PHARMAZIE UND MEDIZIN PHARMACIE ET MÉDECINE Prise de position de la Commission des médicaments des pharmaciens suisses CMPS au sujet de l’automédication en matière de douleurs Problèmes et risques découlant de la libéralisation du marché des analgésiques A K A Forum Kurt Hersberger, Marianne Beutler, Ueli Honegger, Ivan Nemitz La Commission des médicaments des pharmaciens suisses, commission interdisciplinaire d’experts réunissant des pharmaciens et des médecins venus de la pratique, de la recherche, de l’enseignement et de l’administration, décèle dans la libéralisation du marché des analgésiques un important potentiel de risques pour la population, ce qui lui a fait rédiger la présente prise de position destinée aux membres des professions médicales et au grand public. La révision de groupe des analgésiques entrée en vigueur le 1. 1. 2004 a réduit au nombre de cinq les principes actifs autorisés pour l’automédication en matière de douleurs. Il s’agit du paracétamol jusqu’à 500 mg, de l’acide acétylsalicylique AAS jusqu’à 500 mg, de l’ibuprofène jusqu’à 400 mg, du diclofénac jusqu’à 12,5 mg et du naxoprène jusqu’à 200 mg. Sur ces cinq principes actifs autorisés, deux, à savoir le paracétamol et l’AAS, sont aussi disponibles en droguerie afin de faciliter l’automédication. Le 1. 12. 2004, l’autorité de contrôle des médicaments a autorisé le transfert en catégorie de remise D des analgésiques contenant de l’ibuprofène 200 mg, voire 400 mg, ce qui permet désormais de les trouver en droguerie sans le conseil éclairé d’un membre d’une profession médicale. L’automédication en matière de douleurs est un phénomène très largement répandu. En 2002, l’enquête suisse sur la santé a révélé que dans les sept jours précédant le sondage, 13% de la population avait eu recours à un antidouleur. Il est d’autant plus important de veiller à protéger le consommateur contre tout préjudice ou tromperie. La Commission des médicaments des pharmaciens suisses décèle les problèmes et risques suivants associés à l’automédication en matière de douleurs: À marque ancienne, composition nouvelle Lors de la révision de groupe, de nombreux analgésiques au nom de marque connu (Saridon® ou Tonopan®, par exemple) ont vu leur composition remaniée en profondeur. Même lorsque, dans le meilleur des cas, la nouvelle composition est signalée par l’inscription supplémentaire «nouvelle formule», les fabricants ne renseignent pas les consommateurs sur les propriétés et les conséquences du «nouveau» principe actif. Ce qui est particulièrement choquant, c’est la banalisation des noms de produits. C’est ainsi que la publicité ou le rayon de vente font se côtoyer dans la même présentation «Perskindol Relax Soft Milk®», qui est un produit de soins pour la peau, et «Perskindol Dolo®», qui est un antidouleur en comprimés à base d’ibuprofène. Principes actifs «inconnus» Les cinq principes actifs autorisés pour l’automédication en matière de douleurs sont commercialisés sous 131 noms de spécialités: l’acide acétylsalicylique sous 24 marques, le paracétamol sous 75 marques, l’ibuprofène sous 28 marques (état de juin 2004). Pour un même principe actif, diverses indications sont mises en avant, ainsi les troubles des règles, les céphalées, la fièvre, les douleurs dentaires, les séquelles de brûlures. Or, des études montrent que la population associe des noms de marque aux effets d’un médicament, qu’elle ne s’intéresse pas au principe actif en cause et qu’elle ne saurait par ailleurs 373 51858_SAZ_10_s_373_375 373 pas le différencier selon son profil d’action. Ce qui ouvre un champ libre à la prise simultanée de produits contenant le même principe actif pour combattre des troubles divers qui se manifestent simultanément. C’est pourquoi la Commission des médicaments des pharmaciens suisses exige que l’indication du principe actif figure en bonne place sur l’emballage. Introduction de l’ibuprofène en droguerie La libéralisation de l’ibuprofène désormais disponible aussi en droguerie jusqu’à 400 mg en facilite l’accès et entraînera une utilisation encore plus fréquente de cette molécule. Aujourd’hui, une personne sur deux a déjà recours à l’ibuprofène pour calmer ses douleurs. S’y ajoute le fait que les prix de vente de la dose unitaire sont environ le double de ceux du paracétamol. Ce qui ne manque pas de constituer une incitation malvenue à favoriser au plan du marketing, mais aussi de la vente cet anti-inflammatoire plus cher, mais moins sûr à l’emploi. La publicité télévisée ne fait qu’accentuer cette tendance. Interactions La libéralisation intervenue sur le marché des analgésiques donne une fausse impression de sécurité. En réalité, l’ibuprofène comporte un risque important d’interactions et d’effets indésirables, risque qui augmente avec la dose. Il en va de même pour le naproxène, le diclofénac et l’AAS. Rappelons les interactions de l’ibuprofène potentiellement significatives au plan clinique avec l’AAS faiblement dosé, les anticoagulants oraux, le lithium, le méthotrexate, les antihypertenseurs dont il affaiblit l’action ou, en présence d’une insuffisance rénale, la péjoration de la fonction rénale en association avec des Schweizer Apothekerzeitung, 10/2005 4.5.2005 14:51:04 Uhr PHARMAZIE UND MEDIZIN PHARMACIE ET MÉDECINE diurétiques ou la ciclosporine. Il appartient aux membres des professions médicales d’identifier et d’éviter les