Une fin du monde avortée en Mésopotamie Un mythe dont la

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Une fin du monde avortée en Mésopotamie
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Un mythe dont la première version cohérente date du 17 siècle avant JC parle de la destruction de
l'humanité. Importunés par le bruit que faisaient les hommes, les dieux ont décidé de les supprimer.
Cependant le dieu Ea permettra qu'un homme, sa famille et quelques animaux soient sauvés.
Les témoignages écrits les plus anciens sur la religion et la mythologie nous ont été légués par la civilisation
mésopotamienne. Ces documents sont écrits avec des signes cunéiformes et les textes sont en deux
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langues. La première langue attestée, déjà dans les documents de l'extrême fin du 4 millénaire av. J.-C.,
au moment où l'écriture fait son apparition, est le sumérien. Cette langue de structure particulière deviendra
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progressivement une langue morte vers la fin du 3 millénaire av. J.-C. et sera remplacée comme langue
courante par l'akkadien. Devenu langue morte, le sumérien aura cependant un destin particulier : un peu à
l'instar du latin en Occident, il restera une langue religieuse et savante jusqu'à la disparition de la civilisation
mésopotamienne. Quant à l'akkadien, qui est une langue sémitique étroitement apparentée notamment à
l'hébreu et l'arabe qui existent encore actuellement, il connaîtra une existence d'environ deux millénaires
et ne disparaîtra définitivement qu'aux environs de notre ère en même temps que l'écriture cunéiforme,
écriture indissociable de la Mésopotamie.
Dans la richesse de cette documentation
écrite, il est possible d'appréhender les éléments de la mythologie mésopotamienne directement ou grâce
à l'analyse de certains types de documents. À vrai dire, il n'existe pas de texte mésopotamien qui peut être
considéré comme un récit mythologique au sens littéraire du terme. Les textes connus sont, par exemple,
des poèmes ou des chants liturgiques, comme le texte appelé à tort le « Poème de la création » mais qui
est en réalité un hymne à la gloire du dieu Mardouk, dieu tutélaire de la ville de Babylone, récité lors des
fêtes du Nouvel an. De brefs passages mythologiques se rencontrent aussi dans des incantations ou textes
apparentés, de même que dans la littérature dite de sagesse. La documentation est donc disparate mais
elle nous permet néanmoins de percevoir les préoccupations mythologiques des anciens mésopotamiens.
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Comme on le sait, les mythes ont avant tout une fonction explicative du « supra-naturel ». Mais celui-ci
n'étant pas directement observable par l'Homme, il ne peut faire l'objet que de constructions imaginatives,
par nature incontrôlables mais qui peuvent fournir une explication vraisemblable aux mystères parmi
lesquels on a le sentiment de vivre. J. Bottéro, spécialiste reconnu de la religion mésopotamienne, avait fait
remarquer à juste titre que, en tant qu'effort explicatif, la mythologie ne s'oppose pas fondamentalement
à la démarche scientifique. Seuls les procédés sont différents. La science obéit à « une logique de
vérité », c'est-à-dire qu'elle essaye de trouver l'unique chemin possible et authentique qui mène au but en
utilisant des concepts qui sont censés être universels ; quant à la mythologie, elle obéit à « une logique de
vraisemblance » en recourant à l'imagination et en empruntant plusieurs voies possibles pour expliquer une
chose, pourvu que chaque raisonnement partant d'un point de départ donné aboutisse au même résultat et
fournisse un enchaînement qui satisfasse l'esprit.
La confirmation de la multiplicité de scénarios mythologiques imaginables se trouve en Mésopotamie
notamment dans les différentes possibilités envisagées en Mésopotamie pour la création de l'Univers et de
l'Homme. Ces variations sont vraisemblablement le reflet de plusieurs traditions mythologiques locales, mais
l'origine de l'Univers et de l'Homme a été manifestement l'objet d'une interrogation claire et indiscutable
dans chaque tradition. Après sa création et son appropriation par les divinités, l'Univers reste apparemment
un élément immuable et éternel puisque les divinités le sont aussi par nature. Mais l'Homme, créé par le
Divin pour le servir n'a pas cette particularité.
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Un récit unique dont
l'origine est attestée dans les textes sumériens mais repris d'une façon beaucoup mieux structurée dans les
textes akkadiens témoigne de la fragilité de la condition humaine. Il s'agit de l'histoire du Déluge que l'on
retrouvera d'ailleurs plus tard dans la Bible, témoin de l'influence directe de la Mésopotamie sur le monde
biblique.
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La première version cohérente du récit est connue par un texte bien daté du 17 siècle av. J.-C. que
nous appellons « le poème d'Atra-hasîs ou du Supersage ». Bien que le texte ne soit pas entièrement
conservé, nous savons qu'il comprenait 1245 lignes grâce à une indication du scribe. Le personnage qui
s'appelle Atra-hasîs est l'équivalent de Noé biblique et l'histoire est très proche de celle qui nous est connue
par la Bible même s'il faut la placer dans le contexte de la religion polythéiste de la Mésopotamie. En
résumé, les Dieux décident de provoquer le Déluge pour exterminer l'humanité, devenue trop nombreuse
et dont la « rumeur » (c'est-à-dire le bruit) les empêchait de se reposer. Grâce à la complicité du dieu Ea,
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qui est considéré dans la mythologie mésopotamienne comme le créateur de l'Homme, Atra-hasîs arrive à
construire un bateau ; sa famille et une partie du monde animal seront ainsi sauvées.
