Physiopathologie de la défaillance cardiaque C. Rabuel, B. Tavernier et A. Mebazaa La dysfonction myocardique au cours du sepsis est une entité maintenant largement reconnue. Elle débute dans les vingt-quatre heures ou dans les premiers jours du début du sepsis. Elle atteint les deux ventricules et se caractérise classiquement par une dépression de la fonction systolique (diminution de la fraction d’éjection) et une dilatation bi-ventriculaire surtout en cas d’apports liquidiens excessifs. Son expression clinique est variable d’un sujet à l’autre et d’un moment à l’autre de l’évolution du choc septique. Chez les survivants, la dysfonction cardiaque évolue vers une restitution ad integrum au bout de cinq à sept jours. Son diagnostic reste difficile, bien que l’apport de l’échocardiographie, surtout par voie transœsophagienne, le facilite. Ses mécanismes physiopathologiques demeurent encore mal connus car ils sont complexes, souvent intriqués. On peut tout de même distinguer des mécanismes extrinsèques aux myocytes cardiaques (surtout plasmatiques et/ou endothéliaux) à effet immédiat, et d’autres purement intramyocytaires à effet plus retardé. Ce chapitre tente de faire le point sur des concepts proposés il y a déjà plusieurs années, mais aussi sur des données très récentes abordant la complexité des mécanismes impliqués dans la myocardiopathie septique. Certaines données ouvrent la voie au développement de nouvelles thérapeutiques spécifiques de la dysfonction myocardique au cours du choc septique. Fonction cardiaque au cours du choc septique De nombreuses études expérimentales animales ont clairement démontré que la contractilité myocardique était altérée au cours du sepsis. Cependant, en clinique humaine, cette dysfonction est plus difficile à montrer, car le débit cardiaque est souvent, après remplissage, normal ou augmenté. Si le patient est porteur d’un cathéter artériel pulmonaire de type Swan-Ganz, l’évaluation de la contractilité ventriculaire gauche reste difficile mais possible par l’étude de la relation pression capillaire pulmonaire (PCAP)-Travail indexé du ventricule gauche (VG) au cours d’un remplissage (1, 2). Cependant, le travail cardiaque 52 Sepsis sévère et choc septique n’est pas un bon indicateur de la performance cardiaque car il dépend de la pression artérielle ; de plus, la PAPO (pression artérielle pulmonaire d’occlusion) est un indice assez médiocre de précharge. Finalement, l’évaluation hémodynamique par cathéter de Swan-Ganz permet essentiellement le diagnostic des atteintes myocardiques sévères (débit cardiaque effondré, réponse au remplissage altérée) qui ne touchent finalement qu’une faible part des patients en choc septique. Par contre, l’échocardiographie, surtout par voie transœsophagienne, est un outil précieux pour l’évaluation et le diagnostic de la dysfonction myocardique au cours du choc septique (3, 4). Elle permet l’évaluation de la fonction systolique et de la fonction diastolique, la mesure des surfaces des cavités cardiaques et celle du débit cardiaque ; elle permet aussi d’apprécier plus précisément la précharge, surtout au cours de la ventilation mécanique (5) et, enfin, d’étudier la fonction ventriculaire droite. Typiquement, la dysfonction myocardique, selon les résultats expérimentaux obtenus chez le chien septique (fig. 1) et confirmés chez l’homme (6), se caractérise par : – une réduction de la fraction d’éjection des deux ventricules ; – une dilatation télédiastolique bi-ventriculaire ; Fig. 1 – Chronologie de la défaillance myocardique au cours du sepsis. La dysfonction myocardique survient dans les quarante-huit heures suivant le début du choc septique. Elle se caractérise par une diminution de la fraction d’éjection et une dilatation ventriculaire, surtout en cas de remplissage important. Elle évolue vers une récupération complète de la fonction cardiaque en cinq à sept jours. D’après Natanson (2) (avec permission). Physiopathologie de la défaillance cardiaque 53 – une augmentation de la fréquence cardiaque et du débit cardiaque ; – une baisse des résistances systémiques. Le plus souvent, cette dysfonction myocardique débute précocement dans l’histoire du sepsis (dans les vingt-quatre à quarante-huit premières heures) et est réversible en cinq à dix jours chez les patients qui survivent (7). L’association d’une diminution de la fraction d’éjection du VG et d’une diminution des résistances vasculaires systémiques suggère fortement la présence d’une véritable dépression myocardique intrinsèque. La dépression systolique a été retrouvée, qu’elle soit évaluée par techniques isotopiques, par la relation pression capillaire pulmonaire-travail indexé du VG ou par fraction d’éjection mesurée par échocardiographie, chez de nombreux patients (tableau I). Tableau I – Fonction ventriculaire gauche dans le choc septique chez l’homme. Étude Méthodes Patients (n) PAPO (mm Hg) Index cardiaque (l min/m2) FEVG (%) VTDVG (ml/m2) Parker et Shelhamer, 1984 TI + TD S = 13 NS = 7 13,7 ± 1,6 10,6 ± 1,5 4,1 ± 0,4 5,4 ± 0,7 32 ± 4 55 ± 5 156 ± 29 81 ± 9 TI + EV S = 33 NS = 21 11,7 ± 0,8 12,8 ± 1,0 4,4 ± 0,3 5,4 ± 0,4 40 ± 3 47 ± 4 124 ± 8 99 ± 9 TI + EV 35 dont 15 avec maladie cardiaque 16 ± 6 3,2 ± 1,2 44 ± 15 84 ± 50 TI + EV 18 ETT + TD 32 ETT S = 34 NS = 56 ETT + TD 15 (valeur : m ± SEM) Parker, 1989 (valeur : m ± SEM) Ellrodt, 1985 (valeur : m ± SD) Schneider, 1988 (valeur : m ± SEM) Jardin, 1994 10,0 ± 0,9 5,4 ± 0,4 +500 mla : 13,6 ± 0,9 5,9 ± 0,5 13 ± 3 4,4 ± 1,6 53 ± 3 95 ± 5,8 53 ± 3 107 ± 6,8 50 ± 17 66 ± 18 42 ± 11 46 ± 16 80 ± 21 62 ± 15 (valeurs : m ± SD) Jardin, 1999 (valeursb : m ± SD) Tavernier, 1998 (valeurs m ± SD) Basal : 9 ± 4 EVc : 15 ± 3 