OCTOBRE 2016 LES DÉFIS DE LA SANTÉ AUGMENTÉE Comment les objets et services de santé connectée améliorent la prise en charge médicale ? Le marché de l’Internet des objets a été évalué sur le seul marché chinois à 365 milliards de dollars en 2020. D’autres études rappellent le rôle prépondérant que représenteront les applications de santé au sens large dans ce marché, évaluées à plus de la moitié, voire les deux tiers. Quelles sont les perspectives « opérationnelles » que nous pouvons attendre des innovations à l’œuvre et à venir ? Nous en retiendrons quatre, détaillées par Éric Sebban, président fondateur de Visiomed Group, mais également auteur de l’ouvrage Santé connectée : demain, tous médecins ?, dont est sous-titre toutefois plus nuancé : Une révolution par les professionnels de santé, pour les patients. LA CONVERGENCE DES OUTILS ET SES CONSÉQUENCES Les objets que nous fabriquons aujourd’hui vont devenir de plus en plus petits. La miniaturisation à laquelle nous assistons est époustouflante et va nous conduire vers des dispositifs connectés, qui seront placés à l’intérieur de l’organisme pour pratiquer directement l’automesure. Le corps deviendra connecté, et les objets ne lui seront plus « extérieurs ». Après l’étape de la miniaturisation viendra celle de la « disparition » progressive des devices (appareils) médicaux qui seront de plus en plus intégrés au corps, ingérés ou greffés et gérés par des plateformes. Dans le même esprit, le processus de convergence des devices, comme des services, est déjà engagé. Ainsi le Bewell Connect constitue une seule application mais qui permet de gérer 15 dispositifs médicaux différents. Sa porte d’entrée unique permet à son utilisateur de surveiller ses constantes, de disposer s’il le souhaite d’un pré diagnostic, et même d’être directement mis en relation avec un professionnel de santé. Ainsi demain, une seule porte d’entrée donnera accès à des fonctions de contrôle, mais aussi de collecte des données, d’interprétation de ces données et de formulation de solutions. Après l’étape de la miniaturisation viendra celle de la « disparition » progressive des devices médicaux, qui seront de plus en plus intégrés au corps, ingérés ou greffés et gérés par des plateformes. Éric SEBBAN 1 UNE AUTRE IDÉE DE LA SANTÉ Visiomed Group est un leader français de l’électronique médicale nouvelle génération. Le laboratoire développe et commercialise des produits de santé innovants dans les domaines porteurs de l’autodiagnostic à usage médical et du bien-être. L’histoire de l’entreprise a débuté en 2004, trois ans avant sa création effective, sur un constat : le manque évident sur le marché de la santé d’un thermomètre simple d’utilisation, rapide, précis et non invasif. Ce produit n’existait pas dans l’univers médical et ce n’est qu’à l’issue de trois années de recherche et développement que le ThermoFlash est né. Le premier thermomètre sans contact avec résultat instantané (28 millisecondes) repose sur la technologie infrarouge associée à un développement de logiciel (un algorithme spécifique) permettant de fiabiliser les informations et de les mémoriser. Il est commercialisé à partir de 2007, date de création de Visiomed Group, qui poursuit son innovation en développant une gamme de produits de puériculture. En 2013, l’entreprise compte 92 produits innovants en portefeuille. Cotée en Bourse depuis 2011, Visiomed Group a investi dès 2009 un nouveau terrain d’investigation : celui de la santé connectée et crée l’application Bewell Connect en 2014. L’application BewellConnect permet de synchroniser tous les appareils connectés de la marque Bewell Connect (tensiomètre, lecteur de glycémie, balance, oxymètre de pouls…), de se créer (ou de créer pour ses proches) un profil santé personnalisé et d’avoir accès à des services premium, pour suivre, accompagner, ou alerter, les utilisateurs, de façon simple, précise et fiable. On peut aussi légitimement penser que la convergence des objets et des services concernera toute la chaîne de soins, et donc également l’industrie de la délivrance du médicament : les pharmaciens, la logistique, etc. jusqu’au domicile du patient. Tout ce processus s’organisera à partir d’un point d’entrée unique, et cette convergence facilitera le parcours de santé des patients. L’on assiste déjà en Angleterre, au Portugal ou en Europe du Nord à un usage très croissant de la e-prescription et de la e-delivrance. C’est là tout un pan de la révolution de la santé connectée, qui vient compléter la miniaturisation des objets, l’intégration plus poussée des services à travers un parcours du patient de plus en plus dématérialisé, du diagnostic à la délivrance de la prescription. « La convergence conduit à des applications uniques de services intégrés à des plateformes, qui vont-elles-même conduire à la disparition progressive des devices. » (Éric Sebban) L’EXTENSION DE LA CHAÎNE DE SOINS ET LA CONSULTATION « LENTE » Demain, le