Itinéraire d`un vieux jeune homme : ma mère m`a construit

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Makhtar Sarr
Itinéraire d’un vieux
jeune homme :
ma mère m’a construit
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Dédié spécialement à Seignor Diallo,
un homme dont l'esprit et la grandeur
ne tomberont jamais dans l'oubli.
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Remerciements
A ces hommes à qui je dois toute ma gratitude et ma
reconnaissance,
Mon maître Mouhamed Cherif Diop
Abdelahi faiz Ndoye
A ma grande soeur Mariama Ndaw
Betrand Assine
et toute la famille Diallo
A tous les élèves des Lycée Seydina Limamoulaye,de
Khar Kane et de Josephe CorréaA
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Introduction
Avant la naissance de la sociologie vers les années
1815-1918, la vérité qui déjà, est au centre de l’esprit
philosophique déchaîne la passion des philosophes de
l’époque sur ce que peut être la vérité, sa
représentation dans l’esprit scientifique du penseur et
son apport dans l’organisation de la société. L’enjeu
de cette époque, où l’esprit philosophique est en état
d’ébullition, est de voir vrai et clair. Pierre Bayle
(1647-1706) voyait ceci comme une exigence de Dieu,
« Dans la condition où se trouve l’homme, Dieu se
contente d’exiger de lui qu’il cherche la vérité le plus
soigneusement qu’il pourra et… il l’aime et y règle sa
vie »1. Et Voltaire de dire, « je n’ai de passion que la
vérité ». Cette sorte d’obstination à la vérité révèle
chez les philosophes un sens intime qui gouverne leur
travail de recherche.
1
Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ :
contrains-les d’entrer, 1688
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A l’époque, cette vérité qui fut et demeure l’objet
principal de recherche des philosophes ne pouvait
nullement émaner d’un vécu personnel. Les
philosophes eux-mêmes se réjouissaient de la remise en
question permanente d’une vérité établie par un
penseur. N’est-ce pas tous les débats sur les questions
métaphysiques, épistémologiques voire éthiques ?
Certes, pour eux la vérité tirée d’une expérience
personnelle peut être écoutée, entendue, voire
considérée, mais ne pourra jamais être prise comme
modèle universel de vérité. Cette vérité tant cherchée
n’est pas seulement l’apanage des philosophes, elle fut et
demeure un objet principal qui oriente l’acte de
recherche, il me semble, des sociologues. La différence
de ces derniers par rapport aux autres reste sur la
méthode à utiliser. Loin d’une perspective spéculative,
Durkheim pense que « la sociologie ne vaudrait pas une
heure de peine si elle n’était que spéculative ». Le
démarquage est net !
Aujourd’hui, ma lecture du Pays de Malheur2 de
Gérard Mauger et du discours de Bourdieu en 1986
sur l’auto-analyse m’incitent, parmi mille autres
considérations, à prendre ma trajectoire comme objet
d’étude sociologique. A l’instar de Gérard Noiriel, je
pense que « si l’on ne s’étudie soi-moi même, on ne
2
Stéphane Beaud, Younes Amrani, Pays de malheur ! Un jeune de cité
écrit à un sociologue. Suivi de Des lecteurs nous ont écrit, La Découverte,
coll. « La Découverte/Poche », 2005, 255 p.
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peut pas dire grand-chose sur ce que l’on a vu de
l’univers social »3.
Soumettre mon parcours à une vision
sociologique fondée sur l’auto-analyse, telle est mon
espérance dans ce travail de compréhension de soi et
de son dedans. Je risque ici, vu ce que j’ai à dire sur
moi et sur mon parcours, d’être l’ennemi non
seulement de mon fort intérieur mais aussi de toute
une famille, de proches ou d’amis qui se sentiront
exposés dans ce travail de compréhension de soi.
Au cours de mes deux premières années d’études en
France, j’ai analysé le poids que peuvent peser les
déterminismes sociaux sur la trajectoire des personnes.
