CHAPITRE 5 : SELECTION MODELE DE BASE prmi les forces susceptibles de modifier la constitution génétique des populations, figure la sélection. Darwin a fait de la sélection naturelle le moteur de l'évolution ; une partie de l'amélioration agronomique repose sur la sélection et le rôle de celle-ci a été formalisé dès les premiers modèles de la génétique des populations. Il y a sélection si les différents génotypes ne participent pas de façon égale à la constitution génotypique de la génération suivante. Ainsi, un génotype donné à un avantage sélectif sur un autre lorsque les individus de ce génotype laissent un plus grand nombre de descendants fertiles à la génération suivante. 1) Fitness, valeur adaptative et coefficient de sélection Lorsque les individus de génotypes différents montrent une viabilité ou une fécondité différente, chaque génotype est caractérisé par sa performance, c'est-àdire sa capacité à participer à la génération suivante. Cette mesure est appelée valeur sélective, fitness, ou valeur adaptative. Par définition, la fitness ou valeur sélective d ’un génotype correspond au nombre de descendants viables et fertiles que produit en moyenne chaque individu de ce génotype à la génération suivante. La valeur sélective ou fitness d'un génotype dépend principalement de sa survie entre le stade zygote (oeuf) et le stade adulte, et de sa fertilité (nombre de descendants viables capables de se reproduire). Ces deux paramètres déterminent le nombre de descendants produits en moyenne par cette catégorie génotypique. Une définition simple de la fitness peut donc être donnée par la formule : Fitness = Survie x Fécondité a)Fitness absolue On appelle fitness absolue, notée W, la valeur issue de la mesure de la probabilité de survie et de la fertilité de chaque catégorie génotypique et qui détermine directement leur nombre moyen de descendants. Pour un gène à deux allèles A et a, les valeurs de fitness seront notées de la façon suivante : Génotype Fitness absolue Génétique des populations AA WAA SV5 Aa WAa chapitre 5 aa Waa Page 38 L'exemple ci-dessous illustre comment la fitness absolue de ces génotypes peut être estimée: b) Fitness relative et coefficient de sélection La performance des génotypes est cependant toujours définie de façon relative = fitness relative notée de façon à ce que la plus forte valeur de fitness soit égale à 1. La fitness relative d'une catégorie d'individus est le rapport entre sa fitness absolue W et la plus forte valeur de fitness absolue (Wmax) observée dans la population. Fitness relative = W / Wmax avec 0 < < 1 Dans le cas d'un gène à 2 allèles A et a : AA=WAA/Wmax Aa=WAa/ Wmax aa = Waa/ Wmax La différence entre et 1 est appelée coefficient de sélection, noté s, qui est une mesure du taux de réduction de la fitness de chaque catégorie génotypique par rapport à la meilleure dans cette population. AA = 1 - sAA Aa = 1- sAa aa =1-saa Ainsi, dans l'exemple précédent, les fitness relatives des génotypes sont les suivantes : Génotypes Fitness absolue Fitness relative Coeff. de sélection AA Aa aa wAA= 1,125 wAa= 1 waa=0,5 Aa=1 /1,125 Aa=0,89 aa=0,5 /1,125 aa =0,44 sAa=0,11 saa=0,56 AA=1,125 /1,125 AA=1 sAA=0 Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 39 A. LE MODELE DE BASE DE LA SELECTION Nous allons considérer une population panmictique, d'effectif suffisamment grand pour que les fréquences alléliques ne soient pas affectées par d'autres facteurs que la sélection. On suppose également que l'action des facteurs sélectifs reste la même au cours des générations et que celles-ci ne se chevauchent pas. Dans