L’acquisition du savoir et l’enrichissement culturel Claude Gervais Président Association des universités du troisième âge du Nouveau-Brunswick LA THÉMATIQUE L’éducation, la formation, l’apprentissage (donc l’épanouissement culturel) sont-ils encore de nos jours organisés seulement pour les jeunes d’âge scolaire en vue de les préparer à leur vie d’adulte ou sont-ils adaptés aux seniors? Le développement récent des moyens de communication rend-il possibles l’acquisition des connaissances et l’enrichissement culturel aussi bien par l’action individuelle que par l’organisation collective? EXPOSÉ THÉMATIQUE Apprentissage et culture : le contexte Depuis les années 80, les nombreuses transformations sociales et économiques défient les modèles traditionnels du vécu des personnes à la retraite. De plus, le phénomène de l’allongement de la vie vient s’ajouter à ces défis. Cette nouvelle réalité interpelle autant chaque senior en l’invitant à une action individuelle que la société en l’invitant à organisation collective. Dans leur étude sur vieillissement de la population canadienne, Ulysse et Lesemann (1997) constatent que "le vieillissement n'est pas un processus uniforme pour toutes et tous, et que les seniors ne forment pas un bloc homogène". Selon ces auteurs, le vieillissement est plutôt "un processus pluriel où interagissent des facteurs d'ordre individuel et sociétal". Selon l’OMS et Santé Canada, les facteurs reconnus sont de deux niveaux : d’abord, les facteurs liés à l’individu (le sexe de la personne, son génotype, son éducation, ses habitudes de vie et ses 2 aptitudes d'adaptation); ensuite, les facteurs collectifs et environnementaux, (son groupe ethnique, son revenu, son lieu de travail avant la retraite et les politiques sociales de son pays). Ces deux ensembles de facteurs déterminent largement l’autonomie de la personne au moment de la retraite. En concomitance, l'allongement de l'espérance de vie et les départs précoces à la retraite constituent le pivot de l’émergence d’un nouveau moment de la vie que Mercier (2000) résume ainsi: « À l'intérieur du cycle de vie, le temps de la retraite s'étale désormais sur plusieurs années (15, 20, 25 ans) »; cette observation est pleine de conséquences car, selon elle, « la période de vie à la retraite peut égaler le temps consacré au travail ou à la carrière ». Cette nouvelle réalité amène les sociologues à regarder la vie comme processus dynamique s'étalant sur toute la durée de celle-ci. Un nouveau concept vient ici illustrer la complexité de cette continuité en lui associant une dimension d’authenticité : une authenticité qui se caractérise par le principe de développement personnel continu tout au long de la vie ce qui constitue la dynamique de vie de l’individu à la retraite. Ce principe de continuité appelle une nouvelle perception du cheminement de la personne tout au long de sa vie. Certains désigneront ce nouveau paradigme social par l’expression d'une culture de la longue vie, d’autres, par une culture de la longévité. * Un nouveau paradigme éducatif pour les aînés Christine Marking (1999) affirme que « rares sont les pays qui disposent d'une conception et encore moins d'un programme d'action à l'intention des besoins d'éducation et de formation des personnes âgées... ». Elle affirme que « lorsqu'ils existent, les programmes de formation destinés aux adultes ne sont généralement pas adaptés aux besoins des personnes âgées ». Elle reconnaît également que plusieurs obstacles peuvent empêcher les seniors de se prévaloir des ressources de l'éducation continue car là où ces programmes existent, ils sont généralement orientés vers la vie professionnelle et ne sont ni adaptés aux besoins des aînés ni conçus en fonction des caractéristiques d'une clientèle qui cherche dans l'éducation continue un moyen d'actualisation et de développement personnel. Toujours selon Marking, pour que les UTA répondent aux besoins des seniors, elles doivent rendre l’éducation financièrement, pédagogiquement, physiquement et socialement accessible toutes et tous. Nous n’avons pas 3 le temps ici de traiter ces quatre qualités de l’éducation dans les UTA; toutefois, certaines seront l’objet de discussions lors des ateliers thématiques. EXPOSÉ THÉMATIQUE (PRÉPARATION DE L’ATELIER DE TRAVAIL) Accessibilité pédagogique Les avancées récentes dans la compréhension du fonctionnement du cerveau humain nous apprennent qu’il n’y a pas de différence significative dans le processus de traitement de l’information quel que soit l’âge de la personne. Alors, comment apprenons-nous ? Pour bien comprendre ce processus d’apprentissage, partons de la prémisse suivante : tout apprentissage est fonction de la mémoire . Trois principes directeurs découlent de cette prémisse et opèrent en trois phases ou étapes interdépendantes : • Étape 1 : l’information est perçue par les sens (mémoire sensorielle) et est acheminée à la mémoire de travail. • Étape 2 : l’information recueillie est traitée dans la mémoire de travail. • Étape 3 : si l’information traitée est significative, elle sera emmagasinée dans la mémoire à long terme; si elle n’est pas ou ne semble pas significative, elle sera rejetée. Ce processus s’illustre bien par les sciences de l’informatique. Lorsqu’on tape un mot sur un clavier (stimulus ou mémoire sensorielle) l’information est transmise à un logiciel qui traite cette information qui apparaît à l’écran : c’est la mémoire de travail. Si l’information qui apparaît à l’écran est significative et que nous désirons la conserver, nous l’enregistrons sur le disque dur (mémoire à long terme). Bien que l’analogie semble intéressante, cela n’est pas si simple pour l’être humain car en tant qu’être complexe, nous avons des sentiments : nous sommes des êtres impressionnables et avons des émotions et qui plus est, nous avons également des préjugés qui originent de notre culture, de notre vécu. Ces émotions et ces préjugés sont stockés dans notre mémoire à long terme et sont activés lors du traitement de toute nouvelle information. 