«L’inventiondelacitoyennetédansl’Antiquité» Recueildetextes 1. Athènes Qu’est-cequ’êtrecitoyen? Aristoteestunphilosophegrecquiadéveloppéunethéoriepolitiqueàpartirdesdifférentes constitutions grecques au Ve et IVe siècle av. Ici, il donne de la citoyenneté une définition générale. « Le citoyen est nécessairement différent suivant chaque constitution (politeia). C’est pourquoilecitoyendontnousavonsparléexistesurtoutdansunedémocratie;danslesautres régimes,onpeutletrouver,maispasnécessairement. Lanatureducitoyenressortainsiclairementdecesprécisions;quiconquealapossibilitéde participeraupouvoirdélibératifetjudiciaire,nousdisonsqu’ilestcitoyendecettecité,et nousappelons«cité»lacollectivitédescitoyensayantlajouissancedecedroit,etennombre suffisantpourassureràlacité,sil’onpeutdire,sonindépendance. Mais,selonl’usagecourant,uncitoyensedéfinitcommel’enfantnédedeuxparentstous deuxcitoyensetnond’unseul,sonpèreousamère;d’autresexigentdavantageetremontent jusqu’àlasecondeoutroisièmegénérationplushaut.» Aristote(384-322av.),LaPolitique,III,2,1275a-1275b. LadémocratieselonAristote « Le principe fondamental du régime démocratique, c’est la liberté ; voilà ce que l’on a coutumededire,sousprétextequedanscerégimeseulonalalibertéenpartage:c’estlà, dit-on,lebut de toutedémocratie.Une desmarquesde laliberté,c’est d’être tourà tour gouvernéetgouvernant. Lajusticedémocratiqueconsistedansl’égalitéselonlenombre,maisnonselonlemérite:si lajustice,c’estcela,le“souverain”,c’estforcémentlamassepopulaire. Chaquecitoyen,dit-on,doitavoirunepartégale;etlaconséquencedanslesdémocraties, c’estquelespauvressontpluspuissantsquelesriches:ilssontplusnombreuxetl’autorité souveraine,c’estladécisiondelamajorité. Ces principes de base une fois posés et telle étant la nature du pouvoir, voici les règles caractéristiques de la démocratie : élection des magistrats faite par tous et parmi tous, exercicedupouvoirpartoussurchacun,chacunàtourderôlecommandantàtous;tirageau sortdetouteslesmagistraturesoudumoinsdecellesquin»xigentniexpériencepratiqueni connaissances technique ; ensuite, versement d’indemnités, de préférence pour toutes les fonctions,assemblées,tribunaux,magistratures. De plus, puisqu’une oligarchie se définit par la naissance, la richesse et l’éducation, les marquesdeladémocratiesont,engénéral,opposéesàcelles-ci:bassenaissance,pauvreté, vulgarité.» Aristote,Politique,IV,1. L’équitédescitoyens Lescitoyenssontégauxdevantetparledroit,maisdanslaréalité,onexigeuninvestissement différentselonleniveauderevenu:c’estcequel’onappellel’équité. « Je sais que l’État te charge d’élever des chevaux, d’être chorège, gymnasiarque, et si la guerre éclate, je sais qu’on te chargera en plus de l’équipement d’une trière et qu’on te demanderadescontributionssifortesquetuaurasdelapeineàysuffire.Etsiontetrouve insuffisantdansquelqu’unedecesprestations,jesaisquelesAthénienstepunirontavecla mêmerigueurques’ilsteprenaientàvolerleursbiens.» Xénophon,L’Économique,vers380av. Périclès:legouvernementd’unseulhomme Périclès(495-429av.),nédansunefamillearistocratiquemaischefdu«partidémocratique» àAthènes,dominelaviepolitiqueathéniennede461àsamortgrâceàsonintelligenceetson