discours sur l`origine de l`univers

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DISCOURS SUR L’ORIGINE DE L’UNIVERS
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Etienne KLEIN
DISCOURS SUR L’ORIGINE DE L’UNIVERS
Flammarion, octobre 2010, 180 pages, 17 euros.
par Sébastien Coupez
Mise en ligne : dimanche 7 novembre 2010
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DISCOURS SUR L’ORIGINE DE L’UNIVERS
D’où vient l’univers ?
D’où vient qu’il y a un univers ?
C’est par ces interrogations fondamentales, pour ne pas dire ontologiques, que s’ouvre le dernier
ouvrage du physicien Etienne Klein. Passeur reconnu du savoir astrophysique, Etienne Klein,
physicien au CEA [1] , enseignant à l’Ecole centrale, docteur en philosophie des sciences, s’est déjà
attaqué entre autre à la question du temps [2] , au croisement de la physique et de la philosophie.
Dans cet ouvrage où se mêlent astrophysique, cosmologie et métaphysique, Etienne Klein, tout en
exposant les dernières connaissances scientifiques concernant l’histoire et la formation de notre
univers, s’efforce de rendre intelligible les tenants et les aboutissants de la question de l’origine de
l’univers sans faire l’économie des complexes hypothèses astrophysiques en cours, telles la théorie
des supercordes ou de la gravitation quantique...
Comme l’historien, Étienne Klein remonte le temps et nous entraîne au-delà de notre histoire, aux
confins de celle de l’univers et tente, avec nous, l’ascension du fameux mur de Planck [3]
...Vertiges garantis [4]...
Avis de brouillard sur l’aurore du monde [5] , enjeux et défis de la question de
l’origine
Obsédante question que celle de l’origine de l’univers, elle est aussi fuyante à notre Raison. Le
brouillard y règne, elle est alors terre à conquérir... Philosophie, religion, sciences, toutes sont
parties en quête de cet ultime Graal de la vie, mais aucune, pour le moment, n’a su le ravir
définitivement.
Cependant, les extraordinaires progrès de la physique depuis la fin du XIXème siècle ainsi que par
ricochet, ceux de la cosmologie ont suscité un immense espoir pour beaucoup. Le Graal serait-il
enfin à portée de télescopes ou d’équations des astrophysiciens et cosmologiques ?
En scientifique cartésien, Etienne Klein se montre plus que prudent sur les capacités de la science
actuelle à lever l’ultime voile de brouillard drapant encore l’aurore du monde et raille même à
demi-mots les quelques scientifiques imprudents [6] annonçant cette terre promise.
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DISCOURS SUR L’ORIGINE DE L’UNIVERS
Réaliste et honnête, il remet dans leur perspective les futurs résultats tant attendus du LHC [7] et
du satellite Planck [8] . Le premier ne reproduira pas des Big Bang sur Terre et le second ne
dévoilera pas l’image ultime de l’univers, le « visage de Dieu » [9] .
Et pour Etienne Klein le danger est ici, dans la confusion et la désinformation du grand public,
voire, tout simplement dans le mensonge scientifique destiné à « faire du tirage »...
Étienne Klein conclut son introduction en s’interrogeant sur les capacités des théories, des
équations, des ordinateurs à lever cet ultime voile et se demande même si nous ne nous serions
pas laissé abuser par la théorie du Big Bang et son « explosion originelle » ?
Entre doutes et impertinence, Etienne Klein pose une première question vertigineuse dont le
présent ouvrage est truffé : « Sommes-nous certain que l’univers ait eu un commencement ? » [10]
Histoire de l’idée d’origine de l’univers, des doutes aux certitudes ?
On appelle cosmologie la science qui s’intéresse à l’étude de l’univers (sa forme, son histoire, son
évolution, ses caractéristiques) et de ce qu’il contient (ses objets : des astéroïdes aux amas de
galaxies en passant pas les étoiles et les trous noirs).
S’appuyant pour cela sur les théories (et les équations, lois) de la physique quantique et de la
relativité générale, la cosmologie a réussit à reconstituer les derniers 13,7 milliards d’années de
l’histoire de l’univers affirmant ainsi que celui-ci n’a pas toujours été semblable à ce que nous
pouvons observer, qu’il a une histoire, qu’il change et plus précisément qu’il se dilate et se
refroidit...
