orchis tridentata Scop. (dite orchis dentelé), espèce eurasiatique. En Algérie, elle est assez commune dans le Tell: c’est
la sous-espèce ssp. lactea (Poiret) Rouy; on la trouve dans les
broussailles, les pâturages et les forêts.
– Orchis purpurea Huds. (= Orchis fusca Jacq.; dite «orchis
pourpre»), espèce eurasiatique. En Algérie, elle est rare dans
l’Atlas saharien du Constantinois – Aurès compris; on la
trouve surtout dans les forêts et les broussailles.
– Orchis italica Poiret (= Orchis longicruris Link.), espèce
eurasiatique. En Algérie, elle est présente dans le Tell; on la
trouve surtout dans les broussailles, les pâturages et les forêts.
– Orchis collina Soland. (= Orchis saccata Ten.), espèce eurasiatique. En Algérie, elle est rare sur le littoral et l’Atlas tellien de l’Algérois, dans la zone littorale, les plaines littorales
et l’Atlas tellien de l’Oranais; on la trouve dans les broussailles, les pâturages et les forêts.
– Orchis patens Desf., espèce européenne. En Kabylie, elle
est assez rare en Grande Kabylie, en Petite Kabylie, sur le
littoral et l’Atlas tellien de l’Algérois, dans la zone littorale
de l’Oranais – à Oran: il s’agit de sa variété var. fontanesii
Rchb.; on la trouve dans les forêts claires, les broussailles
et les pâturages.
– Orchis mascula L., espèce eurasiatique. En Algérie, deux
sous-espèces en sont présentes: ssp. eu-mascula M. est assez
un prolongement en cornet effilé du calice ou de la corolle) –
cet éperon étant ici bien développé. L’étamine est à filet et
l’anthère est biloculaire. L’étamine et le style sont soudés en
une pièce unique – une colonne, le gynostème, qui est court.
Le pollen est réuni en deux pollinies portées par un pédoncule
ayant à sa base deux glandes distinctes – ou rétinacles – renfermées dans un repli du stigmate, nommé «bursicule» ; cette
bursicule est bilobée. L’ovaire est tordu.
Orchis simia Lamk. s’hybride assez fréquemment avec Aceras anthropophorum (L.) Ait. pour donner un Orchiceras
bergoni (Nant.) Camus, que l’on trouve à Tizi Ouzou et
dans ses environs.
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commune dans le Tell; ssp. olbiensis (Reut.) Asch. & Gr. est
assez rare dans le Tell, dans les Aurès, à Bellezma; on la trouve
surtout dans les broussailles, les forêts et les pâturages.
– Orchis provincialis Balbis. (dite «orchis de Provence»), espèce
européenne. En Algérie, elle est rare en Kabylie, en Numidie
– à Bône, à Edough –, dans l’Atlas tellien de l’Algérois – Atlas
de Blida: il s’agit de la variété var. laeta (Steinh.) M. & W.; on
la trouve surtout dans les pâturages et les forêts.
– Orchis palustris Jacq., espèce eurasiatique. En Algérie, elle
est rare sur le littoral de l’Algérois – à Fort de l’Eau, dans la
Mitidja, à Castiglione: il s’agit de la variété var. méditerranea
(Guss.) On la trouve surtout dans les prairies marécageuses.
– Orchis laxiflora Lamk. (dite « orchis à fleurs lâches »),
espèce eurasiatique. En Algérie, présente à Maison Carrée
et La Rassauta (présence douteuse, selon R. MAIRE). On
la trouve surtout dans les prairies marécageuses.
• En Algérie, on trouve également deux hybrides entre
espèces de ce genre Orchis L.:
– hybride X Orchis bornemanniae Asch. = Orchis papilionacea X Orchis longicornu Asch. & Gr., qu’on trouve à El
Affroun, Teniet, dans le Zaccar de Miliana, en Kabylie, dans
la forêt d’Afir – dans les monts de Tlemcen.
