La Tondue. 1944-1947

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histoire & liberté
Bref, «Albertini et consorts» – sous-titre sympathique de la cinquième partie – sont des
agents du «maccarthysme» à la française, expression déjà sur-employée dans le plaidoyer en
faveur d’Hernu et désignant un anticommunisme rédhibitoire.
Charpier fustige aussi les méthodes du très atlantiste commissaire Gustave Sachnine, un
grand professionnel de la compréhension du Parti communiste, ce « parti nationaliste
étranger», pour reprendre l’expression de Léon Blum, et note l’apport d’Angelo Tasca à la
connaissance des activités et des mots d’ordre du PCF pendant la période 1939-1941. Mais
pour Charpier, l’engagement du Parti en faveur du pacte germano-soviétique ne fut qu’un
«épisode peu glorieux».
Cet ouvrage se lit parfois avec une certaine aisance. Faut-il pour autant en retenir
qu’Albertini, Souvarine, Lemonnier et quelques autres s’activaient dans un nid de frelons où
l’on trouvait aussi les commanditaires du meurtre de François Duprat ou d’Henri Curiel?
L’absence de conclusion, au terme des 421 pages du livre, laisse au lecteur une impression
d’inachevé sur le fond comme sur la forme: la ponctuation est incertaine, l’orthographe
plus qu’approximative. Lorsqu’il s’agit d’Alphonse, et non de François-René, Chateaubriant
s’écrit avec un t et non un d (p. 77), Michel Junot n’a jamais été chef de cabinet de Pierre
Laval (p. 84), Royall Tyler n’est pas à confondre avec son fils William Royall, futur et brillant
ambassadeur américain (p. 98), Pasteur Vallery-Radot (et non Valéry) – petit-fils du savant
– devient… pasteur de l’Église réformée (p. 134) alors qu’il ne fut qu’académicien et l’on en
passe avec Daniel Mayer (et non Meyer, p. 228) ou l’Ille-et-Vilaine qui prend deux l (p. 351)
comme Defferre deux f (p. 228)…
C’est une épreuve d’avoir à rétablir tant d’approximations.
La Tondue. 1944-1947
de Philippe Frétigné et Gérard Leray
Vendémiaire, coll. «Enquêtes», 2011,
256 p., 20,00 €
par Guy Dupré
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L
es tondues… On connaît cet aspect de
l’immédiat après-guerre, période de
règlements de comptes et d’épuration
sauvage pratiqués en marge de l’exercice
normal et souhaitable de la justice. Elles
furent 20000 femmes environ à subir l’humiliation de la tonte et de cette promenade, ce «carnaval moche» auquel Alain
Brossat a consacré un livre il y a déjà une
vingtaine d’années.
Les deux auteurs ont enquêté sur le sort de
cette femme tondue dont la photo, signée
du célèbre photographe Robert Capa[…],
a fait le tour du monde: elle porte un bébé
dans les bras, conduite, accompagnée,
JUIN 2013
L I V R E S
poussée par la foule qui lui lance des quolibets haineux et égrillards. Mais elle n’a d’yeux que
pour l’enfant, son enfant, au milieu de la cohue et sous une pluie d’insultes.
Simone Touseau, c’est son nom, n’était ni l’innocente victime du machisme des hommes de
1944, ni la proie des seuls Résistants de la dernière heure, ni l’amoureuse naïve d’un homme
que l’Histoire avait cruellement placé dans le camp ennemi. Elle n’était pas non plus une activiste de la Collaboration politique. Au bout de l’enquête remarquablement menée par les
auteurs, le lecteur a en main toutes les données complexes nécessaires pour comprendre cette
histoire.
Simone a vingt ans en 1941. Cet été-là, elle fait la connaissance d’Erich Göz, le responsable de
la librairie militaire de Chartres. Ils sont bientôt inséparables. Mais Erich part sur le front de
l’Est en novembre 1942. Blessé, il est rapatrié en Allemagne où Simone le rejoint. Enceinte à
l’automne 1943, elle est renvoyée par les autorités allemandes vers la France, en décembre de la
même année.
Elle devient alors interprète pour une administration allemande et entre au PPF de Jacques
Doriot.
Après la libération de Chartres, le 16 août 1944, Simone et sa mère sont arrêtées, tondues, puis
promenées en ville. Les deux femmes ne sont pas encore accusées d’avoir dénoncé des voisins.
Il ne s’agit pour l’heure que de violence sexuée, en représailles, pour l’une, de relations amoureuses avec un Allemand et, pour l’autre, de complaisance envers la conduite de sa fille: «La
France était couchée, horizontale, soumise, féminine. Elle se redresse et redevient verticale,
masculine»…
Après la guerre, Simone sera arrêtée et jugée: elle niera toute implication dans les arrestations
de ses voisins, en février 1943 et, faute de preuves, les poursuites seront interrompues. Mais
accusée d’avoir travaillé «sans nécessité» dans un service allemand et d’avoir été membre du
PPF, elle passera deux ans en prison – à Chartres, puis à Pithiviers et à Fresnes – et sera
condamnée à dix ans de dégradation nationale.
Quant à Erich, il est tombé sur le front de l’Est, de nouveau, mais définitivement cette fois-ci.
Simone se mariera plus tard, aura deux autres enfants. Mais restera ostracisée par la population et sombrera dans l’alcool. Elle mourra en 1966, à 45 ans, après avoir tenté en vain de
nouer des relations avec la famille de son amant allemand, visiblement peu désireuse d’intégrer à son histoire un épisode trop dérangeant. Et même aujourd’hui, le fils de Göz ne veut pas
témoigner devant les historiens. Il se dit convaincu, j’allais dire évidemment, de l’innocence de
ses parents…
Une histoire banale en somme où s’entremêlent des décisions respectables et d’autres qui ne le
sont pas du tout. Ce n’est même pas la banalité du mal qui nous est décrite ici. La banalité
d’une vie, c’est tout.
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