L`exception> Des oreilles en chou

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Cas clinique
L’ exception
Des oreilles en chou-fleur
Some cauliflower ears
O. Cogrel (Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux)
Pseudokyste de l’oreille •
Dermatite atopique
Pseudocyst of the auricle •
Atopic dermatitis
L
a patiente, une Bretonne âgée de 33 ans, présente depuis 1 mois une
tuméfaction spontanée, fluctuante, d’allure liquidienne de l’oreille droite
(figure 1). Elle souffre par ailleurs d’une dermatite atopique qui prédomine
à la face et au cou, est en poussée et est mal contrôlée par les dermocorticoïdes.
Les hypothèses d’angio-œdème et d’othématome ont été évoquées lors d’une
hospitalisation en Bretagne où a été pratiquée une ponction évacuatrice
ramenant un liquide séro-hématique. Un an auparavant, le même phénomène
s’était produit au niveau de l’oreille controlatérale et avait été résolu après une
mise à plat chirurgicale et un méchage.
Examen
On note une tuméfaction violacée non inflammatoire, rénitente de l’oreille droite au
niveau du scapha, de la fosse triangulaire et de la conque et qui efface les reliefs
cartilagineux (la figure 2 propose un rappel des différentes structures anatomiques
de l’oreille externe). À la palpation, le cartilage sous-jacent est mou et semble altéré,
voire fragmenté, avec de multiples spicules cartilagineux. Il existe par ailleurs des
lésions érythémato-squameuses eczématiformes de la face et du cou associées à de
nombreuses excoriations. Le reste de l’examen clinique est sans particularité.
Discussion
Le diagnostic de pseudokyste du pavillon de l’oreille (PO) est évoqué cliniquement. Il
s’agit d’une dégénérescence kystique du cartilage de l’oreille qui se liquéfie et génère
une collection liquidienne sans paroi, créant une tuméfaction bosselée et indolore de
la face antérieure du pavillon de l’oreille.
Ce pseudokyste ou chondromalacie kystique idiopathique de l’oreille (ou pseudokyste
endochondral) est une affection méconnue des dermatologues, habituellement unilatérale et récidivante. Décrit pour la première fois par D. Engel en 1966, le PO touche
habituellement les hommes jeunes et plus particulièrement les Asiatiques (mais les
publications sont majoritairement asiatiques) [1]. Sa survenue est rare avant l’âge de
20 ans et après l’âge de 60 ans. Ces pseudokystes se situent habituellement au niveau
du scapha, de la fosse triangulaire et au niveau de la conque (71 % des cas dans la série
de L.X. Zhu et al.) [2]. L’oreille droite semble plus touchée que l’oreille gauche et on
décrit environ 13 % de formes bilatérales mais qui sont habituellement asynchrones.
Histologiquement, le PO est caractérisé par des cavités intracartilagineuses sans paroi,
avec un amincissement irrégulier et une hyalinisation du cartilage en périphérie des
cavités. À un stade ultérieur, on peut observer une fibrose ou du tissu de granulation.
C.M. Lim et al. ont noté un infiltrat périvasculaire de cellules mononuclées alors que,
dans les précédentes séries, aucun argument pour une chondrite inflammatoire n’était
observé (3). La ponction de la collection ramène habituellement un liquide visqueux
clair ou séro-sanglant dont la concentration en glucose et en protéine est similaire
à celle du plasma.
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Images en Dermatologie • Vol. III • n° 3 • juillet-août-septembre 2010
Légendes
Figure 1. Tuméfaction rénitente du scapha
et de la fosse triangulaire (pseudokyste de
l’oreille droite) associée à une dermatite
atopique de la tête et du cou.
Figure 2. Oreille externe.
