Décembre 2012 Communiqué de presse Sommes‐nous plus que la séquence de nos gènes ? Pouvons‐nous échapper à la fatalité de notre constitution génétique ? Comment l’environnement et l’histoire individuelle influent‐ils sur l’expression des gênes ? Le Collège de France crée la chaire Épigénétique et mémoire cellulaire et nomme titulaire le Pr Edith HEARD, docteur en génétique et biochimie. Leçon inaugurale le 13 décembre 2012 La génétique a ouvert au 20ème siècle d’immenses champs de recherche, de découvertes et de nouvelles approches des maladies. Elle a bouleversé notre manière de comprendre le vivant. Mais l’aventure est loin d’être terminée. Les biologistes abordent aujourd’hui un nouveau pan de la discipline en pleine expansion : l’épigénétique. Comment l’information contenue dans nos gènes est mémorisée, lue, codée, interprétée ; quels sont les mécanismes qui contrôlent l’activité des gènes chez un individu, au cours de son développement et à travers les générations ? Tout reste à découvrir. La compréhension de ces mécanismes est aujourd’hui un enjeu essentiel dans la connaissance du vivant et ouvre un fantastique potentiel thérapeutique mais nombreux sont encore les obstacles à franchir. L’Assemblée des professeurs du Collège de France a donc décidé de créer une chaire Épigénétique et mémoire cellulaire et a nommé Edith Heard, directrice de l’Unité de Génétique et biologie du développement à l’institut Curie, titulaire. Le Pr Edith Heard s’intéresse à la régulation de l’expression des gènes et plus précisément à l’inactivation d’un des deux chromosomes X chez la femelle au cours du développement embryonnaire. Ses travaux ouvrent des pistes prometteuses sur la compréhension des mécanismes de dérégulation épigénétique dans le cancer et lui ont valu une reconnaissance internationale de tout premier plan. « Le séquençage du génome humain complet, au début des années 2000, a marqué une étape aussi excitante que terrifiante. Mais il a surtout révélé que la séquence du génome à elle seule ne nous permet pas de comprendre comment l’ensemble de nos caractères – nos forces, nos faiblesses, nos prédispositions à des maladies – sont déterminés. Avec toutes les questions éthiques et philosophiques que cela soulève. L’épigénétique – c’est‐à‐dire la façon dont la lecture du génome est influencée par son histoire cellulaire – se propose d’avancer les explications manquantes, affirmant que nous sommes plus que la séquence de nos gènes ». La leçon inaugurale d’Edith Heard se tiendra le 13 décembre 2012 et sera diffusée en direct sur le site de l’institution à 18h00. Ses cours auront lieu les lundis à 16h30 à partir du 04 février 2013, sur le thème Épigénétique, développement et hérédité. La leçon inaugurale et l’enseignement d’Edith Heard seront disponibles sur www.college‐de‐ France.fr en audio, en vidéo ainsi qu’en version française et anglaise. Contact presse : Marie Chéron/Cécile Barnier : 01 44 27 12 72 - [email protected] Décembre 2012 Chaire Épigénétique et mémoire cellulaire Leçon Inaugurale du Pr Edith HEARD (résumé) Au vingtième siècle, la science a découvert cette réalité extraordinaire : comment l’information biologique est stockée, lue et recopiée dans la molécule d’ADN. Nos gènes sont des unités d’informations écrites dans la séquence de l’ADN sous forme de lettres, les bases des nucléotides. Cette information dans nos gènes détermine (« code ») les protéines, qui sont des molécules essentielles pour assurer les fonctions nécessaires à la vie. Les différences observées entre les séquences de l’ADN rendent compte de la diversité des êtres vivants : non seulement la diversité entre les espèces mais aussi, au sein d’une même espèce, l’essentiel de la diversité entre individus. Mais il nous reste beaucoup à apprendre sur les mécanismes précis à l’œuvre dans la lecture de l’ADN, on dit dans son « expression », pour produire la diversité des cellules d’un même organisme. En d’autres termes, sur les mécanismes qui contrôlent l’activité des gènes chez un même individu. Prenons des individus qui possèdent la même molécule d’ADN, le même patrimoine génétique : de vrais jumeaux, par exemple, ou bien des clones, ou encore les abeilles d’une même ruche. Comment se fait‐il qu’ils présentent des différences dans leurs caractères observables, ou « phénotypes » ? Qu’on observe de telles différences entre les abeilles ouvrières et la reine, par exemple ? Prenons maintenant l’exemple de l’œuf fécondé. Comment cette cellule