Ceci est la principale certitude obtenue par la science au cours du dernier siècle.
Balayé le cosmos immuable des Anciens, et bienvenue la conception moderne de l’univers promue
par Galilée, soutenant l’idée révolutionnaire que l’univers était mathématisable c’est-à-dire que son
existence et son développement répondait à des lois physiques universelles exprimées dans le
langage mathématique. Cette conception de l’univers est ensuite reprise par Newton qui élabore
alors la première théorie universelle, celle de la gravitation.
Cependant, l’univers ne devient véritablement objet physique à part entière qu’avec la célèbre
théorie de la relativité générale enfantée en 1915 par le génie mathématique d’Albert Einstein. La
relativité générale est une théorie de la gravitation dépassant celle de Newton car la gravitation n’y
est plus une simple force mais une déformation de l’espace-temps courbé par la matière et
l’énergie qu’il contient. Cette théorie est alors proprement révolutionnaire et d’une ampleur
jusque-là inégalée car elle donne à l’univers une consistance physique propre, celle de la géométrie
dessinée par le tissu espace-temps et pouvant être modifiée par la matière et l’énergie.
L’univers n’acquiert une histoire qu’après la découverte d’Edwin Hubble (et indépendamment
Georges Lemaître), en 1929, qui remarque que les galaxies s’éloignent car le tissu spatio-temporel
de l’univers s’étend [11]... Et en prenant cette expansion à rebours, on démontre alors que
l’univers, dans un passé lointain, était beaucoup plus petit et beaucoup plus dense
qu’aujourd’hui...
C’est ainsi que naît l’idée scientifique d’origine de l’univers, une fois admise l’idée que l’univers
soit un objet physique à part entière et qu’il soit en mouvement, plus précisément en expansion.
Ainsi, la cosmologie est une science très jeune, tout comme l’idée d’univers dont il est désormais
acquis qu’il a une histoire... Et qui dit histoire, dit forcément commencement... Et curieusement,
après ce tel raisonnement, c’est ici qu’Étienne Klein en rigoureux scientifique nous interpelle et
nous prodigue la prudence...
Le mirage n’est peut-être pas si loin...
Le Big Bang n’a jamais eu lieu, entre illusions et mensonges des mots
Cette origine de l’univers porterait un nom, le big bang [12] . Du point de vue des cosmologistes, le
big bang désigne un instant très dense et très chaud que l’univers aurait connu, il y a 13,7
milliards d’années. Mais avec le temps, cette expression en est venue à désigner l’instant zéro,
l’acte de naissance de la matière, de l’énergie, du temps et de l’espace ; en clair, la création du
monde.
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C’est là qu’Étienne Klein nous met en garde, en nous dévoilant les coulisses de ce « big bang »...
En effet, cette singularité physique qu’est le Big Bang correspond au moment, dans l’histoire de
notre univers, où l’infiniment grand rejoint l’infiniment petit, c’est-à-dire pour la Science, où la
théorie de la relativité générale (expliquant les mouvements des objets à grande échelle) rencontre
la physique quantique (explique les objets et leurs mouvement à l’échelle atomique). Or, ces deux
théories de la physique contemporaine sont...Incompatibles !
Quel coup de théâtre dans la pièce mettant en scène l’origine de l’univers ! Les dialogues des
acteurs en présence ne correspondent pas ! Concrètement, dans un univers petit, chaud et dense,
la relativité générale est incapable de décrire le comportement de la matière et de l’énergie et les
cosmologistes doivent alors convoquer la physique de l’infiniment petit, la physique quantique
mettant en scène les trois autres forces à l’œuvre dans l’univers : les forces nucléaire faible, forte
et l’électromagnétisme. Or, la quatrième force, celle décrite par la relativité générale, la
gravitation, n’est pas convoquée par la physique quantique.
En résumé, l’expression big bang ne désigne pas l’origine, le point zéro de l’histoire de notre
univers mais « seulement » une singularité physique sur laquelle buttent actuellement les deux
grandes théories de la physique contemporaine.
