Editorial Gestion périopératoire des traitements chroniques et dispositifs médicaux Pierre Albaladejo Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Pôle d’anesthésie-réanimation, CHU de Grenoble, 38043 Grenoble cedex 9 <[email protected]> U Tirés à part : Pierre Albaladejo 260 mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010 du traitement est prolongée. Les traitements les plus souvent en cause dans cette série étaient : les traitements antihypertenseurs, la L-Dopa, les benzodiazépines et les antidépresseurs. La réintroduction de ces traitements a permis de rééquilibrer les pathologies en cause. Si l’on peut comprendre la crainte (fondée ou non) d’une interaction médicamenteuse entre les médicaments de l’anesthésie et le traitement chronique en préopératoire, il n’existe pas de raison valable pour retarder leur réintroduction en postopératoire. Il existe d’ailleurs des études plus spécifiques montrant la morbidité induite par la non-réintroduction des traitements. Ainsi Shammash et al. [3] ont montré que, à l’instar de son interruption préopératoire, la nonréintroduction postopératoire de bêtabloquants est associée à une morbidité cardiaque. Une conséquence inattendue de l’interruption d’un traitement préopératoire peut être l’annulation de l’intervention pour non-respect de l’interruption du traitement. Quelles sont les raisons licites ou illicites d’interrompre et de ne pas reprendre un traitement chronique en postopératoire ? Ces raisons sont partagées entre une volonté d’éviter des interactions médicamenteuses associées ou non à des défauts d’organisations et de soins. Les consignes de doi: 10.1684/met.2010.0271 mt ne anesthésie, aussi simple soitelle, peut comprendre l’administration de plus de dix médicaments. Cette anesthésie sera probablement réalisée chez un patient âgé, porteur de multiples comorbidités et par conséquent traité par plusieurs médicaments. Donc la probabilité qu’une interaction médicamenteuse se produise augmente de façon exponentielle avec le nombre de médicaments administrés. Ce problème des interférences médicamenteuses en anesthésie n’est pas nouveau. Pourtant, les attitudes doivent évoluer car, malgré la haute probabilité pour qu’une interaction médicamenteuse se produise, il semble que peu d’entre elles ait un effet significatif et la possibilité d’une interaction médicamenteuse entraîne, le plus souvent l’arrêt des traitements chroniques susceptibles d’entraîner un déséquilibre des pathologies médicales du patient [1]. L’arrêt des traitements chroniques aboutit au mieux à une interruption simple de leur effet et au pire à une exacerbation de la pathologie pour laquelle ce traitement était indiqué. Kennedy et al. [2] ont étudié la relation entre traitement préopératoire, gestion de ces traitements et complications médicales postopératoires chez un millier de patient de chirurgie digestive et vasculaire. Il montre que cette relation existe et qu’elle est d’autant plus forte que l’interruption Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. « nihil per os » après minuit doivent être réformées parce qu’elles sont trop restrictives, inefficaces et elles entraînent un inconfort inutile pour le patient [4]. Elles restent pourtant difficiles à modifier parce qu’elles sont très faciles à faire comprendre aux patients et ancrées dans la culture hospitalière. Une conséquence fâcheuse est l’extension de ces consignes aux traitements chroniques. A contrario, l’absence de consigne claire aboutit spontanément à l’interruption et à la non-reprise des traitements. En effet, l’absence de prescription du maintien préopératoire d’un traitement chronique aboutit à son interruption au titre du jeun préopératoire. L’absence de prescription de reprise du traitement chronique en postopératoire va naturellement aboutir à une absence de reprise du traitement chronique. Ces attitudes ont des conséquences importantes : par exemple, l’arrêt préopératoire des morphiniques de longue durée d’action indiqués dans le traitement des douleurs chroniques est très fréquent, entraînant une gestion difficile de la douleur postopératoire [5]. L’interaction entre les traitements chroniques et la technique d’anesthésie est une raison licite. Il existe plusieurs raisons pour ne pas retenir ces arguments en pratique. Nous disposons d’une palette large de techniques d’anesthésie permettant de s’adapter au contexte pharmacologique lié au patient. Aucune technique ou médicament utilisé en anesthésie n’a montré, sauf exception, sa supériorité en termes de mortalité ou de morbidité. En conséquence, il n’y a que très rarement de raison pour imposer une technique contre le maintien d’un traitement préopératoire. Il faut vérifier à chaque fois que les interactions