jdf-595.qxd:Mise en page 1 20/03/09 12:10 Page 26 Fuchsias À la recherche des fuchsias botaniques Compte-rendu de Vincent Bourlier, Sébastien Guillot et Aline Schiari Une expédition au pays des fuchsias, là où les montagnes regorgent d’une multitude d’espèces végétales et où règnent encore tous les mystères de l’empire inca. Sur des pistes dégradées par les pluies tropicales, un périple inoubliable, pour découvrir de nombreux fuchsias dans leur milieu naturel, qui se terminera au Muséum d’Histoire naturelle de Lima, pour lui offrir les fruits de ces recherches. ette expédition avait pour but de redécouvrir les stations de fuchsias connues et répertoriées à l’occasion de voyages antérieurs. Certaines n’ont été visitées que par quelques-uns des rares explorateurs européens. Cette initiative permet donc de constater l’état de santé du biotope dans lequel vivent et poussent les différentes espèces botaniques. La grande famille des fuchsias étant divisée en treize sections bien distinctes, il n’est pas rare de trouver deux espèces de C sections différentes sur un même site. Les moyens techniques modernes tels que le GPS permettent de localiser au mètre près une station de fuchsia. La sophistication des appareils photos numériques permet aussi de prendre des clichés intéressants sans être un expert. Trois mois de travail ont été nécessaires pour préparer au mieux le séjour qui a réuni ces trois passionnés, par ailleurs horticulteurs spécialisés, Sébastien Guillot, Vincent Bourlier et Aline Schiari. La Soraf, SOciété pour la Recherche et l’Acclimatation des espèces botaniques du genre Fuchsia, se consacre à la connaissance du genre Fuchsia. Tous les ans elle accompagne à l’automne une expédition, à la recherche des fuchsias botaniques dans leurs pays d’origine. En relation avec les muséums locaux, ses participants repèrent, identifient, récoltent et rapportent de nouvelles espèces. Elles seront ensuite conservées à l’arboretum de Chèvreloup, dans une serre botanique dédiée, qui reconstitue le biotope de l’Amérique du Sud. Ce carnet de voyage raconte l’expédition de 2006 au Pérou… en attendant la suite de ces aventures, en 2007 au Venezuela et en 2008 en Équateur. 26 JARDINS DE FRANCE AVRIL 2009 Dimanche 19 novembre Départ de Lima pour Cuzco dans un avion pittoresque, et début de l’aventure par un peu de tourisme, à la découverte de cette capitale de l’Empire inca, située à 3 350 m Une Viola à près de 4500 m. jdf-595.qxd:Mise en page 1 20/03/09 12:10 Page 27 d’altitude, en plein cœur de la vallée sacrée. Le soir, nous préparons avec notre guide et chauffeur, Luïs, l’itinéraire de la première expédition, qui va durer cinq jours. Lundi 20 novembre Direction les ruines incas de Pisaq, l’un des trois temples du soleil autour de Cuzco. Nous y découvrons de nombreuses plantes, sur des rochers, au bord des chemins ou enracinées dans les murs : des cacias, des cactus en fleurs, un iochroma épineux, par là une amaryllis, un solanum, une passiflore, des bidens, un pépéronia, une orchidée, différentes espèces de broméliacées, puis des lupins à feuilles argentées au milieu d’une multitude de fougères. L’après-midi, nous partons pour Ollantaytambo, qui sera notre point de départ pour le col d’Abamaloyo. Située près de la vallée du Rio Urubamba, cette ancienne forteresse surveillait le chemin des Incas vers le Machu Picchu. Fuchsia apetala. Mercredi 22 novembre Mardi 21 novembre Départ matinal, sur une route encore asphaltée, mais qui grimpe fortement. Et surprise : nous apercevons notre premier fuchsia ! Un Fuchsia apetala, section des Hemsleyella. C’est un fuchsia épiphyte, qui se développe entre les roches et la mousse. Nous le retrouverons un peu plus haut sur plusieurs dizaines de mètres, le long d’une rivière. En s’approchant du pied de ce F. apetala, et en soulevant délicatement la