Étienne Klein regrette cette malheureuse expression qui laisse à penser que l’univers aurait jailli
d’une explosion originelle à un instant zéro d’où serait ensuite nés la matière, l’espace et... Le
temps ! Mais Étienne Klein regrette encore plus l’usage imprudent et peu scientifique qu’en font
certains vulgarisateurs auprès du public les laissant croire cette contre-vérité.
Et c’est ici que la physique rejoint la philosophie voire la théologie : si explosion primordiale il y
aurait eu, qui ou quoi l’aurait déclenché ? La question de l’origine en vient donc à rejoindre la
question de l’être et du néant. Quelque chose peut-il sortir de rien ? L’être peut-il émerger du
néant ? De ces questions, Dieu n’est jamais bien loin...
Étienne Klein nous emmène alors aux frontières de la connaissance physique du moment, c’est-àdire au pied du mur de Planck, limite actuelle des équations... Limite actuelle de notre physique et
non de la physique, là encore, les mots ont leur importance...
A l’assaut du mur de Planck, les dernières théories des cosmologistes et la fin de
l’origine...
Par un abus de langage une fois de plus dénoncé par Étienne Klein, on associe très souvent le mur
de Planck à l’univers tel qu’il était il y a 10 puissance moins 43 secondes. Or, pour les physiciens,
ce mur de Planck désigne au contraire la plus ancienne période de l’univers accessible aux
équations, ce qui est totalement différent.
S’approcher encore plus de l’éventuelle origine de l’univers consisterait d’abord à franchir le mur
de Planck. Mais comment ?
En unifiant la physique quantique qui décrit la matière et ses interactions et la relativité générale
qui décrit la manière dont cette matière structure l’espace-temps.
En effet, au sein de l’univers primordial existaient les particules dotées d’une énergie colossale et
interagissant entre elles. Les physiciens ont déjà réussi à mettre sur pied un modèle mathématique
décrivant le jeu de trois des quatre forces, dépendantes les unes des autres au départ, c’est ce que
l’on appelle le modèle standard. Mais ce modèle est incomplet car il exclut la gravitation.
Une poignée de théories encore à l’état d’hypothèses tentent de réunir ensembles, dans un même
formalisme mathématique, les quatre forces de la physique moderne.
La première et la plus célèbre est la fameuse théorie des cordes ou supercordes. Contre la
physique nucléaire, elle postule non plus l’existence d’atomes c’est-à-dire de particules ponctuelles
mais de cordes dont la manière de vibrer déterminerait le type de particules et donc ses propriétés.
Dans cette théorie, l’espace-temps de l’univers contiendrait 6,7, 10, 22 dimensions imposées par le
formalisme mathématiques et imperceptibles pour nous car repliées sur elles-mêmes.
Quoiqu’il en soit, de cette théorie, plusieurs scénarios de l’origine voient le jour :
Le rebond de l’univers. L’univers aurait rebondit sur lui-même, c’est-à-dire qu’après une phase
d’expansion, il aurait connu une phase de contraction, le big bang, puis connaîtrait alors, par un
mouvement de rebond sur lui-même, une nouvelle phase d’expansion.
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Collision de branes. Notre univers serait une brane, notre univers serait une 3-brane, qui
flotterait dans un espace vide [13] . Le big bang correspondrait alors à une collision de deux branes.
L’univers, fini mais sans bords selon Hawking, n’aurait pas de commencement et nos concepts
d’espace et de temps n’auraient émergé qu’à un moment de l’histoire de l’univers
Cependant, la théorie des cordes si elle prédit un résultat, celui d’une température élevée mais non
infinie il y a 13,7 milliards d’années, comporte un écueil scientifique de taille : elle n’est pas
prouvable de manière expérimentale... La taille des cordes étant trop petite et donc inaccessible
aux scientifiques pour le moment.
Concernant, l’origine, cette théorie et les différents scénarios qui en découlent, font du big bang
non plus une singularité initiale mais plutôt une transition.
Le deuxième type de théorie d’unification, (de théorie du tout comme on les nomme) est fondé sur
une conception différente de l’espace-temps. Celui-ci n’est plus continu comme en physique
quantique ou avec la relativité générale, mais il est granulaire, comme un morceau de tissu aux
fibres entremêlées. Mais cette trame si serrée apparaît continu, lisse, à grande échelle. Cette
théorie permet de postuler que l’espace-temps était discontinu à très petite échelle, celle du mur de
Planck justement, c’est pourquoi cette théorie se nomme la théorie de la gravitation quantique à
boucles.