éloquence. Réélu stratège de 443 à 429 av., il va déroger à certains principes du fonctionnement démocratique, et en renforcer d’autres, notamment par l’introduction du «misthos»,uneindemnitéquepercevaientlespluspauvresafindeparticiperauxséancesde l’Ecclesia.Thucydide,sonennemiacharné,enbrosseunportraitassezironique. «Périclèsavaitdel’influenceenraisondelaconsidérationquil’entouraitetdelaprofondeur de son intelligence. Il était d’un désintéressement absolu ; sans attenter à la liberté, il contenait la multitude qu’il menait. N’ayant acquis son influence que par des honnêtes moyens,iln’avaitpasàflatterlafoule.Grâceàsonautoritépersonnelle,ilpouvaitluitenir tête et même lui monter son irritation. Chaque fois que les Athéniens s’abandonnaient à contretempsàl’audaceetàl’orgueil,illesfrappaitdecrainte;s’ilss’effrayaientsansmotif,il lesramenaitàlaconfiance. Cegouvernementportaitlenomdedémocratie,enréalité,c’étaitlegouvernementd’unseul homme.» Thucydide(460-400av.),HistoiredelaguerreduPéloponnèse,II. Démocratieettyrannie Danscetextraitdelapièced’EuripideLesSuppliantes,éloged’Athènes,lehérosfondateurde la Cité donne au héraut thébain une définition de la démocratie comme opposition à la tyrannie. « THÉSÉE : Notre cité n’est pas au pouvoir d’un seul homme : elle est livre. Son peuple la gouverne:touràtour,lescitoyensreçoiventlepouvoir,pourunan.Ellen’accordeaucun privilègeàlafortune.Lepauvreetlericheyontdesdroitségaux. LEHÉRAUXTHÉBAIN:Lacitédontjeviensestgouvernéeparunseulhomme,etnonparla foule. Personne ne la flatte ou ne l’exalte par son éloquence, personne ne la tourne ou la retourne selon son seul intérêt particulier. D’ailleurs, comment le peuple, qui n’est pas capablederaisonnementsdroits,pourrait-ilmenerunecitésurledroitchemin?Unpauvre paysan,mêmeinstruit,enraisondesontravail,nepeutconsacrersonattentionauxaffaires publiques. THÉSÉE:Pourunecité,rienn’estpirequ’untyran.Souslatyrannie,lesloisnesontpasles mêmespourtous,l’égalitén’existeplus.Aucontraire,souslerègnedesloisécrites,pauvres etrichesontlesmêmesdroits.Lefaiblepeutrépondreàl’insultedufort,etlepetit,s’ilale droitpourlui,peutl’emportersurlegrand.Laliberté,elleestdanscesparoles:“Quiveut donneràl’assembléeunsageavispourlebiendelaCité?”Quiveutparlersemetenavant, quin’arienàdiresetait.Peut-onimaginerplusbelleégalitéentrelescitoyens?» Euripide(480-406av.),LesSuppliantes. 2. Rome *** L’empereurconcentrelespouvoirs DionCassiusretraceicilafaçondontOctavemetenplacel’empiresuiteàlachutedela République,danslasecondemoitiédupremiersiècleav. «César(nomattribuéàOctave,dufaitdesonadoptionparCésar),attenduqu’ilétaitle maîtredesfinancesetqu’ilavaitl’autoritémilitaire,devaitexerceretoutettoujoursun pouvoirsouverain.Quandilyeudixansécoulés,undécretyajoutacinqautresannées,puis encorecinq,puisdix,puisencoredixnouvelles,encinqfoisdifférentes;desorteque,par cettesuccessiondepériodes,ilrégnatoutesavie. C’estpourcelaquelesempereursquiluisuccédèrentlefurentuneseulefoispourtoutle tempsdeleurvie.Lesurnomd’Augustefutajoutéàsonnomparlesénatetparlepeuple.Il