cours - l`historien et les memoires de la seconde guerre mondiale en

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H - L’HISTORIEN ET LES MÉMOIRES DE
LA SECONDE GUERRE MONDIALE EN FRANCE
Introduction
Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale sont toujours vivaces aujourd’hui en France.
Le 27 mai 2015, sur décision du président de la République François Hollande, les cendres de
quatre grandes figures de la résistance ont été transférées au Panthéon : Jean Zay, tué par la
milice en 1944 ; Pierre Brossolette, arrêté et torturé par la Gestapo en 1944 (il se suicide) ;
Geneviève de Gaulle-Anthonioz, arrêtée en 1943 et déportée à Ravensbrück en 1944 et
Germaine Tillion, arrêtée en 1942 et déportée à Ravensbrück en 1943.
Doc. 3 page 81 : « Mémoire et histoire, deux phénomènes distincts »
Consigne : Analysez le document pour définir et distinguer la mémoire et l’histoire.
La mémoire est un souvenir, chargé d’émotions, propre à un individu à un groupe de
personnes ayant vécu – ou non – un événement passé : la mémoire est donc subjective et elle
n’est jamais unique. L’histoire est une science humaine qui vise à reconstituer et à expliquer
le passé avec objectivité. Ceci n’empêche pas les historiens de travailler sur les mémoires, à
condition qu’ils soient critiques vis-à-vis d’elles et qu’ils puissent les confronter aux archives.
Problématique : Comment l’historien parvient-il à « dompter » les mémoires de la
Seconde Guerre mondiale en France afin d’écrire une histoire dépassionnée ?
I. L’historien, prisonnier de la mémoire officielle Š ‰„„-années ‰†€
A. Le mythe d’une France unanimement résistante
Doc. 1 page 58 : « La mémoire “gaullienne” : le mythe “résistancialiste” »
Doc. 5 page 59 : « Le Parti communiste français et la résistance »
Consigne : Identifiez les documents puis confrontez-les afin de mettre en évidence les
mémoires qui dominent à la sortie de la guerre et les arguments qu’elles utilisent.
Point méthode : Identifier un document (c’est-à-dire présenter un document) :
- donner sa nature : un discours dit à l’hôtel de ville de Paris et une affiche ;
- présenter son/ses auteur(s) : de Gaulle, général, fondateur puis chef de la
résistance ; l’auteur de l’affiche n’est pas mentionné (il faut le préciser)
- mentionner sa source : on ignore la source du discours (il faut le préciser) ; le
PCF, parti d’extrême gauche interdit en 1939 (pour avoir soutenu le pacte
germano-soviétique), dont nombre de militants entrent en résistance en 1941 ;
- repérer sa date et présenter son contexte : le discours date du 25 août 1944,
jour de la libération de Paris ; l’affiche date des élections municipales de 1945 ;
- préciser sa/ses thématique(s) : De Gaulle célèbre la grandeur des résistants ;
le PCF appelle les Français à voter pour ses candidats aux municipales.
Le 25 août 1944, de Gaulle fait l’éloge des résistants qui ont libéré la capitale, sousentendant que tous les Parisiens et tous les Français y ont contribué, ce qui est exagéré.
Il célèbre une France unanimement résistante pour reconstituer l’unité nationale :
l’historien Henry Rousso appelle ceci le « résistancialisme ». Ce mythe, qui constitue la
mémoire gaulliste de la résistance, domine jusqu’aux années 1960 et se manifeste par :
- des films : La bataille du rail (1946) raconte les sabotages de trains nazis par
les cheminots français ou La grande vadrouille (1966) raconte comment deux
Parisiens doivent aider trois aviateurs anglais à gagner la « zone libre » ;
- la construction de mémoriaux : celui du Mont Valérien, inauguré en 1960,
commémore le principal lieu d’exécution nazi en région parisienne ;
- des cérémonies : le transfert des cendres de Jean Moulin (ancien préfet,
représentant du général de Gaulle en France, qui a réussi à unifier les réseaux
de résistance et qui est arrêté en 1943) au Panthéon en décembre 1964 ;
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Parallèlement à la mémoire gaulliste, une mémoire communiste s’impose : le parti se
désigne lui-même comme le « parti des 75 000 fusillés » (c’est-à-dire 75 000 résistants
fusillés par Vichy ou les nazis, ce qui est exagéré). Après-guerre, le PCF présente les
Francs-tireurs et partisans (nom donné aux résistants communistes) comme le
mouvement le plus nombreux (ce qui est vrai) et comme un mouvement martyr.