– hybride X Orchis bornemanni Asch. = Orchis longicornu X
Orchis papilionacea, qu’on trouve à El Affroun et à Teniet.
(NFAlg, p. 229-233; PMM, t. II, p. 87; C&R, p. 302-306; BELLAKHDAR, art. no 362, p. 406-407)
Usages traditionnels décrits dans le monde maghrébin et en d’autres pays
Feuilles de l’espèce Aceras anthropophora Rob. Brown.
Les feuilles étaient employées en Algérie comme remède
sédatif et diaphorétique (ou sudorifique) et pour leurs propriétés aromatiques [FOURMENT et ROQUES].
Elles sont employées en Inde, à l’île Maurice, à l’île de la
Réunion et à Madagascar, en infusé, boissons souvent
nommées «thé» et réputées sédatives [BELLAKHDAR].
Tubercules de diverses espèces des genres Orchis L. ou
Ophrys L.
Ces tubercules – les plus couramment récoltés et mis à disposition par les droguistes du Maroc étant Orchis militaris L.
et Orchis morio L. – sont employés dans ce pays surtout dans
les pratiques magiques: les tubercules «morts» – flétris – sont
utilisés pour rendre un homme impuissant tandis que les
tubercules «vivants» – de l’année – sont utilisés, au contraire,
pour lever les sortilèges qui visent à rendre un homme
impuissant [BELLAKHDAR].
Les tubercules de diverses espèces des genres Orchis L. et
Ophrys L. sont employés en Tunisie, un peu partout dans
le pays, en usage interne, jouissant d’une grande réputation
en médecine traditionnelle: le tubercule «évidé» – flétri –
, une fois consommé, passe pour avoir un effet anaphrodisiaque (provoquant l’impuissance sexuelle de l’homme,
généralement causée par un trouble de l’érection), tandis
que la consommation du tubercule «plein» – de l’année –
est réputée pour permettre de lever cette situation
d’impuissance [BOUKEF].
Les tubercules de diverses espèces des genres Orchis L.,
Ophrys L., Anacamptis L. C. Rich., Barbia, Dactylorhiza,
Himanthoglossum Spreng. ou Serapias L. sont récoltés en
Turquie pour obtenir le salep: ce salep est employé pour la
fabrication des loukoums et des glaces, avec de la gomme
mastic; en hiver, il est servi en boisson lactée chaude saupoudrée de cannelle [communication personnelle de
Michèle NICOLAS à BELLAKHDAR ].Les tubercules de
diverses espèces voisines des espèces O. militaris L. et O.
morio L. utilisées au Maroc – sont employés en Égypte, en
Turquie et en Syrie pour obtenir le sahlab des livres arabes
de médecine (ou satyrion des Anciens), sorte de tapioca
dont les effets présumés en usage interne sont d’être reconstituant et aphrodisiaque (produit célèbre auprès des tradipraticiens lettrés du Maroc, mais dont les usages n’ont pu
être retrouvés dans ce dernier pays) [BELLAKHDAR].
(RPMAA, p. 31; BOUKEF, art. no 022, p. 50; BELLAKHDAR, art. no 362, p. 406-407)
Recherches de preuves pharmacologiques
Les feuilles d’Aceras anthropophora Rob. Brown. et de diverses espèces des genres Orchis L. et Ophrys L. développent
par dessiccation une odeur agréable due à la présence d’un glucoside, la boroglossine, qui s’hydrolyse en donnant
de la coumarine – principe actif anticoagulant (à activité anti-vitaminique K) bien connu.Les tubercules de diverses
espèces des genres Orchis L. et Ophrys L. seraient surtout caractérisés par leur richesse en amidon et en mucilage.
Ces tubercules peuvent servir à la préparation de gelées fortifiantes.
(PMM, t. II, p. 87; BELLAKHDAR, art. no 362, p. 406-407)
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