4 Prenons l’exemple d’un problème de mathématique à résoudre. Si dans des situations antérieures nous avons trouvé plaisir à résoudre des problèmes difficiles, nous serons motivés à travailler à la solution d’un nouveau problème. Notre interprétation sera : « Voilà un beau défi à relever ». Dans le cas d’expériences antérieures négatives, notre interprétation risque plutôt d’être : « Ah! Pas encore un de ces problèmes difficiles! » ou encore « Je déteste ces problèmes ». Nous voyons donc que le vécu de la personne (les expériences antérieures) engendre des émotions qui peuvent être plaisantes ou désagréables. Si celles-ci sont plaisantes, elles serviront de motivation à apprendre; par contre, si elles sont désagréables, elles deviendront des inhibitrices à de nouveaux apprentissages. Dans ce dernier cas, il faut travailler à contourner le sentiment d’impuissance avant d’aborder, avec succès, de nouveaux apprentissages. Dans le cas de préjugés, il faut travailler à les désamorcer et à les remplacer par des éclairages justes et appropriés avant de passer à de nouveaux apprentissages; en d’autres mots, il faut défaire pour reconstruire. Puisqu’on parle ici d’universités du 3e âge, la question qui se pose est évidemment « Comment rendre pédagogiquement accessible à tous les seniors une pédagogie dite de niveau universitaire. À partir de l’exposé théorique précédent, la réponse à cette question apparaît à la fois simple et complexe; elle est simple parce qu’elle repose sur le principe d’un apprentissage volontaire et sélectif; on s’inscrit à un cours, à une activité plutôt qu’à une autre (sélectivité) parce qu’on le veut (acte volontaire). Cette activité est alors perçue comme une activité plaisante et enrichissante et elle enclenche un facteur motivationnel, c’est-à-dire une prédisposition à l’apprentissage proposé ou choisi. La réponse est complexe parce qu’elle doit tenir compte d’un ensemble de variables qui sont inhérentes à des personnes qui ont des besoins différents de ceux des jeunes étudiantes et étudiants en cours de formation et de certification et qui ont des dispositions à l’apprentissage également distinctes de celles des jeunes. Pour poursuivre l’atelier, je vous propose les questions suivantes : 5 Questions aux participants 1. Quels seraient selon vous les qualités les plus importantes et les plus adaptées à une pédagogie favorisant l’apprentissage des seniors ? 2. Quels seraient selon vous les domaines d’étude qui pourraient le plus aider les aînés à réaliser une croissance personnelle en éducation continue ? 3. Comment cette pédagogie adaptée et comment les divers domaines d’étude identifiés plus tôt pourraient-ils favoriser un accès culturel ? 4. Les installations universitaires sont-elles accessibles aux seniors ? Si non, que faudraitil faire pour les rendre physiquement accessibles à toutes et toutes ? 5. Les cours offerts par les UTA sont-ils financièrement accessibles à tous les seniors ? 6. Lorsque des seniors suivent des cours avec dans les mêmes groupes que des étudiants plus jeunes, peut-on dire que ces cours sont socialement adaptés aux seniors ? Quels en sont les avantages ? Quels en sont les inconvénients ? Texte d’appui page suivante La perception sélective Une fonction remarquable du cerveau humain est sa capacité d'exclure certaines perceptions de la conscience. Comme Hoffmeyer (2000) l’a montré, “même quand notre conscience n'est pas consciente de cela, notre corps et notre cerveau continuent à interpréter le monde autour de nous et n’alertent notre conscience que quand cela devient nécessaire.” Ainsi, tous les processus sensoriels, moteur et cognitifs sont le résultat des propriétés d'inclusion et d'exclusion d'activité neuronale complémentaires du cerveau. La perception sélective est une composante particulièrement cruciale de mécanismes salutogènes fonctionnels. Il sert à exclure de la conscience des perceptions menaçantes pour que la capacité d’équilibre puisse être maintenue, malgré la réalité et les incertitudes d'une situation. La capacité du cerveau à manipuler la conscience en excluant sélectivement des stimulus est essentielle au maintien des mécanismes salutogènes fonctionnels et plusieurs phénomènes salutogènes comme l'effet de placebo, la guérison par la foi et les psychothérapies d'autoguérison en dépendent probablement (Beyerstein, 2001; Felmeden et al. 2000; Verre et 6 1997 Arnkoff; Levy 1997; Sidani et 2000 Stevens; Storck, Csordas et 2000 Strauss). Bien sûr, la perception sélective peut aussi avoir des effets délétères et mener à des erreurs de raisonnement, même parmi des savants et neurologues célèbres (Fischer 1971; Karczmar 2001). Mais les dangers potentiels de perception sélective ne nient pas la salutogenèse de ces actions. Parce que le cerveau est constamment engagé dans la sélection de l'activité neurale par des mécanismes inhibiteurs et stimulants complémentaires (Karczmar 2001), les « mécanismes salutogènes fonctionnels neuronaux » l'été 2002 • volume 45, des assemblées numéro 3325 impliqués dans la perception sont remodelé par l'expérience (Boonstra et al. 2001; Hebb 1964; Yoshimura et al. 2001). Ces mécanismes de neuroplasticité fonctionnent à tous les niveaux du système nerveux, de l'activité afférente de récepteurs sensoriels périphériques à l'activité efférente dirigée vers des organes neuroendocriniens, des vaisseaux sanguins et des muscles. Bien que la sélectivité de la perception rende probablement impossible d'être conscient de tout ce qui se passe partout dans le corps (Arbib 2000), il est évident que ces processus régulateurs sont essentiels pour sa santé et qu'ils fournissent la base des mécanismes salutogènes fonctionnels du cerveau.