3,7 ± 1,1 4,9 ± 1,6 74 ± 33 106 ± 36 PAPO : pression artérielle pulmonaire occluse ; FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche ; VTDVG : volume télédiastolique du ventricule gauche ; m : moyenne ; TI : techniques isotopiques ; EV : expansion volémique ; TD : thermodilution ; ETT : échocardiographie transthoracique ; S : survivants ; NS : non survivants ; a expansion volémique avec 500 ml de plasma ; b mesuré à J2 ; c débit cardiaque optimisé par expansion volémique. La dilatation aiguë bi-ventriculaire au cours du choc septique reste controversée. Ainsi, Jardin et al. (4, 8-9) n’ont pas retrouvé cette dilatation aiguë, évaluée en échocardiographie, chez leurs patients en choc septique dont le débit cardiaque n’était pas optimisé. En revanche, ils confirmaient une diminution importante de la fonction systolique du VG à la phase initiale du choc septique. Il semble bien que le rôle du remplissage soit majeur pour démasquer la dilatation du VG, et probablement du ventricule droit (VD). En effet, dans l’étude de Tavernier (5), où la surface télédiastolique du VG a été mesurée par 54 Sepsis sévère et choc septique échocardiographie transœsophagienne, le remplissage (optimisation du débit cardiaque) a permis d’augmenter la surface télédiastolique du VG de 9,6 ± 3,6 cm2/m2 à 12,8 ± 3,7 cm2/m2, suggérant une augmentation de 30 à 40 % de la surface télédiastolique du VG au cours du choc septique. La fonction diastolique est aussi affectée au cours du sepsis. Ainsi, les altérations de la relaxation du VG sont courantes, voire plus fréquentes que les altérations de la fonction systolique (10). De plus, il semble que, chez un certain nombre de patients, il y ait un continuum entre une dysfonction diastolique isolée et une insuffisance ventriculaire à la fois systolique et diastolique (3). Ces anomalies de la relaxation pourraient être un facteur pronostique majeur du choc septique (3, 11). L’évaluation de la dysfonction cardiaque au cours du choc septique pourrait bénéficier du dosage de marqueurs sériques comme la troponine I cardiaque (TnIc). La TnIc semble être un marqueur très spécifique de lésions des cardiomyocytes. De nombreuses études ont montré que le taux sérique de TnIc était augmenté chez plus de la moitié des patients en choc septique (12-13). De plus, l’augmentation du taux de TnIc est reliée à la dysfonction ventriculaire gauche, à la mortalité, au score APACHE II, et au besoin en inotropes (12-14). Les lésions des cardiomyocytes semblent donc fréquentes au cours du sepsis et sont plus marquées encore en cas de maladie coronarienne préexistante (15). Bien que les taux de TnIc soient reliés positivement avec la dysfonction du VG (évaluée par la fraction d’éjection du VG en échocardiographie) (13), l’augmentation des taux de TnIc au cours du sepsis reste modérée et l’électrocardiogramme, la coronarographie ou les constatations autopsiques révèlent rarement la présence concomitante d’une ischémie myocardique (3). Cette élévation des taux de TnIc pourrait cependant, au moins partiellement, avoir une origine ischémique. En effet, au cours du choc septique, il existe une dysfonction micro-vasculaire qui pourrait entraîner une oxygénation tissulaire insuffisante et des foyers de micronécrose. De plus, des épisodes d’hypotension prolongés, une diminution de la perfusion coronarienne et une diminution du transport myocardique en oxygène peuvent survenir au cours du sepsis, ce qui peut favoriser et aggraver ces lésions ischémiques, surtout en cas d’anomalies microvasculaires. Ver Elst a retrouvé sur des biopsies de cœur de patients décédés de choc septique une nécrose de certaines bandes de contraction (14). Bien qu’une origine ischémique soit possible, d’autres phénomènes, comme une augmentation de la concentration des catécholamines endogènes et/ou exogènes ou des phénomènes d’ischémie-reperfusion, peuvent également être impliqués dans le développement de telles lésions. En effet, la dysfonction micro-vasculaire liée au sepsis et l’utilisation dans le traitement du choc septique de thérapeutiques qui augmentent la consommation d’oxygène du myocarde peuvent induire des lésions d’ischémie-reperfusion. Le processus infectieux lui-même, en activant les leucocytes, les macrophages et les cellules endothéliales qui libèrent alors des espèces radicalaires de l’oxygène (anion superoxyde, hydroxide, peroxyde d’hydrogène), peut induire des phénomènes d’ischémie-reperfusion (16). La sécrétion de cytokines, comme le tumor Physiopathologie de la défaillance cardiaque 55 necrosis factor α (TNFα), par les cellules de l’inflammation, pourrait aussi induire la libération par les cardiomyocytes de TnIc. En effet, le TNFα est connu pour augmenter la perméabilité membranaire des cellules endothéliales (17, 18) et pourrait augmenter aussi celle des cardiomyocytes permettant la libération de macromolécules comme la TnIc (19) ou de fragments de TnIc dégradés in situ dans le cardiomyocyte en cas d’hypoxie (20). Ainsi, la libération de TnIc au cours du choc septique semble plus être secondaire à des phénomènes inflammatoires voire toxiques pour le cardiomyocyte qu’à des phénomènes ischémiques bien que l’implication de ces derniers ne puisse être totalement écartée, surtout en cas de maladie coronarienne sous-jacente. D’autres études sont nécessaires pour préciser l’implication exacte de ces différents phénomènes. Des études récentes semblent indiquer une élévation de la concentration plasmatique de brain natriuretic peptide (BNP) dans le sepsis ; ceci demande à être confirmé. Facteurs extrinsèques aux myocytes cardiaques Facteurs circulants Depuis les années 70, la participation de facteurs circulants