Qui décrochera la Lune ?

publicité
SUDOUESTDIMANCHE 2 avril 2017
Horizons
13
Qui décrochera la Lune ?
CONQUÊTE SPATIALE Un temps éclipsé par Mars, le satellite de la Terre attire de nouveau bien des convoitises. Entre projets
touristiques, hub spatial ou fantasmes miniers s’y bousculent des enjeux politiques, scientifiques et économiques
PHILIPPE BELHACHE
[email protected]
a Terre a-t-elle de nouveau rendez-vous avec la Lune ? Leurs
prochaines rencontres n’auront, en tout cas, rien de poétique.
Un temps éclipsé par Mars, le satellite préféré des loups garous se retrouve au centre de toutes les attentions. Mais a-t-il jamais cessé de
l’être ? Au-delà des coups de pub du
milliardaire d’origine sud-africaine
Elon Musk, dont la société SpaceX
propose des vols touristiques autour de la Lune, et des coups de
cœur du président américain Donald Trump, qui met la conquête
spatiale au cœur de son agenda, les
scientifiques ne l’ont jamais vraiment quitté des yeux.
En 2007, le géant du numérique
Google a parrainé un concours de
la fondation XPrize, doté de 30 millions d’euros, destiné à relancer la
course vers la Lune. « Le but est de
faire avancer des technologies en
impliquant des sociétés privées,
non financées par l’argent public »,
explique l’astrophysicien Francis
Rocard, responsable du programme d’exploration du Système
solaire au Centre national d’études
spatiales (Cnes). « Le défi est de poser un rover qui devra parcourir au
moins 500 mètres et transmettre
des images, voire des vidéos », détaille-t-il.
L
Ressources minières
Dix ans plus tard, cinq projets internationaux restent en course, avec
pour objectif d’effectuer un lancement… dès cette année. La France
y est représentée par l’intermédiaire du Cnes, qui fournit des microcaméras spatiales à l’équipe indienne Team Indus.
Qu’espèrent réellement les entreprises engagées ? Au-delà de l’innovation technologique, des start-up
comme l’américain Moon Express,
qui a signé un contrat avec SpaceX
pour le lancement de son rover, mi-
sent sur l’exploitation de ressources lunaires. Les principales ? L’hélium 3, les terres rares ou même la
glace (lire ci-dessous). Un enjeu
commercial suffisamment important – évalué en milliers de milliards de dollars – pour que l’administration Obama, en 2015, fasse voter le Space Act, un texte autorisant
ces sociétés à conserver les ressources qu’elles seraient susceptibles de
ramener. En
s’asseyant, au
passage, sur le
Le Space Act
traité de l’esentre en
pace, en vicontradiction
gueur depuis
avec le droit
1967…
international.
« Le Space Act
L’expérience
crée un cadre
montre que
juridique qui
les Américains, rassure
les
start-up amériparfois,
caines, pourpassent outre
suit Francis Rocard. Il entre effectivement en contradiction
avec
le
droit
international et les divers traités de
l’espace. L’expérience montre que
les Américains, parfois, passent outre. Mais pour l’instant, c’est purement théorique. Au sens où l’on est
loin d’exploiter quoi que ce soit sur
la Lune aujourd’hui. »
Outil de propagande
Cela n’empêche pas certains pays
comme l’Inde, la Chine ou, plus récemment, la Corée du Sud, d’afficher leurs ambitions en la matière,
pour des raisons autant politiques
qu’économiques. « C’est exactement ce qui se passait en Union soviétique il y a quarante ans. L’exploration spatiale était une vitrine à
usage externe pour promouvoir la
technologie soviétique. Mais aussi
à usage interne, pour montrer à la
population que l’URSS savait faire
des choses magnifiques. Ainsi,
l’Inde et la Chine ont réalisé leurs
propres essais – Pékin a effectué
trois missions lunaires. Mais ils
commencent à s’ouvrir à la coopé-
L’astronaute Harrison Schmitt à côté du rover de la mission Apollo 17 (du 7 au 19 décembre 1972),
qui fut la dernière exploration lunaire entreprise par les États-Unis. À quand la prochaine ? NASA
ration internationale. » L’avenir de
la Lune, à moyen terme, pourrait
cependant passer par la création
d’une station spatiale, sorte de hub
placé en orbite cislunaire, dans le
cadre du projet américain de
voyage habité vers Mars, validé par
l’administration Trump.