J’ai apprécié, il me semble, avec du recul, les instances de
socialisations [famille, école, environnement etc.],
surtout la famille dont la fonction ne pouvait être que
positive à mes yeux. Car me disait-on d’elle qu’elle est
une unité de base, un cadre permanent de concertation
pour le bonheur de l’homme. Toutes les fonctions
coercitives de la famille m’ont été cachées sous l’ombre
des pagnes des mères4 au foyer, du discours des
politiques et des médias et de l’imaginaire collectif donc
du sens commun. On ne m’a toujours dit que du bien de
3
Noiriel Gérard, Journal de terrain, journal de recherche et auto-analyse.
Entretien avec Florence Weber. In : Genèses, 2, 1990. A la découverte du
fait social. pp. 138-147
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Dans des sociétés comme la nôtre l’éducation des enfants est souvent
assurée par nos mères, donc elles assurent à l’instar de la grand-mère et
de l’oncle maternel la transmission de toutes les valeurs aussi bien celles
de la société d’une manière générale que celles la famille en particulière
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la famille, presque jamais du mal qu’elle peut engendrer.
À l’école comme dans la rue, c’était le même discours.
J’ai été en effet fortement socialisé sur le côté positif de la
famille. « De la famille beaucoup de bien ». C’était
l’expression implicitement véhiculée par les membres de
la société et de ses composants.
Lors de ma deuxième année d’études universitaires,
il était question pour ma promotion d’étudier « Les
inégalités d’intérêts et de participation politique » –
mais pas simplement cela. De ces recherches et de mes
lectures sur le sujet, j’ai constaté une singularité de la
catégorie des cadres supérieurs [médecin, avocats] plus
à droite qu’à gauche. Cela m’a paru étrange au premier
abord, car je pensais que les individus votent selon leur
indépendance et non selon une classe sociale bien
définie. Voilà un fait qui s’explique par le social par
exemple ! La connaissance de la société par la sociologie
a beaucoup éveillé ma curiosité sur les faits sociaux et
l’implication « consciente » ou « inconsciente » de
l’homme sur son milieu. Après tant de changements
sociaux et de mutations socio-économiques ou
culturelles de ma société sénégalaise, il me semble
n’avoir vu que des objets d’études sociologiques sans
sociologues, des faits sociaux sans analyse. Cela
m’étonne ! Tout parait être le fruit de l’évidence du
hasard ou encore du destin dans cette société. N’est-ce
pas simpliste ? Allons-nous nous résigner à la fatalité à
défaut de donner du sens au discours, au réel ? Telle est
ma question à cette société qui m’a vu naître et grandir.
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L’auto-analyse ou L’auto-socioanalyse consiste à
mener des études sur soi même. Théoriquement, c’est
la définition la plus simple et la plus abstraite, me
semble-t-il, qu’on puisse donner à cette méthode
d’analyse de soi. Il s’agit selon Pierre Bourdieu de
mener une étude sur soi-même, de s’analyser
« comme s’il s’agissait de n’importe quel autre objet ».
Dans une telle pratique la difficulté réside dans ce
double rôle d’observateur-observé, où par souci
d’objectivité le chercheur doit prendre une distance
vis-à-vis de lui-même en tant qu’observateur et aussi
en tant qu’observé. Pour Bourdieu, l’enjeu n’est pas de
faire une autobiographie dans laquelle on a tendance
à relater et à expliciter « l’expérience vécue ». Il s’agit
plutôt d’adopter, pour lui, ce qu’il appelle
l’objectivation
participante
afin
« d’explorer,
non’’l’expérience vécue’’du sujet connaissant, mais les
conditions sociales de possibilités (donc les effets et
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les limites) de cette expérience et, plus précisément,
de l’acte d’objectivation. Elle vise à une objectivation
du rapport subjectif à l’objet qui, loin d’aboutir à un
subjectivisme relativiste et plus ou moins
antiscientifique » 5
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Pierre Bourdieu, Esquisse algérienne, Seuil, présenté par Tassadit
Yacine, septembre 2008. In Actes de la recherche en science sociales,
150, décembre 2003, p. 43-57. « Participant Objectivation » (discours
prononcé le 6 décembre 2000 lors de la remise de la Huxley Memorial
Medal for 2000, au Royal Anthropological Institute de Londres), publié
d’abord in The Journal of the Royal Anthropological Institute (9-2, juin
2003, p.281-294).
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