unique parvient‐elle, au cours du développement d’un organisme, à donner naissance à des centaines de types cellulaires différents : à toutes les cellules spécialisées des différents organes ou tissus de l’organisme, et au sein d’un même tissu, à des cellules qui assurent un rôle encore plus précis ? Comment l’œuf fécondé engendre‐t‐il des cellules aussi différentes que les cellules du foie, des muscles ou de la peau, et à l’intérieur du cerveau, les cellules gliales, les neurones, et parmi ces neurones, ceux qui produisent la dopamine et ceux qui produisent l’acétylcholine, par exemple ? Comment cela est‐il possible, alors même que toutes ces cellules possèdent la même information génétique, portée par la même séquence d’ADN ? Cette question peut être reformulée autrement. Pourquoi et comment, à l’intérieur d’une même cellule, certains gènes sont‐ils exprimés et d’autres non ? Comment une cellule d’un type particulier parvient‐elle non seulement à « connaître » les gènes qu’elle doit exprimer, mais aussi à conserver cette mémoire des gènes exprimés ? Cette mémoire doit parfois être perpétuée durant des années ou dizaines d’années, parfois après des centaines de divisions cellulaires ! Et cette autre question étonnante : une fois la cellule différenciée, comment le processus de différenciation parvient‐il parfois à s’inverser ? La fécondation, par exemple, est la rencontre de deux gamètes très différenciés, le spermatozoïde et l’ovule. Il y a alors une tabula rasa de cette différenciation, qui engendre une nouvelle vie. Dans les cancers aussi, on observe souvent une dédifférenciation. Et dans les cellules en culture également : depuis les travaux du Japonais Shinya Yamanaka, prix Nobel de médecine 2012, nous savons que grâce à un cocktail de quelques protéines (quatre suffisent), des cellules différenciées adultes peuvent être reprogrammées en cellules dédifférenciées. Ces cellules souches « pluripotentes » peuvent donner naissance aux différents types de cellules de l’organisme, sinon à un organisme entier. Ce processus ouvre un fantastique potentiel thérapeutique, celui de la médecine régénérative. Mais il reste aujourd’hui très lent et son rendement est très faible. Pourquoi ? Où sont les freins ? Contact presse : Marie Chéron/Cécile Barnier : 01 44 27 12 72 - [email protected] Décembre 2012 Toutes ces questions tiennent au fait que l’ADN s’associe à des protéines et à des molécules d’ARN et qu’il subit des modifications chimiques. Ces modifications peuvent rendre l’ADN plus ou moins accessible ou faciliter l’association des facteurs activateurs ou répresseurs. C’est de cette façon qu’elles modifient l’expression des gènes – et qu’elles transmettent ces états d’expression à travers les divisions cellulaires. Tous ces processus, toutes ces questions constituent le champ privilégié de l’épigénétique – du grec « épi‐ », au dessus‐de », et « génétique ». Edith Heard travaille depuis 1990 sur un des exemples les plus frappants de contrôle épigénétique : l’inactivation chez les femelles mammifères de l’un des deux chromosomes X qu’elles portent. Découvert par la généticienne britannique Mary Lyon en 1961, ce processus essentiel conduit à une expression égale entre les deux sexes des gènes portés par le chromosome X. Établie aléatoirement sur l’un des deux chromosomes X tôt au cours de l’embryogenèse, l’inactivation est transmise de façon clonale au travers des divisions cellulaires et persiste tout au long de la vie adulte dans l’ensemble des lignages somatiques. Dès lors les femelles mammifères doivent êtres considérés comme des individus « mosaïques », dont chacun des tissus ou organes est composé d’un mélange de cellules exprimant exclusivement soit le chromosome X d’origine maternel pour les unes, soit celui provenant du père pour les autres. Depuis une dizaine d’années, l’épigénétique exerce une fascination croissante sur le public. Le séquençage du génome humain complet, au début des années 2000, a joué un rôle catalyseur. Cet exploit a marqué pour l’humanité une étape aussi excitante que terrifiante, en ce qu’il nous confronte à la réalité, et peut‐être à la fatalité de notre patrimoine génétique. Il ouvre la possibilité que tous nos caractères – nos forces, nos faiblesses, nos prédispositions à des maladies – soient lus dans le livre de notre génome. Avec toutes les questions éthiques et philosophiques que cela soulève. L’épigénétique – c’est‐à‐dire la façon dont notre génome est lu et dont cette lecture