Sensibilité des plantes aux perturbations de l`habitat et mesures d

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OUTILS ET MÉTHODES
Sensibilité des plantes
aux perturbations de l’habitat
et mesures d’atténuation appropriées
dans le contexte québécois
Bernard Tardif - Gildo Lavoie
Depuis l’adoption de la loi québécoise sur les espèces menacées ou vulnérables en 1989, des
efforts ont été déployés pour que la préoccupation de protéger ces espèces, qu’elles soient désignées légalement ou fassent partie de la liste officielle de celles susceptibles de l’être, soit
partagée dans la population et par les gestionnaires du territoire, notamment ceux qui ont à
autoriser des interventions. Aidés par la mise sur pied, au ministère de l’Environnement, du
Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec affilié au réseau de centres de données
sur la conservation nord-américains, nous avions jusqu’à récemment donné des avis relativement
aux espèces floristiques menacées ou vulnérables sur une base ad hoc, principalement en regard
des différentes autorisations à émettre par le ministère de l’Environnement qui nécessitent une
évaluation environnementale (la faune relève d’un organisme indépendant, la Société de la Faune
et des Parcs).
À la suite de la tempête de verglas qui a touché le Sud du Québec en 1998, où se trouvent les
deux tiers des 375 espèces vasculaires menacées ou vulnérables (Bouchard et al., 1983 et 1985 ;
Lavoie, 1992 ; Labrecque et Lavoie, 2001), l’instauration de programmes d’assistance financière
par les gouvernements canadien et québécois pour la récupération du bois en perdition par les
propriétaires de boisés ouvrait la possibilité de tenir compte de la présence des espèces
menacées ou vulnérables. Devant le volume important d’avis à émettre au ministère des
Ressources naturelles responsable de l’administration du programme, il est apparu nécessaire
d’utiliser une approche simplifiée et systématique d’analyse. Une revue de la littérature à ce sujet
a révélé que peu de développements ont été accomplis en ce sens, le travail de Robinson et al.
(1981), qui traite de 160 espèces forestières rares du Sud-Est américain, faisant figure d’exception. De tels outils de gestion sont rares parce que fastidieux à produire. En effet, ils sont
élaborés sur une base régionale, en traitant des espèces au cas par cas, en relation avec chacune
des pratiques considérées individuellement. La méthodologie décrite dans cet article simplifie les
choses puisque des mesures tenant compte de l’ensemble des pratiques à considérer sont
obtenues rapidement, sur une base objective, pour un nombre illimité d’espèces dont la sensibilité vis-à-vis des facteurs clés ayant un impact sur leur survie a été évaluée.
MÉTHODOLOGIE
La méthode est fondée sur la sensibilité relative des espèces végétales à trois facteurs écologiques, ainsi que sur l’impact attendu des activités forestières sur ces trois mêmes facteurs. En
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241
BERNARD TARDIF - GILDO LAVOIE
considérant simultanément ces deux paramètres, sensibilité et impact, il devient possible de
déterminer si une mesure d’atténuation est requise, et l’intensité de cette mesure.
Facteurs écologiques
Les facteurs retenus pour rendre compte de la réaction des plantes aux perturbations occasionnées par les activités forestières sont le besoin en lumière, le besoin en humidité et le type
biologique. Ces facteurs permettent de définir respectivement la sensibilité des espèces à l’ouverture du couvert forestier, à l’altération du drainage et aux bris mécaniques. Le choix de ces
variables est en partie guidé par des considérations pratiques : les besoins en lumière et en
humidité ont été déduits des données d’habitat des espèces disponibles au Centre de données
sur le patrimoine naturel du Québec du ministère de l’Environnement (CDPNQ), alors que le type
biologique est tiré de Scoggan (1978-1979).
