actualité, info carte blanche Parlons d’autre chose Le prix Nobel de médecine récemment attri­ bué à John Gurdon et Shinya Yamanaka est amplement mérité et constitue de surcroît un palmarès intelligemment construit. Il recon­ naît les mérites du précurseur, John Gurdon, dont le travail visionnaire sur l’équivalence génomique des cellules somatiques aura mis plus d’une décennie à être accepté ; il célèbre le cadet qui en démontre la conséquence lo­ gique, à savoir que la réactivation de la pluri­ potentialité1 de cellules différenciées est pos­ sible et qu’elle dépend d’un très petit nombre de facteurs. Un fil rouge réunit à un demi­ siècle de distance ces deux découvertes et balise du même coup l’une des questions les plus fondamentales de la biologie du déve­ loppement : comment concilier la logique du semblable – le génome diploïde qui est con­ servé en entier à chaque division cellulaire – avec la logique du différent, à savoir que la différenciation cellulaire génère un large éven­ 2242 42_45.indd 1 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 novembre 2012 19.11.12 11:50 1 http://blog.ehesp.fr/ 2 Crystal E. Tan, Glantz SA. Association between smoke­ free legislation and hospitalizations for cardiac, cerebro­ vascular, and respiratory diseases. Circulation 2012;126: 2177­21. © istockphoto.com/Osman Safi 3 Hurt RD, Weston SA, Ebbert JO, et al. Myocardial infarc­ tion and sudden cardiac death in Olmsted county, Min­ nesota, before and after smoke­free workplace laws. Arch Intern Med 2012;29:1­7. tail de types cellulaires et que ce processus paraît être à sens unique, allant de pair avec une fixation croissante des destins cellulaires ? La découverte que ce fléchage unidirection­ nel est beaucoup plus superficiel qu’on le croyait, qu’il est en quelque sorte inessentiel et révocable, pose un défi conceptuel à la biologie et à ceux des philosophes qui s’inté­ ressent à celle­ci. Que toute cellule soit «potentiellement toti­ potentielle» déboulonne la notion reçue de potentialité et c’est tout l’aristotélisme intuitif de l’embryologie classique qui s’effrite. C’est même toute l’ontologie des objets du déve­ loppement, gamètes, cellules, embryon, orga­ nisme constitué, qui doit être réorganisée, avec des implications majeures pour certaines questions normatives comme celle dite «du statut éthique de l’embryon». En effet, les tours de passe­passe sémantiques («l’embryon est une personne potentielle» ou «l’embryon est une personne avec du potentiel») souvent in­ voqués par les adversaires de la recherche sur l’embryon humain révèlent leur vacuité : ces affirmations sont soit fausses, soit tauto­ logiques. L’ironie, c’est que la recherche sur les cellules pluripotentielles induites, dont une des motivations était de trouver une source de cellules pluripotentielles autre que l’em­ bryon lui­même, a du même coup détruit l’ar­ gumentation éthique que motivait cet aspect de la recherche. Comme le disent le biologiste et philosophe Giuseppe Testa et ses collabo­ rateurs : «Par un tournant vraiment ironique du destin, les efforts de recherche visant à repro­ grammer des cellules adultes pour contour­ ner les problèmes d’éthique supposés soule­ vés par les cellules souches embryonnaires ont fini par démanteler les arguments sur les­ quels ces problèmes étaient fondés.»2 Que reste­t­il de ces questions biologiques et philosophiques essentielles dans le reflet qu’ont donné les médias de ces découvertes et du prix qui les récompense ? Rien ou pas grand­chose. Un exemple : une chaîne de té­ lévision franco­allemande emblématique des médias «de qualité» organise un débat sur les cellules souches. De quoi sera­t­il question dans l’entièreté de la discussion ? De la re­ cherche humaine de l’immortalité, effort légi­ time ou hubris insupportable, de la valeur dis­ cutable de la longévité extrême… vous voyez le topo. Ce sont de tels malentendus fonda­ mentaux qui constituent le premier obstacle au débat démocratique sur les applications des sciences du vivant. 1 A vrai dire, le terme de «reprogrammation cellulaire» généralement utilisé est assez malheureux, car il laisse entendre que le programme initial est perdu et qu’il de­ vrait être reconstitué de l’extérieur. 2 Testa G, et al. Breakdown of the potentiality principle and its impact on global stem cell research. Cell Stem Cell 2007;1:153­6. Pr Alex Mauron Institut d’éthique biomédicale CMU, 1211 Genève 4 [email protected] Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 novembre 2012 42_45.indd 2 2243 19.11.12 11:50