Certes, la mémoire gaulliste et la mémoire communiste de la résistance dominent
largement toutes les autres dès 1945 mais elles entrent en concurrence pour dominer le
paysage mémoriel français. C’est surtout vrai à partir de 1946, lorsque de Gaulle
démissionne de la présidence du GPRF (nom donné au gouvernement provisoire mis en
place en 1944 le temps qu’une nouvelle constitution soit votée) et lorsque la « Guerre
froide » (conflit idéologique opposant le bloc américain – dans lequel se trouve la
France – et le bloc soviétique, auquel est affilié le Parti communiste français) éclate.
B. D’autres mémoires presque totalement refoulées
Doc. 1 page 62 : « Une mémoire sélective de la déportation »
Doc. projeté : « Vichy nul et non avenu »
Consigne : Confrontez les documents pour montrer quelles mémoires sont étouffées.
En 1945, la mémoire des victimes de la guerre (en dehors des résistants) est étouffée
par l’omniprésence des mémoires gaulliste et communiste. Les rescapés juifs et tziganes
ne sont pas évoqués et ne parlent pas. Même pour un camp comme Auschwitz – où 1
million de juifs et 20 000 tziganes sont exterminés – les déportés politiques (c’est-à-dire
les résistants) prennent le dessus. La plupart du temps, les rescapés juifs et tziganes sont
dans l’incapacité de témoigner et ils veulent se réintégrer dans la société : ils ne parlent
pas de leur expérience que les Français ne souhaitent pas entendre. Pour désigner ceci,
l’historienne Annette Wieviorka parle de « grand silence » à propos des survivants de la
Shoah (mot hébreu signifiant catastrophe, désignant le génocide juif par les nazis).
La mémoire des vaincus – c’est-à-dire des pétainistes – est elle aussi refoulée. La
plupart des acteurs de l’État français (nom officiel du régime de Vichy) sont jugés et
condamnés à mort : Pétain et Laval (mais de Gaulle transforme la condamnation à mort
de Pétain en prison à vie alors que Laval est exécuté). Pour de Gaulle et les résistants,
cette mémoire doit être étouffée car elle constitue une honte pour la France. D’ailleurs,
l’ordonnance du 9 août 1944 rétablit la République (sous la forme du GPRF) et précise
que le régime de Vichy est « nul et non avenu », comme s’il n’avait jamais existé.
D’autres acteurs de la guerre sont totalement oubliés par les mémoires de l’aprèsguerre : les « malgré-nous » (nom donné aux soldats alsaciens enrôlés de force dans
l’armée allemande), les soldats faits prisonniers en 1940 pendant la « bataille de
France » ou les déportés dans le cadre du Service du travail obligatoire (système livrant
des travailleurs français contraints à l’économie allemande). Ces groupes sont très peu
nombreux et ils ont du mal à se faire entendre en 1945.
C. Un travail quasiment impossible pour les historiens ?
Dans l’immédiat après-guerre, le travail des historiens sur la Seconde Guerre
mondiale est très difficile, voire impossible. Le gouvernement maintient une forte
censure sur de nombreux sujets (y compris la collaboration) : en 1956, lorsque qu’Alain
Resnais réalise Nuit et brouillard, une photographie incluse dans le film doit être
maquillée (on y voit un gendarme français, reconnaissable à son képi, surveiller le camp
de Pithiviers. La commission de la censure exige que le képi soit masqué).
De plus, les archives relatives à la Seconde Guerre mondiale – qui permettraient aux
historiens d’écrire l’histoire de la France pendant le conflit – sont non accessibles. Le
pouvoir politique veut protéger des secrets sensibles (collaboration de la France dans la
déportation des juifs et des personnes encore en fonction après-guerre). D’ailleurs, trois
lois d’amnistie sont votées en 1951 et 1953 pour effacer les faits de collaboration.