Espèces retenues
Le traitement porte sur 206 espèces floristiques menacées ou vulnérables désignées ou susceptibles de l’être au Québec, présentes dans l’aire considérée, pour lesquelles le Centre de données
(CDPNQ) possède au moins une occurrence suffisamment précise pour être localisée (1). Cette
sélection entraîne l’inclusion d’espèces non affectées directement par le verglas ou le prélèvement de matière ligneuse, puisqu’elles colonisent des milieux aquatiques, intertidaux ou terrestres
ouverts. Mais nous les avons délibérément conservées puisque leurs populations peuvent être
affectées par les activités forestières à proximité des sites visés par les interventions, notamment
en ce qui a trait à l’altération du drainage. Elles peuvent également être affectées par les activités connexes au prélèvement de la matière ligneuse telles l’aménagement des chemins et
pistes, la circulation des engins, ainsi que l’établissement d’aires de stockage.
RÉSULTATS
Sensibilité des espèces
• Ouverture du couvert forestier
Pour les fins de ce travail, le couvert forestier est constitué de l’ensemble des végétaux fournissant de l’ombre aux espèces à protéger. Dans ce contexte, les plantes menacées ou vulnérables
de la zone touchée par le verglas se regroupent en quatre catégories, selon leur besoin en
lumière : sciaphile stricte, sciaphile tolérante, héliophile tolérante et héliophile stricte (tableau I).
Les espèces sciaphiles strictes atteignent leur optimum de développement dans les endroits
ombragés. Elles sont incapables de germer ou de croître en plein soleil (Gilbert, 1997). De ce fait,
elles seront éliminées dès qu’une ouverture du couvert forestier sera créée par quelque pratique
ou phénomène naturel que ce soit. Dans le contexte de la tempête de verglas, il est donc vital
pour ces espèces de préserver l’ombre résiduelle, indépendamment de la strate végétale qui la
fournit.
Par ailleurs, plusieurs autres espèces, bien que dépendant de la forêt, peuvent supporter des
variations majeures de l’intensité lumineuse. C'est le cas, entre autres, des géophytes printanières accomplissant leur cycle épigé complet à la pleine lumière (Marie-Victorin, 1997). Ces
espèces, dites sciaphiles tolérantes (à la lumière), seront favorisées à brève échéance par un
(1) Leur liste est tenue, par les auteurs et la Revue, à la disposition des lecteurs intéressés.
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Outils et méthodes
TABLEAU
I
Sensibilité relative des espèces végétales à l’ouverture du couvert forestier,
selon leur besoin en lumière
Besoin en lumière
Sensibilité relative
Sciaphile stricte
Élevée
Sciaphile tolérante
Faible à modérée
Héliophile tolérante
Faible à modérée
Héliophile stricte
Nulle
ensoleillement accru, mais incapables de se maintenir sous ces nouvelles conditions si elles
persistent, par suite de la compétition avec les espèces de milieux ouverts. Ainsi, les travaux de
récupération ayant pour objectif de rétablir le peuplement d’origine pourront favoriser ces espèces
forestières plus tolérantes à la lumière. C’est le cas également des héliophiles tolérantes (à
l’ombre), espèces adaptées aux gradients prononcés prévalant à la lisière des forêts ou qui
dépendent d’habitats créés par ces conditions, par exemple les bords de sentiers et de chemins
forestiers. Par conséquent, l’ouverture partielle du couvert forestier pourra favoriser l’expansion
de leurs populations, dans la mesure où les autres perturbations sont minimisées.
Finalement, les espèces héliophiles strictes sont les plus exigeantes en lumière et se rencontrent
dans les milieux ouverts. L’ouverture du couvert forestier n’aura donc pas d’incidence négative
directe sur elles. Cependant, il faudra tenir compte d’effets indirects tels un assèchement du
milieu causé par la baisse de la nappe phréatique.
• Altération du drainage
Les plantes menacées ou vulnérables de la zone touchée par le verglas se regroupent en quatre
catégories, selon leur besoin en humidité : aquatique, hygrophile, mésophile et xérophile
(tableau II, ci-dessous).
