Cas clinique J Pharm Clin 2014 ; 33 (1) : 45-8 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Association agomélatine - étifoxine : à propos d’un cas de rash cutané prurigineux dans un contexte d’intolérance générale Agomelatine-etifoxine combination: about one case of pruritic rash in a context of general intolerance Catherine Lameira 1 , Marie Berard 2 , Delphine Grégoire 2 , Cathy Nonnenmacher 2 , Marie Socha 3 , Sandrine Choffardet 1 , Hervé Javelot 2,4 1 Service G05, Etablissement public de santé Alsace Nord, Brumath, France Service pharmacie, Etablissement public de santé Alsace Nord, Brumath, France 3 Hôpital de Brabois Adultes - CHU de Nancy et Faculté de Pharmacie de Nancy, Nancy, France 4 Service de psychiatrie II et Unité Inserm U1114, Clinique de psychiatrie, Hôpital Civil, Strasbourg, France <[email protected]> 2 Résumé. Mme S est traitée pour un trouble anxio-dépressif et ne présente aucune allergie connue dans ses antécédents. Mme S présente une recrudescence anxieuse qui amène son médecin traitant à lui prescrire de l’étifoxine (150 mg/j), puis 10 jours plus tard de l’agomélatine (25 mg/j) en complément de son traitement habituel. La patiente développe une éruption cutanée hautement prurigineuse 4 jours après l’introduction de l’antidépresseur. Une perturbation du bilan hépatique est également observée. L’étifoxine et l’agomélatine sont alors stoppés immédiatement. L’imputabilité respective ou conjointe des deux molécules est ici discutée. Ces deux molécules présentant un profil d’effets indésirables pouvant se recouper (risque d’intolérance hépatique et d’apparition d’éruption cutanée), leur utilisation conjointe devrait être évitée. Mots clés : effet secondaire, rash cutané, perturbations hépatiques, agomélatine, étifoxine Abstract. Ms S is treated for an anxious-depressive disorder and has no known allergy in its medical history. Ms S has an anxious resurgence leads his doctor to prescribe etifoxine (150mg/d) and 10 days after agomelatine (25mg/d) in addition to her usual treatment. The patient develops a highly itchy rash 4 days after the introduction of the antidepressant. Disturbance of liver function is also observed. Etifoxine and agomelatine are immediately stopped. The respective or joint imputability of the two molecules is discussed. These two molecules have a similar adverse effect profile (risk of liver intolerance and cutaneous rash) and their joint use should be avoided. Key words: side effect, cutaneous rash, liver disturbances, agomelatine, etifoxine L es effets indésirables de nature cutanée font partie des réactions médicamenteuses les plus fréquentes et concerneraient de 2 à 5 % des patients qui se voient prescrire des psychotropes [1, 2]. Les atteintes hépatiques représentent également une cause fréquente de perturbations liées aux médicaments, notamment en lien avec plusieurs thérapeutiques utilisées en psychiatrie [3]. Tirés à part : H. Javelot L’étifoxine est commercialisée en France comme anxiolytique depuis 1979, mais bénéficie d’un faible niveau d’évaluation en ce qui concerne son profil d’efficacité clinique et de sécurité d’emploi [4-6]. Son activité anxiolytique semble s’exercer par la régulation à la fois de la neurostéroïdogenèse et de la neutrotransmission gabaergique [7]. Dans une étude, réalisée sur l’année 2002 dans les Bouches du Rhône, et rapportant les consommations et le suivi de pharmacovigilance des anxiolytiques, des hypnotiques et des antidépresseurs, l’étifoxine apparaissait comme l’anxiolytique le plus pres- Pour citer cet article : Lameira C, Berard M, Grégoire D, Nonnenmacher C, Socha M, Choffardet S, Javelot H. Association agomélatine - étifoxine : à propos d’un cas de rash cutané prurigineux dans un contexte d’intolérance générale. J Pharm Clin 2014 ; 33(1) : 45-8 doi:10.1684/jpc.2014.0271 45 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. C. Lameira, et al. crit après l’hydroxyzine, dans le cadre d’une utilisation hors Autorisation de mise sur le marché (AMM) [8]. Pour l’ensemble des substances suivies, trois évènements indésirables ont été notifiés aux Centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV) locaux dont deux concernaient des réactions cutanées de type urticaire en lien avec l’étifoxine. Sur la base de l’analyse des effets indésirables rapportés sur l’étifoxine au réseau des CRPV et aux