DOCUMENT D’ANALYSE DU RSR/RAN 04/01/2016 DOCUMENT D’ANALYSE DU RSR/RAN Les causes profondes de l’extrémisme violent Introduction Les causes profondes de l’extrémisme violent peuvent être examinées de plusieurs façons. Il n’existe pas de cause ou de cheminement unique menant à la radicalisation et à l’extrémisme violent, mais plutôt un large éventail de facteurs aux niveaux d’analyse macro, méso et micro. Les recherches menées sur le terrorisme indiquent que ni la pauvreté ni l’exclusion socioéconomique ne constituent des causes profondes directes de ce fléau. Les recherches existantes portent principalement sur des contextes non européens et définissent des grandes catégories qui ne cadrent pas facilement avec la radicalisation ou l’extrémisme violent des individus salafistes et djihadistes d’Europe.i Ce bref document d’analyse présente une synthèse des «causes profondes» qui conduisent à l’extrémisme violent. Réseau de sensibilisation à la radicalisation Ce bref document d’analyse a été rédigé par Magnus Ranstorp. 1 DOCUMENT D’ANALYSE DU RSR/RAN 04/01/2016 D’après Magnus Ranstorp, l’extrémisme violent peut être défini comme un kaléidoscope de facteursii qui crée des combinaisons infinies. Il existe quelques couleurs primaires de base qui, associées, donnent lieu à des combinaisons complexes: 1) les facteurs socio-psychologiques individuels; 2) les facteurs sociaux; 3) les facteurs politiques; 4) les aspects idéologiques et religieux; 5) le rôle de la culture et des questions d’identité; 6) les traumatismes et d’autres mécanismes déclencheurs, et trois autres facteurs qui contribuent à la radicalisation: 7) la dynamique de groupe, 8) les radicalisateurs/manipulateurs psychologiques; et 9) le rôle des réseaux sociaux. C’est l’interaction de certains de ces facteurs qui conduit à l’extrémisme violent.iii Les facteurs socio-psychologiques individuels, notamment les revendications et les émotions: l’isolement et l’exclusion, la colère et la frustration, les revendications et un fort sentiment d’injustice, les sentiments d’humiliation, les modes de pensée binaires et inflexibles, une tendance à mal interpréter les situations, les théories du complot, un sentiment de victimisation, les vulnérabilités personnelles, des éléments relatifs à la contre-culture.iv Les facteurs sociaux, notamment l’exclusion sociale, la marginalisation et la discrimination v (réelle ou perçue), une mobilité sociale réduite, des perspectives limitées en matière d’instruction ou d’emploi, un aspect lié au déplacement, la criminalité, le manque de cohésion sociale et l’auto-exclusion. Les facteurs politiques, notamment les revendications relatives à la victimisation en raison de la politique étrangère et des interventions militaires du monde Réseau de sensibilisation à la radicalisation occidental. Ce discours a pour thème central le fait que «l’Occident est en guerre contre l’Islam», ce qui crée un cloisonnement entre «eux» et «nous». Les conflits sont envisagés à partir de ce thème du discours: Bosnie, Tchétchénie, Irak, Syrie, Somalie et Palestine, etc. Ces conflits et ces événements peuvent devenir un point de convergence de la mobilisation. L’interdiction du port du voile musulman, la crise des caricatures et d’autres questions litigieuses sont autant de preuves que l’Occident est en guerre contre les communautés musulmanes. Il existe un fort sentiment d’isolement et d’injustice qui est renforcé par l’islamophobie, la xénophobie et les discriminations. Les facteurs idéologiques/religieux, notamment une mission historique sacrée et la croyance en une prophétie apocalyptique, une interprétation salafiste djihadiste de l’islam, une mission djihadiste violente, un sentiment que l’islam est assiégé et un désir de protéger l’oumma qui est menacée. L’idée que la société occidentale incarne une laïcité immorale fait aussi partie de cette croyance. La crise culturelle et identitaire est liée à la marginalisation culturelle qui se traduit par un isolement et une absence de sentiment d’appartenance à la société d’origine ou à celle des parents.vi Ce phénomène renforce la solidarité religieuse envers les musulmans du monde entier. Les traumatismes et autres mécanismes déclencheurs impliquent les traumatismes psychologiques subis par les parents souffrant de troubles de stress post-traumatique ou d’autres problèmes psychologiques complexes. 