TABLEAU
II
Sensibilité relative des espèces végétales à l’altération du drainage,
selon leur besoin en humidité
Besoin en humidité
Sensibilité relative
Aquatique
Élevée
Hygrophile
Élevée
Mésophile
Faible à modérée
Xérophile
Faible à modérée
Les espèces ayant un besoin d’eau permanent sont parmi les plus sensibles à l’altération du
drainage. Elles comprennent les plantes hygrophiles, qui colonisent les sols saturés d’eau au
moins pendant une partie importante de leur cycle vital, ainsi que les plantes aquatiques,
présentes en eaux libres. Les plantes de ces deux catégories peuvent disparaître si l’humidité du
sol décroît par drainage ou si un assèchement superficiel résulte de la suppression partielle de
l’étage arborescent (Gilbert, 1997). Pour protéger les habitats qu’elles occupent, les travaux forestiers devraient respecter les mesures énoncées dans la politique de protection des rives, du
littoral et des plaines inondables (Gouvernement du Québec, 1996a). Les espèces mésophiles,
dans le territoire touché par le verglas, caractérisent l’érablière ou ses groupements de succession, là où la capacité absorbante de la matière organique confère un bon pouvoir de rétention
en eau (Dansereau, 1943). Elles tolèrent mal un excès ou un manque d’eau et les interventions
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243
BERNARD TARDIF - GILDO LAVOIE
forestières dans leur habitat devraient être réalisées en réduisant au minimum l’assèchement ou
l’humidification du sol, tant par l’altération directe du drainage que par un accroissement trop
radical de l’ouverture du couvert forestier.
Quant aux espèces xérophiles, caractéristiques des lieux secs, elles seront perturbées par les activités forestières humidifiant leur habitat. La logique qui sous-tend leur protection est la même
que celle des plantes de milieux humides. Toutefois, la structure des sols des milieux xériques
est moins fragile que celle des milieux humides. Pour cette raison, les espèces xérophiles sont
considérées comme étant moins sensibles à l’altération du drainage (tableau II, p. 243).
• Bris mécaniques
Les plantes menacées ou vulnérables de la zone touchée par le verglas se regroupent en cinq
catégories, selon leur type biologique : phanérophyte, chaméphyte, hémicryptophyte, cryptophyte
et thérophyte (tableau III, ci-dessous).
Dans les milieux lourdement perturbés, seules les plantes annuelles (ou thérophytes) pourront
survivre, par le biais de leur banque de graines (tableau III). La sensibilité aux bris mécaniques
des autres espèces, toutes vivaces, dépend de la localisation des bourgeons permettant aux indiTABLEAU
III
Sensibilité relative des espèces végétales aux bris mécaniques,
selon leur type biologique
Type biologique
Sensibilité relative
Définition
Phanérophyte
Élevée
Bourgeons portés à plus de 25 cm de hauteur
Chaméphyte
Élevée
Bourgeons portés à moins de 25 cm de hauteur
Hémicryptophyte
Élevée
Bourgeons situés au niveau de la surface du sol
Cryptophyte
Faible à modérée
Bourgeons portés par des organes souterrains
Thérophyte
Nulle
Plante annuelle
TABLEAU
IV Regroupement des 206 espèces végétales menacées ou vulnérables selon leur sensibilité
à l’ouverture du couvert forestier, à l’altération du drainage et aux bris mécaniques (1)
Ouverture
du couvert forestier
Altération
du drainage
Bris mécaniques
Nombre
d’espèces
E
E
E
E
E
E
I
I
E
I
E
I
1
1
20
15



I
I
I
I
I
I
E
E
E
I
I
I
E
I
N
E
I
N
7
12
4
35
13
3



N
N
N
N
N
N
E
E
E
I
I
I
E
I
N
E
I
N
14
28
10
28
5
10
%
d’espèces
37
0,5
0,5
9,7
7,3
74
3,4
5,8
1,9
17,0
6,3
1,5
95
6,8
13,6
4,9
13,6
2,4
4,9



(1) E : sensibilité élevée ; I : sensibilité faible à modérée ; N : sensibilité nulle.