et de cytokines à la dysfonction myocardique induite par le sepsis a été évoqué (21). Ainsi, la perfusion de sérum de patients en choc septique à des cardiomyocytes de rat entraîne une diminution de leurs performances contractiles (22). Cet effet inotrope négatif était supposé être médié par un peptide circulant de faible poids moléculaire (< 2 000 daltons) nommé myocardial depressant factor (MDF). L’endotoxine, constituant de la membrane des bactéries à Gram négatif lysées par les leucocytes, peut mimer à elle seule l’ensemble des manifestations cardio-vasculaires du choc septique, mais sans être toutefois indispensable à la genèse de celles-ci. Le délai d’apparition de ces anomalies suggère qu’elles ne résultent pas de l’effet instantané de l’endotoxine elle-même, à moins qu’elle soit en quantité extrêmement importante, ce qui est peu probable en clinique humaine (23). Ceci suggère que l’endotoxine agirait le plus souvent de façon indirecte sur la contractilité myocardique par l’intermédiaire des cytokines sécrétées par les macrophages. Néanmoins, récemment, une action directe du LPS sur le myocarde a été suggérée. En effet, la présence de récepteurs Toll, particulièrement le récepteur Toll-4 (TLR-4), qui est considéré comme le récepteur du LPS, a été décrite à la surface du cardiomyocyte (24). L’utilisation de souris déficiente en TLR-4 permet d’appréhender ses rôles. Chez ces souris, l’injection d’endotoxine entraîne une sécrétion de TNF moindre et retardée, une diminution de l’expression et de l’activité de la NO synthase inductible, par non-activation de NFκB, suggérant que la voie de TLR-4 est en partie responsable de l’induction de la synthèse de médiateurs pro-inflammatoires 56 Sepsis sévère et choc septique dans le cœur au cours du choc septique (24). Dans un modèle in vivo, Nemoto (25) a rapporté que l’injection de LPS chez des souris ne possédant pas de TLR-4 n’entraînait pas de diminution des paramètres de contractilité, suggérant fortement que TLR-4 active toute une voie de signalisation responsable de la dysfonction ventriculaire induite par le LPS. Malgré cette récente observation, il est maintenant bien admis que la majorité des effets de l’endotoxine sur le myocarde passe par l’action des cytokines secrétées par les leucocytes en réponse à l’agression infectieuse et à la libération d’endotoxine. Ainsi, cette activité « MDF » serait due aux effets conjugués de cytokines, en particulier le tumor necrosis factor α (TNFα) et l’interleukine 1β (IL-1β) (26). En effet, les cytokines agissent directement sur les myocytes cardiaques en se fixant sur des récepteurs membranaires et activent ainsi des voies de signalisation cellulaire. Les cytokines peuvent ainsi entraîner une baisse de la contractilité cardiaque en stimulant la voie du monoxyde d’azote (NO) (26-28). Mais cette voie n’est pas unique. Ainsi, le TNFα peut entraîner une baisse rapide de la contractilité des myocytes cardiaques isolés en diminuant la concentration intracellulaire de Ca2+ par activation de la voie de la sphingosine (29). Les cytokines sont en effet capables d’activer rapidement une sphingomyélinase qui hydrolyse la sphingomyéline en céramide. Dans le cœur, la céramide est métabolisée en sphingosine qui altère le fonctionnement du réticulum sarcoplasmique (29) et/ou qui inhibe le courant calcique trans-sarcolemmique (30), ce qui diminue l’amplitude du transitoire calcique. Les cytokines peuvent aussi activer le complexe transcriptionnel NFκB. Dans les cardiomyocytes, l’activation de NFκB induit notamment l’expression de nombreux gènes comme celui de la NO synthase inductible (NOS-2) ou ceux de plusieurs cytokines dont celui du TNFα. Le TNFα ainsi sécrété de façon autocrine/pararine semble avoir un effet inotrope négatif sur le myocarde (31). Des études animales ont montré qu’en empêchant l’activation de NFκB, par exemple en surexprimant son inhibiteur IκB, on réduisait la dysfonction contractile induite par le sepsis in vivo et aussi la synthèse de TNFα (32). Ainsi, les cytokines initient des phénomènes cellulaires qui ont pour conséquence l’altération de la fonction contractile du myocarde, ce qui permet d’expliquer que la cardiopathie continue d’évoluer sur plus d’une semaine, alors que la concentration plasmatique de la plupart des cytokines diminue rapidement après le début du sepsis et que les anomalies de la contraction persistent ex vivo. Facteurs paracrines Outre l’influence de médiateurs généraux sécrétés à distance, les cardiomyocytes sont aussi sensibles à des facteurs sécrétés par les autres cellules de leur proche environnement. Les myocytes cardiaques sont, en effet, entourés de nombreuses cellules non contractiles parmi lesquelles les cellules endothéliales Physiopathologie de la défaillance cardiaque 57 qui pourraient avoir un rôle déterminant dans la régulation de la fonction contractile par une action paracrine (33-35). Les cellules endothéliales coronaires et de l’endocarde libèrent ainsi de nombreux médiateurs comme les prostaglandines (PGs), l’endothéline-1 (ET-1), et le NO qui modifient la fonction du cardiomyocyte (35-37). Le choc septique est associé à une diminution des résistances vasculaires et à une altération de la fonction myocardique. La baisse des résistances vasculaires peut être attribuée en partie au relarguage de NO en grande quantité, par la NOS-2 des cellules endothéliales, vers les cellules musculaires lisses. De la même manière, au niveau de la circulation coronaire, Balligand et al. ont montré la présence de la NOS-2 dans les cellules endothéliales du lit micro-vasculaire coronaire (38). L’effluent de culture de cellules endothéliales stimulées à l’IL-1 diminue