interactions médicamenteuses potentielles, ce qu’interdisent les modalités de remise actuelles. Effets indésirables En ce qui concerne la sécurité d’emploi à long terme, on aura surtout présent à l’esprit le risque d’ulcère gastroduodénal bien connu, ainsi que le risque cardiovasculaire actuellement discuté en relation avec les inhibiteurs de la cyclooxygénase, même avec les inhibiteurs non sélectifs de la Cox-2 (AINS). Ces raisons expliquent qu’il est impératif que les personnes suivant un traitement médical usent de la plus grande prudence en prenant des AINS de manière incontrôlée. Il est essentiel que le médecin traitant et le pharmacien soient informés de toute automédication afin de pouvoir évaluer à temps les risques encourus. C’est pourquoi la CMPS en appelle: – aux pharmaciens pour qu’ils prennent leur activité-conseil et leur capacité de triage très au sérieux en ce qui concerne la consommation d’analgésiques, et pour qu’ils communiquent à leur clientèle les mises en garde indispensables lorsqu’ils sont amenés à recommander ou à délivrer un anti-inflammatoire non stéroïdien; – aux médecins pour que leur anamnèse soit aussi complète que possible en matière d’antidouleurs et qu’ils soient conscients du fait que l’ibuprofène est aujourd’hui disponible en toute liberté en droguerie à des doses journalières pouvant atteindre 1200 mg sous une multiplicité de noms de marque anciens; – à l’opinion publique pour que chacun se rende compte que les antidouleurs peuvent être judicieux et sûrs à l’emploi, mais qu’une automédication sensée requiert le conseil du médecin ou du pharmacien. ■ Les auteurs sont membres de la Commission des médicaments des pharmaciens suisses CMPS: – Dr sc.nat. Kurt Hersberger, Institut de pharmacologie clinique, Université de Bâle Commentaire des experts Le principe actif doit figurer en bonne place sur l’emballage La Commission des médicaments des pharmaciens suisses met le doigt sur quelques points faibles remarquables de la libéralisation progressive des analgésiques destinés à l’automédication. Chaque préparation librement disponible ne comporte en soi qu’un faible risque lorsqu’elle est utilisée pour un traitement à court terme. Si toutefois un même principe actif est mis en vedette sous divers noms fantaisistes pour combattre divers symptômes qui se manifestent simultanément, il existe un risque de consommation excessive de doses importantes potentiellement préjudiciables. Une étude américaine de publication récente a en effet démontré que les 2⁄3 des patients ne connaissent pas le principe actif contenu dans leur antidouleur et que 40% estiment que les préparations autorisées pour l’automédication sont trop faibles pour provoquer des dégâts (Roumie et al, Drugs Aging 21: 485, 2004). L’exigence de la Commission des médicaments des pharmaciens suisses qui veut que le principe actif figure en bonne place sur l’emballage et que la population soit mieux informée des risques potentiels que comportent un usage prolongé des antidouleurs ou la prise simultanée d’autres médicaments est donc digne de soutien. Espérons que le présent appel sera écouté, que le public saura mieux apprécier les bénéfices et les risques inhérents aux antidouleurs et que les membres des professions médicales trouvent le temps nécessaire, dans leur pratique journalière, pour prodiguer les informations utiles à ce sujet. Professeur Bernhard Lauterburg, Pharmacologie clinique, Université de Berne. – Marianne Beutler, Dr pharm., directrice de la CMPS, Egg – Prof. Ueli Honegger, Institut pharmacologique, Université de Berne – Dr méd. FMH Ivan Nemitz, médecine générale, Estavayer-le-Lac Journal suisse de pharmacie, 10/2005 51858_SAZ_10_s_373_375 374 Traitement de la douleur – Un défi pour les membres de professions médicales Il faut reconnaître que la prise en charge de la douleur pose encore problème, même si la situation a évolué favorablement. En effet, de nombreuses études publiées montrent que les professionnels de santé ne sont pas assez attentifs aux douleurs des patients. Les traitements, particulièrement dans les situations de douleurs chroniques sont inadéquats, les médicaments ne sont pas prescrits de façon continue et ne permettent pas de supprimer la douleur. Les patients sont alors tentés de se traiter euxmêmes. L’accès libéralisé aux médicaments, habituellement considérés comme le premier palier du traitement de la douleur selon l’échelle de l’OMS, pose aussi problème. Il faut tenir compte des effets indésirables, comme le risque d’hémorragie, les allergies et des interférences avec d’autres médicaments. Cette situation est plus fréquente chez les personnes âgées à qui sont prescrits un grand nombre de médicaments, parfois un trop grand nombre. Il faudrait donc distinguer: – la prise occasionnelle d’un médicament pour une douleur aiguë, – le traitement antalgique bien conduit et prescrit par un médecin attentif à soulager les douleurs de son patient. Dans cette deuxième situation, le traitement devrait se faire sur ordonnance médicale, précisant la dose du médicament et l’horaire des prises. Prof. Charles-Henri Rapin, Poliger/ HUG, Département de Médecine Communautaire, Genève Adresse de correspondance Commission des médicaments des pharmaciens suisses CMPS Case postale 5247, 3001 Berne Tél. 01 994 75 63, fax 01 994 75 64 E-mail: [email protected] 374 4.5.2005 14:51:06 Uhr