médicamenteuses concernent les médicaments utilisés. En effet, certaines interactions ont été décrites avec des médicaments de l’anesthésie qui ne sont plus utilisées (halothane). On peut remarquer que concernant ce problème, il existe un décalage entre les précautions d’emploi décrites dans le Vidal® et la pratique moderne de la spécialité. Par exemple, l’arrêt de l’isoniazide 15 jours avant une intervention chirurgicale est une recommandation commune écrite dans différents manuel et référentiels. À l’heure où l’épidémiologie de la tuberculose est défavorable et où le traitement antituberculeux devient difficile en raison de l’émergence de souches résistantes (parfois associé à un traitement mal conduit ou interrompu), cette recommandation n’est plus admissible. C’est donc une situation où la palette des techniques et des médicaments mis à la disposition des anesthésistes permet d’éviter une interaction médicamenteuse. Pour toutes ces raisons, le Comité des Référentiels de la Société Française d’Anesthésie et de Réanimation a sollicité un groupe d’experts pour produire un référentiel médical. Des cibles (les anesthésistes réanimateurs), des questions, un champ d’application, des groupes de travail et une méthode de travail (choix du type de référentiel) ont été définis. Pour chaque grand groupe de médicament ou dispositif médical, 6 questions ont été choisies et validées par le comité d’organisation : – Quel est le risque d’événement à l’arrêt ou au maintien du traitement ? – Existe-t-il une interférence avec les médicaments de l’anesthésie ? – Proposer une stratégie d’arrêt, de maintien et/ou de substitution. – Doit-on faire appel à un spécialiste pour une décision collégiale ? – Proposer une technique d’anesthésie et d’analgésie adaptée, dans une situation de geste programmé, en urgence, précautions/mise en garde. – Proposer une stratégie de reprise du traitement, en particulier les délais, et les voies d’administration en tenant compte du cas spécifique d’interruption du transit digestif. En raison du grand nombre de traitements et de dispositifs médicaux à analyser, et dans un souci de pragmatisme et de faciliter l’appropriation, ce référentiel a été segmenté en plusieurs modules, chacun des modules regroupant une famille de traitement. Cinq modules ont été définis a priori : – pathologies cardiovasculaires, – pathologies neurologiques et psychiatriques, – pathologies infectieuses, immunosuppresseurs, – pathologies endocriniennes, – douleur chronique et addiction. Un groupe de travail spécifique a été désigné pour chacun de ces modules. La liste des traitements et dispositifs médicaux déclinés au sein de chaque module n’est pas exhaustive. Elle comprend dans un premier temps, les traitements les plus fréquents, les plus difficiles à gérer, les plus faciles à gérer, pour des patients adultes. Les traitements antithrombotiques ont été exclus de ce référentiel car des référentiels spécifiques issus de la SFAR ou de l’HAS ont déjà couverts ces problématiques. La forme de référentiel médical choisi pour répondre à ces questions est la recommandation formalisée d’experts (RFE). Cette méthodologie est adaptée dès lors que les données scientifiques sont absentes ou peu nombreuses, d’un niveau de preuve peu élevé ou conflictuel, que les éléments de réponse sont indirects ou traités partiellement, pour les domaines pour lesquels les pratiques s’avèrent peu ou mal codifiées, voire d’une grande variabilité. En raison même de l’absence de données scientifiques indiscutables, une prise de position à un temps donné par un groupe d’experts dans le domaine concerné apparaît donc nécessaire. mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010 261 Editorial 1. Noble DW, Kehlet H. Risks of interrupting drug treatment before surgery. BMJ 2000 ; 321 : 719-20. 4. Practice guidelines for preoperative fasting and the use of pharmacologic agents to reduce the risk of pulmonary aspiration : application to healthy patients undergoing elective procedures : a report by the American Society of Anesthesiologist Task Force on Preoperative Fasting. Anesthesiology 1999 ; 90 : 896-905. 2. Kennedy JM, van Rij AM, Spears GF, Pettigrew RA, Tucker IG. Polypharmacy in a general surgical unit and consequences of drug withdrawal. Br J Clin Pharmacol 2000 ; 49 : 353-62. 5. Mitra S, Sinatra RS. Perioperative management of acute pain in the opioid-dependent patient. Anesthesiology 2004 ; 101 : 212-27. Références Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 3. Shammash JB, Trost JC, Gold JM, Berlin JA, Golden MA, Kimmel SE. Perioperative beta-blocker withdrawal and mortality in vascular surgical patients. Am Heart J 2001 ; 141 : 148-53. 262 mt, vol. 16, n° 3, juillet-août-septembre 2010