Bizarrement, ici aussi, on aboutit à une même vision du big bang : il n’est plus une singularité
initiale de l’histoire de l’univers mais une phase de transition, car on retrouve ici aussi l’idée du
rebond car l’univers ayant atteint une certaine densité, température ne peut plus se contracter et
ne peut alors que rebondir violemment sur lui-même et s’étendre à nouveau.
Pour certains physiciens, ce serait le vide quantique qui jouerait le rôle de matrice de l’univers et
la force de gravité permettrait le déploiement de l’énergie contenue dans ce vide quantique
primordial. Grâce à l’expansion très rapide de l’univers, son inflation dit-on, les particules gagnent
de l’énergie et se matérialisent. Comme tous les scénarios, celui du vide quantique tente de marier
relativité générale et physique quantique, mais surtout il apporte l’idée séduisante que l’univers se
serait auto-engendré... Ici aussi, l’origine de type « big bang » s’évanouit... Mais plus vertigineux
encore, ce scénario envisagerait donc une chaîne de création d’univers bulles nés de l’énergie du
vide quantique qui resterait constante alors que la matière, du fait de l’expansion, se raréfie, on
retombe sur la situation initiale, celle où le vide quantique domine...
Enfin, d’autres cosmologistes remettent tout simplement en cause l’hypothèse de l’unicité de
l’univers diluant ainsi l’origine de celui-ci dans une myriade d’autres origines et dans ce cas-là,
existerait-il une origine plus « originelle » que les autres ?
C’est la théorie des multivers fondée sur le scénario de « l’inflation éternelle ». En effet, l’univers
primo-primordial aurait connu une phase d’expansion exceptionnelle, une inflation accélérée et
aujourd’hui ralentie. Cependant, d’autres régions de l’univers continuerait de connaître une telle
phase d’expansion et verraient alors se former une multitude d’univers indépendants les uns des
autres. Et c’est ici que ce scénario rejoint la théorie des cordes et de ces branes.
Cette théorie ne nous en dit pas forcément plus sur l’origine mais répond à la question de la
spécificité des paramètres physiques de notre univers : les dés auraient été jetés une multitude de
fois créant ainsi des univers aux lois physiques différentes ou aux lois physiques identiques mais
aux paramètres dissemblables.
Nature et origine de l’univers, au carrefour de l’ignorance des cosmologistes
En effet, même si un Einstein serait aujourd’hui abasourdi par les progrès de la physique et de la
cosmologie, il n’en reste pas moins que ces derniers ignorent 90% de l’univers. Or, d’après la
relativité générale, le contenant, l’espace-temps, est lié au contenu de l’univers (planètes, étoiles,
galaxies...).
Malgré les découvertes en physique des particules qui se sont succédé à un rythme effréné au
cours du XXème, la majorité de la matière échapperait encore aux physiciens car celle-ci ne
rayonnerait pas, c’est la matière noire. Cette obscure matière fut découverte au détour
d’observations astronomiques pointant une différence entre masse réelle et masse apparente des
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galaxies, il manquerait quelque chose à ces galaxies pour justifier leur influence gravitationnelle
sur les trajectoires de la lumière.
Et les cosmologistes n’ont pas fini de broyer du noir car ils se sont également aperçus que
l’expansion de l’univers connaissait une phase d’accélération non prévue par les modèles... Elle
serait provoquée par une énergie inconnue nommée énergie sombre qui viendrait contrecarrer la
force de gravité.
Ces deux ignorances cosmologiques nourrissent de profondes questions et notamment celle des
lois physiques en vigueur : Sont-elles vraiment universelles ?
Faut-il changer les lois ou chercher de nouvelles particules constituant cette matière mystérieuse ?
De ces questions et de leurs éventuelles réponses, dépend, par ricochet, la question de l’origine.
Pour Etienne Klein, la question de l’origine ne peut être élucidée à partir du moment où pèsent,
sur les lois physiques actuelles de telles zones d’ombre. La physique moderne est-elle à l’aube
d’une nouvelle révolution ? Ce qui semble certain pour Etienne Klein, c’est que le corpus
théorique physique ne peut en sortir totalement indemne...