la réponse contractile de cardiomyocytes de rat à l’isoprotérénol. Cet effet est aboli par l’adjonction de LMMA (39), un inhibiteur des NO synthases, suggérant que les cellules endothéliales peuvent transmettre ou amplifier les signaux inflammatoires et modifier la fonction des cardiomyocytes adjacents. En retour, les cardiomyocytes réguleraient aussi l’expression endothéliale de la NOS-2 en libérant du TGF-β en réponse à l’activation de la NOS-2 endothéliale, ce qui limiterait son activation (39). Au cours du sepsis, il a été récemment montré que l’endothélium des artères coronaires et de l’endocarde était précocement activé et qu’il intervenait dans le contrôle des performances myocardiques, notamment par la voie des prostaglandines et celle de l’ET-1 (37). Facteurs intrinsèques La voie du NO NO et cœur normal Le NO a des effets à la fois sur la fonction systolique et sur la fonction diastolique du cœur (40-41). Le NO à faible concentration (< 1 µM/l) a un effet inotrope positif sur des cardiomyocytes de rat et humains par activation de l’adénylate cyclase (42). En revanche, ces résultats n’ont pas été retrouvé in vivo chez l’homme (43). De plus fortes doses de NO (> 1 µM/l) auraient plutôt un effet inotrope négatif par réduction de la réponse au Ca2+ des myofilaments et par l’activation de protéine kinase G. Le NO aurait en fait un effet plus marqué sur la relaxation que sur la contraction du myocarde. Chez l’animal, le NO entraîne une relaxation plus précoce et une distensibilité diastolique du VG plus grande (44), ce qui peut expliquer que le NO favorise la réponse de Frank-Starling (45). Shah et al. ont récemment montré que l’augmentation de l’étirement du VG augmentait la 58 Sepsis sévère et choc septique libération intracardiaque de NO, ce qui facilitait l’augmentation du débit cardiaque en augmentant la distensibilité diastolique et le remplissage (40). NO et cœur septique Dans le cœur normal, le NO est principalement produit par la NO synthase (NOS), la NO synthase endothéliale constitutive (NOS-3) des vaisseaux coronaires et de l’endocarde. Au cours du sepsis, sous l’influence des cytokines, la NOS inductible (NOS-2) est exprimée dans les cellules endothéliales microvasculaires, les fibroblastes, les cellules musculaires lisses et les cardiomyocytes de rat (46). Nous avons récemment montré que la NOS-2 était aussi exprimée dans les quatre cavités cardiaques, à un niveau similaire, au cours du choc septique chez l’homme (47). Plusieurs arguments plaident en faveur d’un rôle de l’hyperproduction du NO dans la dysfonction myocardique au cours du sepsis : – l’hyperproduction de NO est contemporaine de la dysfonction myocardique ; – les donneurs de NO administrés sur cœur sain entraînent des altérations semblables à celles observées au cours du sepsis ; – la dysfonction vasculaire observée au cours du sepsis est liée à une hyperproduction de NO par la NOS-2. Expérimentalement, la production de NO par la NOS-2 réduirait la réponse contractile à l’isoprotérénol de cardiomyocytes exposés au LPS ou à diverses cytokines (41). Brady et al. ont suggéré que l’expression de la NOS-2 dans les cardiomyocytes pouvait contribuer à la diminution de la contraction observée en réponse au LPS (48). Cependant, l’utilisation d’inhibiteurs de la NOS n’a pas permis de restaurer la contractilité de cardiomyocytes, de muscle papillaire, ou de cœur isolé traité au LPS, dans plusieurs modèles animaux (4950). De même, l’utilisation en clinique humaine d’un inhibiteur non spécifique des NOS (L-NMMA) augmente la pression artérielle, mais réduit le débit cardiaque (51). Tous ces arguments plaident pour une participation du NO et de la NOS-2 dans la dysfonction myocardique au cours du sepsis, mais plutôt sous une forme indirecte et irréversible. Le NO, surtout quand il est produit en grande quantité, peut réagir avec l’anion superoxide (O2-.) pour donner du peroxynitrite (ONOO-) qui est un puissant agent oxydant ayant plusieurs cibles dont la chaîne respiratoire de la mitochondrie, la membrane cellulaire lipidique, les protéines, l’ADN. L’anion superoxyde peut provenir de la chaîne respiratoire mitochondriale, surtout quand son fonctionnement est perturbé, ce qui est fréquent au cours du sepsis, ou du système xanthine oxido-réductase (52). Il a été montré récemment que la combinaison de cytokines pro-inflammatoires (IL-1β, TNFα, IFN γ) induisait la production de peroxynitrite qui contribuait à la dépression myocardique observée (41). L’étude de Khadour (52) confirme que la dysfonction myocardique est associée à un stress oxydatif Physiopathologie de la défaillance cardiaque 59 Force (pourcentage de la valeur de base) cellulaire important et à la présence de peroxynitrite, ce qui concourt à la diminution de contractilité. De même, Ferdinandy a retrouvé que la dysfonction myocardique au cours du sepsis était contemporaine de la production de peroxynitrite et que l’inhibition de la synthèse du peroxynitrite s’accompagnait d’une restitution des performances contractiles du myocarde (53). De plus, il existe une relation négative entre les taux myocardiques de nitrotyrosine et la fraction d’éjection du VG chez l’animal (54). Cependant, le mécanisme exact de l’altération de la fonction cardiaque par le peroxynitrite n’est pas clair. Le peroxynitrite pourrait modifier la fonction contractile en dénaturant les protéines contractiles (55). En effet, Lanone et al. ont montré que la contractilité des fibres musculaires squelettiques de patients septiques était diminuée et que le peroxynitrite, et non pas directement le NO, pouvait être à l’origine de cette dysfonction (fig. 2) (56). Ceci pourrait expliquer le paradoxe observé