cette population, soit un gène A existant sous 2 formes alléliques A1 et A2 dont les fréquences respectives à la génération n sont p et q 1. SELECTION SUR LA PHASE DIPLOÏDE Dans ce modèle, les individus diploïdes qui sont soumis à l'action de la sélection et les différents génotypes ont une capacité d'adaptation différente. Nous raisonnerons toujours sur le couple d'allèles (A1 : p ; A2 : q). Nous avons donc trois génotypes possibles auxquels nous affecterons respectivement les valeurs sélectives suivantes : A1A1 : σ1 A1A2 : σ 2 A2A2 : σ 3 Dans le modèle le plus simple que nous allons examiner, ces valeurs représentent l'ensemble des composantes de la valeur sélective de chaque génotype pour la période pré-reproductrice (survie embryonnaire, survie larvaire, ou juvénile ...). Elles correspondent au nombre moyen de descendants laissés à la génération suivante par chacun des génotypes. Seule la situation dans laquelle la sélection opère entre la fécondation et l'âge de la reproduction est envisagée ici. 1.1 Relation entre 2 générations successives L'évolution de la population, étudiée par la variation des fréquences génotypiques, dépend donc des rapports existant entre les valeurs sélectives. Génotypes à la génération n En panmixie, les fréq. parmi les zygotes formés sont : Valeurs sélectives : Après action de la sélection A1A1 A1A2 A2A2 p2 σ1 2 pq σ2 q2 σ3 cette composition est modifiée : σ1p2 Génétique des populations SV5 2 σ2pq chapitre 5 σ3q2 Page 40 Soit : W = σ1 p2 + 2 σ2 pq + σ 3q2 Cette somme n'est plus égale à 1, la fréquence des trois génotypes après la sélection est donc : Fréq. des génotypes à la génération n+1 : σ1p2/ W 2 σ2pq / W σ3q2/ W La fréquence de l'allèle A1 est devenue : p'= σ1p2/ W + 1 (2 σ2pq / W ) = [p(pσ1+q σ2)]/ W 2 W représente la valeur sélective moyenne de la population. Elle est la moyenne pondérée des valeurs sélectives des différents génotypes et correspond au nombre moyen des descendants par individu de la nème génération. On calcule alors l'accroissement p p = p' - p = [p(pσ1+q σ2)]/ W -p Après réduction au même dénominateur et mise en facteur nous obtenons : p étant la fréquence de l'allèle A1 à la nième génération. Cette formule classique se condense en une expression plus généralisable. On remarque que la dérivée de W par rapport à p s'écrit : dW/dp = d[p² σ1+2p(1-p) σ2+(1-p)² σ3]/dp = 2 σ1p + 2 σ2 (1 – 2p) - 2 σ3 (1-p) = 2 [(σ 1 - σ 2) p + (σ 2 - σ 3) q ] c'est- à- dire le double du numérateur du p trouvé précédemment. Le p peut alors s'écrire : Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 41 1.2 Généralisation de la formule L'expression se généralise dans le cas d'individus polyploïdes ou pour des gènes liés au sexe. Wright (1945) démontre que lorsque les valeurs sélectives sont peu différentes la formule est : Avec k = 1 chez les haploïdes ; k = 2 chez les diploïdes et k = 4 chez les autotétraploïdes (luzerne par exemple). 1.3 Utilisation des formules Etude du p Pour analyser l'évolution de populations soumises à une sélection agissant sur la phase diploïde, on étudiera la variation de p . On examine ainsi les variations de fréquences de l'allèle A1 au cours des générations. y = W' /2 = (σ 1 - 2 σ 2 + σ 3) p + σ 2 - σ 3 Analyse de y en fonction des σ i Le domaine de définition de y est [ - , + ], mais seul nous intéresse l'intervalle [ 0 ; 1 ]. Le graphe de cette fonction est une droite de pente (σ 1 - 2 σ 2 + σ 3) et d'ordonnée à l'origine (σ 2 - σ 3). Quatre cas sont à examiner selon que y est toujours de même signe entre 0 et 1, ou qu'il change de signe entre ces deux valeurs. L'étude