Cas clinique
Coll. Olivier Cogrel
L’ exception
1
Hélix
Scapha
Gouttière
de l’hélix
Fossette
naviculaire
ou fosse
triangulaire
Conque
Anthélix
Conduit
auditif externe
Tragus
Antitragus
Lobule
2
© DR
Images en Dermatologie • Vol. III • n° 3 • juillet-août-septembre 2010
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Cas clinique
L’ exception
L’étiologie du PO n’est pas parfaitement connue et plusieurs explications ont été formulées. D. Engel évoque le rôle des enzymes lysosomales relarguées par les chondrocytes
qui seraient responsables d’une destruction progressive du cartilage avec formation de
cavités (1). Mais des études ultérieures n’ont pas montré d’augmentation de l’activité
lysosomale dans le liquide d’aspiration ni d’augmentation du nombre de lysosomes dans
les chondrocytes. Une autre théorie suspecte une dysplasie congénitale du cartilage
de l’oreille liée à une anomalie de maturation lors de l’embryogenèse.
Il semblerait que des traumatismes minimes et répétés (même s’il n’est pas toujours
facile de les objectiver à l’interrogatoire) pourraient constituer un facteur précipitant (4).
Ces traumatismes (oreillers très durs, écouteurs, casque de moto, port de charges
sur les épaules…) induiraient, par des phénomènes ischémiques, une dégénérescence
hyaline du cartilage responsable d’abord de microkystes, puis, par coalescence, de
larges cavités. Un autre argument en faveur d’une origine traumatique est la présence
d’hémosidérine dans le liquide de ponction et d’un taux élevé de LDH. Les hypothèses
de chondrite inflammatoire ou auto-immune paraissent moins probables.
Le traitement est habituellement chirurgical mais les modalités précises font l’objet
de controverses compte tenu de la fréquence des récidives (5). La simple aspiration à
l’aiguille ou le drainage sans compression sont associés à un taux élevé de récidives.
La décortication chirurgicale qui consiste à exciser le cartilage dystrophique par voie
antérieure et à effectuer un curetage du mur postérieur suivi d’une compression est
préférable, même si l’on estime la récidive à environ 40 %. Cette compression peut
être assurée par des pansements ou des bandages compressifs, ou mieux – car plus
esthétiques et constants – par des bourdonnets compressifs (certains utilisent des
boutons de chemise !) devant et derrière l’oreille, qui sont laissés en place pendant
1 semaine environ. Des instillations de minocyclines (1 mg/ml), de corticoïdes retard
(10 mg/ml), de tétradécyl sulfate de sodium (Thrombovar®) ou de colle biologique ont
été proposées, avec plus ou moins de succès ; or, elles sont parfois responsables de
séquelles dystrophiques définitives et doivent donc être évitées.
Conclusion
L’association d’un pseudokyste de l’oreille à une dermatite atopique (DA) ne semble
pas fortuite : sur 60 publications de PO, 8 observations sont associées à une DA et
surviennent beaucoup plus précocement chez des patients âgés de 4 à 28 ans (6).
On estime que 1 % des atopiques, surtout ceux qui ont une histoire assez longue de
DA résistante et touchant le visage et le cou, pourraient présenter un PO avec une
régression spontanée possible. Les frottements et le grattage répétés secondaires au
prurit sont donc susceptibles de précipiter cette affection. Deux cas de PO ont également été décrits chez des patients qui présentaient un prurit intense contemporain
d’un lymphome ayant régressé sans traitement local sous chimiothérapie.
II
Références bibliographiques
1.Engel D. Pseudocysts of the auricle in Chinese. Arch Otolaryngol 1966;83:197-202.
2.Zhu LX, Wang XY. New technique for treating pseudocyst of the auricle. J Laryngol Otol
1990;104:31-2.
3.Lim CM, Goh YH, Chao SS, Lynne L. Pseudocyst of the auricle. Laryngoscope 2002;112:2033-6.
4.Tan BY, Hsu PP. Auricular pseudocyst in the tropics: a multi-racial Singapore experience.
J Laryngol Otol 2004;118:185-8.
5.Kanotra SP, Lateef M. Pseudocyst of pinna: a recurrence-free approach. Am J Otolaryngol
2009;30:73-9.
6.Ng W, Kikuchi Y, Chen X, Hira K, Ogawa H, Ikeda S. Pseudocysts of the auricle in a young adult with
facial and ear atopic dermatitis. J Am Acad Dermatol 2007;56:858-61.
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Images en Dermatologie • Vol. III • n° 3 • juillet-août-septembre 2010
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