dans la cardiomyopathie septique : l’altération de la performance myocardique est liée à l’augmentation de l’expression de la NOS-2 mais non au NO luimême. Progressivement, la fonction myocardique récupérerait quand les protéines contractiles oxydées par le ONOO- et donc altérées seraient dégradées et remplacées par de nouvelles protéines fonctionnelles synthétisées de novo. Nous avons récemment validé cette théorie en montrant que le peroxynitrite et la NOS-2 sont présents dans toutes les cavités cardiaques et que la voie de l’ubiquitine connue pour dégrader les protéines nitrées par le peroxynitrite est également stimulée dans les quatre cavités cardiaques chez des patients décédés de choc septique (47, 57). Fig. 2 – Le peroxynitrite réduit la contractilité musculaire. (A) La contractilité musculaire est diminuée chez les patients septiques par rapport aux patients contrôles. L’adjonction d’un inhibiteur des NO synthases (L-NMMA) ne modifie pas la contractilité. (B) Par contre, l’adjonction d’un donneur de peroxynitrite (SIN-1) ou le peroxynitrite luimême entraîne une diminution de la contractilité musculaire. D’après Lanone et al. (avec permission) (56). 60 Sepsis sévère et choc septique Les lésions myocardiques induites par le peroxynitrite pourraient aussi être liées à l’activation des métalloprotéases. Le peroxynitrite peut en effet activer les pro-métalloprotéases en métalloprotéases. Wang (58) a récemment montré que le peroxynitrite pouvait activer la métalloprotéase 2 dans des cardiomyocytes, conduisant à une altération des performances myocardiques, retardée, mais durable. Les cibles de ces protéases sont encore mal identifiées, mais les chaînes lourdes de la myosine, la matrice extracellulaire, la troponine I pourraient être ainsi dégradées. La dépression myocardique pourrait aussi résulter d’un déséquilibre entre voies pro- et antioxydantes. Récemment, Iqbal a montré qu’au moment de la dysfonction myocardique septique maximale, le contenu en glutathion et l’activité de la glutathion peroxydase, principale enzyme antioxydante du cardiomyocyte, étaient diminués alors que l’activité de la superoxyde dismutase était élevée (59). Malgré l’augmentation de cette dernière, le peroxynitrite était toujours produit en fortes quantités, suggérant que sa formation serait plus déterminée par le contenu en NO de la cellule que par l’activité de la superoxyde dismutase (SOD). Homéostasie calcique (fig. 3) L’amplitude, la force de contraction ainsi que la relaxation sont principalement déterminées par la variation de la concentration intramyocytaire de Ca2+. Ainsi, les modifications de la contractilité myocardique sont principalement dus à : – la régulation de la mobilisation du Ca2+ intracellulaire ; – la liaison du Ca2+ à la troponine C, initiant la liaison de l’actine à la myosine et donc la contraction ; – la réponse des myofilaments à un niveau d’occupation donné du Ca2+ fixé sur la troponine C. Au cours de la myocardiopathie septique, deux principales modifications de l’homéostasie calcique peuvent survenir : les anomalies du courant calcique et la diminution de la sensibilité au calcium des myofilaments. De nombreuses données suggèrent que l’afflux de calcium est diminué au cours du sepsis. La densité des canaux calciques de type L semble diminuée dans les cardiomyocytes d’animaux soumis à une injection d’endotoxine (60). Dans un modèle d’endotoxinémie chez le rat, la réduction dans le temps du nombre de canaux de type L était parallèle à la sévérité in vivo de la dysfonction cardiaque (61). Le phénomène de calcium induced-calcium release est aussi affecté lors du sepsis. Dans l’étude de Dong (62), il est surtout altéré à la phase tardive du sepsis car le nombre de canaux libérant le calcium du réticulum sarcoplasmique (canaux récepteurs à la ryanodine, Ryr) y est diminué, ce qui diminue la quantité de calcium libéré et donc la contraction. Cette diminution du nombre de Ryr semble secondaire à des modifications de la composition en phospholipides de la membrane qui pourraient être secondaires à l’activation de la Physiopathologie de la défaillance cardiaque 61 Fig. 3 – Altération du couplage excitation-contraction-relaxation dans la cardiomyopathie septique. (A) Dans les conditions physiologiques, sous l’influence de la dépolarisation membranaire, le canal calcique lent s’ouvre, laissant entrer une faible quantité de calcium. Le calcium va ensuite se fixer sur le récepteur-canal à la ryanodine (Ryr) situé en regard du canal calcique lent. Une grande quantité de calcium est alors libérée à partir du réticulum sarcoplasmique (phénomène du calcium induced-calcium release). Le calcium va se fixer sur la troponine C, permettant de démasquer les sites de fixation de la myosine avec l’actine. En présence de calcium et d’ATP, la contraction se produit. Sous l’effet de la Ca2+ ATPase du réticulum sarcoplasmique (SERCA), le calcium est repompé dans le réticulum sarcoplasmique ou rejeté hors du cardiomyocyte par la mise en jeu de la Ca2+ ATPase du sarcolemne ou l’échangeur Na/Ca. La diminution de la concentration de calcium qui s’ensuit aboutit à la relaxation du myocyte cardiaque. (B) Par contre, au cours du sepsis sévère, le courant calcique est diminué (raréfaction des canaux calciques de type L), la concentration intracellulaire en calcium est aussi diminuée (diminution du nombre de Ryr, altération du Ryr, perturbation du fonctionnement de la SERCA, de la Ca2+ ATPase du sarcolemne et de l’échangeur Na/Ca) et la contraction est diminuée, du fait de la désensibilisation des myofilaments au calcium (50), ce qui conduit à une diminution marquée de la force de contraction des cardiomyocytes. 