« La Nasa affiche, dans sa feuille
de route Journey to Mars [voyage
vers Mars, NDLR], sa volonté de
construire cet équipement. Dans
les vingt ans qui viennent, la Lune
pourrait prendre la suite de la Station spatiale internationale (ISS),
avec une unité habitée plus modeste, mais malgré tout significative, en orbite lunaire. »
Ce qui marquerait le départ
d’une nouvelle ère de l’exploration
spatiale.
« Cela dépend de la fin de l’ISS,
dont le programme a été prolongé
jusqu’en 2024. Pour des questions
de budget, il faut arrêter l’un pour
commencer l’autre… » conclut
Francis Rocard.
Ce que recherchent les sociétés minières
RESSOURCES La Lune représente-t-elle l’eldorado promis par les start-up américaines ? Rien n’est moins sûr
Quelles ressources les entreprises minières, telles que Moon Express, espèrent-elles exploiter ? Et ce projet est-il
seulement réalisable ? Le point avec
Francis Rocard, responsable du programme d’exploration du Système
solaire au Cnes.
L’eau
C’est le premier objectif. Son intérêt ?
Produire in situ de l’oxygène et de
l’hydrogèneliquidedestinésaucarburantdesfusées. Destonnesdeglaceseraient identifiées aux pôles. « Nous
ne savons pas encore, cependant,
comment on pourrait descendre,
avec un engin à roulettes, au fond
d’un cratère, à - 130 °C, pour aller chercher de l’eau. Le rover va geler sur
place. L’existence de l’eau dans les cratères,enpermanencedansl’ombreau
niveau des pôles, c’est quelque chose
qui a été confirmé par le programme
LCross, mais dans des quantités relativement faibles. Je n’ai jamais vu un
projet qui imagine accéder à ce matériau physiquement. »
kushima possibles. Si cette technique
se concrétise, ce ne sera pas avant la
deuxième moitié du XXIe siècle… »
L’hélium 3
Les terres rares forment une famille
de métaux aux propriétés spécifiques, dont les nouvelles technologies
sont friandes. « On en trouve partout,
y compris en France, mais leur exploitation nécessite une chimie lourde
et très polluante. Personne n’a envie
de le faire en Europe, on préfère acheter aux Chinois. Et il y a risque de pénurie. Une éventuelle exploitation lunaire ou astéroïdale exigerait une
concentration très forte de terres rares ou de platinoïdes. Sachant que cela nécessite des usines complexes,
avec de la chimie en phase liquide,
pour extraire d’infimes quantités de
ces métaux à partir de tonnes de matériaux… »
Les terres rares
Cet isotope de l’hélium naturel est recherché dans le cadre du développement de la technologie de fusion
thermonucléaire pour la production
d’énergie. « Il n’existe pas sur Terre
parce qu’il est instable. Le vent solaire,
qui contient 97 % d’hydrogène et 2,3 %
d’hélium avec quelques pouièmes
d’hélium 3, bombarde la surface de la
Lune en permanence. Il y en a donc
dans des épaisseurs de grains qui
sont de l’ordre de 500 angströms
(1 dixième de milliardième de mètre). On en a trouvé un tout petit peu
dans les échantillons lunaires. On
peut effectivement concevoir de façon relativement simple – mais très
La Nasa étudie la possibilité d’extraire de l’eau de la Lune. NASA
onéreuse – de l’extraire. Cela implique de brasser des tonnes de régolite
et de le traiter sur place, après avoir
mis en place des structures lourdes,
et de ramener l’hélium 3 sur Terre. »
Pour un réel usage ? « Aujourd’hui,
on sait faire la fusion, mais le rendement est encore négatif. La centrale
Iter, dans la vallée du Rhône, utilise
la fusion la plus simple sur le plan
théorique, celle au deutérium-tritium, infiniment moins difficile à
mettre en place que celle à l’hélium.
L’intérêt de la fusion à l’hélium 3 est
qu’elle n’émet pas de neutrons, et
donc pas de radioactivité. C’est un
rêve de la physique nucléaire : il n’y
aurait plus de Tchernobyl ou de Fu-
Téléchargement