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D’autre part, les témoignages qui pourraient permettre un travail des historiens se
limitent à ceux des résistants, qui sont omniprésents et étouffent toutes les autres
mémoires. Ainsi, après-guerre, on ne comprend pas immédiatement la différence entre
les camps de concentration (camps de travaux forcés réservés aux résistants) et les
centres de mise à mort (lieux d’exécution destinés à exterminer les juifs et les tsiganes).
Le film Nuit et brouillard illustre particulièrement bien cette confusion.
Les travaux d’historiens sur la France de la Seconde Guerre mondiale sont très peu
nombreux après-guerre (hormis l’histoire militaire). En 1954, Robert Aron publie
Histoire de Vichy : dans cet ouvrage, il développe la « théorie du bouclier et de l’épée »
(théorie selon laquelle Pétain constitue un « bouclier » protégeant les Français de la
violence nazie grâce à la collaboration en attendant que de Gaulle – « l’épée » – soit
assez fort pour vaincre les nazis). Mais cette théorie est invalidée dans les années 1970
lorsque les historiens accèdent aux archives du régime de Vichy.
⇒ De 1944 à la fin des années 1960, les mémoires gaullistes et communistes
étouffent toutes les autres mémoires de la Seconde Guerre mondiale. Le travail des
historiens sur cette période est quasiment impossible car les témoignages se
limitent à ceux des résistants et parce que les archives ne sont pas accessibles.
II. L’historien, acteur du réveil des mémoires Š années ‰†€-années ‰€
A. Les contestations de la mémoire résistante gaulliste
À la fin des années 1960, un nouveau contexte émerge, remettant en cause la
domination des mémoires gaullistes et communistes sur toutes les autres. À ce momentlà, la génération née après la guerre (qui n’a par définition pas connu le conflit) arrive à
l’âge adulte. En mai et juin 1968, cette génération conteste violemment le pouvoir
gaulliste lors d’émeutes étudiantes et l’influence du parti communiste commence à
reculer : les mémoires gaullistes et communistes ne font donc plus l’unanimité. Enfin,
de Gaulle démission de ses fonctions de Président de la République en 1969 et meurt en
1970, ce qui clôt la période résistancialiste gaulliste.
D’autre part, les politiques mémorielles adoptées par les successeurs du général de
Gaulle sont contestées au cours des années 1970 :
- en 1971, le président Pompidou gracie Paul Touvier, chef de la Milice
(organisation politique et paramilitaire du régime de Vichy, destinée à lutter
contre la résistance). Il avait été condamné à mort par contumace en 1946 et en
1947 (il était en effet en cavale depuis 1944). Pompidou justifie cette décision
par le fait les crimes de Touvier sont prescrits et par la volonté de réconcilier
les Français. Mais cette décision fait scandale dans l’opinion publique ;
- en 1975, le président Giscard d’Estaing décide de supprimer les cérémonies
du 8 mai, qui n’est, du coup, plus un jour férié. Il justifie cette décision par la
volonté d’entretenir l’amitié franco-allemande. Là encore, cette décision est
vivement contestée par l’opinion publique, notamment chez les anciens
combattants et les résistants (de tous bords politiques d’ailleurs).
Le mythe résistancialiste commence à être écorné au cours des années 1970. Le
documentaire de Marcel Ophüls, intitulé Le chagrin et la pitié, initialement prévu pour
être diffusé à la télévision (à l’époque il n’existe que deux chaînes publiques,
étroitement contrôlées par l’État), n’est finalement pas acheté par l’ORTF. Il sort au
cinéma en 1971 et présente la vie dans la ville de Clermont-Ferrand et en Auvergne
entre 1940 et 1944, en mêlant des témoignages et des images d’archives. Ce film
montre que de nombreux Français ont fait preuve d’un certain « accommodement »
(expression de l’historien Philippe Burrin désignant une acceptation passive de la
politique du régime de Vichy) ou se sont même lancé dans la collaboration.