62 Sepsis sévère et choc septique phospholipase A2 lors du sepsis (62). Le fonctionnement du Ryr, en particulier lors de la stimulation β-adrénergique, pourrait aussi être perturbé probablement par des modifications redox induites par le NO ou le peroxynitrite (63). Dans un modèle de chien endotoxinique (64), la recapture du Ca2+ par la SERCA (enzyme recaptant le Ca2+ dans le reticulum sarcoplasmique en utilisant de l’ATP) semble diminuée. L’activité de la SERCA était aussi diminuée à la phase tardive du sepsis (65), entraînant une diminution du repompage du calcium dans le RS. Ceci altère la relaxation, mais diminue aussi la contraction, car le courant calcique lors de la contraction suivante sera moindre (moins de calcium stocké dans le RS). Cet effet semble dû à la diminution de la phosphorylation du phospholamban qui est une protéine régulatrice très importante de la SERCA (66). D’autres travaux ont montré que le transport du Ca2+ hors du cardiomyocyte par la pompe calcique ATP-dépendante du sarcolemme (67) ou par l’échangeur Na+-Ca2+ (68) était aussi diminué au cours du sepsis. Outre les anomalies des courants calciques, des études ont rapporté que la sensibilité des myofilaments au Ca2+ était diminuée, de manière dose et tempsdépendant et réversible dans le temps (fig. 4) (69). Cette diminution de la sensibilité des myofilaments au Ca2+ a été confirmée sur des fibres pelées de VG dans un modèle de lapin endotoxinique non léthal (50). Le mécanisme exact Fig. 4 – Désensibilisation des myofilaments au calcium. Le sepsis cause un déplacement vers la droite de la relation fluorescence-raccourcissement, suggérant fortement une diminution de la réponse des myofilaments cardiaques au calcium. D’après Tavernier (49) (avec permission). Physiopathologie de la défaillance cardiaque 63 de la réduction de la réponse des myofilaments au Ca2+ n’est pas clair, mais des phénomènes de phosphorylation des protéines pourraient être impliqués (50). Notre groupe a montré que, dans des cardiomyocytes intacts isolés douze heures après une injection d’endotoxine à des rats conscients (reproduisant in vivo le profil « hyperdynamique » du choc septique), la réponse des myofilaments au Ca2+ était un déterminant majeur de la dépression cardiaque intrinsèque (fig. 4). Une augmentation de la phosphorylation de la troponine I était aussi observée (49). Bien que les étude in vitro suggèrent que le NO, via la phosphorylation de la troponine I par une protéine kinase GMPc-dépendante, pourrait réduire la sensibilité des myofilaments au Ca2+, celle-ci ne semble pas résulter d’un effet direct de l’activation de la voie du NO GMPcdépendante car les inhibiteurs de la NOS n’ont pas d’effet ex vivo sur la dysfonction myocardique. Cette augmentation de la phosphorylation de la troponine I pourrait être expliquée par une inhibition spécifique de phosphatases, le niveau de phophorylation de la plupart des protéines dépendant d’une balance entre l’activité de protéines kinases et phosphatases (50). Ces altérations des propriétés des myofilaments pourraient également constituer la base cellulaire de la dilatation ventriculaire aiguë fréquemment observée chez les patients en choc septique en réponse au remplissage. En effet, une diminution de la réponse des myofilaments au Ca2+ est associée à une augmentation de la longueur des cardiomyocytes et à une augmentation de la distensibilité ventriculaire (35). De plus, la phosphorylation des myofilaments pourrait amplifier l’importance de la longueur des sarcomères (c’est-à-dire la précharge ventriculaire) dans la réponse des myofilaments au calcium (70). Cette relation semble être la base cellulaire de la loi de Frank-Starling et pourrait contribuer à la réponse au remplissage fréquemment observée chez les patients septiques, malgré la dépression myocardique. Finalement, la part relative de la réponse diminuée des myofibrilles au Ca2+ par rapport à la perturbation du courant calcique intracellulaire n’a pas été déterminée. Durant les premières heures de l’endotoxinémie, l’altération prédominante pourrait être une diminution de la réponse des myofilaments au Ca2+ (49). Dans les formes les plus sévères, la diminution du courant calcique et les altérations des propriétés des myofilaments pourraient être impliquées. Dans ce cas, la diminution de la réponse des myofilaments au Ca2+ pourrait aggraver les conséquences de la diminution de l’influx calcique dans les cardiomyocytes durant le sepsis. Système adrénergique Au cours du sepsis, plusieurs études animales et humaines ont montré que la concentration des catécholamines était augmentée (71). De plus, le turnover de la noradrénaline est augmenté dans le cœur après injection d’endotoxine (72). Ainsi, au cours du sepsis, la stimulation sympathique semble élevée et 64 Sepsis sévère et choc septique soutenue. Cependant, plusieurs études ont montré que la réponse aux catécholamines du cœur au cours du sepsis était altérée, bien que dans la plupart des modèles les animaux étaient sous anesthésie générale. Les résultats concernant la voie β-adrénergique/AMPc sont contradictoires. Une étude (73) a en effet retrouvé que les cytokines pro-inflammatoires ou l’endotoxine pouvaient stimuler l’activité de l’adénylate cyclase par la voie β-adrénergique, alors que d’autres rapportent qu’elle est diminuée (74-75). Dans la plupart des études où des myocytes isolés sont exposés à l’endotoxine ou à des cytokines, il a été observé une dépression marquée de leur réponse contractile à l’isoprotérénol, probablement par induction de la voie du NO GMPc-dépendante. Cependant, ces données n’ont pas toujours été confirmées sur des myocytes provenant d’animaux