La question de l’origine entre pourquoi et pour quoi ?, entre physique et
philosophie
Aujourd’hui, nombre de physiciens se sont engagés dans une quête, celle de l’unification, celle de
la théorie du tout, c’est-à-dire un formalisme mathématique réunissant les quatre interactions
fondamentales. Le but d’une telle théorie ? Embrasser la totalité du réel, rien de moins.
Et c’est ici, une fois de plus, qu’Etienne Klein nous met en garde contre les dérapages plus ou
moins contrôlés de certains scientifiques [14] qui ont vite fait de quitter le champs de la physique
pour celui de la métaphysique et, emportés par leur plume et parfois leur lyrisme agnostique ou
non, de nous vendre de l’absolu...
Quelque soit le destin de cette hypothétique théorie, aucune équation mathématique ne dévoilera
le sens du monde, aucune nous dira pourquoi et pour quoi il y a quelque chose plutôt que rien [15]
.
La physique ne peut traiter que les questions de physiques et ne peut donc traiter la totalité des
questions qui se rapportent à l’origine de l’univers car celles-ci, comme celle du sens, ne sont pas
toutes d’ordre physique. La science peut éclairer des questions d’ordre philosophique mais en
aucun cas prétendre les résoudre.
Entre immanence et transcendance, la physique aux portes du néant
A partir de là, après avoir fait le point sur les connaissances physiques à notre disposition et après
avoir délimité le champ d’opération de ces connaissances, Etienne Klein interroge la physique pour
savoir ce qu’elle dit du surgissement, du processus créatif : est-il immanent, c’est-à-dire contenu
dans l’univers ou transcendant, c’est-à-dire provenant de l’extérieur ?
On arrive ici au point d’orgue de la réflexion d’Etienne Klein, et au détour de chaque page de cette
avant-dernière partie, nous guette la sensation de vertige...
A travers trois exemples, la nucléosynthèse primordiale, la masse des particules et le temps,
Etienne Klein conclut que la physique est fondée sur le principe d’immanence, c’est-à-dire que
pour expliquer un phénomène, elle doit s’appuyer sur un « déjà là ». En clair, la physique, comme
l’histoire du reste et toutes les sciences construisent des généalogies.
Mais sauf une question, apparemment, qui hésite entre transcendance et immanence, et c’est là
peut-être le moment le plus passionnant et le plus étourdissant de l’ouvrage, lorsqu’Etienne Klein,
prenant son courage à deux mains pose la question de la transcendance ou de l’immanence des lois
physiques.
Ainsi, les lois physiques existaient-elles avant la création de l’univers ou ont-elles été « fabriquées »
ensuite ? L’univers aurait-il produit les lois qui dirigent sa propre évolution ? Ces questions
relèvent-elles de la métaphysique ? Pas totalement car ce n’est que par l’intermédiaire de ces lois
que les cosmologistes scrutent les premières lueurs de l’univers et, à un moment donné, il faut
bien se demander quel statut accordons-nous à ces lois, quelles relations entretiennent-elles avec
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l’univers ?
Dans cet épais brouillard, une seule certitude, ces lois semblent immuables, elles étaient pour ainsi
dire les mêmes, il y a 13,7 milliards d’années.
Mais cette invariance des lois physiques pose problème, ou du moins des interrogations :
Comment un univers qui évolue peut-il être régi par des lois qui ne changent pas ? Ou alors
changent-elles progressivement et imperceptiblement ?
Quel est le statut de ces lois par rapport à l’univers ? Sont-elles hors de l’univers ou en font-elles
partie ? Si ces lois sont hors du monde comment peuvent-elles agir sur lui ? Ces lois auraient-elles
un statut spécifique échappant à toute historicité ?
Ces lois sont d’abord des constructions de la pensée humaine, pourra-t-on répondre, mais
comment l’homme, infime partie de l’univers pourrait-il saisir la structure de ce qui l’englobe, à
savoir l’univers ?
L’invariance des lois nous pousserait à croire qu’elles appartiennent à un autre monde que celui
matériel, spatio-temporel.
