Randonnées hivernales Les constellations du Grand Chien et du Petit Chien L’hiver dernier, je vous parlais de la splendide constellation d’Orion et du Chasseur qu’elle représente, muni de son baudrier, son épée, son bouclier et son gourdin. Nous nous étions ensuite penchés sur la constellation du Lièvre, une des proies d’Orion, qui se trouve sous les pieds du Géant, et qui véhicule bon nombre de mythes… Il est vrai qu’à elles deux, ces constellations occupent une grande région du ciel hivernal. Cependant, pour que la scène de chasse soit (presque) complète, il nous reste à visiter deux autres constellations, elles aussi associées à Orion, véritables écrins pour deux diadèmes célestes, Sirius et Procyon : le Grand Chien (Canis Major) et le Petit Chien (Canis Minor). 1. Origine mythologique Représentation mythologique de la constellation du Grand Chien, où Sirius correspond à la truffe du chien ; on reconnaît sur la droite la constellation du Lièvre. Le Grand et le Petit Chien sont les deux chiens de chasse du géant Orion, qui l’aident à traquer et rapporter ses proies. Il ne faut pas confondre ces deux constellations avec celle des Chiens de Chasse, localisée sous le timon de la Grande Ourse, qui a été introduite bien plus tardivement et dont nous parlerons dans un prochain article. La « star » du Grand Chien n’est autre que l’étoile Sirius (α Canis Majoris, magnitude –1,5), l’étoile la plus brillante du ciel après le Soleil (les éclats de la Lune, Vénus, Jupiter et 15 Mars peuvent surpasser celui de Sirius, mais ce ne sont pas des étoiles !) ; il est vrai qu’elle n’est distante de la Terre que de huit années-lumière. Si pour certains, Sirius est l’œil du Grand Chien qui surveille le Lièvre, selon d’autres, Sirius en serait la truffe, et il y a encore d’autres interprétations. Dans l’ancienne Égypte, le lever de Sirius dans le ciel du matin (on parle de lever héliaque) annonçait l’arrivée de la crue du Nil ; Sirius était représenté par Anubis, dieu à la La constellation du Petit Chien, juste au-dessus de la constellation de la Licorne. tête de chien. Chez les Romains – qui appelaient également Sirius « Canicula » c’est-à-dire « Petite Chienne », dont on retrouve la trace dans le mot « canicule » –, le lever héliaque de Sirius annonçait les périodes de grande chaleur. Le terme latin Sirius est emprunté au grec et signifierait « brillant » ou « brûlant ». 2. Description des constellations a. Le Grand Chien La constellation du Grand Chien est l’une des rares, avec le Scorpion, le Lion et le Dauphin notamment, à vraiment ressembler à l’animal dont elle porte le nom. À son lever, elle est située en bas à gauche d’Orion : le Chien semble alors être debout sur les pattes de derrière, heureux de passer le museau au-dessus de l’horizon ! La représentation la plus parlante est celle de la carte ci-dessous : Sirius est située à la base du cou, Mirzam (β Canis Majoris, magnitude 2) est la patte avant droite, les étoiles 16 Wezea (ou Wezen, δ, magnitude 1,9) et Adhara (ε, magnitude 1,5) constituent l’arrière du corps, la queue est symbolisée par Aludra (η), et la patte arrière droite par l’étoile Furud (ou Phurad, ζ, magnitude 3,0). Quant à la tête du Chien, elle est formée par les trois étoiles de quatrième magnitude environ, ι, γ (Muliphen) et θ. Adhara (qui vient de l’arabe al adãrã qui signifie « les jeunes filles ») fait partie d’un groupe comportant aussi Wezen (de l’arabe al wezn, « le poids » ou « la pesante »), Aludra (« tête de jeune fille ») et l’étoile ο Canis Majoris. Quant au nom Phurad, il signifie « les singes », et Mirzam signifie « le hurleur » ou « l’annonciateur » (de Sirius). Juste un mot à propos de Wezen : c’est une étoile gigantesque, aussi lumineuse que 2 600 soleils réunis ! Si elle n’était située aussi loin de nous (2 100 années-lumière), Wezen ferait oublier Sirius par son éclat ! La constellation du Grand Chien ne s’élève jamais très haut au-dessus de l’horizon ; un ciel pur facilite grandement son repérage. Elle fait partie de la Voie Lactée et accueille donc amas stellaires et nébuleuses. Dans cette région du ciel, notre Galaxie n’est pas assez dense pour empêcher l’observation de quelques univers-îles plus lointains ; ces galaxies sont cependant très faibles. 