mousse, nous remarquons que ses racines se développent en surface et forment de gros rhizomes. Nous localisons avec précision cette station, à 3 359 m d’altitude exactement, avant le col d’Abamaloyo. Nous retrouverons une fois de plus F. apetala, encore à proximité d’une cascade, sur un mur de pierre, à 4 091 m. Il pousse spontanément dans une « guébrada », ancien glissement de terrain qui forme une glacière que la végétation a colonisée. La température nocturne n’y descend pas au-dessous de 5 °C, alors que la température diurne avoisine les 10 °C. L’endroit est assez venteux et brumeux, la visibilité réduite en raison du crachin : nous sommes au début de la saison des pluies. Entre ces deux alti- tudes, nous sommes au milieu du biotope de F. apetala : l’humidité et la fraîcheur du climat sont propices à son développement. Nous n’avons malheureusement pas vu de fruit, donc pas de récolte de graines, mais nous avons segmenté quelques morceaux de rameaux pour façonner des sticks. Nous avons aussi prélevé quelques tubercules, que nous replanterons en Europe à notre retour. Le col étant fermé pour toute la journée, nous redescendons à Ollantaytambo et tentons une autre route, par le village de Patacancha. C’est en arrivant au col de Huacahuasi, à une altitude 4 447 mètres, en plein milieu d’un quasi-désert, que la magie de la nature nous offre une magnifique espèce de viola ! Nous ne pourrons malheureusement pas aller plus loin ce jour-là. Fuchsia inflata. Fuchsia tunariensis. JARDINS DE FRANCE AVRIL 2009 Réveillés de bon matin, retardés par un pneu crevé, nous trouvons près du village de Hoawopata, à 1 705 m d’altitude, une plante de la famille des Onagracées dont nous ignorons le nom, une cousine du fuchsia. Dans notre descente vers Amaybamba, nous apercevons une jolie légumineuse arbustive à fleur orange. Un peu plus bas, à Vilcabamba, le légendaire royaume perdu des Incas, nous croisons un magnifique cléome, orange aussi, au milieu d’un terrain accidenté recouvert d’une végétation luxuriante. L’altitude est de 1 337 m. Monter, descendre… le cumul des dénivellations commence à être éprouvant ! À 2 000 m, nous avons la surprise de découvrir F. boliviana. Que fait donc ici ce fuchsia originaire de Bolivie ? A-t-il été introduit volontairement par un voyageur ? Ou est-il le résultat d’un semis dû au survol d’un oiseau voyageur ? Quoi qu’il en soit, il est bien là, devant nous, et apparemment, le climat ne le dérange pas ! Son tube est rouge clair et ses fleurs nombreuses. La taille de son pied est impressionnante. Un peu plus haut, à 2 273 m, nous retrouvons une station de F. boliviana. La couleur de ses fleurs y est plus vive : cette différence de teinte est due à la nature du sol, ou/et à l’exposition des plantes. À moins que ce ne soit la différence d’altitude qui joue sur les couleurs. 27 jdf-595.qxd:Mise en page 1 20/03/09 12:10 Page 28 Fuchsias Jeudi 23 novembre Fuchsia denticulata. Dans ce même secteur, se trouve une autre espèce, F. sanctae-rosea (section Fuchsia également). Ces deux fuchsias se montrent très répandus dans cette zone ! Leur observation plus approfondie nous révèle une curiosité : le F. boliviana ne porte pas, ou très peu, de fruits mûrs, alors que le F. sanctae-rosea en est couvert. Les oiseaux auraient-ils une préférence pour certaines baies ? Au village de Hoancalle, plus haut, à 2 989 m, nous reconnaissons, de loin, une autre espèce de la section Fuchsia : F. austromontana. Mais en approchant, le doute nous envahit. La structure, très buissonnante, monte à plus de trois mètres, sur une distance au sol de près de cent pas. Fuchsia tincta. 