de ces différents cas est simple, le graphe étant une droite, il suffit de choisir 2 points particuliers. Nous prendrons les points d'abscisse 0 et 1, les valeurs correspondantes de y sont : p=0 y=σ2-σ3 p=1 y=σ1-σ2 Cas n° 1 (voir figure1). σ 1 > σ 2 > σ 3 fig.1 Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 42 Dans ce cas pour p [ 0 ; 1 ], y est toujours positif (toutes les valeurs de y entre p = 0 et q = 1 seront au-dessus de l'axe des abscisses) ce qui signifie que p sera toujours positif. Comme p = p' - p , pour p > 0, cela entraîne p' > p. La fréquence de l'allèle A1 augmente donc d'une génération à la suivante et p tends vers 1. Dans ces conditions, l'allèle A1 s'installe dans la population, l'allèle A2 étant éliminé. Représentation de q en fonction de la fréquence allèlique A2 : Cas n° 2 (voir figure 2). σ 1 < σ 2 < σ 3 fig .2 Ce cas est symétrique du précédent ; y sera toujours négatif pour x1 [ 0 ; 1 ], p sera donc toujours négatif dans ce même intervalle. Nous aurons donc : p = p' - p < 0 soit p' < p La fréquence de l'allèle A1 diminue dans la population au cours des générations et tend vers zéro. L'allèle A1 est éliminé de la population et remplacé par l'allèle A2. Représentation de q en fonction de la fréquence allèlique A2 Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 43 Cas n° 3 (voir figure3) σ2<( σ1 , σ3) fig.3 La valeur sélective de l'hétérozygote est ici inférieure à chacune des valeurs sélectives des homozygotes. L'étude de y nous montre que le p change de signe dans l'intervalle p [0 , 1 ]. Il existe alors un point particulier d'abscisse p = p tel que y = 0, ce qui annule le p. Pour p = 0, on a évidemment p' = p , il s'agit donc d'un point d'équilibre. Examinons les variations de p de part et d'autre de la valeur p . Pour p' < p : y < 0 , d'où dW/dp < 0 , d'où p' < p, donc p diminue et tend vers 0. Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 44 Pour p’ > p : y > 0, d'où dW/dp > 0, d'où p’ > p, donc p augmente et tend vers 1. p est un point d'équilibre instable. Soit une population placée dans de telles conditions et telle que la fréquence de A1 soit justement p. Elle restera théoriquement en équilibre, mais si pour une raison fortuite la fréquence allélique varie, la situation évoluera alors vers l'élimination de l'un des deux allèles. Cas n° 4 (voir figure4) σ2 > σ1 > σ3 fig.4 Il y a ici supériorité sélective de l'hétérozygote. Nous avons un changement de signe du p entre p [0 ; 1]. Il existe aussi une fréquence p qui est une fréquence d'équilibre définie par p = 0. De part et d'autre de p, on voit donc que les pressions sélectives ramènent les fréquences alléliques vers la valeur p. Nous nous trouvons en présence d'un point d'équilibre stable. Représentation de q en fonction de la fréquence allèlique A2 : Dans tous les cas, nous voyons qu'à une génération donnée, une population peut être caractérisée par différents paramètres, p, p, W . Ce dernier varie aussi lors de l'évolution de la population et l'étude que nous venons de faire nous permet d'examiner sa variation. W est toujours positif. Lorsque dW/dp > 0, p augmente, W varie dans le même sens que p, il croît avec lui. Mais si dW/dp < 0, p diminue, W varie en sens inverse de p, il croît lorsque p décroît Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 45 et inversement. Dans le cas d'une sélection à valeurs sélectives constantes la valeur sélective moyenne de la population tend toujours à augmenter, ce qui traduit simplement le fait que la population tend vers la meilleure position adaptative possible. La population tend à