Quel dialogue avec le judasme cherchons-nous

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Déclaration du Conseil synodal
sur les relations avec le judaïsme
Oui, je souhaiterais être anathème, être moi-même séparé du Christ pour mes
frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont les Israélites, à qui
appartiennent l'adoption, la gloire, les alliances, la loi, le culte, les promesses et
les pères, eux enfin de qui, selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de
tout, Dieu béni éternellement. Amen.
Par rapport à l'Evangile, les voilà ennemis, et c'est en votre faveur ; mais du
point de vue de l'élection, ils sont aimés, et c'est à cause des pères. Car les dons
et l'appel de Dieu sont irrévocables.
Romains 9/3-5 et 11/28-291
PREAMBULE
Dans le canton de Vaud, les relations que les Eglises ont entretenues avec les
juifs n’ont pas été différentes de celles du reste de l'Europe, même si l'histoire de
cette région n'a pas été marquée aussi durement que d'autres par des actes de
violences, probablement parce que la population juive n'y a jamais été très
importante. Dans l'esprit des ghettos, volonté de regroupement autant que
d'exclusion, la ville d'Avenches a été choisie en 1817 pour abriter la communauté
israélite du canton. Une synagogue y a été bâtie. Entre cette époque et 1917,
des communautés s'organisent dans d'autres villes : Lausanne, Yverdon, Vevey
et Montreux. La seule synagogue est, à l’heure actuelle, celle de Lausanne
construite au XIXème siècle.
En 2000, 2062 juifs étaient recensés dans le canton de Vaud.
C'est essentiellement après 1945, à la suite de la shoah, qu’un dialogue
constructif entre chrétiens et juifs s'est imposé comme une nécessité. La
conférence de Seelisberg [2] avait amorcé un processus de prise de conscience
et de repentance qui n'est pas encore totalement achevé. Pour les Protestants, le
document « Eglise et Israël » adopté en 2001 par l'assemblée générale de la
CEPE (Communion d'Eglises Protestantes en Europe, anciennement « Concorde
de Leuenberg ») est une étape importante de ce processus. Au niveau
œcuménique, la Charte signée en 2001 par la Conférence des Eglises
Européennes et le Conseil des Conférences Episcopales Européennes engage
résolument les Eglises à combattre toutes les formes d'antisémitisme et
d'anti-judaïsme dans l'Eglise et la société ; à rechercher et intensifier, à
tous les niveaux, le dialogue avec le judaïsme.
L'EERV a des relations institutionnelles avec la communauté juive depuis 1990 au
travers d’un groupe de travail nommé par le Conseil synodal avec le mandat
suivant : proposer un matériel didactique qui témoigne d'une estime mutuelle
entre le christianisme et le judaïsme, alerter les responsables des Eglises et de la
Communauté juive sur des questions d'actualité qui les concernent, veiller au
discours tenu dans les Eglises à propos du judaïsme et favoriser une meilleure
1
connaissance de la tradition juive dans les Eglises, et de la tradition chrétienne à
la Synagogue. L'ouverture de la « Maison de l'Arzillier » en 1995 a permis
d'intensifier les contacts œcuméniques et interreligieux.
Depuis 2003, la Constitution vaudoise mentionne la communauté israélite
comme institution d'intérêt publique. Dès 2009, un Conseil tripartite (Eglise
Réformée, Eglise catholique et Communauté israélite) a comme la tâche de
contribuer à une meilleure connaissance réciproque des communautés
religieuses, soutenir les institutions dans leur lutte contre toute forme
d'antisémitisme, entretenir des relations avec les groupes et institutions
similaires en Suisse et dans le Canton, produire des publications et organiser des
manifestations.
NOS CONVICTIONS
1. En comparaison de celles qui nous lient aux autres religions nonchrétiennes. Nos relations avec le judaïsme sont tout à fait spécifiques.
Nous sommes issus de la même « racine » (Ro 11/17). Jésus était juif. Avec
les juifs, nous confessons le Dieu qui fait Alliance, qui appelle, qui se révèle
au travers des Ecritures et qui nourrit notre espérance par la prophétie et
l'attente messianique. Nous prions les mêmes psaumes. La toute première
communauté chrétienne était composée en grande majorité par des juifs.
2. Comme le fait la grande majorité des Eglises chrétiennes, entre autre l'Eglise
catholique romaine par la déclaration de Concile Vatican II1, l'EERV rejette le
principe longtemps professé qu'Israël a été « déshérité »,
« remplacé » ou que l'Eglise se « serait substituée » à Israël. Si le
peuple chrétien a cru être le « nouvel Israël », c'était à la suite d'une fausse
interprétation des textes bibliques. L’idée selon laquelle Dieu aurait rejeté son
peuple a justifié, tout au long de l'histoire de l'Eglise, les pires persécutions,
partant de l'accusation de « meurtriers du Christ », un des éléments qui a
conduit à l'antijudaïsme meurtrier, et donc à la shoah. Il est évidemment
impossible d'envisager un dialogue dans un tel état d'esprit. La
reconnaissance de cette erreur d’interprétation est une condition préalable au
dialogue, sur le plan théologique comme sur le plan humain.
3. Israël et l'Eglise ont leur référence dans le Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu
de Jacob (Ex 3/6, Ac 3/13) et attestent d'une même attente messianique.
Ayant même origine et même aboutissement, l'Eglise et Israël ne
s'excluent pas, bien que l'attente de l'un est plus axée sur l'engagement
éthique et celle de l'autre sur la conviction que Jésus de Nazareth a accompli
la loi (Ro 8/3-4) et a inauguré le Royaume de Dieu en devenir.