17 b. Le Petit Chien La constellation du Petit Chien n’est pas très spectaculaire, mais elle mérite le détour : l’étoile Procyon, avec sa magnitude de 0,4, figure tout de même au huitième rang des étoiles les plus brillantes du ciel. Le mot Procyon signifie « avant le chien », car cette étoile se lève avant celles du Grand Chien. Son ancien nom arabe a été donné à l’étoile β Canis Minoris, Gomeisa, de magnitude 2,9. La constellation du Petit Chien est située sur le bord de la Voie Lactée, et n’accueille donc pas d’objet galactique marquant, ni d’ailleurs de galaxies … Seules quelques étoiles doubles méritent l’attention des plus passionnés. Si tous les amoureux du Ciel connaissent le Triangle d’Été, il n’en va pas de même pour le Triangle d’Hiver, formé par les étoiles Bételgeuse, Sirius et Procyon… un bon tuyau pour épater l’amateur le plus blasé ! 3. Le Chien… et le Chiot L’étoile la plus brillante du ciel est aussi l’une de nos plus proches voisines (elle figure au cinquième rang). Située comme nous l’avons vu à seulement huit années-lumière de la Terre, Sirius, que l’on a aussi appelée l’Étincelante, l’Étoile du Chien ou l’Étoile du Nil, est en réalité 26 plus fois plus lumineuse que notre Soleil ! Avec sa température de surface de 10 000 Kelvins, Sirius, étoile blanche, est plus chaude que l’Astre du Jour (qui, lui, est jaune, et a une température de surface de 6 500 Kelvins). Or, elle apparaît parfois aux observateurs terrestres comme très colorée, passant très rapidement du rouge au bleu. Ces fluctuations sont dues à la turbulence atmosphérique, qui affecte particulièrement Sirius, toujours assez basse sur l’horizon, et dont la lumière traverse une épaisse couche d’air avant d’atteindre notre rétine. Notez qu’il a existé une polémique1 concernant la couleur qu’avait Sirius dans l’Antiquité. Sirius a une masse deux fois et demi supérieure à celle de notre Soleil, et son diamètre est de l’ordre de 2,7 millions de kilomètres (contre 1,4 millions pour le Sirius A et B photographiés dans le Soleil). Elle possède un compagnon célèbre, Sirius B, domaine des rayons X par le satellite américain X Chandra. aussi appelé le « Chiot », un très bel exemple de naine blanche : dans ce résidu d’étoile dégénérée, l’équivalent de la masse du Soleil se retrouve comprimée dans une sphère de seulement 42 000 kilomètres de diamètre ! Un centimètre cube de matière de naine blanche pèse près d’une tonne ! 1 Voir l’article de Y. Nazé, La Couleur du Chien, Galactée n°28 (2001). 18 C’est en étudiant le mouvement intrinsèque sur la voûte céleste de Sirius et de Procyon que le mathématicien Frierich Bessel a compris que quelque chose devait perturber les deux astres dans leur déplacement : en 1844, il arrive à la conclusion que les étoiles principales des constellations des deux Chiens doivent chacune posséder un compagnon invisible suffisamment massif (de l’ordre d’une masse solaire). Il faudra attendre le 21 janvier 1862, après la mise en service de la grande lunette de la famille Clark à Boston, pour découvrir le compagnon de Sirius qui, dix mille fois plus faible que son étoile principale, sera donc considéré comme une étoile naine. En 1914, Walter Adams obtient des informations sur la couleur et donc la température de Sirius B ; les résultats sont étonnants et vont à l’encontre de toutes les prédictions : on s’attendait à une naine rouge, et Sirius B est blanc, et donc très chaud ! Seule une taille extrêmement petite peut expliquer une si faible luminosité : on vient de découvrir le premier exemple de naine blanche, un des ces astres étonnants, cadavres stellaires dont la densité peut atteindre mille fois celle du platine ! Eddington dira « [avec Sirius B], nous avons une étoile de masse égale à celle du Soleil et de rayon beaucoup plus petit que celui de la planète Uranus ! ». Une nouvelle astrophysique, épaulée par la jeune Mécanique quantique, est sur le point de naître … Toute une épopée ! Avec une magnitude de 8,6, le Chiot est particulièrement brillant, et devrait en principe être accessible à n’importe quel petit instrument ! Malheureusement, son observation est singulièrement compliquée par l’extraordinaire luminosité de Sirius… La séparation entre Sirius A et Sirius B est de l’ordre de 24 