3 DOCUMENT D’ANALYSE DU RSR/RAN 04/01/2016 La dynamique de groupe implique des chefs charismatiques, une amitié et des liens de parenté préexistants, la socialisation, une pensée unique, un auto-isolement, un comportement qui se polarise et des éléments qui vont à contre-courant de la culture. Scott Atran fait valoir que «l’extrémisme surgit, en partie, lorsque l’appartenance à un groupe renforce des idéaux profondément ancrés et que l’identité d’un individu se confond avec celle du groupe».vii Les radicalisateurs/manipulateurs psychologiques impliquent les prêcheurs de haine et les personnes qui exploitent les vulnérabilités et les revendications et qui amènent les recrues à se tourner vers l’extrémisme violent par la persuasion, la pression et la manipulation. Cela souligne l’importance des milieux extrémistes qui existent dans les cercles d’études clandestins ou dans les maisons d’arrêt. Selon Petter Nesser, la masse critique de djihadistes prêts à passer à l’action constitue un ingrédient essentiel. viii Les réseaux sociaux qui permettent la mise en relation et la participation virtuelle des extrémistes partageant les mêmes opinions et qui s’en font l’écho.ix Internet permet «d’atteindre des personnes qui ne seraient pas accessibles autrement». Ils accélèrent le processus de radicalisation et augmentent les possibilités d’auto-radicalisation.x Les mécanismes de radicalisation résultent de l’interaction de facteurs d’incitation et d’attraction chez les individus. Il est important de reconnaître qu’il existe des degrés et des rythmes de radicalisation différents. Parmi les facteurs d’incitation, citons: les revendications sociales, politiques et Réseau de sensibilisation à la radicalisation économiques, un sentiment d’injustice et de discrimination, les crises et les drames personnels, la frustration, l’isolement, une fascination pour la violence, la recherche de réponses au sens de la vie, une crise d’identité, l’exclusion sociale, la marginalisation, une déception à l’égard des processus démocratiques, la polarisation, etc. Les facteurs d’attraction sont une quête personnelle, xi le sentiment d’appartenir à une cause, une idéologie ou un réseau social, le pouvoir et le contrôle, un sentiment de loyauté et d’engagement, un sentiment d’exaltation et d’aventure, une conception idéalisée de l’idéologie et de la cause, la possibilité d’être un héros, de parvenir à une rédemption personnelle, etc. Il existe aussi d’autres explications. Selon Oliver Roy, «Les recherches laissent penser que la plupart des extrémistes sont des personnes qui sont soudainement revenues à l’Islam ou des individus convertis qui ne sont pas d’origine musulmane». xii M. Roy avance dix pointsxiii pour comprendre les raisons qui motivent l’extrémisme: on n’observe pas de profil psychiatrique spécifique chez les personnes radicalisées, à l’exception de la frustration et du ressentiment à l’encontre de la société;, la majorité des individus radicalisés appartiennent à la deuxième génération de musulmans nés en Europe, les autres se sont convertis; Farhad Khosrokhavar soutient que ces immigrés de deuxième génération sont souvent «stigmatisés, rejetés et traités comme des citoyens de deuxième classe».xiv nombreux sont ceux qui ont un passé de petits délinquants et de trafiquants de drogue; 4 DOCUMENT D’ANALYSE DU RSR/RAN 04/01/2016 il s’agit clairement d’un mouvement lié à la jeunesse et d’un phénomène d’influence entre camarades; très peu d’entre eux ont une histoire liée au militantisme, qu’il soit politique (mouvements pro-palestiniens) ou religieux; la proportion inhabituelle