4. Le « peuple de Dieu » reste unique et singulier. La rupture entre les
juifs reconnaissant la messianité de Jésus et les juifs qui l'ont refusée est une
division au sein d'un même peuple. L'Eglise « pagano-chrétienne » que nous
sommes, née de la prédication apostolique, est, par grâce, greffée à ce
peuple unique. Les chrétiens sont peuple de Dieu « en Jésus-Christ », luimême pleinement juif.
5. Le message évangélique est universel, mais régulièrement les apôtres
rappellent qu'il a été adressé aux juifs d'abord et qu'il est issu de la foi juive
(Ac 3/25-26, 10/34-36, 13/23 & 46, etc.). Et quand Jésus ouvre la
Samaritaine à l'adoration « en Esprit et en vérité », il rappelle que « le salut
1
« Nostra Aetate »
2
vient des juifs » (Jn 4/22). L'Eglise doit en tenir compte lorsqu'elle témoigne
de sa foi.
6. Dieu n'a pas révoqué son alliance avec Israël (Ro 11/1). On peut
discerner trois types d'alliances dans la Bible.
a. L'alliance faite à Noé (Gn 6/18 et 9/9) concerne toute l'humanité (le
concile de Jérusalem n'imposera pas d'autres pratiques aux chrétiens (Ac
15/28-29)).
b. Les alliances que Dieu conclut avec des juifs [Abraham (Gn 17/1-14),
Pinhas (Nb 25/12), Lévi (Ml 2/4), David (2 Sa 23/5), le peuple
(Es 59/21)] ; elles sont inconditionnelles, appelées « éternelles » en
Gn 17.
c. L'alliance du Sinaï, conditionnée à l'observation de la Torah (Ex 19/5).
L'alliance dont nous bénéficions par Jésus-Christ n'est « nouvelle » (Jr 31/3134, Hb 9/15-23) que par rapport à cette dernière. Cette nouveauté est
accomplissement et non substitution.
7. Les prophètes (Es 2/2-3, Mi 4/1-2, Za 14/1-9) annoncent un pèlerinage des
nations au mont Sion. Dans cette vision de l'histoire, l'Eglise issue des
nations rejoint Israël dans une même promesse et une même espérance. Les
prérogatives d'Israël énumérées par saint Paul (Ro 9/4) sont reconnues par
l'Eglise qui s'en considère cohéritière.
8. On ne peut pas dissocier la notion théologique de peuple de Dieu d'avec les
personnes juives vivant aujourd'hui qui appartiennent au peuple de
l'Election. Cette population a la caractéristique de garder la conscience d'être
un seul peuple même dans la diversité de cultures due à la diaspora, voire en
dehors de la foi ou de la pratique religieuse. La fondation de l'Etat d'Israël en
1947 est un événement décisif pour l'identité juive, même si le statut
théologique de l'Etat d'Israël est controversé dans les Eglises. De même, la
ville de Jérusalem a une vocation très particulière dans l'histoire religieuse et
politique de l'humanité. Le sort d'Israël dans le cœur de Dieu reste un
mystère, mais aussi un projet de salut universel (Ro 11/25-36).
NOS ENGAGEMENTS
En cohérence avec ce qu'elle croit, l'EERV s'engage à approfondir sa relation avec
le judaïsme et avec la communauté juive :
1.
En priant pour que s'accomplisse le projet de Dieu pour le peuple juif et
pour les nations.
2.
En combattant l'antisémitisme, à l'interne comme à l'externe.
3.
En refusant toute désinformation de tendance antisémite liée aux
événements politiques.
4.
En puisant à la source des interprétations juives de l'Ecriture.
5.
En ne négligeant pas la prédication des textes vétérotestamentaires.
6.
En éradiquant, tant dans la prédication, le catéchisme, la liturgie et les
publications, tout ce qui peut rappeler la théologie de la substitution (voir
le point 2 des « convictions »).
7.
En étant attentifs aux dates des fêtes juives, d'où sont souvent issues nos
fêtes chrétiennes, et en les évoquant au cours de l'année liturgique.
3
8.
En mettant les ministres au courant des rites juifs pour faciliter la
pastorale dans les situations de mixité.
9.
En organisant des rencontres entre les chrétiens et les juifs (visites de la
synagogue, participation à des offices, manifestations, etc.).
10.
En participant aux formations proposées.
11.
En réfléchissant sur l'alliance de Dieu dans le cadre du dialogue
interreligieux.
12.
En collaborant avec la communauté israélite du canton de Vaud dans le
cadre de la reconnaissance constitutionnelle.
... Car le mystère d'Israël est inséparable du mystère de l'Eglise, il est notre
mystère. Le mystère de notre péché et le mystère de notre grâce. Objets de la
même révélation, de la même vocation, appelés au même jugement, promis au
même Royaume, nous ne serons pas sauvés, au dernier jour, les uns sans les
autres.
...
La question juive est la question des questions. A la manière dont ils parlent des
juifs, on peut juger sûrement de la valeur spirituelle d'un homme, d'une Eglise,
d'un peuple, d'une civilisation. L'antisémitisme est, pour l'Eglise, la plus grave
méconnaissance du Christ, le plus secret refus de la foi, la plus insidieuse
perversion de l'Evangile de l'Incarnation. Pour le monde, il est le signe de
l'idolâtrie essentielle et de la barbarie fondamentale.
Charles Westphal, Cahiers d'Etude juive, avril 1947
Lien : les thèses de la conférence de Seelisberg
[2] En 1947, des responsables juifs et chrétiens de différents pays européens et
confessions posent en 10 thèses les conditions pour renouveler le dialogue.
Document adopté par le Conseil synodal en février 2009
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