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B. L’émergence de la mémoire juive de la guerre
La remise en cause du mythe résistancialiste permet, au cours des années 1960, à la
mémoire juive d’émerger. La parole des rescapés juifs et des descendants de victimes
juives se libère avec le procès d’Eichmann (responsable nazi de la mise en place de la
« Solution finale à la question juive »). Capturé par les agents du Mossad (nom des
services secrets israéliens) en 1960 en Argentine, il est exfiltré en Israël, où il est jugé
en 1961 puis condamné à mort et exécuté en 1962. La spécificité du génocide juif (et
des centres nazis de mise à mort) est enfin reconnue et les rescapés juifs des centres de
mise à mort commencent à témoigner, y compris en France.
C’est aussi à cette époque que Serge et Beate Klarsfeld débutent leur traque des
criminels nazis ayant échappé à la justice, notamment ceux qui avaient été jugés par
contumace en France mais qui étaient en cavale. Lui est fils d’un déporté juif assassiné
à Auschwitz et avocat ; elle est allemande, fille d’un soldat nazi. Ils fondent
l’association des « Fils et filles de déportés juifs de France » en 1979, dont le but est de
faire valoir les droits des descendants des déportés juifs français (justice, indemnisation,
restitution de biens confisqués pendant la guerre…). Ensemble, ils traquent Klaus
Barbie (arrêté en Bolivie en 1983) ou Paul Touvier (arrêté à Nice en 1989).
Enfin, entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, les premiers
documentaires sur la spécificité du génocide des juifs sont réalisés : Holocauste (réalisé
par Marvin Chomsky en 1978) est diffusé à la télévision en France en 1979 ou Shoah
(réalisé par Claude Lanzmann entre 1976 et 1981) sort au cinéma en 1985. Dans la
même logique, les premiers travaux d’historiens sur la spécificité du génocide juif sont
publiés dans ces années-là : l’historien américain Raul Hilberg rédige La destruction
des Juifs d’Europe (publié une première fois en 1961 et réédité en 1985).
C. La relecture des « années noires » par les historiens
Doc. 5 page 61 : « L’historien Robert Paxton au procès de Maurice Papon »
Consigne : Analysez le document afin de montrer qu’une relecture de l’histoire de l’État
français est proposée par l’historien Robert Paxton dans les années 1970.
En 1973, l’historien américain Robert Paxton, publie un ouvrage intitulé La France de
Vichy. Dans celui-ci, Paxton démontre, en ayant travaillé sur des archives nazies saisies
par l’armée américaine, que le régime de Vichy a collaboré volontairement à la
déportation des 76 000 juifs de France. Paxton l’explique par l’antisémitisme des
dirigeants de Vichy mais aussi par la volonté de maintenir son indépendance politique
dans l’Europe nazie. L’ouvrage prend donc le contre-pied de celui de Raymond Aron.
Dans la foulée, une génération de jeunes historiens français commence à travailler sur
cette période et ces questions : Henry Rousso qui publie Le syndrome de Vichy (1987),
François Bédarida et Jean-Pierre Azéma qui dirigent La France des années noires
(1993), Philippe Burrin qui publie La France à l’heure allemande (1995) …
Le travail de tous ces historiens est facilité à partir des années 1960-1970. Ils
accèdent, comme Paxton, aux archives nazies conservées en Allemagne (ce qui leur
permet de les confronter aux quelques archives françaises disponibles sur le sujet). De
plus, de nouveaux témoins commencent à raconter leur vécu, notamment les rescapés de
la Shoah (comme Simone Veil, qui évoque la déportation de sa famille dans un
documentaire diffusé sur TF1 en 1976). Petit à petit également, les archives françaises
sur la Seconde Guerre mondiale commencent à être accessibles (mais les archives
policières et judiciaires de Vichy ne sont accessibles, par exemple, que depuis 2015 !).
⇒ Des années 1960 aux années 1980, un réveil des mémoires se produit : la
mémoire gaulliste est peu à peu contestée, permettant l’émergence d’autres
mémoires – notamment juives. L’accès aux archives est facilité, permettant aux
historiens de donner une nouvelle lecture des événements.
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III. L’historien, arbitre des conflits mémoriels depuis les années ‰€ ?