Tablette du Déluge. British Museum ©Mike Peel
Douze cents ans ne s'étaient pas écoulés,
que le pays avait prospéré et les hommes s'étaient multipliés,
(tant et si bien que) le pays mugissait comme un taureau.
Or, le tapage des hommes incommoda le dieu-(souverain)
(et, tandis qu')Enlil entendait leur vacarme
Il dit aux grands dieux :
« trop insupportable m'est devenu la rumeur des hommes,
à cause de ce bruit je n'arrive plus à dormir,
que (leur) soit donc (envoyée) l'épidémie ! »
C-contre : Empreinte d'un sceau-cylindre représentant le dieu Ea. Photo ©Anast
Michael
Ci-dessous : Conte d'Atra-Hasis © Musée du Louvre
Atra-has#s
bouche
et s'adressa
seigneur :
« explique-m
ce rêve
afin que j'en
[portée]
[Enki] ouvrit
et s'adressa
serviteur :
« Que doiscomprendre
eh bien ! so
message
que je vais t
« Paroi, éco
palissade, r
toutes mes
détruis ta m
et construis
abandonne
sauve ta vie
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Puisse le ba
dois constru
[...soit] équi
[...]
que son toit
l'Apsû
afin que le s
pas l'intérieu
Qu'il soit clo
côtés,
que son arm
solide,
que son cal
épais et rés
Alors, pour
pleuvoir en
oiseaux à p
paniers de p
Le dieu ouv
clepsydre e
et avertit Atr
le Déluge co
sept nuits a
Extraits d
Donc, le projet d'extermination échoue et, pour ne plus connaître la situation
d'avant le Déluge, les dieux en arrivent à imposer un autre statut à l'humanité : celle-ci aura désormais
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comme destin la mort (qui raccourcit apparemment la durée de vie qui lui était auparavant accordée).
De surcroît, pour éviter la multiplication inconsidérée de l'humanité, on augmente la mortalité infantile
et on limite les naissances en provoquant l'infécondité de certaines femmes et en interdisant à d'autres
vouées aux dieux d'avoir des enfants. Ce sont évidemment des explications étiologiques pour pour des
phénomènes et coutumes connus de l'époque mais elles suggèrent qu'à partir de ce moment l'existence de
l'humanité ne pose plus problème.
L'histoire du Déluge sera intégrée plus tard dans une épopée qui raconte les aventures de Gilgamesh, roi
légendaire mésopotamien, épopée dans laquelle le héros du Déluge changera de nom et s'appellera UtNapishtim. Cette répétition de l'histoire témoigne de la cohérence du récit en Mésopotamie et elle signifie
apparemment que la disparition de l'humanité ne pouvait se concevoir.
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Gilgamesh maîtrisant un lion (8 s. av. JC)
Ut-Napishtim dans son bateau
On peut néanmoins se demander si la fin du monde avait fait l'objet d'autres spéculations en Mésopotamie.
Dans l'état actuel de nos connaissances, il semble qu'il n'y ait pas eu d'autres mythes sur la fin du monde.
Il existerait la mention d'un calcul dans un des rares passages conservés du livre Babyloniaca écrit en
grec vers 280 av. J.-C. par Bérose, érudit babylonien contemporain d'Alexandre-le-Grand : il nous resterait
quelque 43 200 années avant la fin du monde ! Mais l'interprétation, voire l'authenticité de ce passage mal
compris restent très douteuses.
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Nous pouvons donc conclure que l'idée d'une fin apocalyptique n'a vraisemblablement jamais vu le jour
en Mésopotamie, d'autant plus que l'au-delà imaginé par les Mésopotamiens n'avait rien de réjouissant :
monde immobile rempli de ténèbres et de poussières, il était le domaine des divinités infernales. Les morts
n'étaient ni récompensés pour leur vie exemplaire ni punis pour les péchés commis ; ils n'étaient hantise
pour les vivants que s'ils n'étaient pas correctement honorés lors de cérémonies appropriées.
Önhan Tunca
Décembre 2012
Ônhan Tunca a enseigné les langues, les religions et l'archéologie de la Mésopotamie à
l'Université de Liège jusqu'en 2012. Il poursuit aujourd'hui ses recherches sur les différents aspects
de la civilisation mésopotamienne.
* Voir Remo Mugnaioni, Le conte d'Atra-Hasis et le mythe de la création des hommes en Mésopotamie,
Universtié de Provence. En ligne
Orientation bibliographique (en français)
On trouvera plus d'informations sur les textes mentionnés ci-dessus dans les livres suivants :
J. Bottéro (éd.), Initiation à l'Orient ancien. De Sumer à la Bible, Paris, Seuil, 1992. 7
J. Bottéro, La plus vieille religion : en Mésopotamie, Paris : Gallimard (Folio. Histoire 82), 1998.
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