28 Ses fleurs, assez nombreuses, sont de taille moyenne, orange vif. Nous l’appellerons entre nous F. hoancalle… en attendant d’être sûrs de son vrai nom. Nous pourrions prélever des centaines de boutures sur la tendre extrémité des rameaux, mais elles ne supporteraient pas d’attendre notre retour pour les repiquer. Nous sectionnons quand même des morceaux de rameaux plus durs, que nous prenons soin d’étiqueter. Malheureusement, ce mastodonte ne porte aucun fruit dont nous aurions pu récupérer les graines. À 3 008 m, nouveau rendez-vous avec une espèce très rare, que nous reconnaissons grâce à ses larges feuilles : F. tunariensis (section Hemsleyella). Il pousse sur un tronc d’arbre mort, comme pour s’en servir de tuteur ou de support. Son pied est bien caché au milieu de fougères. Mais il est trop tard en saison : ce beau fuchsia a déjà perdu toutes ses fleurs. Pour terminer le travail de ces deux jours, il nous faudra classer nos notes, ficeler les rameaux étiquetés (les « sticks »), répertorier les sachets de graines, étaler les feuilles dans un semblant d’herbier… JARDINS DE FRANCE AVRIL 2009 Départ de Quillabamba pour Quebrada Honda, petit village à partir duquel nous empruntons la route la plus périlleuse, qui nous conduira à Laco. Tout au long du parcours, nous croisons une multitude d’orchidées, sagement alignées sur le bord de la piste. Mais aussi au bord du chemin, à côté d’un petit ruisseau, trois espèces de fuchsias, toutes proches les unes des autres. L’une d’elles retient tout particulièrement notre attention : elle fait partie de la section Hemsleyella, mais n’est toujours pas reconnue comme nouvelle espèce. Elle a été découverte sur ce site, lors d’une précédente expédition en 2003 par Sébastien Guillot et Jean-Luc Marcenac. Ses feuilles sont longues et larges, et ont une petite ressemblance avec celles de F. apetala. Mais la plante est plus arbustive. Malheureusement, la sujet est quasi exfolié et presque dépourvu de fleurs. Leur teinte est rose foncé et on distingue nettement l’absence de pétales. Le pied semble assez vigoureux, il pousse tranquillement sur une paroi rocheuse bien ombragée. À quelques pas de là, nous retrouvons F. sanctae-rosea – c’est lui qui pullule le plus dans la région, sans variation d’aspect selon l’endroit et l’altitude – et une autre espèce de la section Fuchsia, F. denticulata, mais de couleur rouge. La plante est très buissonnante, les feuilles exactement comme celles de l’espèce type. Reste à déterminer si nous nous trouvons devant une nouvelle espèce ou une sous-espèce. Nos regards se posent ensuite sur une Salvia de type guaranica, aux fleurs violettes, assez grosses et velues, sur une nouvelle onagracée, un superbe pied de bégonia rouge… Nous sommes dans un biotope de F. salicifolia (une espèce absente Masdevallia veitchiana. jdf-595.qxd:Mise en page 1 20/03/09 12:11 des collections en France)… mais sans en trouver malheureusement : il nous faut rebrousser chemin, en raison de la violence des pluies tropicales qui ont détruit la route. Vendredi 24 novembre Un paysage sublime, mais une route qu’il faudra déblayer à la pelleteuse en raison de la pluie et des éboulements de terrain ! Après le village de Larès, à 3 240 m, se trouve la station de F. inflata. Beaucoup d’amateurs le considèrent comme le roi des fuchsias, avec son tube de plus de 18 cm de long ! Quand nous arrivons à destination, il est bien là au rendez-vous, magnifique, poussant spontanément sur un muret de pierre, assis majestueusement sur plusieurs mètres carrés. Sa vigueur ne fait aucun doute. Son port est très érigé et son système racinaire enfoui dans le muret. Les tiges et les nervures des feuilles sont légèrement rosées. Ses fleurs, extraordinairement longues, sont formées d’un tube interminable orange vif et la couleur des sépales passe du jaune au vert. Retour à Cuzco, après ce moment privilégié, et un bilan plutôt positif pour cette première expédition. Samedi 25 et dimanche 26 novembre Le samedi, journée repos dans la ville touristique d’Aquas Calientes. Le dimanche, visite