septiques. Dans un modèle de péritonite expérimentale, le nombre total des récepteurs adrénergiques (α et β) subit un changement biphasique in vivo ; initialement, la densité de récepteurs augmente, puis elle diminue par internalisation des récepteurs (76-77). Par ailleurs, l’effet inhibiteur du système parasympathique sur l’adénylate cyclase et sur la contractilité semble être potentialisé au cours du sepsis (78-79). L’étude de Silverman (80) suggère que, chez les patients en choc septique, la voie de signalisation du récepteur β-adrénergique est altérée, ce qui pourrait participer à la diminution de la performance du myocarde. Cependant, presque tous les patients en choc septique reçoivent des catécholamines. L’évaluation de la voie β-adrénergique basée sur l’évaluation de l’AMP sur les lymphocytes est donc difficile (problème de l’extrapolation des résultats obtenus aux cardiomyocytes). Néanmoins, elle montre que l’accumulation d’AMPc n’est pas différente entre les patients septiques et les patients non septiques, suggérant que ces altérations ne sont probablement pas spécifiques au sepsis. Reithman (81) et al. ont cultivé des cardiomyocytes de rats nouveau-nés avec du plasma de patients en choc septique traités par noradrénaline pendant quarante-huit heures. Ils ont observé une internalisation de 35 % des récepteurs β, une augmentation de 60 % du taux de la sous-unité Gia et une diminution de 50 % de l’activité de l’adénylate cyclase stimulée par l’isoprotérénol. L’exposition de cardiomyocytes au plasma de patients en choc septique recevant de la dopamine n’entraîne pas de modification de l’activité de l’adénylate cyclase, suggérant un rôle direct de la noradrénaline dans la désensibilisation de la réponse β-adrénergique (82). Chez des patients décédés de choc septique réfractaire, l’expression de la sous-unité Gia est très élevée, les catécholamines administrés, souvent à fortes doses, pouvant être un des mécanismes expliquant l’augmentation de l’expression de cette sous-unité. Cependant, ces altérations ne semblent être observées que chez les patients décédant de choc septique réfractaire. Les résultats parfois contradictoires peuvent s’expliquer par l’hétérogénéité des modèles étudiés, de leur chronologie, de la dose souvent très élevée d’endotoxine administrée. Dans une étude récente, notre groupe a montré que la Physiopathologie de la défaillance cardiaque 65 stimulation maximale β-adrénergique du courant calcique était très augmentée au bout de douze heures, alors que le courant calcique lui-même était diminué (61). Par contre, à la trente-sixième heure, elle était diminuée par une réduction de la sensibilité des cardiomyocytes aux agonistes β-adrénergiques. Cette réponse biphasique pourrait être due à des changements d’activité de l’adénylate cyclase. Au total, les études tant humaines qu’animales montrent une altération de la voie de signalisation β-adrénergique dans le cœur septique, probablement par changement des propriétés du récepteur β-adrénergique, par surexpression des protéines Gi, ce qui conduit à une altération du courant calcique, ellemême associée à la diminution de la réponse des myofilaments au Ca2+. Anomalies structurales, mitochondriales, apoptose Ces anomalies ont en commun de pouvoir conduire à une altération de la fonction contractile par diminution du nombre de cardiomyocytes fonctionnels. Outre la diminution du courant calcique et la diminution de la sensibilité des myofilaments au Ca2+, l’inactivation des myofilaments pourrait participer à la dysfonction myocardique au cours du sepsis. Ainsi, le ONOO- produit à partir du NO pourrait nitrer ces protéines et conduire à une perte de leur fonction. Ces protéines nitrées sont probablement détruites par le système ubiquitine-protéasome (83). Ainsi, Gao et al. ont montré que la protéolyse de la troponine I était impliquée dans la physiopathologie du « stunned » myocarde (84). Dans un modèle d’ischémie-reperfusion chez le porc, modèle assez proche du stress oxydatif observé au cours du choc septique, Sharma et al. ont montré que l’expression de l’ARNm de l’ubiquitine était augmentée, parallèlement à l’expression de l’ARNm de l’hème oxygénase inductible (HO-1) qui est un puissant système antioxydant (85). La voie de l’ubiquitine est connue pour dégrader les protéines anormales. Cette synergie entre ces deux voies suggère un effet cardioprotecteur, ce qui pourrait concourir à la récupération de la fonction myocardique. En outre, la synthèse protéique myocardique est probablement modifiée par l’activation précoce de facteurs transcriptionnels comme NFκB. La diminution de la contraction myocardique, observée surtout à la phase tardive du sepsis, pourrait aussi être liée à une diminution de l’activité des ATPases de la myosine (86). Des lésions de nécrose myocytaire, d’œdème capillaire, interstitiel ou cellulaire, des dépôts de fibrine intravasculaire, des agrégats leucocytaires intracapillaires ont été observés lors de l’examen de cœur d’animaux ayant reçu de l’endotoxine, suggérant que la dysfonction contractile pourrait être directement liée à des lésions tissulaires spécifiques ou non du sepsis. Dans une série autopsique de 71 patients, Fernandes et al. (87) ont mis en évidence des lésions de myocardite interstitielle, d’œdème interstitiel et plus rarement de nécrose myocytaire. Cependant des lésions semblables peuvent être observées en dehors 66 Sepsis sévère et choc septique de tout contexte septique, chez des patients recevant de fortes doses de catécholamines. Ces données suggèrent donc que des anomalies de structure sont fréquemment présentes au cours du choc septique, mais qu’elles ne sont ni nécessaires à