244
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Outils et méthodes
vidus de se régénérer. Les cryptophytes (ou géophytes), plantes dont les bourgeons sont enfouis
dans le sol, sont moins sensibles que les autres espèces vivaces. Elles seront peu affectées par
des interventions modérées (coupes partielles), particulièrement si elles sont effectuées à un
autre moment que durant la saison de croissance. Les chaméphytes et hémicryptophytes, pour
leur part, passent facilement inaperçues parmi les débris végétaux en raison de leur faible taille
ou de leur port prostré. Elles seront donc particulièrement vulnérables aux interventions en sousbois. Finalement, la sensibilité des phanérophytes dépend de leur degré de développement. Les
arbres et arbustes à l’état adulte peuvent tolérer les assauts mécaniques, dans la mesure où ils
ne sont pas visés directement par les opérations forestières. Toutefois, les jeunes individus et
les arbrisseaux sont tout aussi vulnérables que les hémicryptophytes et les chaméphytes, ce qui
explique la sensibilité relative élevée des phanérophytes (tableau III, p. 244).
• Regroupement des espèces selon leur sensibilité
Les 206 espèces menacées ou vulnérables ont été regroupées en fonction de leur sensibilité
relative aux trois facteurs écologiques. Ceci produit 16 catégories d’espèces qui se distinguent par
leur sensibilité aux perturbations occasionnées par les activités forestières (tableau IV, p. 244).
Impact des activités forestières
Les activités forestières considérées sont fondées sur celles énumérées par Hunter (1990), le
Gouvernement du Québec (1996b) et Huot (1996). Celles ayant des impacts similaires ont été
regroupées pour simplifier. C’est le cas lorsque, tout en ayant des objectifs identiques, elles ne
se distinguent que par l’intensité des altérations écologiques produites : chemin principal ou
piste de débardage par exemple, ou encore coupe de récupération partielle et coupe de récupération totale.
Pour chacune des catégories d’activités, énumérées et décrites au tableau V (p. 246), une valeur
relative d’impact a été attribuée à chacun des trois facteurs écologiques. Dans tous les cas où
des ambiguïtés se sont présentées, nous avons adopté un principe de précaution et retenu la
valeur d’impact la plus élevée.
Mesures d’atténuation
L’annexe 1 (pp. 248 à 250) présente les mesures d’atténuation pour chacune des catégories d’espèces rencontrées. Dans tous les cas, l’intensité des mesures est obtenue à partir d’une table de
contingence à double entrée, construite selon les valeurs relatives de sensibilité et d’impact
(tableau VI, p. 246).
Dans les cas où des mesures d’atténuation sont requises, qu’elles soient destinées à empêcher
ou atténuer l’intervention forestière, elles sont rédigées à partir des informations fournies à la
section traitant de la sensibilité des espèces. Par exemple, la récolte des arbres n’est pas souhaitable dans l’habitat d’une sciaphile stricte puisqu’il s’agit là d’une catégorie d’espèces ayant une
sensibilité élevée à l’ouverture du couvert forestier, visée par une intervention ayant un impact
élevé sur ce même facteur. Empêcher l’intervention permet de préserver l’ombre résiduelle, vitale
pour les espèces de cette catégorie.
Dans une situation donnée, l’action favorisant au mieux le maintien ou le rétablissement des
populations d’espèces menacées ou vulnérables est celle qui tient compte des trois facteurs
simultanément. C’est donc l’addition des mesures destinées à chacun des trois facteurs, qui
constitue, en pratique, la recommandation finale à intégrer à un plan de récupération du bois en
perdition ou à un plan de restauration d’un jeune peuplement.