du Machu Picchu, incontournable pour tout voyageur au Pérou. Cette « vieille montagne », cité perdue des Incas, qui pourrait avoir été un lieu de culte plutôt qu’une ville traditionnelle, est l’une des grandes merveilles de l’Amérique du Sud. Lundi 27 et mardi 28 novembre Deuxième expédition, depuis Cuzco, direction Paucartambo. Le parc national de Manu a été instauré en 1973 par décret. D’une superficie de 1,8 million de km², il représente une grande partie de la diversité biologique que l’on trouve en forêt amazonienne. Il a été re- Page 29 connu comme patrimoine naturel de l’Humanité en 1987, et classé par l’Unesco comme zone noyau de la réserve de biosphère. Le parc recense environ 15 000 espèces de végétaux. Nous prenons la route en direction du col de Tres Cruces, et trouvons à 3 387 m d’altitude F. denticulata. Sa couleur orange nous intrigue… et nous en prélevons des échantillons, pour déterminer plus tard si cette plante est répertoriée. À 3 609 m, nous devinons des feuilles de F. apetata sous un arbre. Dans ce sous-bois, où l’hydrométrie est importante et la végétation luxuriante, nous trouvons également un splendide pied de F. chloroloba, qui pousse plante de 30/40 cm, à port érigé. Le tube de la fleur est rose et les pétales orange. Tous les sujets rencontrés avaient les feuilles dévorées par les insectes. Ainsi, sur un rayon de 100 m, étaient réunis F. tunariensis, F. chloroloba, F. tincta, F. denticulata rouge, un peu plus haut F. apetala ! Assurément une très bonne journée sur la route de la recherche des fuchsias. Mercredi 29 et jeudi 30 novembre Journée détente et visites à Cuzco, avec découverte notamment du musée universitaire où l’on peut admirer une exposition sur la faune du Pérou. Puis vol pour Lima. Classement des notes sur les plantes observées, et connexion au site de la maison des fuchsias, pour un échange avec les membres du forum. Vendredi 31 novembre Sébastien retrouve F. chloroloba. à la base des arbres. Ces deux fuchsias de la section Hemsleyella vivent harmonieusement l’un à côté de l’autre. Le biotope est constitué d’arbres de 7 à 8 m formant un ombrage naturel. Le sol est pourvu d’une épaisse mousse verte qui colonise les troncs. On y trouve d’autres plantes, orchidées, cycas, bambous, et plusieurs éricacées, qui témoignent de la forte acidité du sol. En prélevant sticks et feuilles saines, nous constatons qu’un parasite dévore en partie les feuilles. Peut-être s’agit-il de la noctuelle défoliatrice ? Mais l’état de santé de cette station nous paraît très satisfaisant : la difficulté d’accès lui assure une protection naturelle. Nous trouverons aussi un peu plus tard un F. tunariensis en fleur, orange avec des étamines jaunes, exceptionnel pour la saison. Puis F. tincta (section Fuchsia), une petite JARDINS DE FRANCE AVRIL 2009 Au Muséum d’Histoire naturelle de Lima, nous remettons les prélèvements des différents fuchsias que nous avons récoltés durant nos dix jours sur le terrain. C’est avec précaution que le tout sera entreposé dans une chambre pour finir de sécher. Lorsque plus tard, tout risque de contamination due aux maladies sera éliminé, notre travail rejoindra la salle où est entreposé l’herbier national. Et nous reviendrons le lendemain inscrire les notations sur les feuilles d’identification. L’après-midi, nous avons pu examiner les documents et le patrimoine floral conservé au Muséum, et effectuer quelques corrections sur nos identifications. Samedi 1er décembre Nous allons inscrire sur des fiches spécifiques toutes les coordonnées et notes diverses pour chaque fuchsia rencontré. Un travail délicat et indispensable, qui restera disponible à quiconque voudra le feuilleter. Il est temps alors de boucler nos valises et de rentrer en France. La suite de notre aventure passe par l’arboretum de Chèvreloup et sa serre de fuchsias. 29