Unités Astronomiques – 24 fois la distance SoleilTerre. Dans notre ciel, les deux étoiles ne sont distantes que de 3 à 11,5 secondes d’arc. La période orbitale du Chiot est d’une cinquantaine d’années. Si certains amateurs affirment avoir (difficilement) résolu le couple avec un instrument de 200 à 254 mm de diamètre, il faut plutôt tabler sur un instrument de plus de 400 mm pour pouvoir réaliser l’exploit. Notez que la distance angulaire entre les deux composantes de Sirius est passée par sa valeur minimale en 1995 et que, depuis, les conditions s’améliorent lentement. La séparation actuelle est toutefois encore inférieure à cinq secondes d’arc. Tout comme Sirius, Procyon possède également un compagnon, et c’est aussi une naine blanche ! Sa très faible luminosité (15 000 fois plus petite que celle de Procyon) et sa proximité de l’étoile principale la rendent aussi impossible à observer avec des instruments d’amateur. En fait, elle n’a été découverte qu’à la fin du XIXe siècle à l’oculaire de la seconde plus grande lunette du monde, celle de l’observatoire Lick en Californie. 4. Quelques étoiles doubles Le Grand Chien est riche en belles étoiles doubles observables à l’aide de très petits instruments (lunettes de 50 à 80 mm de diamètre). La plus brillante est l’étoile τ (30 Canis Majoris). La composante principale, de couleur jaune, est de magnitude 4,4, et elle est accompagnée d’une étoile plus faible de magnitude 10,5 et plutôt bleutée (séparation de 8,2’’). Ce système multiple se trouve en fait au cœur de l’amas NGC 2362. 19 Deux autres systèmes multiples valent le détour et sont visibles dans le même champ à petit grossissement (50 à 70 ×). La très jolie 17 Canis Majoris (composantes principales de magnitude 5,8 et 9,3, séparés de 44,4’’), qui se présente sous la forme d’une étoile triple (étoile principale blanche et deux compagnons orangés), et π (19 Canis Majoris), composée d’une étoile jaune-blanc (magnitude 4,7) et d’un compagnon bleu (magnitude 9,7), séparés de 11,6’’. Autre objet intéressant, celui que l’on présente comme le rival d’Albireo et de γ d’Andromède, que nous admirons souvent lors de nos Nocturnes, références absolues en matière d’étoiles doubles colorées faciles à séparer : h3945, dont les deux composantes, séparées de 26,6’’, orange intense et bleue, brillent respectivement avec des magnitudes de 4,8 et de 6,8. Le système µ (18 Canis Majoris) est aussi intéressant à observer, mais à plus fort grossissement, car ses deux composantes sont plus serrées (3’’). 5. L’amas ouvert M41 L’amas ouvert M41 est l’un des objets Messier les plus faciles à observer, puisqu’il est déjà visible à l’œil nu, dans de bonnes conditions d’observation, sous la forme d’une petite nébulosité à 4° au Sud de Sirius. Il semblerait d’ailleurs qu’Aristote lui-même ait observé l’amas en 325 av. J.-C. Officiellement, c’est Giovanni Batista Hodierna qui le découvrit le premier avant 1624. L’amas a ensuite été redécouvert indépendamment par John Flamsteed en 1702, par Le Gentil en 1749, et enfin par Messier, qui l’ajouta à son célèbre catalogue en janvier 1765. Des jumelles permettent de résoudre en étoiles une partie de l’amas. Vu dans un instrument d’une centaine de millimètres de diamètre (sous un grossissement de 50 × par L’amas ouvert M41, dans le Grand Chien. exemple), il se présente comme un groupe d’une cinquantaine d’étoiles, avec au centre une étoile orangée de magnitude 7, accompagnée d’une autre de magnitude 7 plus jaune. Une rangée d’étoiles de neuvième magnitude semblent s’éloigner de ce couple central vers le Nord. Plus au Sud, on trouve une étoile triple dont les composantes brillent aux magnitudes 7,5, 9 et 10 ; cette partie de l’amas contient des étoiles plus faibles que celles de la partie Nord. Observé avec un instrument de diamètre supérieur à 200 mm, l’amas est somptueux. Une centaine 20 d’étoiles de magnitudes comprises entre 7 et 12 parsèment alors ce champ céleste pour le plus grand plaisir des yeux. L’âge de M41 serait d’environ 200 millions d’années. Il se situe approximativement à 2 350 années-lumière de la Terre et s’étale sur 24 années-lumière (le diamètre apparent de l’amas est d’environ 38’) et brille comme 8 000 soleils. Bonne balade ! Francesco Lo Bue (UMH) 21