A. Les dernières secousses liées aux mémoires de la guerre
Dès la fin des années 1970, les premières théories négationnistes (théories selon
lesquelles le génocide des juifs n’a pas existé) sont diffusées. En 1978, Louis Darquier
de Pellepoix (Commissaire général aux questions juives sous Vichy) affirme, dans les
colonnes de L’Express, qu’à Auschwitz, « on a gazé les poux ». La même année, Robert
Faurisson, professeur de littérature française à l’université Lyon II, fait publier dans Le
Monde une tribune intitulée « Le problème des chambres à gaz ou la rumeur
d’Auschwitz », dans laquelle il nie l’existence des chambres à gaz (il explique qu’elles
n’ont pas existé puisqu’on n’en a pas retrouvé de traces ; elles ont été dynamitées par
les SS à l’approche de l’Armée rouge en janvier 1945). Ceci lui permet de nier le
génocide juif. Il renouvèle ses propos en 1980 sur Europe 1. Ces positions font scandale
et débouchent sur deux procès : il est jugé en 1981 pour « incitation à la haine raciale »
puis en 1991 pour « négation de crime contre l’humanité » (la loi Gayssot, votée en
1990, interdit de nier l’existence d’un crime contre l’humanité).
En 1994, Pierre Péan, journaliste au Monde, publie Une jeunesse française, un livre
dans lequel il révèle le passé trouble du Président de la République François Mitterrand
(toujours en fonction à l’époque). On y apprend que Mitterrand a travaillé dans
l’administration à Vichy jusqu’en 1943 et a reçu la francisque (décoration remise sous
le régime de Vichy aux personnes ayant rendu d’éminents services au régime et à la
patrie) des mains du maréchal Pétain. En 1943, il fonde son réseau de résistance : son
parcours, atypique, le met, selon l’expression de l’historien Jean-Pierre Azéma, dans la
catégorie des « vichysto-résistants » (personnes ayant été, au début de la guerre, au
service de Vichy, avant de basculer dans la résistance). On apprend aussi que Mitterrand
a été ami avec René Bousquet (Secrétaire général de la police de Vichy) et a fait fleurir
la tombe du maréchal Pétain chaque 11 novembre de 1987 à 1992. Ces révélations font
scandale dans l’opinion publique au milieu des années 1990.
B. Le temps des procès et de la reconnaissance officielle
Dans les années 1980 et 1990, se tiennent les procès des criminels nazis ou des
collaborateurs ayant jusque là échappé à la justice. En 1987, Klaus Barbie (chef de la
Gestapo de Lyon) est jugé pour « crime contre l’humanité » (crime, imprescriptible aux
yeux de la justice, inhumain portant atteinte à la dignité et/ou à la vie d’une personne) :
il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et meurt en prison en 1991. En
1994, Paul Touvier (chef de la Milice de Lyon) est jugé pour « complicité de crime
contre l’humanité » : il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et meurt en
prison en 1996. Enfin, en 1998, Maurice Papon (Secrétaire général de la préfecture de
la Gironde) est jugé pour « complicité de crimes contre l’humanité » : il est condamné à
10 ans de prison mais est libéré pour raisons de santé en 2002 (il meurt en 2007).
Doc. 5 page 65 : « 16 juillet 1995, un tournant dans l’histoire de la mémoire officielle »
Consigne : Identifiez le document puis montrez que ce discours rompt avec la mémoire
officielle de la Seconde Guerre mondiale mise en place dès l’après-guerre.
Le 16 juillet 1995, alors qu’il commémore le 53ème anniversaire de la « rafle du
Vélodrome d’Hiver » (arrestation puis de déportation de 13 000 juifs de la région
parisienne), le nouveau Président de la République, Jacques Chirac, prononce un
discours qui marque une rupture dans les mémoires officielles de la Seconde Guerre
mondiale : il reconnaît la responsabilité de l’État dans la déportation des juifs de France.
Point méthode : Analyser un texte pour l’étude critique de document(s), c’est :
- citer des extraits du texte (entre guillemets et avec le numéro des lignes) ;
- reformuler la citation si celle-ci est difficile à comprendre (pour montrer
qu’on l’a bien comprise). Cette étape est facultative si la citation est claire ;
- expliquer, à l’aide de connaissances tirées du cours, ce que le texte ne dit pas.