l’apparition de la dysfonction myocardique ni spécifiques du sepsis. Des anomalies portant sur la respiration mitochondriale pourraient intervenir dans la dysfonction myocardique du choc septique. Le NO directement ou via la production de peroxynitrite pourrait jouer un rôle. En effet, le NO entre en compétition avec l’oxygène au niveau de la cytochrome oxydase et entraîne une inhibition réversible de ce complexe. À des concentrations plus fortes, il est capable d’inhiber d’autres complexes de la chaîne respiratoire. Le peroxynitrite, dont la formation est favorisée par la synthèse de l’anion superoxyde via l’oxygène fourni par le complexe IV, peut bloquer de façon irréversible les complexes I, II et III de la chaîne respiratoire. Au cours du choc septique, Brealey et al. (88) ont montré que le complexe I de la chaîne respiratoire était inhibé au niveau du muscle squelettique, parallèlement à la production de nitrates/nitrites, suggérant l’implication du NO et de la NOS-2 dans ces phénomènes (89). Chez le lapin endotoxinique, l’activité des complexes I et III est diminuée et cette dépression de la chaîne respiratoire est encore plus marquée dans le cœur que dans le muscle squelettique (90). Le rendement cardiaque peut aussi être affecté au cours du choc septique. En effet, une altération entre la production d’ATP (qui reste normal) et le travail cardiaque (qui est diminué) a été décrite (91). Plusieurs travaux ont aussi montré que de faibles concentrations de NO et de ONOO- pouvaient inhiber l’isoforme MM de la créatine-kinase myocardique et l’isoforme située à la surface externe de la membrane interne de la mitochondrie (mi-CK) (50). La CK est une enzyme clé dans le métabolisme énergétique de la cellule myocardique. Elle assure la courroie de transmission de l’ATP entre son lieu de production, la mitochondrie, et son lieu d’utilisation, les myofilaments, et permet une adaptation fine de la production d’énergie à la demande au niveau des protéines contractiles. Ainsi, l’atteinte des CK par le NO ou le ONOOpourrait conduire à une dysfonction énergétique et mécanique au cours du sepsis. Les phénomènes de mort cellulaire programmée ou apoptose semblent aussi jouer un rôle dans la dysfonction myocardique au cours du sepsis. Les voies de signalisation font intervenir des protéases appelées caspases qui jouent un rôle majeur dans l’initiation et le déroulement des phénomènes d’apoptose. Ces protéases sont initiées à partir de récepteurs membranaires (dont le récepteur au TNFα) ou des mitochondries (cytochrome c). Plusieurs études ont montré que les phénomènes apoptotiques pouvaient être initiés dans le cœur d’animaux ayant reçu de l’endotoxine et que l’inhibition de l’activité de certaines caspases, en particulier la caspase 3, pouvait prévenir l’altération de la dysfonction myocardique (92-93). Cet effet bénéfique sur la fonction contractile peut s’expliquer par la diminution du nombre de cellules apoptotiques (93) ou par un mécanisme indépendant de la mort cellulaire. En effet, les caspases Physiopathologie de la défaillance cardiaque 67 jouent aussi un rôle dans la production de certaines cytokines et pourraient directement ou indirectement influencer la régulation du calcium intramyocytaire. L’utilisation d’inhibiteurs de l’apoptose pourrait constituer une arme thérapeutique dans le traitement de la dysfonction myocardique au cours du sepsis. Ainsi, récemment, Fauvel et al. ont montré que l’utilisation de ciclosporine A prévenait l’apparition de cette dysfonction myocardique en inhibant les phénomènes apoptotiques, probablement en fermant le pore de transition mitochondrial, empêchant ainsi la libération dans le cytoplasme du cytochrome c, pro-apoptotique (94). Enfin, nous avons récemment montré que l’ubiquitine-protéasome est stimulée dans le muscle squelettique de patients septiques et que cela entraîne une augmentation du catabolisme des protéines nitrées (95). Cela demande à être confirmé dans le muscle cardiaque. Conclusion La dysfonction myocardique au cours du choc septique est fréquente. Cependant, elle reste souvent méconnue car elle est de diagnostic difficile, à moins d’utiliser l’échocardiographie, et il n’y a pas encore à ce jour de marqueurs biologiques suffisamment spécifiques pour en faire le diagnostic aisément. Sa physiopathologie reste complexe malgré l’avancée des connaissances sur les mécanismes impliqués, probablement du fait de la complexité des mécanismes physiopathologiques du choc septique et de leur intrication, mais aussi par ses conséquences sur tous les organes. Cette complexité pourrait aussi expliquer la difficulté de traitement de cette atteinte myocardique. La meilleure connaissance des différents mécanismes impliqués pourrait aboutir au développement et à l’utilisation parfois proche de nouvelles thérapeutiques dans la dysfonction myocardique au cours du sepsis. Références 1. Rackow E, Kaujman B, Falk J et al. (1987) Hemodynamic response to fluid repletion in patients with septic shock: evidence for early depression of cardiac performance. Circ Shock 22: 11-22 2. Ognibene F, Parker M, Natanson C et al. (1988) Depressed left ventricular performance. Response to volume infusion in patients with septic shock. Chest 93: 903-10 3. Poelaert J, Declerck C, Vogalaers D et al. (1997) Left ventricular systolic and diastolic function in septic shock. Intensive Care Med 23: 553-60 4. Jardin F, Fourme T, Page B et al. (1999) Persistent preload defect in severe sepsis despite fluid loading: a longitudinal echocardiographic study in patients with septic shock. Chest 116: 135-9 5. Tavernier B, Makhotine O, Lebuffe G et al. 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