futappeléAuguste,commeétantplusqu’unhomme. CefutainsiquelapuissancedupeuplepassatouteentièreàAuguste,etàpartirdecette époquefutétablieunemonarchiepure.» DionCassius(155-235),HistoireRomaine,LIII,16-17. Lesgarantiesprocuréesparlacitoyennetéromaine En58,PauldeTarse–ouSaintPaulpourleschrétiens–estarrêtépardessoldatsromains,qui l’accusentd’avoirdéclenchéuneémeutesurl’esplanadeduTempleàJérusalem.Maislefait qu’ilcitoyenromainluiévitebiendesennuis. «Appréhendéparlafoule,SaintPauln’estsauvéqueparl’interventiondutribunmilitaire commandantlacohorteprétorienne,quil’arrêteetlefaitlier.Premièresurprisedutribun lorsquePaul,engrec,dit:“Pourrai-jetedireunmot?—Tusaisdonclegrec,demandele tribun,tun’espasl’Egyptienquicestempsderniersasoulevéquatremillebandits…—Moi, repritPaul,jesuisjuif,deTarseenCilicie,citoyend’unevillequin’estpassansrenom”.Malgré tout,letribunlefaitintroduiredanslaforteresseetordonnedeluidonnerlaquestionau fouet,“afindesavoirpourquelmotifoncriaitainsicontrelui”: “Quandonl’eutattachéavecdescourroies,Paulditaucenturiondeservice:“Uncitoyen,et quin’apasencoreétéjugé,vousest-ilpermisdeluidonnerlefouet?”Acesmotslecenturion vatrouverletribunpourleprévenir:“Quevas-tufaire?cethommeestcitoyenromain”.Le tribunvintdoncdemanderàPaul:“Dis-moi,tuescitoyenromain?—Oui”,répondit-il.Le tribunreprit:“Moi,ilm’afalluunesortesommepourachetercedroitdecité.—Etmoi,dit Paul, je le suis de naissance”. Aussitôt donc, ceux qui allaient le mettre à la question s’écartèrentdelui,etletribunlui-mêmeeutpeur,sachantquec’étaituncitoyenromainqu’il avaitchargédechaînes.”» ClaudeNicolet,Lemétierdecitoyen,1976,pp.33-34. Cicéronetles“deuxpatries” «…jepensequ’ilyavaitpour[Caton],commepourtouslesgensdesmunicipes,deuxpatries: unepatriedenature,unepatriedecitoyenneté(…)Maisilestnécessairequecelle[quinous accueille]l’emportedansnotreaffectionparlaquellelenomde«république»estlebien commundelacitéentière.C’estpourellequenousdevonsmourir;c’estàellequ’ilfautnous donnertoutentiers,enellequ’ilfautdéposeretpourainsidiresanctifiertoutcequinous appartient.Maislapatriequinousaenfantésnenousestguèremoinsdoucequecellequi nousaaccueillis.» Cicero,DeLegibus,II,5. LaromanisationenBretagne Tacite,historienromainduIersiècle,décritleprocessusd’acculturationautraversdelavie d’Agricola,gouverneurdelaprovincedeBretagnede77à84. «Agricolavoulaitleshabitueràvivrepaisiblementetàoccuperagréablementletempslibre. Illesyinvitaitindividuellement.Ilaidaitdescollectivitésàédifierdestemps,àaménagerdes places publiques, à construire de vraies maisons. Il félicitait les plus entreprenants et s’en prenaitauxrécalcitrants.Ainsiledésirdesefairemieuxvoirquelesautresremplaça-t-illa contrainte. Deplus,ilfaisaitinitierlesenfantsdesnotablesauxartslibéraux(artsoratoires:avocat,juges, etc.)eteuxquinaguèreméprisaientnotrelanguedésiraientdésormaislaparlercouramment. Parlasuite,commecelafutbienvudes’habillercommenous,beaucoupadoptèrentlatoge. Peuàpeu,lesBretonsselaissèrentalleràl’attraitdesvicesàdécouvrirsouslesportiques, danslesthermesetleraffinementdesfestins. Dansleurinexpérience,ilsappelaientcivilisationcequicontribuaitàleurasservissement.» Tacite(55-120),Vied’Agricola,21.