peut être mémorisée – crée au fond l’espoir que nous sommes «plus» que la séquence de nos gènes. Cette idée est sans doute à l’origine de la formidable explosion d’intérêt que suscite ce champ d’étude dans les médias et le grand public. Pouvons‐ nous échapper à la fatalité de notre constitution génétique ? Ce que nous mangeons, l’air que nous respirons, et même les émotions que nous éprouvons, peuvent‐ils influencer non seulement l’expression de nos gènes, mais aussi celle de nos enfants et petits‐enfants ? Il est certain que notre environnement modifie l’expression de nos gènes, et qu’il peut parfois conduire à des changements stables de nos caractères – et même dans certains cas à l’apparition de maladies. Mais dans quelle mesure ces changements peuvent‐ils être transmis d’une génération à l’autre ? C’est une autre affaire. Ces dernières années, on a découvert l’existence d’une hérédité de certains caractères, qui n’est pas fondée sur des changements de la séquence de l’ADN. Transmise au fil des générations, cette hérédité semble avoir une importance particulière dans le règne végétal. Mais quelle est l’importance du rôle de l’environnement dans cette hérédité ? Et dans quelle mesure cette hérédité intervient‐elle – si elle intervient – dans l’espèce humaine ? Ces questions ne sont pas résolues. Mais elles ont conduit à un étonnant regain d’intérêt pour la thèse de Lamarck de l’héritabilité des caractères acquis. Autrement dit, c’est l’idée selon laquelle des caractères acquis durant la vie de l’individu, sous l’effet de changements de l’environnement, peuvent être transmis aux générations suivantes. Cependant, s’il est possible que l’épigénétique joue un rôle dans l’Evolution, nos connaissances actuelles ne nous permettent pas de l’affirmer ni, si tel est le cas, d’en préciser l’importance. Le terme « épigénétique » lui‐même a plusieurs significations et que ces définitions évoluent toujours. Les choses se compliquent d’autant que les scientifiques eux‐mêmes confondent souvent ces notions : quand ils parlent « d’épigénétique », ils ne sont pas toujours d’accord sur ce dont ils traitent ! C’est la raison pour laquelle l’intitulé de cette chaire Contact presse : Marie Chéron/Cécile Barnier : 01 44 27 12 72 - [email protected] Décembre 2012 comporte l’expression « mémoire cellulaire ». Elle apporte la notion de maintenance et de propagation d’un état cellulaire, non seulement au fil des divisions cellulaires mais aussi au fil du temps. Cette mémoire cellulaire concerne l’activité des gènes, le repliement des protéines ou la structure cellulaire. Elle peut être maintenue et propagée tout au long des différentes échelles de temps de la vie : les cycles de vie des cellules ou d’un organisme, ou encore au cours des générations successives. Plus encore, cette mémoire cellulaire peut être stable ou transitoire, ou encore programmée pour être réversible, ou bien perdue accidentellement au cours de la vie. Une telle « amnésie » entraîne parfois une dysfonction ou une maladie. Dans d’autres situations, elle peut être un avantage pour l’individu, « démasquant » de nouvelles fonctions qui peuvent être sélectionnées par l’environnement au cours de l’Evolution. Telles sont quelques‐unes des notions que je souhaite développer au cours des prochaines années. Edith Heard Contact presse : Marie Chéron/Cécile Barnier : 01 44 27 12 72 - [email protected] Décembre 2012 Chaire Épigénétique et mémoire cellulaire Première année d’enseignement du Pr Edith Heard Épigénétique, développement et hérédité • Leçon inaugurale, le 13 décembre 2012 à 18h00 • Cours les lundis de 16h00 à 17h30 – Séminaire à 17h30 4 février Cours : Qu’est‐ce que l’épigénétique : d’Aristote à Waddington ? 11 février Cours : Bases moléculaires de l’épigénétique : comment lire et mémoriser la partition du génome 18 février Cours : L’inactivation du chromosome X chez les mammifères, un exemple de mémoire mitotique Séminaire : X‐Chromosome Inactivation Mechanisms par Joost Gribnau, Erasmus, Rotterdam 25 février Cours : L’empreinte parentale, une mémoire de l’origine maternelle ou paternelle des gènes Séminaire : Genomic Imprinting in Mammals par Anne Ferguson Smith, Cambridge University (UK) 11 mars Cours : Mémoire de l’environnement Séminaire : Trans‐generational Epigenetic Inheritance par Vincent Colot, ENS, Paris 18 mars Cours : Épigénétique et hérédité Séminaire : The evolutionary consequences of epigenetic inheritance par Troy Day, Queens University (Australia) • Colloque les 21 et 22 mai 2013 Epigenetic Mechanisms and Genetic Disease Organisé avec M. Jean‐Louis Mandel, Chaire de Génétique humaine La leçon inaugurale et l’enseignement d’Edith Heard seront disponibles sur notre site www.college‐ de‐France.fr en audio, en vidéo ainsi qu’en version française et Anglaise Contact presse : Marie Chéron/Cécile Barnier : 01 44 27 12 72 - [email protected] Décembre 2012 Chaire Épigénétique et mémoire cellulaire Biographie Née le 5 mars, 1965 à Londres (Angleterre). Edith HEARD est généticienne de formation. Elle a suivi des études en sciences naturelles à l’Université de Cambridge au Royaume‐Uni et a préparé son doctorat au « Imperial Cancer Research Fund » à Londres. Edith Heard est arrivée en France, à l’Institut Pasteur en 1990. Elle dirige aujourd’hui à l’Institut Curie, l’Unité de Génétique et biologie du développement et l’équipe «Épigenèse et développement des mammifères ». Elle a reçu de nombreuses distinctions pour ses travaux de recherche, comme la Médaille d’argent du CNRS, en 2008, le prix Jean Hamburger de la ville de Paris, en 2009, l’ERC Advanced Investigator Award du Conseil européen de la recherche en 2010 et le Grand Prix de la FRM en 2011. Elle est en outre membre élu de la prestigieuse Organisation européenne de biologie moléculaire (EMBO) depuis 2005. En 2012, elle a été nommée Professeure au Collège de France. Edith Heard se consacre depuis plusieurs années à l’étude des processus épigénétiques, tel que l’inactivation du chromosome X chez les mammifères, un modèle classique dans ce domaine. Ses travaux ont contribué à la compréhension des premiers événements qui accompagnent l’inactivation du chromosome X au cours de l’embryogenèse. Son équipe a mis en évidence une dynamique remarquable des changements épigénétiques au cours du développement précoce et a élucidé une partie des mécanismes responsables du processus d’inactivation du X. Elle a aussi démontré la diversité de stratégies mises en œuvre dans ce processus entre des mammifères même si ceux‐ci sont considérés comme très proches au cours de l’évolution. L’ensemble de ces travaux sont largement reconnus dans le domaine, car des mécanismes similaires semblent être impliqués dans d’autres processus épigénétiques. Activités de Recherche d’Edith Heard Les activités scientifiques d’Edith Heard portent sur l’étude de l’inactivation du chromosome X, phénomène essentiel au développement des mammifères femelles et emblématique de ce nouveau champ disciplinaire que l’on appelle l’épigénétique. Ce terme, qui a été proposé par Conrad Waddington, ne désigne plus comme initialement l’étude de la relation causale entre génotype et phénotype, mais aussi celle des phénomènes et mécanismes par lesquels certains changements d’activité des gènes non accompagnés de changements de la séquence de l’ADN sont mémorisés par la cellule puis transmis à sa descendance. Cette transmission ou héritage épigénétique, qui peut aller de quelques divisions cellulaires jusqu’à plusieurs générations sexuées, joue un rôle fondamental dans l’ensemble du règne vivant et tout particulièrement dans le développement des organismes multicellulaires ainsi que dans de nombreuses pathologies chez l’homme. Contact presse : Marie Chéron/Cécile Barnier : 01 44 27 12 72 - [email protected] Décembre 2012 Diffusion internationale de la leçon inaugurale du Pr Edith HEARD Dans le cadre du partenariat entre le Collège de France et l'Institut français, la leçon inaugurale du Pr Edith HEARD fera l'objet d'une diffusion internationale à partir du site Internet du Collège de France. Des sous‐titres simultanés en anglais permettront d'élargir son audience à des publics non francophones. Le Collège de France collabore avec une dizaine d'ambassades et d'instituts français dans le monde pour œuvrer à accroître la communauté de personnes qui suivront en direct (ou en différé) cet événement à partir du Campus numérique international du Collège de France. Les pays impliqués sont les suivants : Chine, Congo Brazzaville, Corée du Sud, Etats‐Unis, Hongrie, Japon, Kenya, Lettonie, Mexique, Pays‐Bas, Suède, Slovénie, Serbie. Les publics qui assisteront à la diffusion en ligne de la leçon inaugurale pourront poster des questions écrites au Pr HEARD qui feront l'objet d'une discussion vidéo entre elle‐même et le Pr Alain PROCHIANTZ, titulaire de la chaire des Processus morphogénétiques. Contact presse : Marie Chéron/Cécile Barnier : 01 44 27 12 72 - [email protected]