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245
BERNARD TARDIF - GILDO LAVOIE
V Description des catégories d’activités forestières reliées à l’aménagement des lots boisés
et évaluation de leurs impacts sur les facteurs écologiques ayant servi à caractériser la sensibilité des espèces
TABLEAU
Catégories
d’activités
forestières
Description
(1)
Impact sur les facteurs
écologiques
Ouverture
Altération
Bris
du couvert du drainage mécaniques
forestier (2)
(3)
(1)
Voirie
forestière
Ensemble des activités reliées à la construction
de chemins forestiers, que ce soit des chemins
principaux ou des pistes de débardage
Élevé
Élevé
Élevé
Circulation
des engins
Ensemble des activités reliées à la circulation
des engins
Faible à
modéré
Faible à
modéré
Élevé
Récolte des
arbres
Traitements reliés à la coupe des arbres (excluant
les éclaircies commerciales et pré-commerciales) :
coupe de récupération partielle ; coupe de
récupération totale avec protection de la régénération
et des sols (cprs) ; coupe de récupération totale
en 2 étapes avec cprs ; coupe progressive
Élevé
Faible à
modéré
Élevé
(4)
Façonnage
Activités reliées à l’ébranchage, l’écimage,
le tronçonnage et les aires de stockage
Élevé
Faible à
modéré
Élevé
(4)
Scarifiage
Perturbation majeure de la surface du sol par
mélange de la matière organique et du sol minéral,
incluant le labourage et le hersage
Élevé
Élevé
Élevé
Entretien des
peuplements
Travaux visant à limiter la concurrence que la
végétation exerce sur les essences recherchées ;
travaux visant les débris de coupe directement,
incluant les travaux de dégagement et d’élagage ;
coupes d’éclaircies commerciale et pré-commerciale
Élevé
Faible à
modéré
Élevé
(4)
Nul
Nul
Faible à
modéré
Élevé
Élevé
Élevé
Régénération Travaux reliés à la plantation d’espèces ligneuses,
artificielle
tant feuillues que résineuses
Drainage
du sol
Travaux visant à réduire l’humidité du sol, en
favorisant l’écoulement des eaux de surface et
d’infiltration ; travaux visant à abaisser le niveau
de la nappe phréatique
(1) Tiré de Hunter (1990), Gouvernement du Québec (1996b) et Huot (1996).
(2) Le couvert forestier est constitué de l’ensemble des végétaux fournissant de l’ombre aux espèces à protéger.
(3) Par un effet direct, par l’altération de la couche superficielle du sol, ou encore par la suppression partielle de l’étage
arborescent.
(4) Faible à modéré si les travaux sont effectués manuellement.
TABLEAU
VI
Intensité des mesures d’atténuation, telle que déduite
de la sensibilité relative de l’espèce et de l’impact attendu de l’activité forestière
Impact attendu
de l’activité forestière
(sur l’ouverture du couvert
forestier, l’altération
du drainage, les bris
mécaniques)
Sensibilité relative de l’espèce
(à l’ouverture du couvert forestier, l’altération du drainage,
aux bris mécaniques)
246
Élevée
Faible à modérée
Nulle
Élevé
+++
aucune
intervention
+
atténuer
l’intervention
sans restriction
directe
Faible
à
modéré
+
atténuer
l’intervention
+
atténuer
l’intervention
sans restriction
directe
Nul
sans restriction
directe
sans restriction
directe
sans restriction
directe
Rev. For. Fr. LVI - 3-2004
Outils et méthodes
DISCUSSION ET CONCLUSIONS
La plupart des efforts déployés pour la conservation des espèces menacées ou vulnérables
portent sur la protection ou la restauration d’habitats et le rétablissement ou la réintroduction
d’espèces (cf. Atkinson et al., 1995). La méthode présentée comble, croyons-nous, une carence
importante dans la panoplie d’outils pour une gestion adéquate de ces espèces. Se traduisant
par une fiche interprétative pour chaque espèce (Tardif, 2000), son avantage réside dans le fait
qu’elle permet de délivrer facilement et rapidement des mesures d’atténuation type pour des
espèces qui réagissent de façon similaire sur le plan biologique et écologique vis-à-vis des
perturbations. Non seulement peut-elle être appliquée à toute espèce ainsi caractérisée, mais
également adaptée à d’autres contextes (espèces faunistiques, autres types d’intervention) que
celui traité dans le présent article. Il est d’ailleurs envisagé d’étendre l’application de la méthode
à l’analyse des différents types d’intervention sur le territoire pour lesquels un avis environnemental est requis pour l’ensemble des espèces floristiques menacées ou vulnérables.
Pourraient et devraient être prises en compte dans l’approche, la valeur propre de la composante
et la proximité spatiale des espèces touchées par une même activité. Ainsi, la valeur ou l’importance d’une occurrence donnée pour la survie d’une espèce est à considérer quant aux
exigences imposées à l’égard d’un projet. De même, lorsque plusieurs espèces sont en contiguïté, une mesure d’ensemble devrait être privilégiée. Par ailleurs, lorsqu’elles occupent le même
emplacement, la mesure d’atténuation la plus rigoureuse devrait prévaloir. Au-delà de ces considérations, il importe de souligner évidemment, qu’en cette matière, le jugement humain doit
toujours intervenir en dernier recours.