Le physicien Lee Smolin propose une intéressante explication mariant physique et biologie : les
lois physiques feraient partie de l’univers et évolueraient avec lui selon un processus adaptatif de
type darwinien, des lois physiques qui s’actualiseraient une fois l’objet effectivement présent.
Hypothèse qui ne résout pas tout : ces lois évolueraient-elles en vertu de quoi ? D’une métaloi ? Et
d’où viendrait cette métaloi ? Ect....
Face à ce problème de poupées russes, c’est finalement la question du néant qui se tapie dans
l’ombre et qui est sans cesse repoussée par la physique, fondée sur le lien de causalité. Comment
penser ce néant primordial ? Comment un néant aurait-il pu engendrer de l’être ? On retrouve ici
la théorie du vide quantique.
Etienne Klein, résigné ou à bout de souffle peut-être après une telle ascension, pointe notre
incapacité à penser ce surgissement, c’est-à-dire le changement au sein du néant.
Ici, proche des cimes, ne règne que le silence. Silence de la physique, silence de la Science, silence
de la Raison...
Conclusion, impuissance du langage et frustration de la Raison
Après avoir gravi, prise par prise, la montagne de l’origine, après s’être enivré des dernières
théories cosmologiques, après s’être abreuvé et étourdi au contact des réflexions d’Étienne Klein,
c’est un goût d’inachevé, un peu amer qui nous reste au fond de la gorge, au terme de cette
cordée, pourtant guidée de main de maître par l’auteur.
Pourquoi un tel sentiment de frustration nous assaille-t-il ainsi après un tel périple ?
La réponse est limpide pour Étienne Klein, la question de l’origine est une question avant tout
métaphysique qui ne cesse de nous obséder car nous pensons que l’origine renferme le sens et le
devenir de l’univers et par la même occasion, de nos existences.
Pour Étienne Klein, ce goût d’inachevé, cette frustration cette impuissance n’est pas celle de notre
Raison mais celle de notre langage voire de notre culture. C’est ainsi que sur le chemin du retour,
il effectue un détour par la Chine afin d’observer leur manière de se départir de ce problème de
l’origine. Il y découvre une piste de réflexion intéressante. La langue chinoise ne décrit pas des
« étants » mais des processus, des transitions continues, silencieuses et indolores comme la neige
qui fond ou l’herbe qui pousse... En effet, à y regarder de plus près notre physique moderne, celleci ne décrit jamais que des généalogies, des métamorphoses.
L’origine de toutes les origines échappe donc à notre langage et à nos concepts et nous condamne
pour l’instant au silence.
Étienne Klein signe donc là, un ouvrage remarquable qui flirte avec la physique, la cosmologie et
la philosophie comme en témoigne la bibliographie proposée où figurent des ouvrages récents
certes mais où sont convoqués côte à côte aussi bien Platon, Bergson, Kant que Reeves, Hawking,
Luminet et même... Veyne !
Ouvrage limpide également tant le propos d’Etienne Klein se montre clair et accessible mais
également précis et rigoureux ne cédant jamais à la simplicité même lorsque les idées et concepts
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se font ardus.
Un livre à lire absolument, même pour les historiens dont le travail n’est autre, dans le fond, que
la recherche d’origines et la reconstitution de généalogies fondées sur les liens de causalités
comme en physique. Dans les propos d’Etienne Klein, ils pourront, assurément y puiser le sens de
la relativité concernant les origines ainsi que celle des phénomènes humains. Ils pourront, en
outre, se façonner ou consolider une prise de hauteur salutaire sur les insignifiantes péripéties et
facéties du genre humain...
Pour aller plus loin...
Un des premiers livres à lire pour découvrir la cosmologie et l’histoire de notre univers est sans
doute celui, très récent, de Sylvie VAUCLAIR sous le patronage de son directeur de recherche,
Hubert Reeves :
VAUCLAIR Sylvie, La Terre, l’espace et l’au-delà, Paris, Albin Michel, 2009.
Pourront suivre aisément et avec profit,
REEVES Hubert, Chroniques des atomes et des galaxies, Paris, Le Seuil, 2007.
REEVES Hubert, Patience dans l’azur, Paris, Le Seuil, collection "Points Sciences",1988.