triptyque patient/médecin/pharmacien s’étendra pour intégrer tous les aidants : aidessoignants, infirmiers et autres kinésithérapeutes et diététiciens, qui constituent l’environnement réel des patients. L’individu deviendra en même temps le véritable « acteur de sa santé » : équipé de ses objets connectés, le patient pourra facilement relever ses constantes, au besoin avec l’aide de son aidant ou de son aide-soignant. En amont de la chaîne de soins, le temps libéré par la prise de constantes (fait-on réellement dix ans d’étude pour prendre la tension ?) pourra être réalloué à la véritable pratique médicale : que ce soit celle du spécialiste expert qui ne sera consulté que pour son domaine de spécialité, ou celle du 2 médecin généraliste qui disposera ainsi de plus de temps pour renouer le dialogue durant ses consultations.1 « On a beau tout avoir sur Internet et prétendre tout comprendre. Mais nous aurons toujours besoin d’un professionnel qui remette en perspective ce qui arrive. C’est ça, le rôle fondamental du médecin, un rôle qui est en train d’être perdu, sous la pression de la technologie et de la vitesse de consultation. Il faut de la médecine lente », rappelle le professeur Guy Valencien. Le médecin, tout particulièrement le généraliste, redeviendra le conseiller et référent qu’il doit être. « La chaîne de soins sera bouleversée : elle sera plus longue, plus efficace et plus valorisante pour chacun des acteurs dont la tâche correspondra réellement à ses compétences. » (Éric Sebban) UNE PRATIQUE PLUS ORIENTÉE VERS LE PATIENT Le rôle du patient sera également plus déterminant. L’ergonomie et la prise en compte des usages, des habitudes et, au-delà, des souhaits des utilisateurs sont essentielles pour innover et imaginer des objets utiles et efficaces. Le patient qui deviendra ainsi une sorte de « patient expert » sera intégré beaucoup plus en amont dans les processus de recherche et de développement des applications, des objets ou des services de santé connectée. L’observation des usages personnels, la reconnaissance des parcours et l’écoute permettront de proposer des objets et des services plus efficients, notamment au plan médical. « Le patient expert sera de plus en plus intégré, en amont, dans la conception des objets et des services de santé, tout comme cela commence déjà à être le cas dans l’industrie du médicament. » (Éric Sebban) UNE MÉDECINE RÉSOLUMENT PLUS PRÉDICTIVE Cela grâce notamment à l’apport de la génomique Le potentiel des objets et des services de santé connectés est absolument extraordinaire, en tout premier lieu pour détecter l’apparition de facteurs prédictifs précoces notamment dans les pathologies chroniques. Tout l’enjeu de la médecine est d’être un jour capable de détecter les pathologies en amont, bien avant la manifestation de leurs premiers symptômes. Cet extraordinaire potentiel doit être conjugué aux progrès actuels de la génomique et du séquençage génétique pour donner une idée de ce que sera la médecine de demain. Il a fallu treize ans, de 1990 à 2003, et trois milliards de dollars pour décrypter les trois millions de paires de nucléotides, les « lettres » qui composent l'ADN humain. Aujourd'hui, les machines les plus performantes permettent de réaliser la même opération en quelques heures pour moins de 1 000 dollars, et certains laboratoires annoncent pour bientôt un prix de 200 ou 300 dollars… « Il sera bientôt possible de visualiser les risques pesant à dix, vingt ou trente ans sur chacun des individus en fonction de leurs prédispositions (recueillies par le séquençage) et de leurs habitudes de vie (alimentation, consommations d’alcool, de tabac, etc.), précisément mesurées grâce aux objets connectés. » (Éric Sebban) 1 La durée moyenne d’une consultation est d’une quinzaine de minutes, dont la moitié environ est allouée aux 3 prises de constantes. *** QUELS RÉSULTATS CLINIQUES ? L’EXEMPLE DE CARDIAUVERGNE DANS LE SUIVI DE L’INSUFFISANCE CARDIAQUE L’insuffisance cardiaque chronique, première cause d’hospitalisation après 60 ans, garde parmi toutes les pathologies un des pronostics les plus défavorables. Conscient de cet enjeu majeur de santé publique, l’Agence régionale de santé d’Auvergne a décidé, à l’automne 2010, de soutenir la création de Cardiauvergne pour coordonner les soins des patients atteints d’insuffisance cardiaque. 