Les mesures d’atténuation proposées sont destinées à contrer un effet potentiel immédiat sur les
espèces. Dans ce contexte, a fortiori sur une base normative, elles ne doivent pas être envisagées comme un palliatif à la protection des habitats, surtout si des considérations de pérennité
et de viabilité de l’écosystème visé sont prises en compte.
Bernard TARDIF - Gildo LAVOIE
Direction du Patrimoine écologique
et du Développement durable
MINISTÈRE DE L’ENVIRONNEMENT DU QUÉBEC
675, René-Lévesque Est
boîte 21
QUÉBEC, Qc., G1R 5V7
CANADA
([email protected])
([email protected])
BIBLIOGRAPHIE
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and restoration programmes. Version 1, september 1995. — Kew : Royal Botanic Gardens, 1995
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Rev. For. Fr. LVI - 3-2004
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BERNARD TARDIF - GILDO LAVOIE
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HUNTER (M.L. Jr.). — Wildlife, forests and forestry. — Englewoods Cliffs (N.J., USA) : Prentice Hall, 1990.
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Gouvernement du Québec, ministère de l’Environnement - Direction du Patrimoine écologique et du Développement durable, 2001.
Mesures d’atténuation pour chacun des trois facteurs écologiques :
A. Ouverture du couvert forestier B. Altération du drainage et C. Bris mécaniques
Les codes permettent d’établir la correspondance avec l’annexe 2(1). Les activités de voirie forestière, scarifiage
et drainage ne sont pas indiquées puisqu’elles sont à proscrire dans tous les cas. La mesure destinée à réduire
l’impact de la plantation d’arbres consiste dans tous les cas à éviter la conversion des peuplements
A. Ouverture du couvert forestier
ANNEXE I
Code Catégorie
1
2
Circulation
des engins
Récolte
des arbres
Façonnage
Entretien
des peuplements
Réduire la circulation
au minimum
et réaliser les travaux
durant l’hiver
Toute activité
de récolte
est à proscrire,
incluant celle
des arbres
endommagés (*),
de façon à préserver
l’ombre résiduelle
Les aires de stockage
sont à proscrire.
L’ébranchage ou
l’écimage également,
pour préserver
l’ombre résiduelle
Toute activité
reliée à l’entretien
des peuplements est
à proscrire, incluant
la coupe ou la taille
des arbres
endommagés (*),
de façon à préserver
l’ombre résiduelle
Réduire la circulation
au minimum
et réaliser les travaux
durant l’hiver
Limiter
les interventions
aux arbres
endommagés (*),
de façon à préserver
l’ombre résiduelle
Les aires de stockage
sont à proscrire.
Minimiser l’ouverture
du couvert forestier
par ébranchage
ou écimage pour
préserver l’ombre
résiduelle
Limiter
les interventions
aux arbres
endommagés (*),
qu’ils soient
d’essences
commerciales ou non,
de façon à préserver
l’ombre résiduelle
Réduire la circulation
au minimum
et réaliser les travaux
durant l’hiver
Minimiser l’ouverture
du couvert forestier,
de façon à favoriser
le maintien ou
le rétablissement des
conditions forestières
Les aires de stockage
sont à proscrire.
Minimiser l’ouverture
du couvert forestier
par ébranchage
ou écimage pour
préserver l’ombre
résiduelle
Minimiser l’ouverture
du couvert forestier,
incluant les espèces
non commerciales,
de façon à favoriser
le maintien ou
le rétablissement des
conditions forestières
Sciaphile stricte
Sciaphile tolérante
3
Héliophile tolérante
4
Héliophile stricte
Les aires de stockage
sont à proscrire
(1) L’annexe 2 “Liste des espèces végétales menacées ou vulnérables désignées ou susceptibles d’être ainsi désignées,
présentes dans la zone affectée par le verglas de 1998, réparties par groupes de sensibilité” n’est pas reproduite ici et est
tenue à la disposition des lecteurs intéressés.