laboratoires Biocodex entre 2000 et 2012, les effets indésirables notifiés sont surtout des affections dermatologiques et des réactions d’hypersensibilité (58,5 % ; 206 cas) qui correspondent très majoritairement à des cas d’éruptions cutanées (69,9 %) [9]. En termes de fréquence de survenue au cours de cette même évaluation, les effets indésirables d’origine hépatique apparaissent juste après les effets indésirables cutanés et représentent 9,7 % des notifications. Le potentiel hépatotoxique de l’étifoxine est notamment objectivé par l’observation d’hépatites cytolytiques (dans presque 80 % des cas évaluables) [9]. Ces éléments ont amené d’une part l’ANSM à proposer une modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP) de la spécialité Stresam® et, d’autre part, un organisme de presse indépendant a transmis récemment un appel à la prudence dans l’utilisation qui doit être faite de l’étifoxine [9, 10]. L’agomélatine est un antidépresseur commercialisé en France depuis 2009. Son profil d’action semble à la fois avéré dans la dépression ou encore le trouble anxieux généralisé [11], bien que certaines analyses remettent en cause son efficacité [12, 13]. Son profil pharmacologique est mixte, l’agomélatine agissant à la fois comme un agoniste des récepteurs de la mélatonine et comme un antagoniste des récepteurs 5HT2C de la sérotonine [14]. La tolérance de l’agomélatine bénéficie encore d’une faible évaluation en condition pragmatique compte tenu de son apparition relativement récente dans l’arsenal thérapeutique. Cependant, la mauvaise tolérance hépatique du produit est déjà connue sur la seule base des études cliniques et nécessite un contrôle des transaminases à l’instauration du traitement, puis une surveillance régulière en raison du risque d’hépatite cytolytique [15]. Concernant les effets indésirables cutanés, les résultats issus des essais cliniques ont permis d’identifier les risques d’hyperhydrose, d’eczéma et de rash érythémateux, respectivement comme fréquent (≥ 1/100, < 1/10), peu fréquent (≥ 1/1 000, < 1/100) et rare (≥ 1/10 000, < 1/1 000). À l’image des remarques formulées sur l’étifoxine, l’agomélatine a également fait l’objet d’appels à la prudence par le même organisme de presse, mettant en lumière notamment la mauvaise tolérance hépatique et cutanée, comparativement au faible apport clinique que représente la molécule [16]. Nous rapportons ci-après le cas d’une patiente ayant présenté une éruption cutanée très étendue suite à 46 l’introduction d’agomélatine avec une perturbation du bilan hépatique. Cet effet indésirable s’est manifesté également peu de temps après l’introduction d’étifoxine chez la patiente. La contribution de chacune de ces molécules dans l’apparition de l’effet indésirable peut être discutée. Observation clinique Mme S, âgée de 37 ans et traitée depuis 4 ans pour un trouble anxio-dépressif, pris en charge initialement par son médecin traitant qui lui a prescrit successivement différents antidépresseurs : la venlafaxine, l’escitalopram, la paroxétine et enfin la mirtazapine. La prise en charge médicamenteuse dans notre établissement, débutée il y a presque 2 ans, intègre la mirtazapine (Norset® 15 mg, 1 cp/j le soir) et le prazépam (Lysanxia® 10 mg, 1 cp matin et soir). La patiente présente comme antécédents somatiques une hypertension artérielle et une colopathie fonctionnelle, mais aucune allergie connue d’origine médicamenteuse ou autre. Il y a un an et demi, une première prescription d’agomélatine (Valdoxan® 25 mg, 1 cp/j le soir) est faite en extrahospitalier par un autre médecin généraliste. Mme S émet régulièrement des plaintes somatiques et psychologiques multiples, cependant elle majore ces plaintes suite à l’introduction de ce nouvel antidépresseur. La patiente se voit alors de nouveau prescrire son traitement antérieur, à savoir la mirtazapine, toujours associée au prazépam et aux mêmes posologies. Il y a environ 6 mois, la patiente présente une recrudescence anxieuse qui amène son médecin traitant à lui prescrire de l’étifoxine (Stresam® 50 mg, 1 gélule matin, midi et soir), puis 10 jours plus tard de l’agomélatine (Valdoxan® 25 mg, 1 cp/j le soir) en complément de son traitement antérieur. La patiente décrit a posteriori une insomnie totale suite à la première prise d’agomélatine. Mme S présente 4 jours après l’introduction de l’antidépresseur