2 000 patients insuffisants cardiaques (les cas les plus graves) profitent depuis lors du programme de surveillance et de coordination des soins. Chaque patient est doté d’une balance et d’un tensiomètre. Ses constantes sont contrôlées à distance chaque jour. Le programme coordonne le suivi et la prise en charge des patients entre les divers intervenants. Il prend également en charge l’éducation thérapeutique des patients et de leurs aidants. Les résultats obtenus confirment – et même améliorent – ceux issus d’expérimentations plus anciennes, conduites dans d’autres régions, notamment en Lorraine, à savoir : une diminution de 50 % des ré-hospitalisations, un allongement du délai entre deux hospitalisations (de 90 jours à 214 jours), une diminution de 50 % de la mortalité ; ce qui représente une diminution des coûts pour la société de 45 % par patient et par an et surtout une amélioration de la qualité de vie des patients. Cardiauvergne, le CHU de Clermont-Ferrand et la CPAM d’Auvergne sont actuellement en train de mettre en place un protocole d’étude avec pour objectif de fournir des résultats cliniques certifiés. Toujours dans le domaine de l’insuffisance cardiaque, le programme de télé-suivi Cordiva, réalisé en Allemagne auprès de 16 000 patients, a démontré une diminution des coûts de 955 euros par patient et par an, avec également une réduction du nombre des hospitalisations de 41 % pour les hospitalisations pour cause cardio-vasculaire et de 28 % pour les hospitalisations pour toute cause. Dans un autre domaine, celui de la cancérologie, le docteur Fabrice Denis, spécialiste du cancer du poumon à l'Institut interrégional de cancérologie Jean Bernard au Mans, a présenté à la conférence annuelle de l'American Society of Clinical Oncology (ASCO), organisée à Chicago en juin dernier, une application mobile inédite permettant de proposer des soins plus tôt aux patients atteints d'un cancer avancé du poumon : au terme de cette expérimentation, la survie moyenne des 133 patients de l’étude a été de 19 mois, au lieu de 12 mois dans le groupe témoin recevant un suivi médical standard. La qualité de vie des patients utilisateurs de l’application Moovcare a également été jugée meilleure. Si cette approche confirme l'importance d'améliorer la communication entre le médecin et le patient, elle participe également à l’ouverture d’une nouvelle ère dans le suivi médical, mettant les patients en contact continu avec leur cancérologue. Rien ne s’opèrera en France dans le domaine de la médecine connectée tant que l’acte médical n’aura pas été valorisé. Les médecins face à la médecine connectée – Ce sont souvent encore les patients qui digitalisent les médecins ; la médecine connectée reste surtout plébiscitée par les patients. Mais les choses sont 4 tout de même en train d’évoluer et de plus en plus de généralistes réintègrent leur rôle de prescripteurs en la matière. Les diagnostics réalisés par le biais de dispositifs médicaux connectés ne sont non plus jamais que des orientations, assorties d’un degré d’urgence. Elles fonctionnent comme des plateformes de tri. En attendant une possible prise en charge par les mutuelles de complémentaire santé, ce sont aujourd’hui les patients qui prennent en charge tous les coûts du service : les dispositifs médicaux, leur abonnement à la plateforme, l’appel au médecin (environ 14 euros pour avoir un médecin disponible 24h/24, 7 jour/7, partout dans le monde) : en France, où l’Assurance maladie reste extrêmement généreuse, les attraits des services numériques sont évidemment moins probants qu’ailleurs. C’est dommage car c’est donc ailleurs, où la santé coûte très cher mais également où l’offre médicale est moins développée, que la médecine connectée est en train de s’ancrer. Et rien ne s’opèrera en tout cas en France tant que l’acte médical n’aura pas été valorisé. Peut-être sera-t-il utile de préciser ici que la société Bewell Connect Corp., à travers laquelle le groupe Visiomed ambitionne de devenir le leader de la santé connectée, a été créée à Boston aux États-Unis. Si la première version des applications Bewell Connect a été réalisée en 2015 et les premiers services associés, Bewell Checkup et MyDoc , n’ont eux-mêmes été lancés que début 2016, suivis des premiers accords de partenariat avec des acteurs reconnus de la santé connectée, du big data et des télécommunications ; il faudra donc attendre au moins fin 2016 pour avoir un aperçu plus exhaustif des marchés les plus prometteurs, tant en termes géographiques que médicaux (des pathologies. *** La santé connectée renferme un immense potentiel d’innovation positive, mais qu’il nous faut encore libérer : cela repose essentiellement sur la capacité que les industriels témoigneront pour convaincre les professionnels de santé et les patients d’y adhérer. En France, la politique suivie reste ici plus que timorée. Selon Éric Sebban, une première feuille de route devrait être établie, visant prioritairement quatre objectifs : 1. 2. 3. 4. le Remboursement des solutions efficaces ; la Rémunération des professionnels de santé ; la Responsabilité des professionnels de santé ; la Régulation. Une gouvernance urgente est à mettre en œuvre pour consolider la filière. Mais le décret relatif à la télémédecine s’est perdu sur le bureau de la Ministre et les industriels attendent toujours les précisions réglementaires sur le téléconseil et la téléconsultation, indispensables à l’élaboration de nouveaux objets et services. Martine LE BEC rédactrice en chef de la revue Prospective Stratégique 5