prendre la structure génotypique la mieux adaptée à son environnement ce qui correspond ici à un maximum de descendants produits. (voir figure). Cette propriété correspond à ce que l'on appelle parfois le théorème fondamental de la sélection naturelle (Fisher). Calcul des fréquences à l'équilibre Ces fréquences se déduisent simplement des données précédentes. L'équilibre, nous l'avons vu, correspond à p = 0, c'est-à-dire à une valeur minimale ou maximale de la valeur sélective moyenne de la population ( W ). L'équation représentative de W étant une parabole, il suffit de chercher la valeur de p qui annule sa dérivée W' pour obtenir la fréquence d'équilibre. C'est évidemment le point (p ; y = 0) des courbes précédentes. y = (σ 1- 2 σ 2 + σ 3) p + σ 2 - σ3 = 0 d’où 2-Nombre de générations requises pour un changement donné de fréquence génique : Combien de générations faut-il pour une certaine variation de la fréquence génique ? Répondre à cette question est parfois nécessaire pour mettre au point des programmes d’élevages ou pour proposer des mesures d’amélioration. Nous considérons le cas de sélection contre un gène récessif avec élimination totale de l’homozygote ( s=1) ceci peut s’appliquer à la sélection naturelle qui s’exerce contre un récessif que l’on cherche à éliminer dans le programme d’amélioration : ( AA Aa aa p² 2pq q² 1 1 (1-s)=0 ) qn= qn-1 / (1+ qn-1) Exemple : l’albinisme exemple de tare très grave et posons la question combien de temps faudra t-il pour amener sa fréquence à la moitie de sa valeur actuelle ? Fréquence actuelle q0² = 1/20000 donc q0 = 1/141 Fréquence à atteindre qn²= 1/40000 donc qn= 1/200 n = 200 - 141= 59 générations Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 46 Généralisation qn=qn-1(1-sqn-1)/(1-sq²n) q=qn+1 -qn = -sq²n(1-qn)/(1-sq²n) q= - sqn²(1-qn) dq/dt= - sq²(1-qn) ( ∫ ) ( ( ) ) B. EXTENSION DU MODELE 1. CAS DE GENES LIES AU SEXE (OU SYSTEME HAPLO-DIPLOIDE) Il existe 5 génotypes distincts 3 chez la femelle et 2 chez les mâles : A1A1 σ1 pp’ A1A2 σ2 A2A2 σ3 pq’+p’q qq’ A1Y σ 1’ A2Y σ’2 p q p1 = [pp’ σ1 + ½ σ 2( pq’+p’q)] / [ pp’ σ1 + σ 2( pq’+p’q)+ σ3qq’] p’1= σ’1p / (σ1p+ σ2q) p : fréquence d’A1 chez les femelles p’ : fréquence d’A1 chez les mâles 2. CAS DU MULTIALLELISME Comme nous l'avons vu au chapitre 1, l'existence de plusieurs allèles par locus est une situation très générale. Nous envisagerons ici le cas de 3 allèles A 1, A2, A3 autosomiques et de fréquences identiques selon les sexes p, q, r. La population étant panmictique on obtient, après fécondation : génotype A1A1 fréquence : fi A1A2 p² 2pq valeur sélective(wi) w11 w12 A1A3 A2A2 A2A3 A3A3 2pr q² 2qr r² w13 w22 w23 w33 La valeur sélective moyenne de la population ( W ) se calcule comme précédemment en écrivant W = fiwi i = p (p w11 + q w12 + r w13) + q (p w12 + q w22 + r w23) + r (p w13 + q w23 + r w33) = p W1 + qW2 + rW3 Génétique des populations SV5 chapitre 5 Page 47 avec W1 = p w11 + q w12 + r w13, correspondant à la valeur sélective pondérée de l'allèle A1, et de même pour les autres allèles avec W2 et W3. Le p s'exprime alors : p = W1p/ W - p = [p/ W ](W1- W ) q = W2q/ W - q = [q/ W ](W2- W ) r= W3q/ W - r = [r/ W ](W3- W ) La recherche des points d'équilibre se fait comme précédemment en calculant les p = 0 q = 0 r = 0 avec les déterminants suivants : D = w11 w12 w12 w22 w23 w13 = 1 1 1 = w12 w13 w22 + w23 w23 w33 w11 w12 W13 D1 + p = D1/∑Di w13 1 1 1 w23 w33 w33 w23 w11 + w12 w33 D2 w13 + q= D2/∑Di w12 1 w23 1 1 w13 D3 r = D3/∑Di exemple D1=1/4 p = 3/7 Génétique des populations D2=D3=1/6 q = r = 2/7 SV5 chapitre 5 Page 48