une éruption cutanée étendue touchant le visage, les bras, les genoux et les pieds avec un caractère hautement prurigineux. La valeur des transaminases (gamma-GT) a été multipliée par 1,5 entre le contrôle à l’introduction de l’agomélatine et 5 jours après, cette valeur se normalisant progressivement sur les semaines suivantes. Suite à cet évènement indésirable les traitements par agomélatine et étifoxine ont été immédiatement arrêtés, tandis que le traitement par mirtazapine et prazépam a été poursuivi. Discussion L’apparition de l’effet indésirable décrit peut plaider en faveur soit d’une imputabilité exclusive de l’agomélatine, J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 1, mars 2014 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Association agomélatine - étifoxine soit d’une imputabilité conjointe de l’antidépresseur et de l’étifoxine. La première hypothèse pourrait être favorisée par l’intolérance initiale observée avec l’antidépresseur ainsi que le décours temporel entre l’introduction du traitement et l’apparition de l’effet indésirable (4 jours). Par ailleurs, le risque d’apparition d’effets indésirables cutanés de type éruption cutanée et prurit sont évaluées respectivement avec l’agomélatine et l’étifoxine comme peu fréquentes et rares (fréquences de 1/100 et 1/1 000). Cependant, les éléments récents fournis par le suivi de pharmacovigilance réalisé par l’ANSM (à propos des 206 cas d’effets indésirables dermatologiques enregistrés pour l’étifoxine) indiquent une médiane de neuf jours entre l’introduction de l’étifoxine et l’observation des effets indésirables cutanés. Ces éléments semblent donc rendre également hautement compatible l’imputabilité de l’étifoxine dans notre situation clinique où ce dernier a été introduit 10 jours avant [17]. Les perturbations hépatiques observées (multiplication transitoire des transaminases par 1,5 et une valeur supérieure à 1,25 fois la limite normale supérieure) permettent d’établir un diagnostic d’hépatotoxicité en lien avec l’évènement décrit [3], une hépatotoxicité se caractérisant par une élévation des enzymes hépatiques équivalente à 1,25 fois la limite supérieure de la normale et/ou la présence de signes ou de symptômes révélateur d’une atteinte hépatique. Ces éléments concernant l’élévation des gammas GT sont apparus après l’introduction de l’agomélatine et semblent donc imputables à cette molécule. Bien que l’atteinte hépatique soit un évènement indésirable décrit comme fréquent sous agomélatine, cette augmentation touche préférentiellement les ALAT et les ASAT [18], augmentation supérieure à trois fois la limite supérieure des valeurs normales des ALAT et/ou des ASAT chez 1,1 % des patients sous agomélatine 25/50 mg versus 0,7 % avec des patients sous placebo dans le cadre des essais cliniques. Cependant, l’imputabilité de l’étifoxine ne peut pas être exclue, puisque l’élévation des enzymes hépatiques (ALAT, ASAT et ␥GT) est décrite comme rare sous étifoxine et que des cas d’atteintes hépatiques sont régulièrement rapportés dans la littérature [10, 19-21]. Enfin, l’implication de la mirtazapine dans le cas que nous rapportons apparaît comme peu probable. Bien que des cas d’éruptions cutanées soient rapportés sous cette molécule, la patiente bénéficiait de ce traitement antérieurement sans avoir jamais manifesté de réaction allergique. Par ailleurs, il est important de rappeler que les essais cliniques menés avec la mirtazapine ont permis d’identifier des cas d’exanthème à une régularité plus faible que sous placebo (différence non significative ; [21]). Les effets antihistaminiques J Pharm Clin, vol. 33 n◦ 1, mars 2014 puissants de la mirtazapine peuvent également contribuer à exclure l’apparition d’une urticaire allergique non iatrogène. Conclusion Les éléments que nous apportons sur ce cas clinique ne permettent pas de trancher définitivement sur l’imputabilité de l’agomélatine, de l’étifoxine ou d’une contribution conjointe des deux molécules. Cependant, il demeure pertinent de signaler que ces deux molécules présentant un profil d’effets indésirables avec certaines similarités (risque d’intolérance hépatique et d’apparition d’éruption cutanée), leur utilisation conjointe devrait être évitée. Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article. Références 1. 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