(*) Les arbres dits endommagés sont ceux qui sont renversés, cassés ou rabattus, ainsi que ceux dont le houppier résiduel
est inférieur à 20 %.
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Outils et méthodes
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écologique et du Développement, 2000.
B. Altération du drainage
Code Catégorie
A
B
C
D
Aquatique
Hygrophile
Mésophile
Xérophile
Rev. For. Fr. LVI - 3-2004
Circulation
des engins
Récolte
des arbres
Façonnage
Entretien
des peuplements
Ne pas circuler avec
des engins.
Respecter les mesures
générales visant
la protection des lacs
et cours d’eau
Respecter les mesures
générales visant
la protection des lacs
et cours d’eau
Les aires de stockage
sont à proscrire.
Respecter les mesures
générales visant
la protection des lacs
et cours d’eau
Respecter les mesures
générales visant
la protection des lacs
et cours d’eau
Ne pas circuler avec
des engins. Éviter
d’altérer la couche
superficielle du sol,
de façon à en
minimiser
l’assèchement
Ne pas ouvrir
davantage
le couvert forestier
pour préserver
l’ombre résiduelle et
son effet bénéfique
sur l’humidité du sol.
Éviter d’altérer la
couche superficielle
du sol, de façon
à en minimiser
l’assèchement
Les aires de stockage
sont à proscrire. Ne
pas ouvrir davantage
le couvert forestier
pour préserver
l’ombre résiduelle et
son effet bénéfique
sur l’humidité du sol.
Éviter d’altérer la
couche superficielle
du sol, de façon
à en minimiser
l’assèchement
Ne pas ouvrir
davantage le couvert
forestier, incluant
les espèces
non commerciales,
pour préserver
l’ombre résiduelle et
son effet bénéfique
sur l’humidité du sol.
Éviter d’altérer la
couche superficielle
du sol, de façon
à en minimiser
l’assèchement
Réaliser les travaux
manuellement ou
encore en réduisant
au minimum l’emploi
des engins légers
Minimiser l’ouverture
du couvert forestier
pour préserver
l’ombre résiduelle et
son effet bénéfique
sur l’humidité du sol
Les aires de stockage
sont à proscrire.
Minimiser l’ouverture
du couvert forestier
par ébranchage
ou écimage,
pour préserver
l’ombre résiduelle et
son effet bénéfique
sur l’humidité du sol
Minimiser l’ouverture
du couvert forestier,
incluant les espèces
non commerciales,
pour préserver
l’ombre résiduelle et
son effet bénéfique
sur l’humidité du sol
Réaliser les travaux Éviter de provoquer
en réduisant au
des accumulations
minimum l’emploi
d’eau (ornières, etc.)
des engins légers.
Éviter de provoquer
des accumulations
d’eau (ornières, etc.)
Les aires de stockage Éviter de provoquer
sont à proscrire.
des accumulations
Éviter de provoquer d’eau (ornières, etc.)
des accumulations
d’eau (ornières, etc.)
249
BERNARD TARDIF - GILDO LAVOIE
C. Bris mécaniques
Code Catégorie
a
b
c
d
e
250
Phanérophyte
Circulation
des engins
Récolte
des arbres
Façonnage
Entretien
des peuplements
Réaliser les travaux
lorsque le couvert
de neige fournit
une protection contre
les bris mécaniques.
Marquer les arbres
adultes pour éviter
de les endommager
Réaliser les travaux
lorsque le couvert
de neige fournit
une protection contre
les bris mécaniques.
Marquer les arbres
adultes pour éviter
de les endommager
Les aires de stockage
sont à proscrire.
L’ébranchage et
l’écimage également
durant la saison de
croissance. Réaliser
les travaux lorsque
le couvert de neige
fournit une protection
contre les bris
mécaniques. Marquer
les arbres adultes
pour éviter de les
endommager
Activité à proscrire
durant la saison de
croissance. Réaliser
les travaux lorsque
le couvert de neige
fournit une protection
contre les bris
mécaniques. Marquer
les arbres adultes
pour éviter de les
endommager
Réaliser les travaux
lorsque le couvert
de neige fournit
une protection contre
les bris mécaniques
Réaliser les travaux
lorsque le couvert
de neige fournit
une protection contre
les bris mécaniques
Les aires de stockage
sont à proscrire.