d’individus convertis; le recrutement de jeunes femmes qui épouseront les «djihadistes»; la principale raison qui motive les jeunes hommes à participer au djihad semble être leur fascination pour le discours: « la petite confrérie de super-héros qui vengent l’oumma musulmane»; l’adoption de la version salafiste de l’Islam parce que le salafisme est à la fois simple à comprendre (injonctions et interdits) et rigide, ce qui a un effet psychologique structurant chez les individus. En outre, le salafisme est la négation de l’Islam culturel qui est la religion de leurs parents. les individus radicalisés n’ont aucun rapport ou entretiennent de vagues liens avec les communautés musulmanes d’Europe. i Par exemple, voir: Tore Bjorgo, Root Causes of Terrorism: Myths, Reality And Ways Forward (Routledge, 2005), Edward Newman (2006) Exploring the “Root Causes” of Terrorism, Studies in Conflict & Terrorism, 29:8, 749-772; et USAID, Development Réseau de sensibilisation à la radicalisation Assistance And Counter-Extremism: A Guide To Programming (octobre 2009). ii Magnus Ranstorp et Peder Hyllengren, Förebyggande av våldsbejakande extremism I tredjeland (Collège de défense suédois 2013). iii Mohammed Hafez et Creighton Mullins, “The Radicalization Puzzle: A Theoretical Synthesis of Empirical Approaches to Homegrown Extremism”, Studies in Conflict & Terrorism, 38:11, 958-975 (2015). Voir aussi: Anja Dalgaard-Nielsen (2010) Violent Radicalization in Europe: What We Know and What We Do Not Know, Studies in Conflict & Terrorism, 33:9, 797-814 iv De nouvelles recherches du CSIS ont remis en question la notion théorique selon laquelle il n’existe pas de personnalité propre aux terroristes. Il fait valoir qu’il est possible de trouver des traits de personnalité propres aux terroristes, notamment «la recherche de sensations» et «l’orientation à la dominance sociale». CSIS, Personality Traits and Terrorism (2013). v James A. Piazza, “Poverty, Minority Economic Discrimination, and Domestic Terrorism,” Journal of Peace Research 48(3) (2011). Cette analyse statistique portant sur 172 pays a été menée entre 1970 et 2006. Elle a donné lieu à plus de 3 000 observations et a permis d’étayer l’existence d’un lien entre la discrimination économique des groupes minoritaires et une incidence élevée du terrorisme national. Elle a permis de constater que «six attentats supplémentaires ont lieu chaque année dans les pays qui infligent une discrimination économique aux groupes minoritaires». vi Dina Al Raffie, ”Social Identity Theory for Investigating Islamic Extremism in the Diaspora”, Journal of Strategic Security, Vol.6, No.4 (hiver 2013). vii Scott Atrana, Hammad Sheikhb et Angel Gomezc. “Devoted actors sacrifice for close comrades and sacred cause”, Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 111 n° 50 (2015). viii Petter Nesser, Islamist Terrorism in Europe (Hurst, 2016). ix Charlie Edwards et Luke Gribbon (2013) Pathways to Violent Extremism in the Digital Era, The RUSI Journal, 158:5, 40-47 x Ines von Behr, Anaïs Reding, Charlie Edwards, Luke Gribbon, Radicalisation in the digital era The use of the internet in 15 cases of terrorism and extremism (RAND, 2013). 5 DOCUMENT D’ANALYSE DU RSR/RAN 04/01/2016 xi Arie W. Kruglanski, “The Psychology of Radicalization and Deradicalization: How Significance Quest Impacts Violent Extremism”, Advances in Political Psychology, Vol. 35, Suppl. 1, (2014). xii Declan Butler, “Terrorism science: 5 insights into jihad in Europe”, Nature, 2 décembre 2015. xiii Les facteurs suivants ont été tirés du discours d’Oliver Roy intitulé “What is the driving force behind jihadist terrorism? – A scientific perspective on the causes/circumstances of joining the scene”, International Terrorism: How can prevention and repression keep pace? Conférence d’automne du BKA, 18 et 19 novembre 2015. xiv Declan Butler, “Terrorism science: 5 insights into jihad in Europe”, Nature, 2 décembre 2015. Réseau de sensibilisation à la radicalisation 6