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Dans son discours, Jacques Chirac dit : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été
seconde par des Français, par l’État français » (lignes 9-11). La « folie criminelle » fait
référence à la rafle du Vélodrome d’Hiver ; « l’occupant » désigne les troupes nazies ;
l’expression « les Français » fait référence aux fonctionnaires de Vichy et aux
collaborateurs ; « l’État français » est le nom officiel du régime de Vichy. Chirac sousentend donc que l’arrestation et la déportation des 13 000 juifs de la région parisienne
les 16 et 17 juillet 1942 ont été demandées par les autorités nazies mais qu’elles ont été
menées par les forces de l’ordre françaises. Ce discours marque une rupture car un chef
de l’État français reconnaît pour la première fois la responsabilité de l’État dans
l’arrestation et la déportation des juifs de France. Cette politique tranche avec celles des
précédents présidents de la République : De Gaulle considérait que Vichy était « nul et
non avenu » ; Mitterrand refusait de reconnaître la responsabilité de l’État dans ces faits
considérant que « Vichy, ce n’était pas la République ».
C. Les difficultés de l’historien confronté à l’hypermnésie
À partir des années 1990, le travail des historiens se complique du fait de l’inflation
des mémoires (que l’on appelle hypermnésie). Ils essaient de faire un « travail de
mémoire » (analyse des mémoires pour reconstituer l’histoire ou pour écrire l’histoire
des mémoires) mais se refusent à tomber dans le « devoir de mémoire » (devoir moral,
porté par des rescapés ou des descendants de victimes, de se souvenir d’un événement
traumatisant afin de rendre hommage aux victimes). En parallèle, les archives policières
et judiciaires du régime de Vichy sont enfin accessibles depuis 2015 : de nouvelles
perspectives de recherche s’ouvrent pour les historiens.
Dans ce contexte, la communauté historienne est tiraillée quant au rôle qu’elle doit
jouer, notamment lors des procès : certains historiens viennent témoigner à la barre en
tant qu’expert (comme Robert Paxton pour le procès Papon) alors que d’autres refusent
(comme Henry Rousso), considérant qu’ils n’ont pas à juger ce qui s’est passé.
Enfin, les historiens sont parfois très critiques face aux politiques mémorielles
actuelles. En 2005, Pierre Nora créé l’association « Liberté pour l’histoire », refusant les
lois mémorielles (ils considèrent que la loi ne doit pas imposer une lecture officielle et
figée de l’histoire). En 2007, le président Nicolas Sarkozy demande que la lettre de Guy
Moquet soit lue en classe pour célébrer la résistance : des historiens (comme Jean-Pierre
Azéma), les syndicats enseignants et l’Association des professeurs d’HistoireGéographie s’opposent à cette lecture, en invoquant la liberté pédagogique et en
discutant le fait que Guy Moquet ait été véritablement un résistant.
⇒ À partir des années 1980, les derniers scandales éclatent (négationnisme,
révélations sur le passé de François Mitterrand…) mais les procès et la
reconnaissance des crimes dans les années 1990 apaisent les conflits mémoriels.
L’historien est alors confronté à une inflation mémorielle qu’il a du mal à gérer.
Conclusion
Dès 1944, les mémoires gaullistes et communistes étouffent toutes les autres mémoires. À
partir des années 1970, ces mémoires refoulées émergent, notamment la mémoire des
déportés juif. Au cours des années 1980 et 1990, des procès sont organisés et l’État finit par
reconnaître sa responsabilité dans la déportation des juifs, ouvrant la voie à un véritable
« devoir de mémoire ». Mais il existe toujours des mémoires de la Seconde Guerre mondiale.
Jusqu’aux années 1970, le travail des historiens est quasiment impossible sur la Seconde
Guerre mondiale car les archives ne sont pas disponibles et parce que seuls les anciens
résistants témoignent. Dès les années 1970, de nouvelles archives sont accessibles et la parole
des « déportés raciaux » se libèrent, ce qui amène de nouvelles sources pour les historiens.
Mais aujourd’hui, ils sont confrontés à une véritable inflation des témoignages et des archives
qu’il est parfois difficile de gérer dans la mesure où la société attend un devoir de mémoire.
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