L’ébranchage et
l’écimage également
durant la saison de
croissance. Réaliser
les travaux lorsque
le couvert de neige
fournit une protection
contre les bris
mécaniques
Activité à proscrire
durant la saison de
croissance. Réaliser
les travaux lorsque
le couvert de neige
fournit une protection
contre les bris
mécaniques
Réaliser les travaux
lorsque le couvert
de neige fournit
une protection contre
les bris mécaniques
Réaliser les travaux
lorsque le couvert
de neige fournit
une protection contre
les bris mécaniques
Les aires de stockage
sont à proscrire.
L’ébranchage et
l’écimage également
durant la saison de
croissance. Réaliser
les travaux lorsque
le couvert de neige
fournit une protection
contre les bris
mécaniques
Activité à proscrire
durant la saison de
croissance. Réaliser
les travaux lorsque
le couvert de neige
fournit une protection
contre les bris
mécaniques
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital et que sa survie
sera assurée par des
organes souterrains,
à compter de la fin
de l’automne
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital et que sa survie
sera assurée par des
organes souterrains,
à compter de la fin
de l’automne
Les aires de stockage
sont à proscrire.
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital et que sa survie
sera assurée par des
organes souterrains,
à compter de la fin
de l’automne
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital et que sa survie
sera assurée par des
organes souterrains,
à compter de la fin
de l’automne
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital, à compter de
la fin de l’automne
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital, à compter de
la fin de l’automne
Les aires de stockage
sont à proscrire.
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital, à compter de
la fin de l’automne
Réaliser les travaux
lorsque l’espèce aura
complété son cycle
vital, à compter de
la fin de l’automne
Chaméphyte
Hémicryptophyte
Cryptophyte
Thérophyte
Rev. For. Fr. LVI - 3-2004
Outils et méthodes
SENSIBILITÉ DES PLANTES AUX PERTURBATIONS DE L’HABITAT ET MESURES D’ATTÉNUATION APPROPRIÉES DANS LE
CONTEXTE QUÉBÉCOIS (Résumé)
Cet article présente une méthodologie simple qui permet de faciliter et d’uniformiser l’évaluation de l’impact
d’interventions réalisées dans l’habitat de plantes ainsi que l’identification de mesures d’atténuation
adéquates. Elle se fonde sur l’adaptation des plantes à trois facteurs écologiques : besoin en lumière, besoin
en humidité et résistance aux bris mécaniques, ainsi que sur l’impact attendu des interventions visées sur
ces trois mêmes facteurs. Cette méthode est rapide et objective, extensible à toute espèce caractérisée sous
l’angle de chacun des facteurs considérés et facilement transposable dans différents contextes. Elle a pour le
moment été développée sous l’angle de la foresterie, pour répondre à des avis en série touchant la prise en
compte des espèces floristiques menacées ou vulnérables dans des lots visés par des interventions de récupération du bois suite à la tempête de verglas qui a touché le Sud du Québec en janvier 1998. Son application à divers types d’intervention touchant les plantes menacées ou vulnérables du Québec est toutefois
envisagée.
PLANT SENSITIVITY TO HABITAT DISTURBANCE AND APPROPRIATE MITIGATION MEASURES IN QUEBEC (Abstract)
This article presents a simple methodology designed to facilitate and standardize the impact assessment of
activities affecting plant habitats and to identify appropriate mitigation measures. The methodology is based
on how plants adapt to three ecological factors (light requirements, water requirements and resistance to
mechanical disturbances) and on the activities’ anticipated impact on these factors. The method is quick,
objective, applicable to any species characterized using these three factors, and easy to employ in various
contexts. It was initially developed for forestry use in response to a series of notices concerning threatened
or vulnerable plant species in lots targeted for timber recovery following the January 1988 ice storm that hit
southern Quebec. We hope to apply it to various activities affecting Quebec’s threatened or vulnerable plant
species.
Rev. For. Fr. LVI - 3-2004
251
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