REEVES Hubert, L’heure de s’ennivrer, Paris, Le Seuil, collection "Points Sciences",1992.
REEVES Hubert (dir.) et ses amis, Petite histoire de la matière et de l’univers, Paris, Le Pommier,
2009.
On pourra ensuite poursuivre l’aventure en images par deux très beaux livres :
REEVES Hubert, Poussières d’étoiles, Album illustré, édition revue et corrigée, collection « Science
ouverte », Le Seuil, 2008.
COLLECTIF (Bénédicte LECLERC, Etienne KLEIN, Marc LACHIEZE-REY, Roland LEHOUCQ), Le
grand récit de l’univers, Coll. Le collège de la Cité, Le Pommier, 2007.
Pour les intrépides qui auraient pris goût à l’aventure et aux vertiges cosmiques :
LEHOUCQ Roland, La forme de l’univers, Paris, Flammarion, 2004.
LUMINET Jean-Pierre, L’invention du Big Bang, Paris, Seuil, collection "Points sciences", 2004.
KLEIN Etienne, Les secrets de la matière racontés en famille, Paris, Plon, 2008.
HAWKING Stephen, Une brève histoire du temps, du Big Bnag aux trous noirs, Paris, Flammarion,
1989.
VAUCLAIR Sylvie, La Naisance des éléments, du Big Bang à la Terre, Paris, Odile Jacob, 2006.
Et enfin cheminer au gré des bibliographies et de l’actualité littéraire de ces différents auteurs...
[1] Centre de l’Énergie Atomique.
[2] KLEIN Etienne, Les Tactiques de Chronos, Paris, Flammarion, 2003.
KLEIN Étienne, Le facteur temps ne sonne jamais deux fois, Paris, Flammarion, 2007.
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[3] Le Mur de Planck représente un moment particulier de l’histoire de l’univers et constitue une
limite, pour l’instant infranchissable, de la physique actuelle incapable de décrire ce qui s’est passé
en amont de cet instant équivalent à 10 puissance moins 43 secondes.
[4] Étienne Klein est également un passionné d’alpinisme, ce à quoi renvoie la couverture de son
ouvrage tout comme la métaphore de l’ascension du Mur de Planck qu’il emploie lui-même dans
son introduction.
[5] On reprend ici le titre joliment trouvé de l’auteur pour présenter dans son introduction les
enjeux et les défis de la question de l’origine de l’univers.
[6] Sont ici très implicitement visés Stephen Hawking et les frères Bogdanov respectivement pour
leur dernier livre.
[7] Le LHC, Large Hadron Collider, est le plus grand collisionneur de particules jamais construit au
monde, aux frontières franco-suisse en 2008.
[8] Le satellite Planck lancé par l’Agence aérospatiale européenne en 2009 est chargé de
photographier le fond diffus cosmologique, lumière résiduelle de l’univers alors « âgé » de 380 000
ans.
[9] Cette expression a été employée, pour la première fois par George Smoot, père du satellite
Cobe, lancé en 1989 par la NASA afin de photographier le fond diffus cosmologique. Cette
expression a été reprise pour titrer le dernier ouvrage des frères Bogdanov...
[10] Page 15.
[11] Ironie de l’histoire peut-être, cette expansion ne fut pas acceptée tout de suite par Einstein
alors que cette expansion fut démontrée par Georges Lemaître, dès 1927, à l’aide des équations de
la relativité générale...
[12] Ironie de l’histoire cosmologique ici encore, c’est un des détracteurs de ce scénario de
l’origine, Fred Hoyle en 1949, qui lui donna le sobriquet de « big bang » conçu comme une
explosion cataclysmique. Fred Hoyle prônait, lui, un univers statique se régénérant en permanence
par création de matière de manière homogène dans l’univers.
[13] Il n’existe pas de vide absolu en physique, même vidé de ses particules de matière, l’espace
reste rempli d’énergie.
[14] Dans un de ses ouvrages, Stephen Hawking prétend qu’une théorie du Tout pourrait nous
faire connaître la pensée de Dieu, Une brève histoire du temps, Flammarion, 1989.
[15] Le philosophe Leibniz est le premier a avoir formulé la question sous cette forme dans ses
Principes de la nature et de la grâce en 1714.
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